Chris Viola, pour l’égalité à la chaîne

Fils et petit-fils d’ouvrier dans l’automobile, syndicaliste et socialiste, ce salarié de General Motors se mobilise principalement pour mettre fin à la double échelle des salaires. (Article publié dans l’Humanité du 26 septembre 2023.)

Detroit (Michigan),

Envoyé spécial.

Chris est un gréviste qui ne fait pas grève. Militant du groupe Unite All Workers for Democracy qui a balayé, sur une base plus revendicative, l’ancienne direction de l’UAW (United Auto Workers) ; membre du DSA, la principale organisation socialiste du pays ; contributeur occasionnel à Jacobin, le magazine marxiste, il est gréviste dans la tête mais pas dans les faits. L’usine General Motors dans laquelle il travaille à Hamtramck, dans la banlieue de Detroit, n’a pas encore été appelée à débrayer par la direction du puissant syndicat automobile, tout à sa nouvelle stratégie de monter en puissance en faisant entrer chaque semaine de nouveaux sites dans la danse des piquets de grève. Il a même raté le déclenchement des hostilités sociales, vendredi 15 septembre à minuit ainsi que le meeting, quelques heures plus tard, de Bernie Sanders en soutien du mouvement. « Des vacances prévues de longue date et un problème d’avion. On était en Ecosse »… ce dont témoignent quelques mignonettes de whisky posées sur le bar de sa maison en bois sans prétention dans une de ses rues banalement tracées qui caractérisent la banlieue américaine

Mais Chis est prêt. « Certains veulent entrer en grève, d’autres non. On n’a pas le même rapport culture à la grève qu’en France. Moi, je dis que je prendrai ma part là où il faudra la prendre», glisse-t-il avant de rembobiner. La dernière grève lui a laissé un goût de cendre dans la bouche : en 2019, l’UAW ne sort de 40 jours de conflit à General Motors, numéro 1 sur le marché intérieur américain, qu’avec des miettes amères : une augmentation des salaires contre la fermeture de trois sites. « J’étais tellement déçu de l’issue que je me suis alors dit que le meilleur moyen de faire avancer mes revendications était que Bernie devienne président. Je me suis alors engagé plus fortement dans le DSA dont j’étais membre depuis un an. »

C’est pourtant le syndicat et la boîte qui le rattraperont par la manche. Un scandale de corruption fait tomber la direction de l’UAW. Un groupe se constitue sous l’appellation Unite All Workers for Democracy (UAWD, Unifier tous les ouvriers pour la démocratie). Chris en est. Par principe mais sans illusions. «Je me suis dit : « Je vote pour le président, le député, le maire mais pas pour le président de mon syndicat. Humm… » Depuis la création du syndicat en 1935, le président a toujours été élu en petit comité. « Mais je n’y croyais pas », poursuit-il. Pourtant, en mars derniers, Shaw Fain est élu président, et avec lui des vice-présidents et des présidents de région estampillés UAWD.

Etape suivante : la renégociation de la convention collective qui expire mi-septembre. L’UAW met la barre des revendications très haut et l’assume. Chris ne serait évidemment pas contre une augmentation de salaire : « Quand je suis rentré en 2007, j’avais un bon salaire. C’est nous qui servions de standard pour les cols bleus. Seize ans après, avec le salaire de ma femme qui travaille dans une brasserie, je ne dis pas qu’on vit mal mais c’est de plus en plus difficile», explique le quadragénaire, au milieu d’un ballet de ses trois chats. Mais la principale raison de son engagement ne tient pas en ses propres conditions matérielles d’existence : « Je veux que l’on mette fin à la double échelle. » En 2009, en pleine menace de banqueroute des Big Three, l’UAW accepte que les nouveaux embauchés aient un salaire moindre et ne disposent pas de pensions de retraite ni de protection sociale lorsqu’ils auront cessé de travailler.

« Les négociateurs du syndicat ont accepté ce qu’ils n’auraient pas accepté pour leurs propres enfants. Alors, évidemment lorsque l’on a appris qu’ils avaient aussi touché des pots de vin… » : Chris laisse quelques secondes en suspens puis reprend : « On connaît la tactique : diviser pour mieux régner. Avec ce double statut, vous divisez le salariat et par voie de conséquence le syndicat car tout le monde est syndiqué . Ce qui se joue maintenant va peser dans le futur et notamment dans la transition vers l’électrique, où les emplois sont moins nombreux, moins bien payés et les usines le plus souvent non syndiquées.»

L’automobile pour Chris n’a jamais relevé du rêve d’enfant du petit gars du Michigan, malgré un atavisme familial (père et grand-père, la sœur et le frère, rien que ça). « Je pensais plutôt me lancer dans les jeux vidéos ». L’argument massif de la bonne protection sociale l’a propulsé sur les chaînes… qu’il est prêt à arrêter pour « qu’un emploi syndiqué soit de nouveau synonyme d’égalité.» La semaine prochaine, il prendra tous les matins sa Chevrolet Volt – une voiture hybride – avec son bien visible autocollant de l’UAW pour aller à l’usine. Gréviste dans la tête et peut-être dans les faits.

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