Donald Trump: une inculpation à double tranchant

La mise en accusation de l’ancien président – fait historique – va constituer un fait central de la vie politique du pays durant ces prochains mois et peut-être jusqu’à l’élection de novembre 2024. Ce qui pourrait finalement lui profiter. (Article publié dans l’Humanité du 6 avril 2023.)

En 1872, Ulysses Grant, 18e président des Etats-Unis a été arrêté à deux reprises en quelques jours. Son infraction : excès de vitesse dans les rues de Washington avec sa carriole. Emmené au poste de police, l’ancien général en chef des troupes de l’Union avait été libéré après le paiement d’une caution de 20 dollars (équivalent à 500 dollars actuels). La presse n’en avait pas fait état et il a fallu attendre 1908 et une interview du policier publiée dans la presse pour que l’épisode soit connu du grand public. Depuis, plus aucun locataire de la Maison-Blanche n’avait effleuré le moindre problème avec le système judiciaire, Richard Nixon l’évitant par sa démission.

Cent cinquante ans plus tard, c’est en mondiovision que son lointain successeur – un républicain, également – a eu maille à partir avec la justice. Les charges retenues sont un peu plus lourdes qu’une bride fougueuse et lui valent de devenir le premier président à être inculpé dans l’histoire du pays. Il est accusé pour avoir falsifié à trente-quatre reprises les documents comptables de son groupe, la Trump Organization, « afin de dissimuler aux électeurs américains des informations dommageables et une activité illégale avant et après l’élection [présidentielle] de 2016. » L’accusation va au-delà du seul versement de 130.000 dollars à Stormy Daniels, une actrice de films X avec laquelle il avait eu une relation extraconjugale, afin d’acheter son silence. Elle concerne aussi un paiement à deux autres personnes entre « août 2015 et décembre 2017 », des faits intervenus dès le lancement de sa campagne et qui se sont poursuivis alors qu’il se trouvait à la Maison Blanche.

Arrivé de sa luxueuse résidence de Mar o Lago, en Floride à bord de son avion personnel, Donald Trump s’est rendu de lui-même au tribunal. Bénéficiant d’un régime dérogatoire (pas de menottes, pas de « perp walk », cette exhibition à la face des photographes et caméras), le milliardaire, visage fermé a opposé un « non coupable » à chacun des chefs d’accusation. De retour le soir-même en Floride, l’ancien président s’est exprimé devant quelques militants. « Le seul crime que j’ai commis, c’est de défendre courageusement notre nation contre ceux qui cherchent à la détruire », a-t-il déclaré, tentant de transformer la procédure à son encontre en procès politique. Pour l’instant, la manœuvre fonctionne plutôt bien. Il n’a jamais été aussi populaire parmi la base républicaine et tous ses concurrents putatifs à l’investiture du GOP (Grand Old Party, surnom du parti républicain), pour laquelle il a déjà déclaré sa candidature, se trouvent contraints d’adhérer à son récit.

La procédure judiciaire va d’ailleurs télescoper le calendrier électoral. Les premiers débats des primaires républicaines auront lieu en août. Aucune chance que le procès ait déjà eu lieu puisque la prochaine date de comparution est prévue pour le 4 décembre. Il ne se tiendra peut-être même pas avant l’élection générale du 8 novembre 2024.

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Golf aux Etats-Unis : les raisons d’un déclin

Chaque année, 200 parcours ferment outre-Atlantique. Le sport longtemps incarné par Tiger Woods n’a plus le vent en poupe. Explications. (Article publié dans l’Humanité du 04 avril 2023.)

Tout le petit monde du golf converge ces jours-ci vers Augusta pour le Masters, première des quatre levées du Grand Chelem, la plus prestigieuse sur le sol des États-Unis. Le nom de cette ville moyenne de Géorgie, à mi-chemin entre Atlanta et la côte atlantique, a une résonance particulière pour tout amateur de ce sport en forme d’« agréable promenade gâchée par une petite balle blanche » (Mark Twain). Pour reprendre une image commune, Augusta, c’est un peu la Mecque du golf américain.

Mais cette capitale règne désormais sur un empire en déclin. Le palmarès des dix dernières éditions n’en livre pourtant aucun indice : six des vainqueurs sont des joueurs des États-Unis, dont Tiger Woods, en 2019, pour sa cinquième victoire au terme d’un ahurissant come-back.

Un coup d’œil au top 100 n’est guère plus révélateur : les golfeurs américains représentent la moitié de l’élite, contre 60 % dans les années 1980, un recul presque infime dans un sport mondialisé et professionnalisé avant bien d’autres.

Pourtant, les données brutes ne trompent pas : il y a de moins en moins de pratiquants aux États-Unis. Le phénomène date du début de ce siècle. Depuis 2003, le nombre de joueurs ayant effectué au moins 8 tours dans l’année a reculé de 6,8 millions, soit une diminution de 22 %, dans un pays dont la population est passée de 290 millions d’habitants à 330 millions. L’érosion se poursuit à un rythme annuel compris entre 3 et 4,5 %.

Conséquence : entre 2005 et 2018, le pays a subi une perte de 1 300 parcours. Chaque année, 200 parcours ferment, entraînant autant de micro-perturbations immobilières, la construction de parcours de golf s’étant régulièrement accompagnée de projets de résidences qui, de fait, perdent de leur valeur en cas de fermeture.

À la traque d’explications, certains chercheurs estiment que le travail prend trop de place dans la vie des américains et en laisse donc trop peu pour les loisirs. Il est vrai qu’outre-Atlantique, un salarié travaille, selon l’OCDE, 1 791 heures par an, contre 1 607 pour un japonais, 1 490 pour un français et 1 349 pour son homologue allemand. Mais le fait n’est pas vraiment nouveau.

Le prix d’un sport réputé plutôt onéreux et sélectif ? Argument repoussé par le site Bleacher Report, qui rappelle que 80 % des pratiquants jouent sur des parcours publics, encore abordables à une bourse moyenne.

Certains ont suggéré que la force propulsive de l’« effet Tiger » était désormais épuisée. L’entrée fracassante, au milieu des années 1990, du jeune prodige métis (son père était noir et sa mère thaïlandaise) dans un sport à l’image poussiéreuse aurait amené de nouveaux pratiquants. Pourtant, les taux les plus élevés ont été enregistrés avant même que Woods ne débarque dans le milieu.

Alors ? L’explication la plus tangible est que le golf épouse la destinée du pays. Dans l’immédiat après-guerre, ce sport, que l’on dit avoir été inventé par des bergers écossais, demeurait l’apanage des classes supérieures exclusivement blanches jouant dans des « clubs privés ». Puis, avec les Trente Glorieuses, la classe moyenne s’est constituée, a eu accès à la propriété et au golf, signe extérieur de respectabilité. Entre 1950 et 1970, le nombre d’aficionados du fer 7 est passé de 3,5 millions à 11,2 millions.

Et aujourd’hui ? Le pays se trouve en pleine mutation démographique, la part des habitants qui sont labellisés membres des minorités (Afro-Américains, Latinos, Asiatiques, métis) ne cessant d’augmenter : 37 % de la population actuellement, avec une projection de 50 % à l’horizon 2040. Or, il se trouve que la pratique du golf est ultra-majoritairement une affaire de Blancs. Mécaniquement, elle épouse le recul de la proportion des « Caucasiens » (appellation officielle dans les statistiques ethniques) dans le pays.

C’est d’ailleurs l’ensemble du monde du sport qui est chamboulé par ces évolutions historiques : le football, fortement pratiqué par les « minorités », se trouve en pleine expansion, tandis que le football américain a pris un sacré coup de vieux, à l’image d’une population blanche vieillissante.

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Une année cruciale pour le syndicalisme américain

La renégociation cette année des conventions collectives dans le secteur automobile et chez UPS constituera un nouveau test pour un mouvement syndical affaibli, malgré les victoires chez Starbucks. (Article publié dans l’Humanité du 4 avril 2023.)

C’est le premier événement de l’année syndicale : la défaite du président sortant du syndicat de l’automobile UAW (United Auto Workers), Ray Curry, jugé trop apathique par la base. Son challengeur et successeur, Shawn Fain, annonce une ligne plus combative. C’est donc lui qui mènera les négociations avec les constructeurs automobiles pour la révision de la convention collective, moment crucial d’une année qui ne le sera pas moins pour le syndicalisme.

Le Bureau des statistiques sur le travail (Bureau of labor statistics) a publié en janvier les chiffres les plus récents montrant que le taux de syndicalisation a encore baissé en 2022, à 10,1 %, atteignant son plus-bas historique, alors que l’année a été marquée par la recrudescence des luttes sociales, notamment à travers la campagne de syndicalisation à Starbucks. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Les États-Unis sont un vaste pays avec des courants contradictoires. La campagne de syndicalisation a eu lieu dans des entreprises de commerce, comme Starbucks, Apple Store, REI (chaîne spécialisée dans les sports de plein air), des fabricants d’ordinateurs, etc. Les syndicats se sont organisés dans 280 magasins, avec 10 000 salariés désormais couverts par les conventions collectives qui seront négociées par les organisations. Il y a aussi eu une recrudescence des grèves, menées majoritairement par des salariés déjà syndiqués. Le nombre de syndiqués a augmenté de 270 000 entre 2021 et 2022, mais la population active a augmenté de 5 millions, particulièrement dans les déserts syndicaux, amenant à une nouvelle baisse du taux de syndicalisation.

Pour assister à une hausse de ce taux, il aurait fallu enregistrer des progrès significatifs dans des secteurs massivement non syndiqués comme le million de travailleurs d’Amazon, ou les 2 millions de Walmart (plus grande chaîne de supermarchés du pays), ou les 4 millions de chauffeurs, ou les 10 millions de travailleurs dans le BTP, voire parmi les centaines de milliers de salariés de l’automobile, principalement dans le Sud, souvent dans des compagnies étrangères (Toyota, Honda) qui emploient 25 % des salariés du secteur. Or, ces percées n’ont pas encore eu lieu…

Les directions syndicales portent-elles une responsabilité dans le déclin de la syndicalisation ?

Oui. On peut faire remonter l’offensive antisyndicale des capitalistes au moins au début des années 1950, avec le licenciement illégal des militants pendant les campagnes visant à organiser les travailleurs ou des offensives pour désyndicaliser des industries majeures : construction, automobile, transport routier. À mon sens, la férocité de ces attaques n’a pas été contrée par des tactiques plus agressives des syndicats et de leurs dirigeants.

Cette année 2023 sera marquée par la renégociation des conventions collectives chez UPS, la plus grande entreprise postale privée du pays, et parmi les Big Three de l’automobile (General Motors, Ford et Stellantis). À quoi peut-on s’attendre ?

Trois grands secteurs syndiqués vont en effet voir leurs contrats renouvelés. Les teamsters (chauffeurs routiers – NDLR) ont une nouvelle direction qui s’est engagée à se battre de manière plus agressive pour obtenir une meilleure convention pour les 350 000 salariés d’UPS. La frange rebelle du syndicat de l’automobile (UAW), qui a gagné l’élection, a également pris l’engagement de s’opposer à un certain nombre de points néfastes du contrat actuel, comme le système du salaire à deux vitesses (1). Il y a également la renégociation sur les ports avec le syndicat des dockers, West Coast International Longshoremen and Warehous Union (Ilwu), qui est vraiment orienté à gauche. Des grèves dans l’un de ces secteurs pourraient avoir des impacts économiques majeurs, contrairement à l’impact limité d’un mouvement chez Starbucks.

Joe Biden a fait des déclarations très fortes sur le rôle important des syndicats, mais peu a été fait sur le plan législatif. Comment l’expliquez-vous ?

Le droit du travail aux États-Unis est faible. Les personnes que Biden a nommées à l’agence fédérale du NLRB (2) ont peu d’outils, même si elles ont plutôt bien agi. Les démocrates, comme les républicains, sont redevables à un certain nombre de groupes capitalistes. Au bout du compte, ils ont toujours cédé aux intérêts commerciaux, comme ce fut le cas lors du récent conflit ferroviaire (3).

Fait cocasse, Las Vegas est l’une des villes les plus syndiquées du pays…

C’est une longue et très instructive histoire. Comme vous le savez, Las Vegas est une destination pour touristes et joueurs. Jusque dans les années 1950-1960, les salariés, particulièrement les femmes de chambre, étaient des immigrés mal payés, certains sans statut légal. Puis les salariés des hôtels et restaurants se sont organisés et ont marqué des points. Ils ont organisé des piquets de grève, parfois avec des milliers de personnes. Ils bénéficiaient de ce que j’appelle un grand pouvoir structurel. Les casinos et hôtels sont très profitables. Les hôtels, particulièrement, sont immenses et ne sont pas concurrencés par des structures plus petites. Ajoutez à cela le fait que les touristes n’ont pas forcément envie de tomber sur un piquet de grève en sortant de leur hôtel. À partir du moment où les salariés ont réussi à arrêter totalement l’activité, les propriétaires ont dû capituler. Les salaires ont été augmentés à plusieurs reprises et les conditions du contrat ont été améliorées. Beaucoup de travailleurs ont pu s’acheter une maison et envoyer leurs enfants à l’université.

(1) Dans les conventions collectives négociées après la crise de 2008, les nouveaux embauchés disposaient d’un salaire inférieur à la rémunération de base des salariés déjà en place.

(2) Le National Labor Relations Board est une agence indépendante du gouvernement fédéral américain, chargée de conduire les élections syndicales et d’enquêter sur les pratiques illégales dans le monde du travail.

(3) Fin 2022, la Maison-Blanche a forcé à un accord entre syndicats et patronat afin d’éviter l’impact économique d’une grève. S’ils ont obtenu des avancées (augmentations de salaires et un jour de congé maladie), une frange des salariés du secteur ont eu le sentiment d’avoir été dépossédés de leur mobilisation.

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Colorado, le fleuve de la discorde

La ressource diminue de manière presque dramatique mais les Etats n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la répartition des réductions. Personne ne veut toucher à son modèle de développement qu’il soit basé sur l’agriculture irriguée (le sud de la Californie) ou la croissance démographique (Arizona et Nevada). Le gouvernement fédéral a pris la main. (Article publié dans l’Humanité du 14 février 2023).

La sécheresse endémique a mis le Colorado quasiment à sec. Les Etats que traverse le fleuve nourricier se livrent une lutte sans pitié pour accaparer le peu d’eau qu’il reste. L’Etat fédéral s’effondre lentement et ne peut plus jouer les arbitres. C’est l’heure de la guerre de l’or bleu. Voici la trame du roman « Water knife », écrit en 2015 par la star de la science-fiction américaine, Paolo Bacigalupi. Sept ans après sa publication, il ne fait quasiment plus figure de roman d’anticipation.  

Ce n’est pas encore tout à fait la guerre de l’or bleu mais les tensions n’ont jamais été aussi vives entre les Etats dont l’approvisionnement dépend du fleuve qui prend sa source dans les Montagnes rocheuses et traverse l’Ouest américain pour se jeter dans le Pacifique, après 2300 kilomètres de course. L’Arizona, la Californie, le Colorado, le Nevada, le Nouveau-Mexique, l’Utah et le Wyoming avaient jusqu’au 31 janvier pour parvenir à un accord, sous peine de se voir imposer des coupes par le gouvernement fédéral. A ce stade, les différends sont trop importants entre la Californie et ses six voisins. Ces derniers ont élaboré un plan commun afin de réduire leur consommation d’eau qui ne convient pas au « Golden State ». Celui-ci a donc formulé sa contre-proposition, concédant des efforts sans s’attaquer à son modèle de surconsommation. Ce qui, sans surprise, ne convient pas aux six autres, dont la population cumulée (22 millions d’habitants) atteint à peine plus de la moitié de celle de la Californie (39 millions) même si seul le sud du « Golden State », soit 20 millions d’habitants, dépend du fleuve.  

L’Etat fédéral s’en mêle désormais. Le fleuve Colorado est à l’agonie, malgré de premiers plans de réductions qui se sont avérés avoir un coup de retard sur le niveau de la baisse de la ressource, induite par la sécheresse devenu un phénomène ordinaire depuis le début des années 2000. Désormais, les économies nécessaires correspondent à 20 à 40% de la capacité actuelle du fleuve. Faute d’accord, le ministère de l’intérieur, qui gère les espaces naturels dont les rivières, a donc pris la main, une première depuis 1922 et le grand accord passé entre les Etats fédérés eux-mêmes. Le pilotage centralisé depuis Washington passe mal. Dans le cadre des pourparlers, le ministère a proposé d’explorer un scénario au cours duquel Phoenix (Arizona) et Las Vegas (Nevada) se trouveraient coupées d’approvisionnement issu du Colorado. Refus catégorique des deux Etats concernés. La piste n’apparaît pourtant pas du tout improbable. La volonté des autorités fédérales d’aller y regarder de plus près dans ces deux métropoles ne doit rien au hasard: elles répondent toutes deux à un mode de développement qui n’est littéralement plus soutenable. La population de l’aire urbaine de Phoenix a doublé en 30 ans, absorbant désormais plus des deux-tiers de la population de l’Arizona, le tout en plein désert de Sonora. Au cœur de cette métropole, on trouve notamment la ville de Scottsdale, « la Mecque » des golfeurs avec ses dizaines de aprcours, dévoreurs d’eau. Autre désert – celui des Mojaves – mais même problématique avec l’agglomération de Las Vegas et ses 2,2 millions d’habitants sur les 3 que compte le Nevada, soit un quadruplement de la population depuis les années 90. Les élus ne veulent notamment pas assumer les réductions drastiques concernant les remplissages de piscines privées et d’arrosage de golfs, un premier pas impopulaire mais pourtant insuffisant pour sortir de cette crise historique. Quant à la Californie, elle argue que son agriculture – véritable grenier des Etats-Unis – ne peut descendre en dessous d’un niveau donné de consommation d’eau. Bref, la quadrature du cercle. 

Le changement climatique et les effets combinés de la croissance démographique et d’une agriculture ultra-intensive, ont amené les niveaux des lacs Mead et Powell quasiment à sec. Or, ces deux réserves alimentent en eau et en électricité l’Arizona, le Nevada et le sud de la Californie. Le lac Mead a atteint son plus bas étiage l’an dernier à 315 mètres au-dessus du niveau de la mer. Une baisse du niveau de 30 mètres et le barrage Hoover ne sera plus en capacité de générer de la puissance hydroélectrique. 45 mètres de moins et l’eau ne passerait plus la rampe, créant une situation connue sous le nom de “deadpool” (piscine morte). « C’est un désastre au ralenti, constate, dans le New York Times, Kevin Moran, de l’ONG Environmental Defense Fund. On est vraiment à un moment de vérité. » 

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La fausse main tendue de Biden aux républicains

Pour le traditionnel discours sur l’état de l’Union, le président a surtout préparé le terrain en vue de l’élection de 2024. (Article publié dans l’Humanité du 9 février 2023).

Devant le congrès, pour l’épreuve orale imposée de la politique américaine, Joe Biden a proposé aux républicains, qui détiennent désormais une majorité à la Chambre des représentants, de coopérer mais à ses propres conditions. Comme si le travail « bipartisan » n’était qu’une figure de style sans réelle portée alors que s’ouvre un cycle qui mènera à l’élection présidentielle de novembre 2024, pour laquelle il n’a pas encore dévoilé ses intentions. « À mes collègues républicains, si nous avons pu travailler ensemble lors du dernier Congrès (en fait, les républicains se sont opposés à quasiment tous les projets de loi déposés par les démocrates – NDLR), il n’y a aucune raison que nous ne puissions travailler ensemble et trouver des consensus sur des sujets importants lors de ce Congrès », a-t-il estimé, avant d’accuser ses opposants de vouloir réduire les fonds pour la Social Security (le système fédéral de retraites) et Medicare (programme fédéral d’assurance-maladie pour les plus de 65 ans). Des bancs républicains sont montés des dénégations. Joe Biden n’aime rien tant que ce genre de situation d’estrade électorale. « Bien, collègues, comme nous sommes apparemment d’accord, la Social Security et Medicare ne sont pas sur la table », s’est-il amusé. Sénateur, le même Joe Biden proposait, dans les années 1990, des coupes qu’il reproche désormais aux républicains de vouloir mettre en œuvre.

Depuis vingt ans, le centre de gravité de l’électorat démocrate a évolué vers la gauche, et l’hôte de la Maison-Blanche doit en tenir compte. Ainsi, son discours de 73 minutes a été émaillé d’appels à appliquer le programme démocrate. « Interdisez-les maintenant ! » a-t-il lancé aux élus du GOP (Grand Old Party, surnom du parti républicain), à propos des armes d’assaut. « Faites quelque chose ! » a encore invoqué Joe Biden à propos de la réforme de la police, tandis que les parents de Tyre Nichols, un jeune Africain-Américain de 29 ans tué le 7 janvier à Memphis par cinq membres d’une unité spéciale de la police, se trouvaient aux côtés de Jill Biden. Enfin, il a dénoncé les surprofits des compagnies pétrolières, proposant d’augmenter les impôts pour les plus riches, une promesse électorale qu’il n’a pas réussi à rendre effective alors qu’il disposait d’une majorité dans les deux chambres du Congrès. Tous ses propos n’engagent donc en rien l’hôte de la Maison-Blanche : ils servent principalement à la scénarisation d’une opposition avec les républicains, alors que ceux-ci vont rentrer dans la phase de désignation de leur candidat pour 2024.

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L’inévitable déclin du syndicalisme américain ?

Malgré des victoires éclatantes à Starbucks, le taux de syndicalisation a atteint, en 2022, son plus-bas historique, à 10,1 %. La renégociation, cette année, des conventions collectives à UPS et dans l’automobile constituera un nouveau test pour le mouvement syndical. (Article publié dans l’Humanité du 31 janvier 2023.)

Malgré l’éclaircie Starbucks, le ciel du syndicalisme américain continue de s’assombrir. D’après les statistiques récemment publiées par le Bureau of Labor Statistics (BLS), le taux de syndicalisation atteint son plus-bas historique, à 10,1 %. Si 273 000 salariés supplémentaires se sont syndiqués en 2022, cette augmentation de 2 % par rapport à 2021 ne suit pas le rythme de l’accroissement de la population active (3,9 %). La chute est régulière depuis 1955, sommet de la syndicalisation. Depuis les années 1980, c’est même le nombre total de syndiqués qui diminue, de 32 millions en 1979 à 14 millions aujourd’hui. Le secteur privé affiche un taux famélique (6 %), soit près de cinq fois moins que dans le secteur public (33 %).

Le regain de combativité sociale enregistré en 2022 n’a donc pas enrayé ce phénomène. Il l’a pourtant sans doute atténué. Le National Labor Relations Board, organisme fédéral chargé des relations sociales dans les entreprises, a enregistré une augmentation de 50 % des demandes de syndicalisation. Aux États-Unis, les salariés doivent signer une « pétition » pour organiser un scrutin qui ne débouchera sur la reconnaissance d’un syndicat qu’à la condition d’un vote majoritaire des salariés. L’an dernier, 1 200 élections ont ainsi été gagnées, permettant de faire reculer très légèrement les déserts syndicaux. La plus spectaculaire avancée en la matière a été enregistrée chez Starbucks, dont la direction est connue pour sa politique antisyndicale brutale.

Le mouvement a commencé à Buffalo (New York), en décembre 2021, avec la création historique d’une section syndicale dans un store (magasin). En une année, 267 Starbucks dans 174 villes de 36 États ont rejoint le mouvement, les organisations syndicales remportant 81 % des scrutins organisés avec une moyenne de 70 % de vote favorable des salariés. Pour autant, cela n’apporte que 3 626 syndiqués supplémentaires pour un total de 7 000 salariés couverts par des accords de convention collective. Si cette campagne a indéniablement changé la tonalité du débat national sur le sujet, elle n’a eu numériquement que peu d’impact sur les données domestiques, sur lesquelles pèse évidemment la perte continue des emplois industriels. Depuis 2000, plus de 2 millions d’emplois syndiqués ont disparu, 70 % d’entre eux provenant du secteur manufacturier.

Un autre facteur expliquant ce recul du fait syndical réside dans des législations votées depuis les années 1990 par des États où les républicains sont majoritaires. Paradoxalement baptisées Right to Work (droit au travail), elles constituent de redoutables armes aux mains des grandes entreprises pour juguler les demandes d’organisation collective. Le sud du pays, où les mastodontes de l’automobile ont commencé à « délocaliser » en interne dès les années 1970, demeure une espèce d’immense désert syndical : les deux Carolines (du Sud et du Nord) affichent les taux de syndicalisation les plus bas du pays (1,7 et 2,8 %), juste devant le Texas (4,1 %), la Géorgie (4,4 %) et la Floride (4,5 %). À l’autre extrême du spectre, on trouve New York (20 %) et la Californie (16 %), les deux États accueillant un tiers de l’ensemble des syndiqués des États-Unis. Ces États ont été les pionniers dans l’instauration du salaire minimum à 15 dollars, une réalité désormais pour un tiers des salariés du pays. Cela relève évidemment plus de la corrélation que de la coïncidence. Les statistiques du BLS confirment que les salaires sont supérieurs dans des secteurs d’activité syndiqués, où le salaire hebdomadaire s’établit à 1 216 dollars, contre 1 029 dollars en l’absence de syndicats.

Enfin, dernière explication à ce reflux de long terme : les effets de la stratégie du mouvement syndical, qui a fait « très tôt le choix de se focaliser sur la négociation collective au service exclusif de ses membres, au détriment de solidarités plus larges », comme le rappellent les autrices Catherine Sauviat et Laurence Lizé, dans leur livre la Crise du modèle social américain (Presses universitaires de Rennes). « Ce choix l’a conduit à développer des pratiques gestionnaires aux dépens de pratiques plus militantes et plus solidaires. Ce faisant, il s’est coupé des grands mouvements de contestation et de lutte qui ont ponctué l’histoire politique et sociale américaine dans des années 1960 et 1970. Il s’est ainsi laissé enfermer dans un rapport de forces de plus en plus déséquilibré avec les employeurs au niveau de l’entreprise, sans relais dans les institutions sociales, économiques et politiques du pays », ajoutent-elles.

Symbole de cette stratégie : le traité de Détroit, accord historique passé entre l’UAW (United Auto Workers) et les Big Three (Ford, General Motors et Chrysler), les compagnies automobiles s’engageant à assurer des salaires élevés et une protection sociale complète, tandis que l’organisation syndicale renonçait à la mobilisation militante en faveur d’une négociation en bilatérale avec les directions d’entreprise. Si les compagnies automobiles ont depuis progressivement rogné les acquis, l’UAW n’a pas changé sa posture d’un iota. Celle-ci se trouve d’ailleurs de plus en plus contestée par les syndiqués eux-mêmes, comme en atteste l’élection de son président en ce mois de janvier. Le favori de la direction sortante, Ray Curry, n’a obtenu que 38,2 % des suffrages, talonné, avec 37 %, par Shawn Fain, adepte d’un syndicalisme de mobilisation. Le taux de participation – 11 % – en dit assez long sur la crise que traverse l’un des principaux syndicats du pays. L’issue du second tour déterminera la position de l’UAW, alors que la convention collective avec les Big Three va être renégociée cette année. Hasard du calendrier : à UPS aussi, on va négocier un nouveau contrat alors que la direction du syndicat des teamsters (routiers) se veut plus offensive. « Ces combats vont concerner 500 000 syndiqués, rappelle le magazine marxiste Jacobin. L’ensemble des salariés regardera pour voir si les syndicats peuvent encore combattre et gagner. »

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Le Capitole, fortin de la droite chrétienne 

Etats-Unis Si la proportion de chrétiens recule dans le pays, elle demeure identique au Congrès. Les évangéliques y sont même de plus en plus nombreux, fruit d’une stratégie visant à investir les institutions afin de contrer la sécularisation de la société. (Article publié dans l’Humanité du 17 janvier 2023.)

Il y a de moins en moins de chrétiens aux Etats-Unis, mais toujours autant dans le Congrès qui est censé représenter le pays. L’entrée en fonction de la 118e session de l’organe législatif, début janvier, a mis en lumière ce paradoxe de plus en plus évident. Dans la société, le nombre d’habitants se déclarant chrétiens décline de manière régulière: ils ne forment plus que 63% de la population totale contre 78% en 2007, selon le Pew Research Center. Désormais, près d’un tiers des Américains refusent toute affiliation religieuse, qu’ils se considèrent comme athées, agnostiques ou «rien en particulier». Le phénomène est même majoritaire parmi les nouvelles générations: 52% des Millennials (nés entre 1981 et 1996) et 55% de la Génération Z (nés depuis 1997) se déclarent «sans religion».

Pourtant, au Congrès, rien ne change ou presque. 88% des élus s’y définissent encore comme chrétiens, soit peu ou prou la même proportion qu’à la fin des années 70 (91%). L’évolution fondamentale dans la société n’est que faiblement ressentie sur la colline du Capitole. Parmi l’ensemble des élus (435 députés et 100 sénateurs), on dénombre 470 chrétiens revendiqués (contre 500 dans les années 70). Le nombre de protestants, après avoir chuté de 398 au début des années 1960 à 295 au début des années 2010, se stabilise à 303 pour cette session.

Il y a dans ce décalage une première raison évidente: la moyenne d’âge des élus (59 ans pour les représentants et 65 pour les sénateurs) est beaucoup plus élevée que la moyenne nationale (39 ans). Mais il se joue quelque chose d’autre dans ce pays où la relation entre la politique et la religion occupe une place particulière. Quelques rappels historiques s’imposent.

Si les Pères fondateurs étaient ultramajoritairement des protestants (seul Thomas Jefferson se considérait comme déiste), ils instaurent la liberté de culte mais l’obligation d’aucun. Cela fait même l’objet du premier amendement de la Constitution: «Le Congrès ne pourra faire aucune loi ayant pour objet l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice». Pas de religion d’Etat, donc, à rebours du projet théocratique des Puritains, dont les premiers éléments arrivèrent en 1620 dans le Massachusetts à bord du bateau baptisé le Mayflower dans l’intention fondamentale d’y établir le royaume de Dieu. Pas de religion «officielle» mais guère de «sphère privée» non plus: le sentiment religieux peut s’exprimer tout le temps et partout. Enfin, pas tout à fait: depuis 1962, sur décision de la Cour Suprême, la prière est interdite dans les écoles publiques,. En revanche, un président peut sans ambages prêter serment sur la Bible (ou potentiellement sur un autre texte «sacré»), sans toutefois en avoir l’obligation. Si «In God we trust» est l’une des devises nationales avec «E Pluribus Unum» (en latin: «De plusieurs, un»), on le doit à un vote du Congrès en 1956, convoquant une puissance suprême dans sa lutte contre le communisme athée, pas aux Pères fondateurs. Dès 1802, d’ailleurs, Thomas Jefferson évoquait d’un «mur entre Eglises et Etat». Un siècle et demi plus tard, le premier président catholique de l’histoire du pays, reprend cette antienne: «Je crois en une Amérique où la séparation de l’Eglise et de l’Etat est absolue». Cette phrase donne toujours des envies de «vomir» (sic) à Rick Santorum, candidat ultraconservateur à la primaire républicaine de 2012, l’un des acteurs de la tentative d’instrumentaliser la religion à des fins politiques. L’entreprise date d’un demi-siècle, avec la formation de la Moral Majority par le télévangéliste Jerry Falwell dont le manifeste se résume en cette phrase: «L’idée que la religion et la politique ne peuvent pas se mélanger a été inventée par le diable pour empêcher les Chrétiens de diriger leur propre pays.»

Surinvestir les institutions pour contrer la perte de pouvoir dans la société et politiser la religion: le plan de la «droite chrétienne» s’illustre par l’augmentation depuis 1990 du nombre de députés évangéliques blancs alors que leur nombre dans la société diminue. Elle a remporté sa plus éclatante victoire avec la décision de la Cour Suprême, en juin 2021, qui ne considère plus comme comme constitutionnel le droit à l’avortement, à rebours de l’avis majoritaire des Américains. Elle la doit à Donald Trump qui a nommé dans la plus haute instance judiciaire du pays trois juges ultraconservateurs. Minoritaire en voix en 2016 et en 2020, le milliardaire nationaliste avait pu compter sur le soutien sans failles des électeurs évangéliques blancs, avec respectivement 78% et 81% de leurs suffrages. Un mariage qui n’est pas que de «raison», selon Robert P. Jones, président et fondateur du centre de recherches PRRI (Public Religion Research Institute), dans son dernier ouvrage «White too long»: «Le racisme de Trump lui a permis ce que d’autres candidats ne pouvaient pas: solidifier le soutien d’une majorité de Chrétiens blancs non pas en dépit mais en raison de ses appels au suprémacisme blanc.» Le trumpisme marque une étape dans la dérive du parti républicain qui se confond de plus en plus avec un «bloc évangélique» qui cède lui-même aux sirènes du nationalisme et du racisme.

Censée contrer la sécularisation et les mouvements de la société, cette stratégie contribue au contraire à les accélérer. Pour Michael Hout et Claude S. Fischer, sociologues de l’Université de Californie, à Berkeley, la désaffiliation religieuse constitue une «réaction» et une «déclaration symbolique contre la droite religieuse.» Dans leur livre «American Grace: How Religion Divides and Unites Us», les politologues Robert Putnam, de Harvard University, et David Campbell, de l’Université de Notre-Dame, développent également cette idée: de nombreux jeunes Américains ont pris leur distance avec la religion vue comme» catégorique, homophobe, hypocrite et trop politique «depuis que» la religiosité et la politique conservatrice sont devenus alignés tandis que l’avortement et les droits des homosexuels sont devenus emblématiques d’une guerre culturelle émergente. «

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Des midterms sans vagues mais pas sans remous

Si Joe Biden perd sa marge de manœuvre au Congrès, le retour des Républicains est tout sauf triomphale. Les institutions sont à l’image du pays : coupées en deux. (Article publié dans l’Humanité du 10 novembre 2022.)

Pas un tsunami, ni une vague. À peine une vaguelette. Finalement, le Parti républicain ne sort pas vainqueur de cette élection de mi-mandat dont la victoire semblait lui tendre les bras. Le GOP (Grand Old Party, son surnom) reprend certes le contrôle de la Chambre des représentants pour une poignée de sièges mais échouera vraisemblablement à s’emparer du Sénat. Comme souvent, aux États-Unis, il faudra aller au bout des comptes et recomptages, le paysage institutionnel n’apparaissant pas encore clairement, à l’heure où ces lignes étaient écrites.

Ce cru 2022 des fameuses « midterms »https://www.nytimes.com s’avère donc assez atypique. En 2018, une « vague » bleue avait déferlé sur Trump (41 sièges perdus à la Chambre des représentants). En 2014, Barack Obama perdait le Sénat après avoir subi, en 2010, une « raclée » selon son propre terme (63 sièges perdus). Enfin, en 2006, W. Bush perdait le contrôle de la Chambre (-31 sièges). Il faut remonter à 2002 pour assister à une élection de mi-mandat qui ne tourne pas à la défaite du parti du président : dans le climat nationaliste de l’après-11 septembre, le parti républicain de W. Bush renforçait même son emprise sur le Congrès (8 députés et 2 sénateurs de plus).

Cette année, si le parti au pouvoir perd ses leviers législatifs, on n’assiste pas pour autant à un vote sanction. Finalement, ce scrutin reflète assez fidèlement l’état d’un pays de plus en plus polarisé, où comme le souligne le chroniqueur du New York Times, Ezra Klein, l’appartenance politique est devenue « l’identité des identités ». Les républicains ont mobilisé leur base, ce qui était attendu. Les démocrates aussi, ce qui l’était beaucoup moins. Non repérés par les radars des sondages, les jeunes et les minorités – segments essentiels de la « coalition démocrate » – ont voté en plus grand nombre qu’annoncé par les dernières enquêtes d’opinion. Selon un sondage sorti des urnes réalisé par CNN, les démocrates dominent largement chez les moins de 30 ans (63 % contre 35 %) et un peu moins nettement chez les 30-44 ans (51-47) tandis que les plus de 45 ans (54-44) privilégient les républicains. Le parti démocrate reste en tête parmi les « minorités » même s’il perd quelques plumes : 86 % chez les Africains-Américains, 60 % parmi les Latinos et 58 % parmi les Asiatiques. Le discours ambiant sur les percées républicaines chez les « non-blancs » ne semble donc reposer sur aucune réalité. La force de la droite repose toujours sur l’électorat blanc (58 % contre 40 % pour le parti démocrate), plus âgé et aux revenus moyens et supérieurs.

« C’est clair que les démocrates ont fortement dépassé les attentes à travers le pays », s’est félicité Nancy Pelosi, qui devra pourtant céder son siège de présidente de la Chambre, sans doute au député californien Kevin Mc Carthy, adoubé par Donald Trump. Maigre consolation pour l’ancien président qui pensait annoncer son retour sur fond de rejet massif de Joe Biden et de triomphe d’un parti républicain largement trumpisé. Si, comme dévoilé par plusieurs médias, il se déclare, la semaine prochaine, candidat pour l’élection présidentielle, ce sera certainement avec autant de superlatifs mais sans doute moins de certitudes. D’autant, que la réélection – presque triomphale pour le coup, avec près de 60 % des suffrages – de Ron DeSantis au poste de gouverneur de Floride renforce la position de celui qui apparaît de plus en plus comme une alternative crédible. Une frange du parti républicain fera porter la responsabilité d’une demi-victoire sur les épaules de Donald Trump, accusé d’avoir soutenu les plus extrémistes des candidats lors des primaires, qui se sont avérés de véritables repoussoirs. Le parti démocrate en avait d’ailleurs fait le pari, en décidant de financer les trumpistes parmi les plus gratinés à hauteur de 50 millions d’euros afin qu’ils l’emportent, lors des primaires républicaines face à leurs concurrents plus modérés, présumés plus coriaces à défaire lors de l’élection générale. Une stratégie apparue comme douteuse, dans un premier temps, mais finalement peut-être payante.

Mais dans ce scrutin, le GOP a plus pâti de ce qu’il est devenu que de quelques candidatures « ultras ». Une frange de l’électorat démocrate s’est plus mobilisée pour lui faire obstacle que pour accorder un satisfecit au bilan législatif beaucoup plus maigre que ses annonces ambitieuses du début de mandat. Sans la décision de la cour suprême de mettre fin à la protection constitutionnelle du droit à l’avortement, l’issue de ces « midterms » eut été différente. C’est la thèse, relayée par le New York Times, d’une sondeuse démocrate, Anna Greenberg : « Je pense que Dobbs a transformé cette élection. Il y a vraiment une évidence que cela a secoué les choses. » Les stratèges démocrates avaient décidé d’en faire un enjeu central de la campagne, plaçant les républicains face à une contradiction : cette « victoire » judiciaire et politique « pro life » intervient alors qu’une majorité d’Américains sont favorables à l’exercice de ce droit constitutionnel. C’est ce que rappelait un référendum dans le Kansas début août. C’est également ce qu’ont dit, mardi 8 novembre, les électeurs du Vermont (77 %), de Californie (65 %) et du Michigan (56 %) qui ont approuvé l’inscription du droit à l’IVG dans leur constitution locale tandis que ceux du pourtant conservateur Kentucky s’opposaient, à 51,5 %, à la constitutionnalisation de son interdiction. Autres résultats remarquables de ces référendums locaux : le Nebraska rejoint le pays du SMIC à 15 dollars (58 % de oui), le Missouri celui des États qui ont dépénalisé la marijuana. Ces succès des propositions progressistes, souvent sur des terres conservatrices, rappellent à quel point le GOP se trouve à contre-courant du corps électoral. Jusqu’à ne plus engranger des victoires qui lui étaient pourtant promises.

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Le spectre de la défaite plane sur le parti de Biden

Faute de mobiliser leur électorat, les démocrates devraient perdre leur majorité au Congrès lors des élections de mi-mandat, qui se déroulent ce mardi. Seule incertitude : l’ampleur du revers. (Article publié dans l’Humanité du 8 novembre 2022).

La « malédiction » va encore frapper. Seule l’intensité demeure inconnue. La « malédiction », c’est celle des « midterms », ces élections qui interviennent au milieu du mandat présidentiel. Elles s’apparentent le plus souvent à un référendum sur le parti au pouvoir et cela tourne rarement à l’avantage de celui-ci. W. Bush en 2006, Obama en 2010 puis 2014 et Trump en 2018 avaient essuyé des revers, voire de lourdes défaites. À cinq reprises seulement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’hôte de la Maison-Blanche a réussi à sauvegarder sa majorité au Congrès. Le dernier « exploit » en date remonte à 2002 lorsque, dans le climat nationaliste post-11Septembre, George W. Bush avait même renforcé son emprise au Congrès.

Tout semble en place pour que Joe Biden n’échappe pas à la règle. Les derniers sondages accordent un léger avantage en nombre de voix aux républicains. Cela suffira au GOP (Grand Old Party, son surnom) pour reprendre la Chambre des représentants, au sein de laquelle les démocrates ne disposent que d’une majorité de 5 sièges. Le « redécoupage » électoral (gerrymandering), où les républicains se montrent plus « habiles » que les démocrates, et la plus forte concentration des électeurs progressistes dans les circonscriptions des deux côtes (Est et Ouest) rendent la tâche encore plus ardue cette année qu’en 2020 pour le parti de Biden. Ce dernier devrait s’assurer une avance de 3 % pour prétendre y préserver sa majorité, ce qui relèverait du quasi-miracle politique au regard des derniers sondages. Selon le site RealClearPolitics, les démocrates devraient perdre une trentaine de sièges. Le sort de la Chambre quasiment scellé, la conquête du Congrès par les républicains va donc se jouer au Sénat, où l’actuelle égalité parfaite (50-50) entre les deux camps est départagée par la voix prépondérante de la vice-présidente Kamala Harris. Quatre « duels » s’avèrent cruciaux : en Pennsylvanie (où ce week-end, Joe Biden, Barack Obama et Donald Trump ont fait campagne), Géorgie, Arizona et Nevada, soit quatre États qui avaient accordé une maigre majorité en voix à Joe Biden lors de l’élection présidentielle en 2020, lui permettant d’être majoritaire au « collège électoral. » Les derniers sondages indiquent que les candidats démocrates et républicains s’y trouvent au coude-à-coude. « Sauver » le Sénat reviendrait pour les démocrates à empêcher les républicains de légiférer. Deux ans de blocage institutionnel (d’ici le prochain scrutin présidentiel de 2024) s’annonceraient sans doute sous de moins sombres augures pour le pays que deux années de majorité républicaine au Congrès. Comme le chantent les supporters de football américain lorsque leur équipe est assiégée : « Défense, défense, défense ».

Pourtant, en août, les stratèges du parti de l’âne ont été traversés d’une idée « offensive ». Celle-ci a prospéré à partir des résultats d’un référendum au Kansas, un État conservateur où Donald Trump a recueilli 56 % des suffrages en 2020. Le 2 août, 59 % des électeurs décidaient de maintenir le droit à l’avortement dans la Constitution locale. Quelques semaines après la décision de la Cour suprême de ne plus considérer comme constitutionnel le droit à l’IVG, cette victoire éclatante pour le mouvement « pro-choix » avait été permise par une inscription massive d’électrices. Dès lors, pour l’appareil démocrate, la martingale pouvait reposer dans ce seul mot : « abortion » (avortement), transformé en message central d’un parti pourtant au pouvoir depuis dix-huit mois.

Ce songe d’une fin d’été a vite viré à une sorte de lent cauchemar quand les courbes des sondages, après s’être redressées, ont de nouveau plongé. Comme souvent, c’est Bernie Sanders qui a sonné l’alarme. Dans un point de vue publié par le quotidien britannique The Guardian, le sénateur socialiste écrivait : « De mon point de vue, tandis que la question de l’avortement doit demeurer au premier plan, ce serait une faute politique pour les démocrates d’ignorer l’état de l’économie et permettre aux mensonges et distorsions des Républicains de rester sans réponse. » L’un de ses proches, le député de Californie, Ro Khanna, quant à lui, partageait sa stupeur stratégique : « Nous devrions crier sur tous les toits que nous mettons de l’argent dans les poches de ceux qui travaillent et que nous ramenons les emplois délocalisés tandis qu’ils (les républicains – NDLR) veulent diminuer les impôts pour les riches. » Très peu de candidats démocrates ont en effet mené campagne sur la loi IRA (Inflation Reduction Act), certes plus modeste que le plan initial (Build Back Better) mais prévoyant notamment un investissement de 370 milliards sur dix ans afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’annulation d’une partie de la dette étudiante, une promesse de campagne de Joe Biden, tardivement mise en œuvre, passe également sous les radars de la campagne. Quant à l’inflation, c’est la patate chaude dont personne ne veut. Pourtant, comme le rappelle dans un tweet Robert Reich, ancien ministre du Travail de Bill Clinton et désormais proche de l’aile gauche, « il faut rappeler que si l’inflation est à son plus haut depuis cinquante ans, les profits sont à leur plus haut depuis soixante-dix ans ». Un « angle d’attaque » ignoré par l’immense majorité des candidats démocrates dont un certain nombre, il est vrai, financent leurs campagnes grâce aux dons de ces mêmes grandes entreprises. Même pusillanimité concernant la question de la criminalité, sujet fétiche des républicains. Les récentes données du Bureau of Justice Statistics indiquent que les taux de crimes violents n’ont pas varié ces dernières années, contrairement aux assertions du GOP. Une enquête du Center for American Progress montre que les chiffres des homicides sont moins élevés dans les villes où les procureurs sont progressistes que dans celles où ils sont plus attachés à la doxa répressive. Munition ignorée par les démocrates qui ont préféré, Joe Biden en tête, mettre en garde, dans la dernière ligne droite, contre le danger pour la démocratie que représenterait un retour en force au Capitole d’un Parti républicain radicalisé.

Au final, le parti du président en place a méprisé des leviers qui lui auraient permis de mobiliser son électorat. Dans un pays ultrapolarisé, l’élection se joue sur le différentiel de participation, beaucoup plus que sur les « swing voters » (les électeurs indécis). Les républicains, chauffés à blanc par le trumpisme, répondront présent. La variable principale réside donc au sein des franges essentielles de l’électorat démocrate, déçues par le bilan de Biden, à savoir les jeunes et les « minorités », qui, dans un dernier sursaut principalement motivé par l’anti-trumpisme, pourrait démentir le scénario. Car, dans l’ombre de ces midterms, se profile le spectre d’un retour de Donald Trump. Celui-ci envisagerait d’annoncer sa candidature à la prochaine élection présidentielle dès la semaine prochaine. D’une « malédiction » à l’autre.

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« Comment les institutions favorisent les républicains »

Entretien avec Ludivine Gilli, Docteure en histoire, directrice de l’Observatoire de l’Amérique de Nord de la Fondation Jean-Jaurès et autrice (« La révolution conservatrice aux États-Unis »). La chercheuse y décrypte la stratégie des républicains qui s’appuient sur le système politico-institutionnel pour renforcer leur emprise sur la société. (Entretien publié dans l’Humanité du 8 novembre)

Si les républicains sont régulièrement minoritaires dans les urnes (W. Bush est le seul candidat républicain à avoir remporté le « vote populaire » depuis la fin de la guerre froide), ils réussissent néanmoins à engranger des victoires politiques. Tentatives d’explications de ce paradoxe.

En quoi le système politico-judiciaire favorise-t-il les républicains et permet à un « vent réactionnaire », comme vous le nommez, de souffler sur les États-Unis ?

C’est au Sénat qu’il faut s’intéresser en priorité pour comprendre l’avantage dont bénéficient aujourd’hui les républicains et comment il permet à certaines idées minoritaires de s’imposer à une majorité plus modérée. Chacun des 50 États – quelle que soit sa population – est doté de deux sénateurs. Les États les moins peuplés sont donc surreprésentés par rapport à leur poids démographique. Or, aujourd’hui, les États les moins peuplés sont principalement conservateurs. Les républicains sont donc surreprésentés au Sénat par rapport à leur poids au sein du pays. Ils parviennent ainsi à voter des lois conservatrices en décalage avec la volonté populaire ou à bloquer des lois progressistes. De plus, c’est au Sénat que se joue le lien avec le pouvoir judiciaire : ce sont les sénateurs qui confirment les juges fédéraux, au premier rang desquels les juges à la Cour suprême. Par ce biais, l’avantage républicain au Sénat se répercute au sein de l’appareil judiciaire, qui s’est politisé au cours des dernières décennies et dont le pouvoir sur la société est considérable. C’est ainsi que les décisions réactionnaires rendues en juin 2022 par la Cour suprême sur l’avortement, les armes à feu ou le changement climatique deviennent possibles, à rebours de l’opinion publique. Rappelons en effet qu’une très large majorité de la population est favorable au droit à l’avortement dans tous ou la plupart des cas, comme elle est favorable à certaines restrictions d’accès aux armes ou au mariage pour tous.

Les républicains ne se contentent pas d’utiliser les institutions, ils portent atteinte à la démocratie. Le 6 janvier ne constituait donc pas un accident ou une parenthèse ?

L’avenir fera peut-être du 6 janvier 2021 une parenthèse si le climat s’assainit. En revanche, il ne s’agit en effet pas d’un accident. L’attaque portée contre le Capitole ce jour-là est l’aboutissement des méthodes de plus en plus contestables mises en œuvre au fil des ans par les républicains les plus conservateurs. Ils ne se sont pas contentés de l’avantage structurel dont ils disposent. Ils l’ont exploité pour se maintenir au pouvoir. Par exemple en dessinant des contours avantageux aux circonscriptions électorales sur lesquelles ils avaient la main. C’est le « gerrymandering », que démocrates comme républicains ont pratiqué et pratiquent toujours dans plusieurs États. Certains États républicains sont cependant allés plus loin encore en limitant l’accès au vote de leurs opposants par une multitude de mesures comme la suppression de bureaux de vote dans les quartiers votant davantage démocrate, ou le renforcement des contraintes pour s’inscrire sur les listes électorales. Et aujourd’hui, des centaines de candidats républicains aux élections de mi-mandat continuent de nier la victoire de Joe Biden aux élections de 2020 et refusent de promettre qu’ils accepteront les résultats des élections de 2022, arguant de fraudes dont l’occurrence est pourtant rarissime.

Quelles options s’offrent aux démocrates pour contrer cette « révolution conservatrice » minoritaire ?

Dans l’immédiat, les démocrates disposent de peu d’options pour inverser la tendance. À court terme, leur seule option est de parvenir à mobiliser davantage d’électeurs qui leur sont favorables mais boudent les urnes. Sans cela, ils resteront structurellement handicapés au sein des trois pouvoirs fédéraux : le législatif, l’exécutif (du fait du suffrage présidentiel indirect) et le judiciaire, car les juges fédéraux sont nommés par le président et confirmés par le Sénat. La Cour suprême compte actuellement 6 juges conservateurs contre 3 progressistes. Tous sont nommés à vie. Étant donné leurs âges respectifs, la majorité conservatrice a de bonnes chances de rester en place jusqu’aux années 2050, sauf réforme d’ampleur. De plus, les mêmes dynamiques sont à l’œuvre sur le plan local. C’est d’ailleurs en partie la mainmise des conservateurs sur le pouvoir local qui leur permet de préserver leur pouvoir fédéral car les circonscriptions électorales avantageuses sont dessinées par les États. Dans ces circonstances, les démocrates peuvent mettre en place leurs politiques dans les États qu’ils tiennent, mais pour obtenir un effet rapide au niveau fédéral, il faudrait une réforme structurelle… qui nécessiterait une majorité qualifiée au Congrès, et donc des voix républicaines qui ne viendront pas.

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