Archives mensuelles : avril 2023

Donald Trump: une inculpation à double tranchant

La mise en accusation de l’ancien président – fait historique – va constituer un fait central de la vie politique du pays durant ces prochains mois et peut-être jusqu’à l’élection de novembre 2024. Ce qui pourrait finalement lui profiter. (Article publié dans l’Humanité du 6 avril 2023.)

En 1872, Ulysses Grant, 18e président des Etats-Unis a été arrêté à deux reprises en quelques jours. Son infraction : excès de vitesse dans les rues de Washington avec sa carriole. Emmené au poste de police, l’ancien général en chef des troupes de l’Union avait été libéré après le paiement d’une caution de 20 dollars (équivalent à 500 dollars actuels). La presse n’en avait pas fait état et il a fallu attendre 1908 et une interview du policier publiée dans la presse pour que l’épisode soit connu du grand public. Depuis, plus aucun locataire de la Maison-Blanche n’avait effleuré le moindre problème avec le système judiciaire, Richard Nixon l’évitant par sa démission.

Cent cinquante ans plus tard, c’est en mondiovision que son lointain successeur – un républicain, également – a eu maille à partir avec la justice. Les charges retenues sont un peu plus lourdes qu’une bride fougueuse et lui valent de devenir le premier président à être inculpé dans l’histoire du pays. Il est accusé pour avoir falsifié à trente-quatre reprises les documents comptables de son groupe, la Trump Organization, « afin de dissimuler aux électeurs américains des informations dommageables et une activité illégale avant et après l’élection [présidentielle] de 2016. » L’accusation va au-delà du seul versement de 130.000 dollars à Stormy Daniels, une actrice de films X avec laquelle il avait eu une relation extraconjugale, afin d’acheter son silence. Elle concerne aussi un paiement à deux autres personnes entre « août 2015 et décembre 2017 », des faits intervenus dès le lancement de sa campagne et qui se sont poursuivis alors qu’il se trouvait à la Maison Blanche.

Arrivé de sa luxueuse résidence de Mar o Lago, en Floride à bord de son avion personnel, Donald Trump s’est rendu de lui-même au tribunal. Bénéficiant d’un régime dérogatoire (pas de menottes, pas de « perp walk », cette exhibition à la face des photographes et caméras), le milliardaire, visage fermé a opposé un « non coupable » à chacun des chefs d’accusation. De retour le soir-même en Floride, l’ancien président s’est exprimé devant quelques militants. « Le seul crime que j’ai commis, c’est de défendre courageusement notre nation contre ceux qui cherchent à la détruire », a-t-il déclaré, tentant de transformer la procédure à son encontre en procès politique. Pour l’instant, la manœuvre fonctionne plutôt bien. Il n’a jamais été aussi populaire parmi la base républicaine et tous ses concurrents putatifs à l’investiture du GOP (Grand Old Party, surnom du parti républicain), pour laquelle il a déjà déclaré sa candidature, se trouvent contraints d’adhérer à son récit.

La procédure judiciaire va d’ailleurs télescoper le calendrier électoral. Les premiers débats des primaires républicaines auront lieu en août. Aucune chance que le procès ait déjà eu lieu puisque la prochaine date de comparution est prévue pour le 4 décembre. Il ne se tiendra peut-être même pas avant l’élection générale du 8 novembre 2024.

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Golf aux Etats-Unis : les raisons d’un déclin

Chaque année, 200 parcours ferment outre-Atlantique. Le sport longtemps incarné par Tiger Woods n’a plus le vent en poupe. Explications. (Article publié dans l’Humanité du 04 avril 2023.)

Tout le petit monde du golf converge ces jours-ci vers Augusta pour le Masters, première des quatre levées du Grand Chelem, la plus prestigieuse sur le sol des États-Unis. Le nom de cette ville moyenne de Géorgie, à mi-chemin entre Atlanta et la côte atlantique, a une résonance particulière pour tout amateur de ce sport en forme d’« agréable promenade gâchée par une petite balle blanche » (Mark Twain). Pour reprendre une image commune, Augusta, c’est un peu la Mecque du golf américain.

Mais cette capitale règne désormais sur un empire en déclin. Le palmarès des dix dernières éditions n’en livre pourtant aucun indice : six des vainqueurs sont des joueurs des États-Unis, dont Tiger Woods, en 2019, pour sa cinquième victoire au terme d’un ahurissant come-back.

Un coup d’œil au top 100 n’est guère plus révélateur : les golfeurs américains représentent la moitié de l’élite, contre 60 % dans les années 1980, un recul presque infime dans un sport mondialisé et professionnalisé avant bien d’autres.

Pourtant, les données brutes ne trompent pas : il y a de moins en moins de pratiquants aux États-Unis. Le phénomène date du début de ce siècle. Depuis 2003, le nombre de joueurs ayant effectué au moins 8 tours dans l’année a reculé de 6,8 millions, soit une diminution de 22 %, dans un pays dont la population est passée de 290 millions d’habitants à 330 millions. L’érosion se poursuit à un rythme annuel compris entre 3 et 4,5 %.

Conséquence : entre 2005 et 2018, le pays a subi une perte de 1 300 parcours. Chaque année, 200 parcours ferment, entraînant autant de micro-perturbations immobilières, la construction de parcours de golf s’étant régulièrement accompagnée de projets de résidences qui, de fait, perdent de leur valeur en cas de fermeture.

À la traque d’explications, certains chercheurs estiment que le travail prend trop de place dans la vie des américains et en laisse donc trop peu pour les loisirs. Il est vrai qu’outre-Atlantique, un salarié travaille, selon l’OCDE, 1 791 heures par an, contre 1 607 pour un japonais, 1 490 pour un français et 1 349 pour son homologue allemand. Mais le fait n’est pas vraiment nouveau.

Le prix d’un sport réputé plutôt onéreux et sélectif ? Argument repoussé par le site Bleacher Report, qui rappelle que 80 % des pratiquants jouent sur des parcours publics, encore abordables à une bourse moyenne.

Certains ont suggéré que la force propulsive de l’« effet Tiger » était désormais épuisée. L’entrée fracassante, au milieu des années 1990, du jeune prodige métis (son père était noir et sa mère thaïlandaise) dans un sport à l’image poussiéreuse aurait amené de nouveaux pratiquants. Pourtant, les taux les plus élevés ont été enregistrés avant même que Woods ne débarque dans le milieu.

Alors ? L’explication la plus tangible est que le golf épouse la destinée du pays. Dans l’immédiat après-guerre, ce sport, que l’on dit avoir été inventé par des bergers écossais, demeurait l’apanage des classes supérieures exclusivement blanches jouant dans des « clubs privés ». Puis, avec les Trente Glorieuses, la classe moyenne s’est constituée, a eu accès à la propriété et au golf, signe extérieur de respectabilité. Entre 1950 et 1970, le nombre d’aficionados du fer 7 est passé de 3,5 millions à 11,2 millions.

Et aujourd’hui ? Le pays se trouve en pleine mutation démographique, la part des habitants qui sont labellisés membres des minorités (Afro-Américains, Latinos, Asiatiques, métis) ne cessant d’augmenter : 37 % de la population actuellement, avec une projection de 50 % à l’horizon 2040. Or, il se trouve que la pratique du golf est ultra-majoritairement une affaire de Blancs. Mécaniquement, elle épouse le recul de la proportion des « Caucasiens » (appellation officielle dans les statistiques ethniques) dans le pays.

C’est d’ailleurs l’ensemble du monde du sport qui est chamboulé par ces évolutions historiques : le football, fortement pratiqué par les « minorités », se trouve en pleine expansion, tandis que le football américain a pris un sacré coup de vieux, à l’image d’une population blanche vieillissante.

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Une année cruciale pour le syndicalisme américain

La renégociation cette année des conventions collectives dans le secteur automobile et chez UPS constituera un nouveau test pour un mouvement syndical affaibli, malgré les victoires chez Starbucks. (Article publié dans l’Humanité du 4 avril 2023.)

C’est le premier événement de l’année syndicale : la défaite du président sortant du syndicat de l’automobile UAW (United Auto Workers), Ray Curry, jugé trop apathique par la base. Son challengeur et successeur, Shawn Fain, annonce une ligne plus combative. C’est donc lui qui mènera les négociations avec les constructeurs automobiles pour la révision de la convention collective, moment crucial d’une année qui ne le sera pas moins pour le syndicalisme.

Le Bureau des statistiques sur le travail (Bureau of labor statistics) a publié en janvier les chiffres les plus récents montrant que le taux de syndicalisation a encore baissé en 2022, à 10,1 %, atteignant son plus-bas historique, alors que l’année a été marquée par la recrudescence des luttes sociales, notamment à travers la campagne de syndicalisation à Starbucks. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Les États-Unis sont un vaste pays avec des courants contradictoires. La campagne de syndicalisation a eu lieu dans des entreprises de commerce, comme Starbucks, Apple Store, REI (chaîne spécialisée dans les sports de plein air), des fabricants d’ordinateurs, etc. Les syndicats se sont organisés dans 280 magasins, avec 10 000 salariés désormais couverts par les conventions collectives qui seront négociées par les organisations. Il y a aussi eu une recrudescence des grèves, menées majoritairement par des salariés déjà syndiqués. Le nombre de syndiqués a augmenté de 270 000 entre 2021 et 2022, mais la population active a augmenté de 5 millions, particulièrement dans les déserts syndicaux, amenant à une nouvelle baisse du taux de syndicalisation.

Pour assister à une hausse de ce taux, il aurait fallu enregistrer des progrès significatifs dans des secteurs massivement non syndiqués comme le million de travailleurs d’Amazon, ou les 2 millions de Walmart (plus grande chaîne de supermarchés du pays), ou les 4 millions de chauffeurs, ou les 10 millions de travailleurs dans le BTP, voire parmi les centaines de milliers de salariés de l’automobile, principalement dans le Sud, souvent dans des compagnies étrangères (Toyota, Honda) qui emploient 25 % des salariés du secteur. Or, ces percées n’ont pas encore eu lieu…

Les directions syndicales portent-elles une responsabilité dans le déclin de la syndicalisation ?

Oui. On peut faire remonter l’offensive antisyndicale des capitalistes au moins au début des années 1950, avec le licenciement illégal des militants pendant les campagnes visant à organiser les travailleurs ou des offensives pour désyndicaliser des industries majeures : construction, automobile, transport routier. À mon sens, la férocité de ces attaques n’a pas été contrée par des tactiques plus agressives des syndicats et de leurs dirigeants.

Cette année 2023 sera marquée par la renégociation des conventions collectives chez UPS, la plus grande entreprise postale privée du pays, et parmi les Big Three de l’automobile (General Motors, Ford et Stellantis). À quoi peut-on s’attendre ?

Trois grands secteurs syndiqués vont en effet voir leurs contrats renouvelés. Les teamsters (chauffeurs routiers – NDLR) ont une nouvelle direction qui s’est engagée à se battre de manière plus agressive pour obtenir une meilleure convention pour les 350 000 salariés d’UPS. La frange rebelle du syndicat de l’automobile (UAW), qui a gagné l’élection, a également pris l’engagement de s’opposer à un certain nombre de points néfastes du contrat actuel, comme le système du salaire à deux vitesses (1). Il y a également la renégociation sur les ports avec le syndicat des dockers, West Coast International Longshoremen and Warehous Union (Ilwu), qui est vraiment orienté à gauche. Des grèves dans l’un de ces secteurs pourraient avoir des impacts économiques majeurs, contrairement à l’impact limité d’un mouvement chez Starbucks.

Joe Biden a fait des déclarations très fortes sur le rôle important des syndicats, mais peu a été fait sur le plan législatif. Comment l’expliquez-vous ?

Le droit du travail aux États-Unis est faible. Les personnes que Biden a nommées à l’agence fédérale du NLRB (2) ont peu d’outils, même si elles ont plutôt bien agi. Les démocrates, comme les républicains, sont redevables à un certain nombre de groupes capitalistes. Au bout du compte, ils ont toujours cédé aux intérêts commerciaux, comme ce fut le cas lors du récent conflit ferroviaire (3).

Fait cocasse, Las Vegas est l’une des villes les plus syndiquées du pays…

C’est une longue et très instructive histoire. Comme vous le savez, Las Vegas est une destination pour touristes et joueurs. Jusque dans les années 1950-1960, les salariés, particulièrement les femmes de chambre, étaient des immigrés mal payés, certains sans statut légal. Puis les salariés des hôtels et restaurants se sont organisés et ont marqué des points. Ils ont organisé des piquets de grève, parfois avec des milliers de personnes. Ils bénéficiaient de ce que j’appelle un grand pouvoir structurel. Les casinos et hôtels sont très profitables. Les hôtels, particulièrement, sont immenses et ne sont pas concurrencés par des structures plus petites. Ajoutez à cela le fait que les touristes n’ont pas forcément envie de tomber sur un piquet de grève en sortant de leur hôtel. À partir du moment où les salariés ont réussi à arrêter totalement l’activité, les propriétaires ont dû capituler. Les salaires ont été augmentés à plusieurs reprises et les conditions du contrat ont été améliorées. Beaucoup de travailleurs ont pu s’acheter une maison et envoyer leurs enfants à l’université.

(1) Dans les conventions collectives négociées après la crise de 2008, les nouveaux embauchés disposaient d’un salaire inférieur à la rémunération de base des salariés déjà en place.

(2) Le National Labor Relations Board est une agence indépendante du gouvernement fédéral américain, chargée de conduire les élections syndicales et d’enquêter sur les pratiques illégales dans le monde du travail.

(3) Fin 2022, la Maison-Blanche a forcé à un accord entre syndicats et patronat afin d’éviter l’impact économique d’une grève. S’ils ont obtenu des avancées (augmentations de salaires et un jour de congé maladie), une frange des salariés du secteur ont eu le sentiment d’avoir été dépossédés de leur mobilisation.

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