Il faut le rappeler : les électeurs votent, dans le cadre de leur Etat, pour des grands électeurs (dont le nombre varie en fonction du poids démographique, de 3 pour le Wyoming à 55 pour la Californie, cette année) qui constituent le collège électoral. Il est paradoxal que la première démocratie de l’ère moderne ait choisi de ne pas respecter le principe de base « Un homme, une voix ». Les pères fondateurs ont, avec ce système, voulu empêcher, dans une construction institutionnelle fédérale, qu’un des treize Etats ne puisse dominer les autres par sa puissance démographique. Imaginons que la Virginie pèse le tiers de la population du pays : le vote des Virginiens risquerait de faire la décision. Voilà l’intention de départ d’une République qui s’est construite contre la tyrannie de la monarchie britannique et qui voulait, à tout prix, éviter toute nouvelle tyrannie, y compris « interne ». Une intention qui se transforme en « pondération » du vote populaire, altération de l’idéal démocratique. On peut donc très bien devenir président des Etats-Unis sans qu’une majorité d’Américains aient voté pour vous… Cela s’est produit à quatre reprises dans l’Histoire : en 1824, John Quincy Adams entre à la Maison Blanche alors qu’Andrew Jackson est majoritaire en voix. Idem en 1876 et en 1888 avec l’élection des républicains Rutherford Hayes et Benjamin Harrison (contre le président démocrate sortant Grover Cleveland). Dernier exemple en date, le plus célèbre : W. Bush en 2000, devancé par Al Gore mais qui décroche la timbale en Floride (grâce, ceci dit, à une décision de le Cour Suprême,majoritairement composée de conservateurs). Si l’on transformait les derniers sondages en résultats définitifs, nous aurions droit cette année à un cinquième cas: Barack Obama serait devancé en voix sur le plan national mais garderait une majorité de grands électeurs grâce à ses meilleurs scores dans les « swing states »…
Archives mensuelles : octobre 2012
Késako (2): pourquoi les Américains n’élisent-ils pas directement leur président ?
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A Dallas, laboratoire politique, sur un air latino
Les Hispaniques constituent désormais le premier groupe démographique de la métropole texane. Au-delà des changements culturels et sociaux, ce bouleversement a conduit à des modifications du paysage politique, que les républicains tentent de « neutraliser » par tous les artifices de la loi et du redécoupage électoral. Au point d’empêcher un basculement du Texas, place-forte des conservateurs ? Reportage.
Depuis la création du bureau en 1846, les shérifs de Dallas se prénommaient Don, James, Burnett, Smoot ou encore Shuyler. Ils portaient généralement Stetson et bottes de cow-boy. Depuis huit ans, un léger changement est intervenu : le shérif du comté de Dallas est une femme. Elle s’appelle Lupe Valdez. Elle est latina et lesbienne déclarée. A Dallas, oui, la ville dans laquelle JFK n’était pas le bienvenu il y a un demi-siècle. Dans la deuxième ville du Texas, si conservateur.
Fille de fermiers migrants mexicains, elle a passé une partie de son enfance à travailler dans les champs. Sa famille (huit enfants) a ensuite déménagé à San Antonio. Lupe a réussi à rentrer à l’Université du Texas à Arlington, à 500 kilomètres du domicile familial, et à y décrocher une maîtrise en criminologie. Le 2 janvier 2004, dans un climat d’incrédulité, elle annonçait son intention de briguer le poste de shérif. Elle a d’abord remporté les primaires démocrates (ces fonctions publiques font en effet l’objet d’élections pour lesquelles les candidats déclarent leur appartenance politique) avant de battre par une faible marge (51,3%-48,7%) le candidat républicain, Danny Chandler.
Sous son office, les prisons du comté – dont elle a la responsabilité – ont enfin obtenu la certification fédérale mettant fin à une longue tradition « locale » (conditions sanitaires déplorables, pas d’aide médicale, arrestations arbitraires). En 2008, elle a gagné sa réélection dans un fauteuil, avec 50% des suffrages dès le 1er tour, face à trois autres candidats. Cette année, à l’instar des élus (président, députés, sénateurs), elle défend son bilan dans une campagne qui annonce une victoire tranquille.
Ce petit bout de femme en uniforme symbolise la montée en puissance tranquille des Latinos au Texas, phénomène encore plus visible dans les grandes villes. Dans le comté de Dallas (le neuvième plus peuplé du pays avec 2,4 millions d’habitants au cœur d’une métropole de 6 millions d’habitants), les Latinos représentent 38% des habitants devant les Blancs (33%), les Africains-Américains (22%) et les Asiatiques (5%).
« Ecoutez, regardez, sentez. On est vraiment dans un pays latino. » Nous remontons Jefferson boulevard, à deux pas du centre et d’Elm street où JFK a été assassiné, l’artère centrale d’un quartier très populaire, jadis majoritairement blanc, aujourd’hui tout aussi massivement latino. Les devantures des magasins sont colorées : du vert, du jaune, du rouge. Les noms à consonance espagnole abondent. A la télé, du « soccer », du « futbol », pas du base-ball, ni du foot américain.
Au volant : Alfredo Carbajal, rédacteur-en-chef d’Al Dia (400.000 exemplaires deux fois par semaine), journal en espagnol lancé en 2003 par le grand titre de la ville, le Dallas Morning News. Quand il dit « on est vraiment en pays latino », il n’est pas admiratif. Il constate. Quand il avance que l’on « peut très bien faire sa vie dans ces quartiers sans parler un mot d’anglais », il tient à préciser aussitôt : « Je ne critique pas ou je ne m’en réjouis pas. » Il constate. En entrant dans le restaurant Las Ranitas où nous venons manger quelques tacos et fajitas tout en discutant, nous constatons : la serveuse nous accueille en espagnol et peine vraiment en anglais.
En sirotant son ice tea, Alfredo veut remettre en perspective : « L’histoire de ce pays, c’est d’intégrer des gens et des cultures venus d’ailleurs. C’est vrai qu’actuellement, il y a une partie de la société qui ne se sent pas à l’aise avec l’arrivé des Latinos. En temps de crise économique, certains veulent en faire des boucs-émissaires mais cela n’empêche pas Dallas d’être le lieu d’expérimentation pour la nouvelle culture latina. »
La deuxième ville du Texas (derrière Houston) s’apparente également à un laboratoire d’un autre ordre : politique. La percée démographique des Latinos (lire encadré ci-dessous), favorables aux démocrates, conduira-t-elle à des basculements de nature électorale et institutionnelle? Si la question est nationale, Dallas peut offrir quelques indices. Le premier est livré par Raphael Anchia, représentant démocrate à la Chambre du Texas : « Entre 2000 et 2005, le comté de Dallas a perdu 130000 résidents « anglos » et gagné 175000 Latinos. Plus de 60% du comté était soit africain-américain soit latino. Parce que les « anglos » au Texas votent plus pour les Républicains et les Latinos pour les démocrates, nous avons bénéficié de ce changement dans la population pour gagner le comté en novembre 2006. »
L’équation ne relève pourtant pas de la loi d’airain. Ou, alors, comment expliquer que quatre des cinq sièges de l’aire métropolitaine de Dallas à la Chambre des représentants des Etats-Unis soient détenus par le parti républicain ? Les organisations des droits civiques pointent, à juste titre, la capacité du parti de droite à manier les ciseaux du « charcutage électoral » (lire article ci-contre). Pour les élections parlementaires de cette année, le Texas dispose de quatre sièges de représentants supplémentaires par rapport à 2010. Le recensement de la population réalisée cette année-là, à l’échelle nationale, a en effet conduit à un ajustement de la représentation des Etats. Grâce à 4,3 millions d’habitants supplémentaires pendant la première décennie du XXIe siècle, le « lonestar state » est le grand vainqueur. 90% de cet accroissement démographique provient des minorités, électeurs traditionnels du parti démocrate : 65% des Latinos, 13% des Africains-Américains et 10% des Asiatiques. A qui échoueront les quatre nouveaux sièges ? Il n’est même pas trop tôt pour le dire puisque le redécoupage ne laisse aucun doute : à trois républicains, blancs, et à un élu démocrate, africain-américain. Pour la League of Women Voters, il s’agit là « de l’exemple le plus extrême de charcutage électoral sur une base raciale parmi tous les redécoupages de cette année ». Les redécoupages sont réalisés par les assemblées d’Etat et au Texas, celle-ci est évidemment républicaine. On n’est jamais aussi bien servi…
Cela n’épuise pas, pour autant, le sujet. Le Texas, qu’on ne peut, par définition, « redécouper » lors des élections présidentielles, demeure un Etat « rouge », la couleur du parti de Romney, malgré son statut « majorité-minorité » (les Blancs sont minoritaires) depuis 2000.
« Les Hispaniques sont une force politique montante mais il est très difficile de les faire participer au processus électoral », constate Alfredo Carbajal. « Le taux de participation des Latinos est faible, encore plus faible que dans d’autres Etats », confirmait, dans les colonnes du New York Times, James Henson, directeur du Texas Politics Project à l’Université du Texas à Austin. Les Blancs, très massivement républicains au Texas, comme le rappelait Raphael Anchia, ne représentent plus que 45% de la population mais encore 63% de l’électorat.
Les raisons de cette absence de tradition civique chez les Latinos du Texas sont multiples. Elles tiennent d’abord au statut social : les Latinos sont surreprésentés dans les catégories sociales défavorisées, plus enclines à s’abstenir. Jim Cohen, professeur à Paris III, auteur de Spanglish America, dépeint ainsi le paysage : « La très grande majorité des immigrés récents sont des salariés, des travailleurs qui cherchent à s’en sortir en quittant des situations économiques difficiles dans un contexte inégal Nord-Sud, contexte dont on ne tient absolument pas compte en formulant les politiques d’immigration à Washington. Leur mode d’insertion économique passe par des emplois peu qualifiés, des bas salaires, de peu de droits, de peu de services sociaux, ce qui les oblige à pratiquer l’art de la survie. L’intégration ne passe pas toujours de la promotion sociale. Ce modèle de l’incorporation par le bas s’applique à une quasi-majorité d’enfants d’immigrés latinos aujourd’hui. » Défavorisés de père en fils : du rêve américain à la réalité d’un pays miné par l’explosion des inégalités et encore secoué par les effets de la crise de 2008. Ici, comme ailleurs, le durcissement des conditions de vie éloigne les plus démunis des processus politiques plus qu’il ne les en rapproche.
Ajoutons, à cette donnée valide pour l’ensemble du pays, des phénomènes plus locaux. « L’immigration hispanique est beaucoup plus récente au Texas qu’en Californie, avance Alfredo Carbajal, lui-même né de l’autre côté de la frontière. Elle ne s’est pas encore organisée sur le plan politique. » D’autant que, dans le Texas, selon James Henson, « le parti démocrate s’est vraiment atrophié ». La direction nationale du parti de l’âne n’investit pas un seul dollar dans cet Etat qu’elle sait perdu d’avance lors du scrutin présidentiel. La convention démocrate qui s’est tenue à Charlotte, début septembre, a marqué un tournant de ce point de vue puisque le discours de référence a été confié à Julian Castro, jeune maire (37 ans) latino de San Antonio. La volonté du parti d’Obama de faire émerger un leader marque un changement stratégique des démocrates qui donnaient, jusque-là, l’impression de se conduite en quasi-rentiers, engrangeant les bons résultats dans ses bastions de la vallée du Rio Grande, le long de la frontière, et des grandes villes (Dallas, Houston, San Antonio, Austin) tout en attendant que la démographie fasse, lentement mais sûrement, son œuvre. La progression régulière de la part des Latinos dans l’électorat – de 7% en 1984, 20% en 2008, 25% cette année -, s’accompagne, il est vrai, d’une progression certaine: 44% pour Obama contre 38% pour Kerry en 2004 et Gore en 2000. Inéluctablement, le Texas virera au « bleu ». Tôt ou tard. En tout cas, pas en 2012.
Article publié dans l’Humanité du 30 octobre
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Késako (1) : pourquoi les Américains votent-ils un mardi ?
Pour être précis, les citoyens des Etats-Unis votent le mardi qui suit le premier lundi de novembre. La tradition a été établie en 1845. Pourquoi novembre ? Le mois le moins gênant dans une société alors agricole et rurale. Les moissons sont terminées et le temps est supposé être suffisamment clément pour permettre de voyager, sans encombres, vers le bureau de vote le plus proche. Pour les électeurs ruraux les plus éloignés, ce voyage pouvait prendre une nuit complète à dos de cheval. Organiser le scrutin un lundi les aurait obligé à partir un dimanche… journée réservée à l’Eglise. Ce fut donc un mardi. Mais le Congrès voulait également s’assurer que l’élection ne tomberait jamais un 1er novembre, la Fête de Tous les Saints. Ce serait donc le mardi après le premier lundi de novembre. Tous les critères qui ont présidé à ce choix ont, depuis, perdu toute leur validité. Un certain nombre d’organisations militent pour un changement de jour, arguant qu’organiser un scrutin le mardi complique la tâche des salariés. Sans succès. Le système américain à qui l’on attribue souvent la qualité de la mobilité s’avère aussi englué dans la reproduction aveugle de traditions.
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A Denver, deux Amériques face à face
Dan et Mark ont en commun d’être blancs et d’habiter le Colorado (22e Etat américain avec 5,2 millions d’habitants, remporté par Obama en 2008). Pour le reste, tout les oppose. Politiquement. Philosophiquement, même. Tout. A l’image d’une Amérique politique en pleine polarisation : les électeurs républicains virent à droite (on ne manque pas de littérature sur le sujet) et les électeurs démocrates virent à gauche (le fait est un peu moins documenté en France).
Dan Gould est le président du parti démocrate dans le comté très « bleu » de Boulder, au nord de Denver. Mark Baisley est le président du parti républicain dans le comté très « rouge » (la couleur du parti de Romney, eh oui) de Douglas, au sud de Denver. Nous leur avons posé la même série de questions, à la virgule près, sur le sens de leur engagement et leurs positions sur des sujets-clés.
Pour Dan Gould, « être un « liberal », être progressiste, c’est penser que ce que nous réussissons dans la vie, nous le réussissons ensemble, collectivement. Je ne méprise pas le succès individuel mais d’abord on ne réussit jamais seul et puis ça ne suffit pas à faire une société qui réussit ».
Pour Mark Baisley, « être conservateur, c’est conserver les principes fondateurs de la Déclaration d’indépendance et les faire vivre dans nos actes quotidiens: reconnaissance d’un créateur omnipotent de l’Univers, individualisme farouche, un gouvernement limité, une défense militaire forte, la charité individuelle avec un filet de sécurité du gouvernement en dernier ressort. »
Les impôts. « Le signe d’une société civilisée, l’indicateur de la capacité d’agir du gouvernement », pour l’un. « Hayek est clairement supérieur à Keynes. L’impôt ne doit pas servir à redistribuer la richesse », selon l’autre.
Obamacare. « Une couverture universelle, c’est aussi nécessaire que d’avoir de l’eau potable. Vous, Français, savez à quel point il est important de bien soigner et de bien protéger», répond le démocrate. « Nous recevons les meilleurs soins quand on laisse jouer les lois de l’offre et de la demande dans l’industrie privée de la médecine, des hôpitaux, des laboratoires et des assurances. La meilleure solution serait d’assurer, via la loi, que chaque individu soit responsable du financement de sa propre couverture santé», assure le républicain.
Avortement. Dan : « J’ai une fille de 28 ans. Ce n’est pas le problème de Romney de savoir ce qu’elle fait de son système reproductif. Ce n’est même pas la décision de son mari. Elle lui appartient à elle seule. » Mark: « Nous sommes dotés par notre Créateur du droit à la vie, personne en dehors de Dieu ne peut déterminer quand ce droit commence ».
Les armes à feu. D’un côté : « Il faut réguler la possession pas la bannir, car les gars ont le droit de chasser. Mais enfin, si on peut tout acheter, pourquoi pas un tank ou un bazooka ». De l’autre: « Nous révérons le droit de protéger notre famille et notre propriété. Je citerai Thomas Jefferson: « La raison la plus forte pour que le peuple ait le droit de porter des armes est, en dernier ressort, que cela le protégé de la tyrannie d’un gouvernement ».
La peine de mort. Le premier admet « un conflit : une part de moi dit que la société ne peut pas tuer un être humain, une autre dit que les meurtriers de masse, les terroristes, les assassins d’enfants devraient être passibles de la peine de mort ». La réponse du second tient en une phrase : « Certains bâtards méritent d’être mis à mort ».
Le changement climatique. « Ceux qui le nient nous amènent à un point de non-retour pour cette planète que nous laisserons en piteux état pour nos enfants ». « Le phénomène du changement climatique devrait relever de l’étude scientifique pas être instrumentalisé par une idéologie politique qui veut s’attaquer à la libre entreprise ».
Religion. « J’aimerais dire que cela ne me regarde pas en tant que responsable politique et que cela relève de la décision personnelle mais comme certains tentent de nous imposer leurs croyances… », regrette Dan, élevé comme protestant, aujourd’hui agnostique. Comme en écho, Mark, membre d’une église protestante, dit : « Il est impératif que ceux qui veulent, en étant des élus, faire vivre la Constitution gardent un respect inflexible pour le Dieu des Pères fondateurs. Celui-ci ne peut pas être Neptune, Allah, Mère Nature, le dieu de la pluie des Hindous, ou Mère nature pas plus qu’il ne peut pas ne pas exister ».
Ces deux visions du monde aux antipodes s’incarnent dans les villes dans lesquelles Dan et Mark exercent leurs responsabilités politiques : Boulder et Highlands Ranch. 100.000 habitants, chacune, au cœur d’un comté de près de 300.000 habitants avec le même niveau de revenus, supérieur à la moyenne nationale. Là encore, la similitude s’arrête là.
Les conservateurs disent de Boulder qu’il s’agit de « 25 miles carrés entourés par la réalité ». Ils disent cela, dans tous les Etats, de toutes les villes progressistes. Seule la surface change. Ils l’appellent aussi la «République populaire de Boulder ». Dans les classements des magazines, la ville créée en 1858 arrive toujours dans le peloton de tête des endroits « où il fait bon vivre ». Boulder est d’abord une ville universitaire, accueillant l’Université du Colorado (37000 étudiants, 10000 profs et salariés) et un nombre presque incalculable de labos scientifiques: elle est l’une des cités les plus diplômées du pays. Elle fait souvent les choses avant les autres : première ville dès les années soixante-dix à adopter des mesures anti-discrimination sexuelle, première à imposer une taxe carbone (dès 2006)… Car, oui, Boulder est écolo, on s’en serait douté. L’usage du vélo y est infiniment plus développé que dans le reste du pays. Un tiers des déchets urbains sont recyclés. Et puis, évidemment, produits bios à tous les coins de rue et marché paysan le samedi matin. En 2008, Barack Obama y a recueilli 70% des suffrages.
Les libéraux ne disent rien d’Highlands Ranch. Ils méprisent cette création des promoteurs immobiliers californiens qui ont racheté le ranch, en 1978, pour y bâtir une nouvelle ville. L’ « offre » répondait, en partie, à une « demande » de ménages californiens aisés et lassés de la vie éreintante de Los Angeles voire apeurés par l’immigration latino. Les premières maisons sortent de terre en 1981. 10.000 habitants en 1990, 70.000 en 2000 (+600% !) et 100.000 cette année. A perte de vue : des lotissements de maisons qui se ressemblent toutes, les plus huppées étant regroupées dans des « gated communities » (résidences fermées et protégées, dont l’une fort opportunément baptisée « Enclave »). Dans les interstices, des centres commerciaux étalés. Et en quelques points névralgiques, des écoles, des centres médicaux haut de gamme. Et le tour est joué. Ou presque : Highlands Ranch n’est qu’une « cité dortoir » (de luxe, certes), engorgée, matin et soir, par le trafic automobile. Peu importe, les promoteurs immobiliers continuent de plus belle… En 2008, John Mc Cain y a recueilli plus de 70% des suffrages.
Cette fracture entre deux Amériques, illustrée par Dan-Mark et Boulder-Highlands Ranch, ne relève pas que de la politique : voilà ce qui ressort d’une étude de Scarborough Research, réalisée au moment des conventions des deux partis, début septembre. L’entreprise spécialisée en études de marché a dressé le portrait-robot d’un électeur de chaque camp, dessinant quasiment deux « American way of life ».
Le démocrate est un « urbain » qui suit plutôt le basket, écoute de la R’n’B ou du rap, il est un plus grand consommateur de sorties culturelles que son compatriote républicain, regarde MSNBC (la chaîne affiche ouvertement ses préférences « libérales »). Il est plus enclin à consommer « bio », à rouler en modèle hybride et préfère éviter de faire ses courses chez le mastodonte Wal Mart (qui combat ouvertement la syndicalisation), plébiscité en revanche par les républicains.
Le républicain est un « rurbain » qui joue au golf (le fait est : Mark Baisley nous a donné rendez-vous dans le « club house » d’un golf !) ou NASCAR (les courses de voiture), roule en 4X4, écoute de la country music, regarde la très droitière Fox News, s’avère plus chasseur que le démocrate. Le républicain sudiste va manger dans un Chick-fil-A, une chaîne évangéliste et anti-mariage gay. Le plus sûr moyen de ne pas se trouver aux côtés d’un dangereux « liberal »…
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Lu dans la presse : les abstentionnistes potentiels plus «obamistes» que «romneyistes»
Voilà une enquête publiée dans « USA today » qui va filer des sueurs froides aux stratégistes démocrates. Réalisée par l’Université de Suffolk, elle s’attache à décrire et comprendre les abstentionnistes potentiels, c’est-à-dire ceux qui déclarent ne pas vouloir aller voter, au moment où la question est posée et dont l’attitude peut encore changer. Les deux-tiers sont inscrits sur les listes électorales et huit sur dix pensent que le gouvernement joue un rôle important dans leur vie. Il ne s’agit donc pas de désintérêt. 60% estiment que « rien n’est jamais fait ». 54% jugent la politique « corrompue ». Plutôt membres des catégories populaires frappées par la crise, ces abstentionnistes potentiels sont d’abord et avant tout des électeurs d’Obama en 2008. S’ils devaient se déplacer, 43% disent qu’ils voteraient pour le président sortant, 18% pour son adversaire républicain. Il y a là des millions, voire des dizaines millions de voix en jeu (en 2008, Obama en a recueilli 69,5 contre 59,5 à McCain). « Voilà un groupe qu’Obama n’a même pas besoin de convaincre. Tout ce qu’il a à faire est de les identifier, de les trouver et de les emmener au bureau, conclue David Paleologos, directeur du centre de recherche politique de l’Université de Suffolk. C’est comme un coffre au trésor. Mais la mauvaise nouvelle est que le coffre est cadenassé… »
Cette enquête prouve que la différence se fera sur la capacité des démocrates à mobiliser leurs électeurs « naturels » non dans la chasse fantomatique aux « indépendants » et « centristes » indécis, bien moins nombreux, en volume, que ces voix enfermées dans le « coffre au trésor ».
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En Virginie, toute une Histoire en Noirs et Blancs
L’Etat qui avait interdit les mariages « mixtes » jusqu’en 1967 est désormais en tête des unions entre Noirs et Blancs. Cette évolution saisissante des mentalités se matérialise-t-elle également dans d’autres champs de la société américaine ? Les Etats-Unis en auraient-ils fini avec les discriminations raciales ? Reportage entre Norfolk et Fairfax.
C’est une photo en noir et blanc. Ils regardent tous les deux l’objectif, fixement. A gauche, Mildred Jeter, femme africaine-américaine. A droite, Richard Loving, homme blanc. Ils semblent travaillés par la lassitude et la souffrance. Ils s’aiment, mais la loi stipule qu’ils ne le peuvent pas. Nous sommes à la fin des années 50. Mildred a 18 ans. Richard, 24. Elle est enceinte. Ils veulent se marier. En Virginie, une loi datant de 1924 interdit les mariages « inter-raciaux ». Qu’à cela ne tienne : ils se rendent dans le District de Columbia (Washington) voisin et s’unissent devant la loi. De retour chez eux, les jeunes mariés sont arrêtés en pleine nuit par le shérif du comté. Lors du procès, le juge, Leon Bazile, proclame : « Dieu Tout-puissant créa les races blanches, noires, jaunes, malaises et rouges, et les plaça sur des continents séparés. Et, sauf l’interférence avec ses dispositions il n’y aurait aucune cause pour de tels mariages. Le fait qu’il sépara les races montre qu’il n’avait pas pour intention qu’elles se mélangent.»
Le couple est condamné à un an de prison. La sentence est suspendue pendant vingt-cinq ans s’ils acceptent de quitter la Virginie. Ce qu’ils font pour emménager dans ce District de Columbia si accueillant. Mais ils n’abandonnent pas. En 1963, avec l’aide de l’ACLU (American Civil Liberties Union), ils lancent une série d’actions en justice. Le 12 juin 1967, le périple judiciaire prend fin par une décision de la Cour Suprême des Etats-Unis. Dans l’affaire Loving contre Virginia, la plus haute juridiction du pays donne, à l’unanimité, raison au plaignant. Elle écrit: « Le mariage est un des « droits civiques fondamentaux de l’homme », fondamentaux pour notre existence et notre survie même… Pour nier cette liberté fondamentale sur une base aussi intenable que les classifications raciales incorporées dans ces lois, des classifications si directement subversives au principe d’égalité au cœur du quatorzième amendement (ratifié en 1868, il vise à assurer les droits des anciens esclaves, NDLR), prive assurément tous les citoyens de l’État d’une liberté sans procédure légale régulière. Le quatorzième amendement requiert que la liberté de choix de se marier ne soit pas restreinte par des discriminations raciales. »
Désormais, en Virginie, on peut se marier avec qui l’on veut. Les Loving retournent dans leur Etat chéri mais ne profiteront que peu de temps de leur bonheur paisible et de leurs trois enfants. En 1975, à 42 ans, Richard est tué dans un accident de voiture, dans le comté de Caroline, en Virginie, par un automobiliste sous l’emprise de l’alcool. Mildred survit à l’accident mais perd son œil droit. Elle est décédée le 2 mai 2008 d’une pneumonie, à l’âge de 68 ans. Tous les ans, le 12 juin, le Loving Day célèbre la date historique de la décision de la Cour Suprême. Partout, à travers les Etats-Unis, des couples, « mixtes » ou non, se rassemblent et font la fête.
Quarante cinq ans après l’arrêt historique de la Cour Suprême, les mariages « inter-raciaux », comme on continue de les appeler ici, ont de nouveau fait, au printemps dernier, la « une » des journaux : la Virginie est l’Etat qui enregistre le plus fort taux de mariages entre Noirs et Blancs.
Sarah et Robert forment l’un de ces couples qui ont contribué à la saisissante évolution. Pour autant, la statistique plaçant la Virginie sur la plus haute marche du podium leur avait totalement échappée. « Ah bon », lâchent-ils à l’unisson, alors que nous engageons la conversation dans le salon de leur maison de Fairfax, dans le nord de l’Etat. « En même temps, en y réfléchissant, ça ne m’étonne pas, ajoute Sarah aussitôt. Le nord de la Virginie est si divers. » La « northern virginia » fait partie de l’aire métropolitaine de Washington, la capitale fédérale dont elle dépend fortement sur le plan économique (commandes publiques, industrie de la défense…). Elle compte 2,5 millions d’habitants. Sa composition démographique est la suivante : 55% de Blancs, 16% de Latinos, 11% de Noirs, 10% d’Asiatiques. Ses niveaux d’éducation et de revenus sont largement supérieurs à la moyenne nationale. C’est une terre « bleue » (de la couleur du parti démocrate).
Retour au couple. Sarah, aux racines italienne (par sa mère), irlandaise et allemande (par son père), a « flashé » la première sur « ce grand type en uniforme » (Robert est pompier). « Le fait qu’il soit Noir ne m’a même pas traversé l’esprit. » Lui n’a pas vu une femme blanche mais une « grande femme magnifique ». Les deux familles n’ont pas sombré dans un remake de « Jungle Fever » de Spike Lee, dans lequel les entourages d’un africain-américain (Denzel Washington) et d’une italo-américaine (Annabella Sciorra) les découragent de poursuivre leur relation.
Les enfants (ci-dessus la photo en… couleurs) ont pris la nouvelle avec entrain : après un divorce, leurs parents refaisaient leur vie. «Dans des endroits comme le nord de la Virginie, la relation à d’autres communautés est vraiment un non-problème, souligne Sarah, assistance sociale pour le comté de Fairfax. Dans les écoles, on compte plus de cinquante nationalités. » L’une des filles de Sarah a même demandé à être placée dans la même « fratrie » que l’un des fils de Robert dans l’album du lycée. « Il ne peut pas être ton frère, il est Noir », lui a-t-on répondu. Elle, au caractère déjà bien trempé : « Et alors ? Bien sûr qu’il l’est. »
Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? « Non, je ne dis pas que le racisme n’est plus vivant dans ce pays », répond Sarah, du tac au tac. Elle livre une anecdote : le pasteur de l’Eglise à laquelle elle appartient, ultra-majoritairement blanche, est un Africain-Américain. Il lui a confié qu’au moment de la communion, certains croyants se rangeaient systématiquement dans la file de son adjoint blanc… « Le racisme est encore en vie même si le pays évolue vraiment. Ce qui est rassurant c’est que les racistes sont obligés de la mettre en sourdine », constate Robert. Et d’ajouter : « Peut-être que si vous allez plus vers le sud, les comportements seront différents. »
Dans le sud de la Virginie, considéré comme plus conservateur, le nombre de mariages « exogames » (terme plus adéquat qui définit un mariage en dehors de sa propre classe sociale ou de son « origine ») augmente aussi. Mais ces unions en couleurs sont-elles le symbole d’une société, si ce n’est post-raciale, du moins apaisée dans ses relations entre communautés, voire en marche vers la mixité « ethnique » et sociale ?
Pour tenter de répondre à cette question, direction Norfolk, dans le sud de l’Etat : 242.000 habitants au cœur d’une conurbation (Hampton Road) d’1,5 million d’habitants. 44% Blancs, 43% Noirs, 6% de Latinos. L’activité locale repose sur l’industrie de la défense (base navale militaire de premier ordre) et sur l’économie portuaire. Norfolk est massivement démocrate et a accordé 71% de ses suffrages à Obama.
La ville a subi une « reségrégation de fait » lorsqu’une immense partie des habitants blancs a rejoint, dans les années 70, les « surburbs » (banlieues résidentielles). Recherche d’un cadre de vie plus paisible et réaction aux droits civiques accordés aux Africains-Américains : les sociologues ont appelé cela le « white flight » (l’exode blanc). Norfolk a même fait figure de cas d’école. 212.000 Blancs habitaient la ville en 1970 (ils représentaient alors 70% de la population), 105.000 actuellement. Norfolk s’est évidemment dépeuplée mais la courbe se redresse depuis une dizaine d’années avec un millier d’habitants supplémentaires chaque année.
La ville demeure coupée en deux, de part et d’autre de Monticello avenue. A l’est, les Africains-Américains sont majoritaires. A l’ouest, ce sont les Blancs. Comme une symétrie, deux universités prennent place aux confins du territoire. A l’est, la Norfolk State University, grande université historique noire, avec ses 7000 étudiants. Jerome, rencontré sur le campus, nous invite à la prudence : « Vous voulez qu’on abandonne ce qu’on a construit simplement pour être mixtes. Nos universités, nos églises. Maintenir les liens forts de notre communauté, ce n’est pas de la ségrégation. » A l’ouest, l’Old Dominion (25.000 étudiants), l’ancienne succursale du très select William and Mary College (Jefferson et Madison y furent formés), devenue indépendante. L’université publique s’est très largement ouverte aux « minorités », atténuant les frontières mentales.
A la jonction de ces deux parties de Norfolk, les quartiers de Norview, Elmhurst et Foxhall (15.000 habitants) rassemblent plus qu’ils ne divisent. Les établissements scolaires en constituent une preuve tangible. Une école élémentaire, un collège et un lycée se trouvent au cœur de cet ensemble dessiné, comme souvent aux Etats-Unis en dehors des centres-villes, par de larges avenues et des rues adjacentes parsemées de maisons individuelles de taille moyenne. Les directions et équipes pédagogiques des trois établissements publics sont composées d’autant de Noirs que de Blancs, tout comme le public scolaire. A l’heure de repartir chez soi, ou de reprendre le bus, la mixité est flagrante. Il semble même que quelques petits couples « mixtes » se forment… En 2005, le réseau d’écoles publiques de Norfolk a été récompensé par le « Board Prize », qui chaque année met à l’honneur, avec un chèque d’1 million de dollars à la clé, la réduction de la fracture sociale pour les élèves issus des milieux défavorisés et des minorités.
La vie est « mixte » mais la vie est dure… Le revenu moyen des habitants se situe à 40.000 dollars par an, très en-deçà de la moyenne nationale. Un tiers des familles gagne moins de 30.000 dollars par an, ce qui les place à la limite du seuil de pauvreté officiel. Alors qu’une maison n’y vaut en moyenne que 160.000 dollars, la moitié des propriétaires laissent plus d’un tiers de leur paie dans le remboursement du crédit. Un loyer s’établit autour de 1000 dollars, bien trop élevé pour les ressources limitées de la majorité des habitants. Norview, Elmhurst et Foxhall sont des quartiers de salariés modestes et de chômeurs – noirs et blancs –, dans lesquels existe donc le mélange des communautés, pas la mixité sociale.
Encore ce tableau offert par Norfolk apparaît-il moins inquiétant que le constat dressé par deux professeurs de sciences-politiques, Rogers M. Smith et Desmond S. King, auteurs d’un livre paru cet année : « Still a house divided » (Une maison encore divisée). Ils citent l’exemple de l’école, premier lieu de la société américaine à avoir fait l’objet d’une « déségrégation » juridique avec l’arrêt de la Cour Suprême de 1954, Brown v. Board. Qu’y constate-t-on ? Le pourcentage d’élèves noirs fréquentant un établissement à majorité non blanche est passé de 66% en 1991 à 73% en 2003-2004. Autre recul : durant les deux dernières décennies, le fossé entre les salaires et les taux d’emploi des Noirs et des Blancs s’est élargi par rapport aux années 70.
L’explosion des inégalités, palpable depuis une dizaine d’années, et la Grande Récession de 2008 ont présenté une note particulièrement salée aux ménages modestes et défavorisés, parmi lesquels les Africains-Américains sont surreprésentés.
Le 28 août 1963, sur le Mall de Washington, Martin Luther King n’avait-il pas prévenu que derrière le combat pour l’obtention des droits du citoyen se profilait, pour les Africains-Américains et le pays, une autre montagne à gravir : « Les tourbillons de la révolte continueront d’ébranler les fondations de notre nation jusqu’au jour où naîtra l’aube brillante de la justice. »
Article publié dans l’Humanité du 24 octobre
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Derrière les petites phrases, le consensus Obama-Romney
Quelques « zingers ». Deux, trois divergences. Mais finalement un consensus. Voilà le bilan que l’on peut tirer du troisième et dernier débat présidentiel. Ah, oui, autre leçon aussi : les femmes journalistes sont bien meilleures que les hommes, Bob Scheiffer s’étant montré aussi incapable que Jim Lehrer de conduire la confrontation alors que Candy Crowley (deuxième débat Obama-Romney) et Martha Raddatz (débat Biden-Obama) avaient joué leur rôle de journalistes.
Revenons à cette ultime joute qui portait sur la politique étrangère.
Commençons par le plus futile : les « zingers », donc. Des phrases-choc. Il y en eut deux, toutes deux provenant d’Obama. «Romney propose une politique étrangère des années 80, une politique de société des années 50 et une politique économique des années 20. » Bing. Et à Romney qui répétait pour la millième fois que la flotte américaine n’avait jamais eu aussi peu de bateaux depuis 1917, Obama a rétorqué qu’il y avait également « moins de chevaux et de baïonnettes ». Bang.
Romney a essayé de se démarquer du président sortant en tentant de l’affaiblir dans l’affaire de l’assassinat de quatre Américains à Benghazi, en l’accusant de nouveau d’avoir fait une « tournée de repentance » au Moyen-Orient sitôt élu, en le décrivant comme un mou face à la Russie et à la Chine. Obama a rétorqué en soulignant les incohérences et les changements de pied de Romney d’un débat à l’autre et encore n’eut-il pas le temps de toutes les mettre en lumière tant elles sont nombreuses.
Finalement, le candidat républicain s’est rangé derrière la politique du président sortant dans de nombreux domaines, notamment celle de l’utilisation des drones dans le cadre de l’action anti-terroriste. Les deux ont répété que la puissance américaine était « indispensable » (le mot est d’Obama mais Romney a opiné du bonnet) au monde. A part ça, dans ce débat sur la politique étrangère, pas un mot sur l’Europe, pas une phrase sur l’Amérique latine, pas un échange sur les négociations de paix israélo-palestiniennes.
C’était vraiment à celui qui montrerait qui est le meilleur « commander in chief ». Comme Obama en porte légalement les habits, logique qu’il l’ait emporté sur ce terrain. Et d’un commun accord, on a donc évité les vrais sujets, par exemple : le reste du monde pense-t-il que les Etats-unis lui sont « indispensables » ? quelle place pour la puissance américaine dans un monde qui sera forcément plus équilibré dans une génération ?
En direct de … l’avion du retour
Séjour professionnel terminé aux Etats-Unis. Retour à la réalité française. Mais d’ici aux élections, publication de plusieurs reportages dans l’Humanité et dans l’Humanité dimanche (postés également sur ce blog) sur le rôle grandissant des Latinos (depuis le Texas), la question des relations Noirs-Blancs (depuis la Virginie), l’opposition frontale entre deux Amériques (depuis le Colorado) et sur la campagne présidentielle (depuis un peu partout).
Puis, d’ici quelques jours, lancement d’une série « pratique » sur les élections. Un peu à la façon de Michel chevalet : « Comment ça marche ». Comme je n’ai pas prétention à avoir toutes les questions en tête (pas plus que les réponses, d’ailleurs), je vous invite à me poser directement vos questions, interrogations et « colles ».
Lu dans la presse : les Latinos pour le mariage gay
Pour la première fois, un sondage montre que les latinos sont majoritairement favorables au mariage homosexuel. Le New York Times en fait l’annonce dans son édition de vendredi. Il y a six ans, 56% des latinos y étaient opposés. Aujourd’hui, ils s’y déclarent favorables à 52% et les latinos catholiques sont encore plus favorables (54%) à cette mesure. Seuls les latinos protestants évangéliques demeurent opposés à l’union de deux personnes du même sexe, mais ils demeurent ultra-minoritaires. Le New York Times souligne que ce sondage montre à quel point la stratégie des Républicains tentant de séduire les latinos sur la base des « valeurs » conservatrices (anti-avortement, anti-mariage gay) est voué à l’échec.
Les latinos enregistrés sur les listes électorales soutiennent Obama contre Romney dans un rapport de trois contre un. En 2008, Obama avait recueilli les deux tiers du vote latino. Le ratio devrait être proche cette année, la seule et massive question restant : quelle sera la participation électorale des latinos ? Il s’agit, pour les démocrates, de l’un des enjeux principaux, si ce n’est le principal, d’ici le 6 novembre.
En direct du… restaurant, QG de la gauche à Washington
A Washington, c’est un lieu incontournable de la gauche américaine. On n’y débat pas en permanence mais on y mange, bien et pas cher. Chacun sait bien, en venant ici, qu’il pose un acte. On ne prend pas un repas dans l’un des « Busboys and Poets » (il y en a désormais deux à Washington plus deux autres dans sa banlieue) comme dans un steakhouse d’une grande chaîne. Le propriétaire de la chaîne s’appelle Anas Shallal, 57 ans, arrivé aux Etats-Unis à l’âge de 11 ans. En 2003, alors que Bush lance le feu et le fer sur l’Irak (ah oui, Anas est né à Bagdad), Andy se demande ce qu’il pourrait bien faire pour contrer cette idéologie de choc des civilisations. « Il n’y avait pas d’endroit où les gens pouvaient se rencontrer… Je voulais créer un lieu qui soit clairement à gauche », a-t-il expliqué au Washington Post. Sa réponse mêle politique, bonne bouffe et littérature.
Le premier « Busboy… » ouvre en 2005 au coin de la 14e rue à Washington. Tout le monde pensait alors que le proprio était noir, tant Andy (eh oui, aux Etats-Unis, c’est Andy) puise dans la culture africaine-américaine. Une rencontre qui date du lycée alors, qu’à sa tronche de métèque, s’ajoute un anglais passable et un bégaiement… Au programme du cours d’anglais : le mouvement de la Renaissance de Harlem. Quelques mots d’Hughes Langston lui resteront en mémoire :
« Que l’Amérique soit l’Amérique de nouveau,
qu’elle soit le rêve qu’elle était ».
Quand Andy n’est pas dans l’un de ces restos, on est certain de le trouver dans une manif face à la Maison Blanche manifestant contre un projet d’oléoduc, en train de distribuer des repas gratuits aux militants d’Occupy Wall Street, ou signer un chèque à des organisations progressistes. Et quand il est dans l’un de ses restos, il ne déroge pas à la politique sociale qu’il ambitionne pour le pays : le plus bas salaire s’affiche à 10,25 dollars de l’heure (le minimum fédéral est fixé à 7,25 dollars), congés maladie pour les employés et assurance-maladie pour ceux qui ont un contrat à plein temps.
Nous avons pris le « Busboys and poets » à son deuxième arrêt à Washington : à l’angle de la 5e rue et de K avenue… L’entrée donne directement sur la librairie gérée par Teaching for Change, association clairement orientée à gauche. Puis s’ouvre l’espace restauration, vaste et large, comptoir central et mezzanine, occupé par une foule bigarrée et…, partout, des œuvres d’art (voir la photo). On allait presque oublier l’essentiel : Andy Shallal est artiste et il décore lui-même ses restaurants.