Archives mensuelles : décembre 2012

Armes à feu : Los Angeles contre l’Utah

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Depuis quelques jours, il n’y en a que pour l’Utah. Des dépêches, des articles qui reprennent les dépêches, des reportages télés. Jeudi, 200 enseignants (contre une quinzaine habituellement) ont participé à la formation annuelle au maniement des armes. Quelques semaines après le massacre de Newton, chaque média y voit évidemment une progression d’une réaction inspirée par la NRA (National Rifle Association), le puissant lobby, qui, par la voix de son président, a déclaré la semaine dernière : « Le seul moyen d’arrêter un méchant armé d’un revolver, c’est un gentil armé d’un revolver. »

On a même eu droit au titre ou au lancement : « l’idée fait son chemin aux Etats-Unis ». Il est évident que la peur entretenue après Newton a provoqué, chez de nombreux Américains, une position de repli et d’armement. Mais encore faut-il préciser que l’Utah, dont on fait le théâtre de tout un pays, est le 45e Etat par sa population (2,7 millions d’habitants dont 60% de mormons), que c’est un bastion du parti républicain (Romney, régional de l’étape, y a recueilli 72% des suffrages), très lié à la NRA, et qu’il figure déjà dans le peloton de  tête des Etats avec le plus fort taux d’armes par habitant.

Il y a une autre Amérique dans sa façon de se comporter après Newton : c’est l’Amérique de Los Angeles (3,8 millions d’habitants soit 40% de plus que l’Utah), bastion démocrate (Obama y a décroché trois-quarts des suffrages). Mercredi, la ville a réalisé une opération d’échange d’un type un peu particulier : des bons d’achat contre des armes à feu. 100 dollars pour un pistolet, 200 pour un fusil d’assaut. « Je pense que tout le monde a été traumatisé, a déclaré Antonio. Villaraigosa, le maire. Les gens se sont dit ’’on ne va pas attendre le Congrès, j’en ai marre des débats interminables sur la législation des armes à feu, je veux agir. » »  Bilan : 2037 armes à feu, dont 75 armes d’assaut et deux lance-roquettes, récupérés.

Sur la question des armes à feu, Los Angeles et l’Utah symbolisent parfaitement le bras-de-fer à l’œuvre aux Etats-Unis. Mais que l’on cesse de nous faire croire, par des reportages qui cèdent toujours au sensationnalisme et au cliché, que toute l’Amérique est à l’image de l’Utah…

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« Mur fiscal » : ce qu’en pensent les Américains

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Dans quelques jours, si rien ne change, les Etats-Unis finiront dans le « mur fiscal ». Enfin, ils se préparent surtout à sauter dans le vide puisque outre-Atlantique, il s’agit du « fiscal cliff ». Allez savoir comment une « falaise » est devenue un « mur », ici… Bref. Les Républicains font de l’obstruction, comme d’habitude. Et Barack Obama fait des concessions (comme d’habitude), pourtant considérées comme insuffisantes par ses adversaires (encore et toujours, comme d’habitude). Et si nous sortions un peu du face à face Maison Blanche-Capitole pour savoir ce qu’en pensent les Américains. Une enquête réalisée par le très sérieux Pew Research Center.

Commençons par les mesures rejetées.

56% sont opposés à au recul de l’âge d’éligibilité (actuellement 65 ans) à Medicare (le système de protection sociale pour les seniors), 55% à la baisse des dépenses militaires. 55% également au recul de l’âge de la retraite (55%). 58% disent « non » à la réduction des fonds publics pour les services sociaux et 77% à celle du budget de l’éducation.

Les mesures majoritaires, désormais.

Réduire les pensions de retraite pour les hauts revenus : 51%

Réduire les prestations Medicare pour les plus hauts revenus : 51%.

Augmenter le taux d’imposition sur les revenus du capital et des dividendes. : 52%.

Limiter les défiscalisations : 54%.

Augmenter les impôts pour les revenus de plus de 25000 dollars : 69%

Apparaît clairement une option : celle de faire payer leur «  part juste » (fair share) aux plus hauts revenus qui ont bénéficié de deux plans de réductions massives sous Bush (2001 et 2003) et qui n’ont jamais été aussi peu imposés depuis les années 20.

Si l’on entre dans le détail en fonction du positionnement partisan des personnes interrogées, on peut tirer quelques enseignements intéressants :

–          La mesure phare de l’augmentation des impôts pour les plus riches reçoit l’assentiment des démocrates (86%), mais aussi des indépendants (68%) et même des républicains (52%). La position « ultra » sur ce sujet (comme sur d’autres) des élus républicains au Congrès ne reflète même pas l’approche de leur électorat. Obama pourrait (devrait) en jouer.

–          Tout comme il pourrait (devrait) s’appuyer sur la grande cohérence politique de sa base sociale et électorale. Que pensent les électeurs démocrates ? Qu’il faut augmenter les impôts pour les plus riches (86%), on l’a vu. Mais aussi, contrairement aux électeurs républicains,  qu’il faut réduire le budget militaire (57%), ou augmenter le taux d’imposition sur les revenus du capital et des dividendes (62%).

Bref, l’opinion publique est clairement derrière Obama. Comment s’en servira-t-il contre les Républicains. S’en servira-t-il, simplement ?

 

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Armes à feu: ce que dit la Constitution

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Depuis le massacre de Newton, on a de nouveau entendu et lu que le droit de porter des armes était garanti par la Constitution. Or, ce n’est pas le cas.

Que dit le second amendement ? « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé ».

Un mot d’abord sur le contexte historique. Cet amendement fait partie du Bill of Rights voté en 1791 qui inscrit dans le marbre les droits fondamentaux des citoyens des Etats-Unis.  La « milice bien organisée », citée dans l’amendement, renvoie évidemment à celle dont le rôle fut si important, pendant la guerre d’indépendance opposant les colonies à la Monarchie britannique, infiniment supérieure en termes de puissance militaire régulière. Dans la Constitution, ce droit apparaît comme un bouclier face à d’éventuelles menées tyranniques.

Depuis deux siècles, le second amendement est l’objet d’une bataille d’interprétation. Pour aller au plus vite, on peut dire que c’est l’approche du lobby de la NRA (National Rifle Association) et du parti républicain – droit individuel – qui domine face à la lecture du camp favorable à la régulation et au contrôle. Ce dernier souligne – à juste titre, à notre avis – que le second amendement parle d’un droit « collectif », puisqu’il est stipulé « le peuple », non « les citoyens » et que la référence au cadre – « une milice bien organisée » – de ce droit est explicite. Ce droit n’est donc pas illimité.

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Pourquoi ne faut-il pas désespérer des Etats-Unis ? Un entretien au site La faute à Diderot

Voici l’intégralité de l’entretien que j’ai accordé  ce site Internet. Pour consulter: http://www.lafauteadiderot.net/Pourquoi-ne-faut-il-pas-desesperer

Alors que Barack Obama sera officiellement élu le 17 décembre prochain président par le collège des grands électeurs, Christophe Deroubaix, journaliste à l’Humanité, auteur d’un « Dictionnaire presque optimiste des Etats-Unis » (éditions Michel de Maule) revient sur les leçons du scrutin du 6 novembre et sur l’évolution du pays.

Quelles leçons tirez-vous des élections américaines ?

Je vois trois enseignements à tirer de cette élection. Le premier c’est la défaite des Républicains. Depuis la fin de la guerre froide, les Républicains ont été minoritaires à 5 reprises sur les six élections présidentielles. Il faut en effet se souvenir que W. Bush a été élu en 2000 mais qu’il a été devancé en nombre de voix par Al Gore. Le projet conservateur et ultralibéral des républicains est minoritaire aux Etats-Unis.

Deuxième leçon, contrairement aux sondages qui donnaient les candidats au coude à coude, Obama a finalement 4,5 millions de voix et 3% d’avance sur Romney, dans le cadre d’une forte participation. Les Républicains pensaient pouvoir gagner, car aucun Président n’avait été élu dans un tel contexte de crise et de chômage. Avec 60,5 millions de voix, Romney retrouve à peu de choses près le score de John Mac Cain en 2008 (60) et à peine moins que Bush en 2004 (62 millions). Dans l’Amérique telle qu’elle évolue, les Républicains sont arrivés à une sorte de plafond stratégique. L’enjeu principal portait sur la participation, notamment des électeurs d’Obama de 2008. Malgré la déception, voire la désillusion, le « peuple » du « Yes, we can » a finalement décidé de ne pas se laisser voler sa victoire de 2008 en donnant les clés du pouvoir aux Républicains. Tentés par l’abstention, les jeunes et les Latino-Américains se sont finalement mobilisés. Les latinos sont devenus une donnée essentielle de la vie sociale et politique des Etats-Unis. Ils constituent la première minorité avec 16 % de la population et 10 % de l’électorat. Ils représentent la nouvelle classe populaire et subissent ce que les sociologues appellent « l’incorporation par le bas de l’échelle » : chaque génération intègre la vie active par l’occupation des boulots les moins qualifiés. Le rêve américain ne fonctionne pas pour eux. Le vote latino existe mais c’est un vote social, pas un vote communautaire. Troisième donnée : l’ouverture culturelle de l’opinion américaine. Ainsi le mariage gay, qui avait été rejeté par référendum à 31 reprises, a été adopté par 3 états, qui ont rejoint 7 autres états qui l’avaient adopté par voie législative. De plus, deux Etats (Colorado et Etat de Washington) ont voté pour la légalisation de la marijuana, ouvrant ainsi une brèche dans la catastrophique « guerre à la drogue ». Ajoutons aussi que la Californie a adopté, toujours par voie référendaire, une taxe sur les millionnaires dont le produit ira financer directement l’éducation et les services sociaux.

C’est cela qui vous rend « optimiste » ?

Les résultats du 6 novembre valident en effet l’analyse de Paul Krugman : « Les Etats-Unis sont prêts pour un nouveau New Deal, une nouvelle ère de politiques progressistes ». Je partage ce point de vue. L’évolution des mentalités ne concerne pas que les questions de société mais également les grands enjeux économiques et sociaux, comme le prouve la taxe sur les millionnaires californienne. Quand on demande aux Américains quelles solutions ils privilégient pour résorber la dette, ils sont 56 % à répondre non au recul de l’âge de la retraite, non à l’augmentation des cotisations sociales, mais 64 % répondent oui à l’augmentation des impôts pour les riches, ce fameux « 1% » mis en lumière par le mouvement « Occupy Wall Street ». En mars dernier, Michael Moore, peu suspect d’optimisme béat, disait lors du « Left Forum » à New York : « Nous sommes majoritaires dans les esprits ».

Mais qu’est-ce qui change vraiment et concrètement aux Etats-Unis ? Ce qui change d’abord, c’est la démographie du pays. La proportion des Blancs se réduit. Dans une génération, ils deviendront une minorité. C’est le déclin annoncé de la République anglo-protestante si propice au développement du capitalisme, comme le notait Max Weber. La montée en puissance des latinos n’est pas qu’une question d’origine. De par leur histoire (ils sont une immigration « américaine »), leur position sociale, comme je l’ai souligné précédemment, et leur vision du monde même qui empreinte plus au catholicisme qu’à un calvinisme individualiste, ils apportent un sang radicalement nouveau dans les veines du pays. Les mentalités changent également. De nombreuses enquêtes montrent que la jeune génération est la plus multicolore mais aussi la plus ouverte et progressiste de l’histoire du pays.

Mais les changements ne se limitent pas aux esprits et aux idées, ce qui constitue pourtant déjà une avancée majeure si l’on attache un peu d’importance au concept gramscien d’hégémonie culturelle. Des changements s’effectuent et s’organisent également dans la vie « réelle », pratique. On a déjà abordé les évolutions sur le mariage gay, la marijuana. Chaque année, un Etat abolit la peine de mort. J’ajoute que le Vermont est le premier Etat à créer un système public d’assurance-santé (ce qu’avait promis de faire Obama pendant sa campagne en 2008 avant de battre en retraite). A New Haven, ville de l’Université de Yale, une coalition syndicale progressiste a chassé du conseil municipal la majorité démocrate « plan-plan ». A Dallas, le shériff est… une femme, démocrate, latina et lesbienne déclarée.

Pourquoi a-t-on, alors, autant entendu parler des Tea Parties ?

En partie par paresse de ce côté-ci de l’Atlantique : il semble que, dans un certain nombre de médias, l’on considère les sujets sur les « dingues », les fous de Dieu et des armes, plus « vendeurs ».

Mais il y a des raisons plus profondes. Le Tea Party incarne l’Amérique WASP (white anglo-saxon protestant) telle qu’elle a été fondée. C’est le système dans sa quintessence. Le Tea Party dispose donc de puissants soutiens financiers (les frères Koch), de relais médiatiques (Fox News) qui décuplent sa voix et son message. Mais il ne faut pas prendre le chant du cygne pour le chant du coq. Le Tea Party constitue une « Réaction » au sens littéral du terme. Une Réaction à un monde qui n’est plus, à un monde qui change, à un monde qui s’ouvre… A sa façon, ce mouvement d’ultra-droite témoigne des évolutions positives que connaissent les Etats-Unis.

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