Article publié dans l’Humanité du 29 juillet
Officiellement investie par le parti démocrate, l’ancienne secrétaire d’Etat, souvent changeante sur ses positions politiques, bat des records d’impopularité.
Hillary Clinton est devenue la première femme à décrocher la nomination d’un parti politique majeur aux Etats-Unis. L’événement s’est produit mardi lors du vote très officiel des délégations, Etat par Etat. Hier soir, elle a prononcé son discours d’investiture au terme d’une convention qui, même si elle a révélé un inachevé processus de cicatrisation des primaires, s’est moins mal déroulée qu’elle n’aurait pu le craindre. Bernie Sanders lui a apporté un soutien clair et net : « Hillary Clinton doit devenir la prochaine présidente des Etats-Unis. Le choix ne se discute même pas. » Elle a également reçu le renfort d’un ancien président – son mari – et de l’actuel président, Barack Obama. De la First Lady. Du vice-président Joe Biden. De la sénatrice Elizabeth Warren, égérie de l’aile gauche. Bref, la famille s’affiche au grand complet sur la photo-souvenir de la 47e convention du parti démocrate.
Hillary Clinton porte officiellement des idées contenues dans la plateforme démocrate qui sont majoritaires dans l’opinion publique : le SMIC à 15 dollars, la gratuité de l’enseignement public, le contrôle des armes, le droit à l’avortement, l’approfondissement de la réforme de la santé. Lorsque l’on demande aux électeurs s’ils préfèrent voter pour un démocrate ou un républicain, la réponse est 55% pour le premier, 45% pour le second. Tous les clignotants semblent donc au vert pour qu’Hillary Clinton devienne également la première femme présidente. Et pourtant, dans les sondages, elle n’arrive pas à distancer Donald Trump. Pire même, le candidat républicain profitant de l’ «effet convention », malgré un déroulement chaotique, est placé devant par plusieurs instituts de sondage, avec de trois à sept points d’avance.
Mais quel est donc le problème avec Hillary Clinton? Disons qu’il est à la fois politique et personnel. Que les deux sont inextricablement liés. Et que le tout est quantifié en un chiffre : selon un sondage CNN, 68% des Américains pensent qu’elle n’est pas honnête et digne de confiance. Elle trône désormais tout en haut de ce classement, devançant même Trump, pourtant figure par excellence de la division. Une enquête CBS montre que 31% des personnes interrogées ont une opinion favorable d’elle contre 56% qui expriment un avis inverse.
Clinton et Trump sont les deux candidats les plus impopulaires de ces trente dernières années et la démocrate est en train de prendre un avantage en la matière dont elle se passerait bien. Comment expliquer ce problème ? En une formule : flip flop. Depuis son entrée à la Maison Blanche, en tant que First Lady, en 1992, Hillary Clinton a défendu toutes les positions politiques…puis leur contraire. Au moment des « réformes » des politiques pénales de Bill Clinton qui conduiront à l’incarcération de masse, notamment des jeunes africains-américains, elle lâche le terme de « super-prédateur » que lui reprochent encore aujourd’hui les associations. Elle se prononce aujourd’hui pour l’abrogation de ces lois. Libre-échange ? Elle effectue un virage à 180 degrés sur le Traité trans-pacifique, estimant d’abord qu’il s’agissait d’une « règle d’or » avant de s’y opposer. Guerre en Irak ? Elle crie avec les loups bushistes avant de se rétracter très tardivement. Elle affirme vouloir réglementer l’industrie financière de Wall Street alors qu’elle a prononcé des discours privés pour elle, payés jusqu’à 625000 dollars à Goldman Sachs. Et ainsi de suite. « La campagne l’a obligée à bouger vers la gauche alors qu’elle voulait mener une campagne de centre-droit », commente John Mason, professeur de sciences-politiques à l’Université William Patterson. Depuis deux décennies, le vent politique et idéologique a tourné. Et la « girouette » Hillary avec. Et ça se voit. First Lady, sénatrice, secrétaire d’Etat : Hillary Clinton est certainement la candidate la mieux préparée à la plus haute fonction. Mais sa candidature est tout aussi certainement l’une des plus faibles qui puissent être imaginée en cette année de quasi-insurrection désordonnée contre les élites, le fameux « establishment » (entre une « révolution politique » tournée vers l’avenir et un repli identitaire sur une grandeur mythifiée).
C’est la faiblesse de Clinton qui fait la force de Trump, avancent nombre de responsables et militants progressistes. Ainsi, selon Kshama Sawant, conseillère municipale socialiste de Seattle, cheville ouvrière du SMIC à 15 dollars dans sa ville, soutien de Bernie Sanders qui refuse de voter pour Hillary, les inconsistances politiques de la candidate démocrate permettent à « Trump d’essayer de cyniquement de se positionner à la gauche d’Hillary sur un certain nombre de questions comme le libre-échange ». Des responsables locaux du parti démocrate font remonter leurs inquiétudes : la rhétorique de Trump marque des points parmi les ouvriers blancs de la « rust belt », l’ancienne ceinture industrielle vidée de ses emplois stables et bien payés depuis plusieurs décennies. En Pennsylvanie, qui n’a pas voté pour un républicain depuis 1988, Trump et Clinton sont donnés au coude à coude. De la même manière, sur les dossiers de politique internationale, l’isolationniste nationaliste Trump peut jouer les illusionnistes auprès d’électeurs, notamment les plus jeunes, repoussés par l’interventionnisme impérial incarné par Hillary Clinton. En conclusion, John Mason avertit : « Si l’enjeu central de la campagne, c’est « Hillary et Bill », alors il y a danger ».