Archives mensuelles : février 2016

Hillary Clinton dans les pas d’Obama

Son écrasante victoire en Caroline du Sud (73,5%) et son quasi-plébiscite chez les électeurs africains-américains (87%) valide sa stratégie de défense intégrale du bilan d’Obama. Certainement suffisant pour décrocher la nomination démocrate. Probablement pas pour entrer à la Maison Blanche.

C’est une victoire écrasante qu’a enregistrée Hillary Clinton en Caroline du Sud, dans le premier Etat du Sud à entrer dans la danse des primaires : 73,5% des voix contre 26% à Bernie Sanders. Ce succès éclatant clarifie le chemin vers la nomination et confirme qu’elle va remporter les Etats du Sud avec d’importantes marges, obligeant son adversaire à engranger non seulement des victoires mais de très larges victoires dans les Etats dans lesquels il peut prétendre dominer (Massachusetts, Colorado, Minnesota). Ce qui demeure très improbable. Il faudrait donc un retournement brutal de situation pour que Sanders puisse contester la position dominante prise par Hillary Clinton.

La clé du succès de cette dernière est assez simple : l’électorat africain-américain. Après sa défaite dans le New Hamsphire, la direction de campagne avait évoqué les Etats à plus fortes proportions de « minorités » comme un « pare-feu » contre Sanders. Dans le Nevada, le score de Sanders parmi les Latinos (bien plus important que ne le pensait le camp Clinton et même majoritaire selon certains sondages) avait instillé un doute dans cette stratégie.

La Caroline du Sud le confirme : il y a bien « firewall ». Il est monocolore mais surpuissant. Hillary Clinton a remporté 87% du vote des africain-américains qui représentent 61% de tous les électeurs qui se sont déplacés samedi (contre 55% en 2008). Imparable. En répétant que Barack Obama « n’a pas eu le crédit qu’il mérite », en défendant quasiment tous les aspects des deux mandants du premier président noir de l’Histoire, Clinton joue sur du velours parmi les électeurs africains-américains.

Face à elle, le discours de Bernie Sanders n’a pas réussi à percer. Le candidat socialiste paie aussi très cher l’absence de relais (pasteurs, députés) dans une communauté très organisée autour de ses églises et de ses grands élus. Fidèle à son éthique en politique, il a refusé de jouer la carte de son engagement politique passé en faveur du mouvement des droits civiques (une photo sortie récemment des archives du Chicago Tribune montre son arrestation en 1963 lors d’une manifestation de protestation contre la ségrégation) (http://www.nytimes.com/elections/results/south-carolina).

S’il ne modifie pas le rapport de forces au sein de l’électorat africain-américain (et on ne voit pas ce qui pourrait se produire de cette nature en quelques jours) la voie semble sans issue pour Sanders (il lui faut au moins remporter cinq Etats lors du « super Tuesday » de mardi pour continuer à rester en compétition) et le boulevard apparaît dégagé pour Hillary Clinton. Mais la force de Clinton dans ses primaires constituera sa faiblesse lors de l’élection générale.

Elle ne pourra pas, alors, se contenter de proposer un « troisième mandat d’Obama », de continuer à affirmer que tous les grands problèmes ont trouvé une loi votée ces huit dernières années. Sa stratégie est un « coup sûr » pour se défaire de Sanders. Mais elle n’instille aucun « souffle », aucune dynamique. Elle ne parle pas de changement dans un pays qui réclame (parfois à hue et à dia, comme le prouve le phénomène Trump) tout sauf le statu quo. Déjà, le nombre de participants en Caroline du Sud doit alerter : 367491 contre 532468 en 2008, soit 30% de moins. La semaine dernière, 737917 électeurs républicains se sont déplacés, soit deux fois plus que d’électeurs démocrates, dans un Etat qui est certes « rouge » (la couleur du GOP) depuis un demi-siècle (http://www.nytimes.com/elections/results/south-carolina). Mais dans toutes les primaires organisées jusqu’ici, le parti républicain a mobilisé plus d’électeurs que le parti démocrate. La variété offerte par le républicains (cinq candidats mobilisent toujours plus que deux) constitue une explication partielle. Et, au-delà de la douce euphorie provoquée par la reprise en main de leur championne, c’est l’inquiétude qui pourrait rapidement s’emparer l’appareil démocrate. Les victoires de novembre se préparent souvent dès février. Les défaites aussi.

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Triomphant dans le Nevada, Trump est-il inarrêtable?

Presque majoritaire à lui seul (46%) dans cet Etat de l’ouest, le milliardaire démagogue peut envisager un grand chelem lors du « Super Tuesday » du 1er mars.

Il n’est plus permis d’en douter : Donald Trump est bien le favori dans la course à l’investiture républicaine. Après le nord-est (New Hampshire), le Sud (Caroline du Sud), il vient d’écraser la concurrence dans l’ouest (Nevada). Le milliardaire démagogue et nationaliste a recueilli 45,9% dans ce caucus (seuls les militants républicains sont autorisés à voter), devant Marco Rubio (23,8%) et Ted Cruz (21,5%). Le succès était annoncé. C’est quasiment un triomphe (http://www.nytimes.com/elections/2016/primaries/results/nevada). « Trump a gagné le vote des modérés comme des très conservateurs par des marges énormes. Il a gagné dans les zones rurales comme urbaines, et parmi les électeurs non-diplomés comme diplômés. Trump a même fait mieux que Cruz parmi sa base supposé de Chrétiens évangéliques et a même devancé ces deux opposants Cubains-Américains parmi les peu nombreux, il est vrai, électeurs hispaniques », écrit le site Politico.

L’enjeu désormais est simple pour la direction du Grand Old Party (G.O.P., surnom du parti républicain) : si dans les quinze jours, il ne trouve pas une martingale, c’est Trump qui portera les couleurs républicaines en novembre prochain. Lors du « super Tuesday » du 1er février, c’est un quasi grand-chelem qui est annoncé : seul le Texas (Etat de Ted Cruz) lui échapperait, les onze autres succombant à sa rhétorique, mélange de xénophobie, d’appels incantatoires à la grandeur et de virilité. Problème pour l’élite républicaine : aucun des autres candidats ne semble décidé à se retirer de la course pour se ranger derrière Marco Rubio, dernière carte maîtresse depuis le forfait de Jeb Bush. John Kasich, attend la mi-mars et l’Ohio dont il est gouverneur. Ben Carson, le neurochirurgien, n’attend plus rien après avoir dominé les sondages, mais reste là, pour d’obscures raisons. Et Ted Cruz, détesté par ses pairs, demeure le seul, à ce jour, à avoir battu Trump (dans l’Iowa). Et quand bien même… « Ils n’ont pas compris que si des candidats se retiraient, une partie de leurs électeurs voteraient pour moi », fanfaronnait le milliardaire il y a quelques jours. A juste titre.

Dans sa grande majorité, l’électorat républicain se dit « en colère » et veut renverser la table. Et il vient de trouver le personnage idéal qui parle à ses « tripes » et qui promet de ne pas faire comme tous les autres « politiciens ». Trump peut l’affirmer puisque personne ne peut le renvoyer à son « bilan » en la matière. Il joue sur du velours. « Trump n’est pas un idiot. Il joue un terrible jeu mais ça n’est pas un idiot », prévient John Nichols, journaliste pour le magazine progressiste The Nation.

A chaque « micro-famille » de la famille républicaine, il dit ce qu’elle a envie d’entendre. Aux « nativistes », il dit que les Mexicains sont des violeurs. A destination de la frange droitière de la classe ouvrière, il lance des diatribes contre les accords de libre-échange. Pour séduire les libertariens isolationnistes, il s’en prend aux guerres de Bush. Il flatte les « chrétiens évangélistes » en promettant de bloquer les musulmans à la frontière. Et ainsi de suite.

Trump s’affranchit allégrement de la « bible » du parti républicain, dont de plus en plus d’électeurs se moquent puisque, de toute façon, elle n’a pas empêché le monde de changer (changements démographiques dans le pays, déclin relatif de la puissance US dans le monde) et Obama d’être élu et réélu… Donc, pourquoi pas Trump plutôt qu’un autre Bush, qu’un autre McCain, qu’un autre Romney ?

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Eli Zaretsky: « Le rôle de la gauche a été central dans l’Histoire des Etats-Unis »

(Entretien avec l’historien américain réalisé à New York le 9 février et publié dans l’Humanité des débats du 19 févier)

Un candidat qui se décrit comme socialiste a remporté pour la première fois un scrutin qui se déroule dans le cadre des élections primaires aux Etats-Unis. On parle évidemment de Bernie Sanders dans le New Hampshire. Considérez-vous qu’il s’agisse là d’un moment historique ?

Eli Zaretsky. Oui. Depuis les années 1970, tout a été fait pour maintenir la gauche, pas seulement d’ailleurs ceux qui se réclament du socialisme, en dehors du champ de la politique américaine, pour la rendre illégitime. Sanders a été l’un des seuls responsables à tenir ferme sur ses positions à travers toutes ces années. Donc, c’est historique en ce sens. Mais ça l’est également d’un autre point de vue. L’anticommunisme a joué un rôle puissant dans la politique américaine. Or, là, cette carte n’a pas été jouée contre Sanders, on ne l’a pas taxé de « rouge ». Il a été attaqué sous un angle pratique – « il n’arrivera pas à mettre en œuvre ce qu’il promet » – mais pas sous l’angle « c’est un communiste. » Le temps a suffisamment passé pour que l’anticommunisme ne puisse plus jouer ce rôle dans la politique américaine.

 

Bernie Sanders reproche à Hillary Clinton de ne pas être une « progressiste. » La droite les considère tous deux comme des « libéraux ». Pour rendre les choses claires, pouvez-vous nous expliquer les différences aux Etats-Unis entre ces termes ?

Eli Zaretsky. La principale tradition à gauche aux Etats-Unis est « libérale » mais ça n’a pas le même sens qu’en France. Quand les grandes compagnies ont émergé, est née, en réaction, l’idée du « progressisme ». Theodore Roosevelt (président républicain des Etats-Unis de 1900 à 1908 puis candidat malheureux en 1912 sous l’étiquette progressiste, NDLR) était progressiste. C’était un mouvement de classe moyenne d’adaptation au contexte nouveau d’émergence des trusts. L’un des changements produits par ce mouvement a justement été de briser ses trusts, de les réguler.

Dans les années 1930, est intervenu le New Deal, une reformulation robuste du « progressisme ». Roosevelt était un progressiste lorsqu’il est arrivé à la Maison Blanche mais sa politique a été tout autre chose. Le « New Deal » n’était pas un mouvement de la classe moyenne, il était universaliste, relié à la classe ouvrière, aux Noirs. Même si le New Deal n’a pas assez avancé sur les droits civiques, il s’est montré bien plus avancé sur le sujet que les séquences précédentes. Le New Deal a permis au mouvement des droits civiques d’émerger en son sein, avec des personnes comme W.E.B Du Bois (militant et intellectuel communiste, considéré comme le père du mouvement des droits civiques, NDLR) ou Philip Randolph (militant socialiste, créateur du premier syndicat noir en 1935, NDLR).

Comme le New Deal est allé beaucoup plus loin que le progressisme traditionnel, on a alors créé le terme « liberal », en référence aux « nouveaux libéraux » de Grande-Bretagne qui croyaient en l’Etat-Providence. Depuis les années 40, « liberal » signifie un adepte du New Deal, favorable à l’intervention de l’Etat pour contrer le pouvoir du capital mais qui n’est pas socialiste pour autant.

Dans les années 80, les républicains ont attaqué le terme « liberal ». Puis, les Clinton, qui dominaient le parti démocrate dans les années 90, n’ont pas défendu l’appellation et se sont définis comme seulement progressistes. Obama aussi, dans la foulée. Mais, au regard de l’Histoire, « progressiste » est un mot très faible. Hillary est une « progressiste » qui ne croit pas en l’action de l’Etat tandis que Sanders est un « liberal du New Deal » et apprécie Roosevelt.

 

Les « Millennials », les jeunes de moins de trente ans, constituent la force motrice de la dynamique Sanders. Comment l’expliquez-vous ?

Eli Zaretsky. Franchement, je ne l’aurais pas prédit. C’est vraiment un développement très surprenant. Je me souviens de discussions au début de la campagne avec les étudiants. Ils auraient souhaité que Sanders soit plus jeune…même s’ils le respectaient pour avoir été pendant des décennies le seul « indépendant » du Congrès et avoir assumé son étiquette de « socialiste. » Je n’envisageais vraiment pas à ce moment que cela grandisse d’une telle façon.

La situation des étudiants est vraiment compliquée. Si vous êtes dans les quelques écoles de l’élite, ce sera facile pour vous. Mais pour tous les autres… Ils doivent souvent travailler pour payer leurs études ou s’endetter. L’endettement étudiant est immense (la bulle de l’endettement étudiant est estimée à 1200 milliards de dollars, NDLR). Et à la sortie, pas de job garanti.

Un autre facteur, à mon sens, réside dans la déception à l’égard de Barack Obama. Il n’a pas porté jusqu’au bout les promesses politiques qu’il avait faites. En 2008, les jeunes étaient avec lui et aussitôt élu, il leur a dit en quelque sorte : « OK, maintenant, vous pouvez rentrer, je n’ai plus besoin de vous. Je vais m’en occuper. » En 2016, les jeunes reviennent.

Dernier aspect : Occupy Wall Street, un mouvement extraordinaire qui a incontestablement eu une influence pour préparer le terrain à Sanders, avec ses jeunes militants et son message sur le « 1% » contre les « 99% ».

 

Un mot sur la droite. Qu’est-il arrivé au parti de Lincoln et même d’Eisenhower pour qu’il dérive à ce point ?

Eli Zaretsky. Le parti républicain a été à l’origine un parti de classe moyenne. Au XIXe siècle, le parti démocrate était pro-esclavage, il ne faut jamais l’oublier et, à l’instar du Tea Party aujourd’hui, voulait le moins de gouvernement possible. C’est le parti républicain qui était abolitionniste et qui voulait une intervention publique. A la fin du XIXe siècle, c’est également lui qui a créé ce premier mouvement progressiste dont j’ai parlé.

Les démocrates ne sont devenus progressistes qu’au moment du New Deal. Si l’on veut comprendre la politique américaine, la matrice c’est le New Deal et son succès, à la fois en termes de réformes sociales et d’alliance avec l’URSS qui a abouti à la destruction du nazisme. Ce qu’est le parti républicain aujourd’hui représente, historiquement, une réaction au New Deal. Certains estiment que c’est aussi une réaction au mouvement des droits civiques (qui a abouti à la signature de la loi sur les droits civiques en 1964 par le président démocrate Lyndon Johnson, NDLR) puisque les blancs du Sud sont passés du parti démocrate au parti républicain. Ce n’est pas faux mais les racines les plus profondes plongent dans les années 30.

Ce qui a fait la force du parti républicain, c’est la faiblesse, me semble-t-il, du parti démocrate qui a glissé petit à petit vers la droite. Cela a commencé un peu sous Truman, a continué dans les années 70 et a abouti aux « nouveaux démocrates » des années 90 (dont se revendiquaient les Clinton, NDLR). Ce glissement s’est effectué par l’acceptation de deux idées de base que j’associe à la droite.

Première idée : affirmer que nous avons besoin de croissance. Non pas de redistribution, pas de politiques sociales qui bénéficient aux pauvres, mais simplement de croissance dont tout le monde profiterait. Ce qui est faux car la croissance créé des inégalités. Seconde idée : l’anticommunisme. En la matière, les démocrates ont voulu se montrer plus forts que les républicains. Quand vous adoptez les idées de base de votre adversaire (ce que Bill Clinton appelait la « triangulation », NDLR), vous le renforcez, c’est assez basique.

Barack Obama a, de mon point de vue, été un président faible qui a laissé la droite dominer sa présidence. La réforme de la santé en est un bon exemple. Obama n’a jamais défendu, comme le fait Sanders dans sa campagne, la santé en tant que droit. Il a mené sa réforme sur l’idée qu’elle allait faire baisser les coûts. En politique, les arguments économiques sont toujours faibles. Il y a alors eu un débat sur le coût des six derniers mois de la vie d’une personne qui s’avèrent être les plus élevés. Donc la droite a attaqué en disant qu’il y allait avoir des décisions bureaucratiques de commissions qui décideraient de ceux qui auront des soins et d’autres non…

 

Vous écrivez dans votre livre « Left » que « la gauche a été centrale dans l’histoire américaine » et que « l’égalité est une valeur centrale » du pays. Cela peut surprendre un lecteur français. Expliquez-nous.

Eli Zaretsky. Mon idée est la suivante. La gauche n’a pas eu un rôle central en permanence. Il peut se passer des décennies sans qu’il ne se passe rien de ce point de vue. C’est même le grand problème que nous avons aux Etats-Unis : l’incapacité à assurer la permanence d’une gauche. La nature de la gauche américaine est d’émerger dans des moments puis de disparaître. Mais elle joue un rôle majeur lors des grandes  crises. Je ne parle pas que de crises économiques ou de guerres mais de crises « morales » où l’identité du pays est en jeu. Dans ces moments de crise, le pays ne sait plus vraiment où sont ses valeurs ni quelles directions il doit prendre.

Prenons l’exemple de la guerre de Sécession. Il y avait une décision assez simple à prendre, comme l’a posé Abraham Lincoln : fallait-il que le pays continue à être composé pour moitié d’hommes libres et pour autre moitié d’esclaves ou le pays devait-il devenir un ensemble d’hommes libres, ce que fondamentalement, il devait être ? Cela posait des questions assez simples sur nos valeurs et sur le fait qu’une démocratie basée sur la liberté pouvait être compatible avec l’esclavagisme. Cette question a surgi en raison du développement du pays lui-même. Personne ne s’est levé un jour pour dire qu’une question se posait. C’est le mouvement lui-même qui a posé cette question. Le pays venait de sortir de la guerre avec le Mexique (en 1848, NDLR), il avait acquis des nouveaux territoires (la Californie, le Texas, l’Arizona, le Nouveau-Mexique, le Nevada, l’Utah et le Colorado, NDLR) et se trouvait en pleine expansion.

Le problème pouvait être résolu de deux manières différentes : vous pouviez libérer les esclaves mais ne pas en faire des égaux ou vous pouviez en faire des êtres libres et égaux. Presque tout le monde optait pour la première solution. Les abolitionnistes ont poussé pour que la solution égalitaire soit adoptée. Au début, les abolitionnistes, la première gauche, ont été taxés d’extrémistes. Puis ils se sont trouvés au milieu de la scène. C’est représentatif de ce que la gauche américaine est.

Le même style de processus s’est déroulé pendant le New Deal. La gauche a été utile pour que les nouvelles politiques économiques et sociales reposent sur des droits effectifs pour les citoyens. Je redis, en passant, que c’est l’argumentation centrale de Sanders : la santé est un droit, l’éducation est un droit.

Prenons la troisième grande crise, que je situe dans les années 60 et dans laquelle nous sommes toujours, la crise du néolibéralisme. Des questions ont émergé comme le rôle des femmes. Il y a deux façons de voir les droits des femmes : méritocratique ou égalitaire. La première s’attache à ce que les femmes ne soient pas discriminées dans le travail et qu’elles puissent occuper des fonctions dirigeantes. La seconde s’attaque à toutes les facettes de la condition de la femme, de la santé à l’éducation.

Je pense que les Etats-Unis sont en train de traverser une telle crise disons depuis le 11 septembre 2001. Le pays a donc besoin d’une gauche dans ce moment.

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A Las Vegas, Hillary Clinton remporte la mise mais…

Victoire avec six points d’avance pour l’ancienne secrétaire d’Etat mais sa stratégie reposant sur les « minorités » s’avère comporter une faiblesse.

Le « pare-feu » d’Hillary Clinton s’est montré efficace. Le « pare-feu » (firewall), c’est le nom donné par son directeur de campagne aux « minorités », censés lui être plus favorable que l’électorat blanc. Après une victoire sur le fil dans l’Iowa et une lourde défaite dans le New Hampshire, deux Etats à 90% blancs, les résultats dans le Nevada à la composition de la population beaucoup plus diverse semblent lui donner raison. L’ancienne secrétaire d’Etat l’emporte avec 53%, comme le prévoyait le dernier sondage publié samedi matin. Alors que pour la première fois, vendredi, un sondage national (certes réalisé par la très conservatrice Fox News http://www.foxnews.com/politics/interactive/2016/02/18/fox-news-poll-national-presidential-race-february-18-2016/  dont l’intérêt est d’affaiblir celle qui est toujours considérée comme la plus probable nominée démocrate) donnait Sanders devant (47-44), cette victoire signifie qu’elle dispose toujours d’un avantage national. Elle y puise aussi un surplus de dynamique pour la prochaine étape, samedi prochain : la Caroline du Sud, où le « pare-feu » est encore plus puissant, avec notamment une forte implication des électeurs africains-américains. Voilà donc Hillary Clinton rassurée. Même si elle doit constater la persistance de ses points faibles : elle ne suscite toujours pas l’enthousiasme de la jeunesse (Sanders a remporté 82% du vote des moins de trente ans et 62% des 30-44 ans), les électeurs démocrates la considèrent toujours comme moins honnête et moins proche des gens que son concurrent et n’élargit pas son cercle de soutien au-delà des électeurs traditionnels démocrate tandis que la dynamique de la campagne de Bernie Sanders incite des nouveaux venus à plonger dans le processus électoral. Bref, elle domine car elle apparaît comme la candidate la plus expérimentée, la plus sérieuse et la plus à même de remporter l’élection présidentielle de novembre prochain. La force de sa candidature repose sur des électeurs démocrates de longue date, membres des classes moyennes et dont l’âge dépasse 45 ans. Et, donc, sur le fameux « pare-feu ». Mais… Un sondage réalisé à la sortie des urnes par la chaîne de télévision CBS (http://www.nbcnews.com/politics/2016-election/primaries/NV) révèle pourtant une donnée inattendue : le « firewall » est en fait monocolore. Hillary Clinton doit sa victoire dans le Nevada aux Africains-Américains (13% de l’électorat) qui ont voté pour elle à 76% lui apportant un gain brut de 7% alors qu’elle l’emporte de 6%… Les blancs (59% de l’électorat) ont coté Sanders (49-47) et surtout, les Latinos (19% de l’électorat) ont aussi privilégié le candidat socialiste (53-45). La nette différence ne laisse aucun doute sur le fait que le discours de Sanders sur les inégalités économiques, le SMIC à 15 dollars, l’université gratuite, a trouvé un écho parmi cet électorat, à la composition populaire plus prononcée que la moyenne.

Quelle implication pour la suite ? Hillary Clinton remportera très probablement la Caroline du Sud samedi prochain. Le seul enjeu demeure la marge de sa victoire. Mais, ensuite, si la percée de Sanders se confirme parmi les Latinos, cela mettra un certain nombre d’Etats en jeu alors qu’ils semblaient être promis à Hillary Clinton.

Dernier élément qui dit que la course n’est pas jouée : si elle confirme que Clinton dispose toujours d’une avance au plan national, la marge de la victoire dans le Nevada indique qu’elle n’est beaucoup moins importante qu’il y a peu. Nate Silver, le grand spécialiste du New York Times pour les élections, a bâti deux scénarios : (http://fivethirtyeight.com/features/bernie-sanderss-path-to-the-nomination/). L’un où Clinton dispose de douze points d’avance au niveau national. Un autre où ils sont à égalité. Le résultat du Nevada prouve que l’on se situe plus près du second. Ce qui signifie qu’un grand nombre d’Etats (dont la Californie et New York) seront très disputés. Le premier test grandeur nature aura lieu le mardi 1er mars avec le « super Tuesday » : onze Etats votent le même jour.

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A Las Vegas, rien ne va plus pour Hillary Clinton

 

Dans le Nevada qui vote samedi 20 février, l’avance de la favorite des sondages a fondu comme neige au soleil.

Le Nevada est un Etat qu’Hillary Clinton « devrait » remporter. Les guillemets et le conditionnel sont ici d’importance. Et Nate Silver a bien pesé ses mots. Nate Silver est le « Mr Election » du New York Times. Le site sur lequel il développe ses analyses, torture les chiffres pour leur faire rendre sens est l’un des plus courus de la campagne (http://fivethirtyeight.com/). Et, à quelques heures du scrutin, il en est là : « devrait ».

Hillary Clinton « devrait » en effet remporter le « caucus » (scrutin réservé aux seuls démocrates) du Nevada car elle a, ici, une antériorité (elle y a battu Barack Obama lui-même en 2008) et une avance dans les sondages depuis le début de la campagne (entre 20 et 40 points !). Elle « devrait » car le Nevada fait partie de son « firewall », son « pare-feu » face à l’émergence de Sanders . C’est ainsi que les stratèges clintoniens nomment ces Etats où la proportion des minorités (africains-américains, latinos) est plus élevée. Elle y a tissé des liens de longue date, elle y a le relais et le soutien de l’establishment démocrate local (le sénateur Harry Reid, la majorité des élus locaux) face à un Bernie Sanders qui accuse un terrible déficit de notoriété. « Qui est Bernie Sanders ? », est la question que l’on me pose à chaque porte à laquelle je frappe », confiait il y a quelques jours un militant latino pro-Sanders. Eh oui, les Etats-Unis sont un immense pays et la victoire historique de « Bernie » dans le New Hampshire (http://www.humanite.fr/reccord-de-voix-dans-une-primaire-au-new-hampshire-pour-le-socialiste-sanders-598940) n’a pas forcément eu d’écho à 4000 kilomètres de là.

Donc, Clinton « devrait… ». Mais, si l’on en croit les sondages (http://edition.cnn.com/2016/02/17/politics/hillary-clinton-bernie-sanders-nevada-poll/) comme les retours du terrain (https://twitter.com/NicholsUprising/status/698998981993455616 et https://twitter.com/LucyFlores/status/698969735661158402), Sanders est en train de rattraper son retard. Deux de ses propositions font particulièrement mouche : le SMIC à 15 dollars et la gratuité de l’université. L’électorat démocrate du Nevada (en fait de Las Vegas qui représente les trois quarts de la population) est majoritairement constitué de salariés du secteur du service (hôtellerie, restauration, santé) souvent latinos. Leur vie quotidienne est rendue difficile par des salaires faibles (le smic ne dépasse pas le niveau fédéral de 7,25 dollars de l’heure, soit une misère) et l’avenir de leurs enfants se trouve obstrué par les coûts de plus en plus exorbitants des études supérieures. C’est donc ici que le discours de Sanders parle à ceux qui étaient supposés assurer à Hillary Clinton une victoire dans un fauteuil. Pour ajouter un peu de piment, il se trouve que le New York Times, dans un éditorial, a appelé Hillary Clinton à défendre comme Sanders le SMIC à 15 dollars (http://www.nytimes.com/2016/02/17/opinion/hillary-clinton-should-just-say-yes-to-a-15-minimum-wage.html?partner=rssnyt&emc=rss). Le coup est rude pour celle qui a pris  position pour une augmentation à douze dollars, prétextant d’une infaisabilité d’un SMIC à 15 dollars, pourtant une réalité dans un nombre grandissant de villes (http://www.humanite.fr/le-grand-chelem-du-smic-556883 et http://www.humanite.fr/seattle-la-ville-qui-ouvre-la-voie-au-smic-horaire-15-dollars-556176). De la part d’un journal qui lui apporte officiellement son soutien, en plus. Signe que les jeux ne sont pas faits : les syndicats, très puissants dans cet Etat, ont choisi de ne soutenir aucun des deux candidats, au grand dam de l’équipe Clinton.

Le « firewall » se fissure, se fissure. Jusqu’où ?

 

 

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Quand le socialiste Sanders bat le nombre de voix recueillies dans une primaire du New Hampshire

Dans un Etat qui n’est pas un bastion progressiste, le sénateur du Vermont règle le problème de son « éligibilité » et catalyse une mobilisation grandissante. Jusqu’où ?

Si on voulait verser dans le style ampoulé, on écrirait : l’Histoire ne fait pas les choses à moitié. En effet… Bernie Sanders est le premier candidat qui se définit comme « socialiste » à remporter une étape des élections primaires. En soi, voilà déjà un moment politique unique. Mais c’est l’ampleur de cette victoire qui lui confère définitivement son estampille « historique ».

Face à une ancienne First Lady et ancienne secrétaire d’Etat, soutenue par l’appareil démocrate, il remporte 60% des suffrages contre 38% à son adversaire (qui, rappelons-le, avait 50% d’avance au début de la campagne). Il domine dans toutes les catégories, parfois de manière « plébiscitaire » : 83% des voix chez les moins de 29 ans, 66% chez les 30-44 ans, 65% chez ceux qui gagnent moins que le revenu médian, 55% chez les 45-64 ans et même 55% chez les électrices, alors qu’Hillary Clinton mène notamment campagne sur le thème de « la première présidente du pays. » Cette dernière ne l’emporte que chez les plus de 65 ans et ceux qui gagnent plus de 200000 dollars par an.

Plus encore : Bernie Sanders est le candidat qui a recueilli le plus de voix de toute l’histoire des primaires du New Hampshire. 151.000 électeurs (décompte sur 97% des bulletins dépouillés). Ceux qui complètent le « top 5 » :

Hillary Clinton en 2008 : 112.400 voix

Barack Obama en 2008 : 104.815

Mitt Romney en 2012: 97.591

John McCain en 2008: 88.500

Sanders rassemble un tiers d’électeurs de plus que Clinton en 2008, numéro 2 au classement, alors que la population n’a évolué que de quelques milliers de personnes.

Cette année, l’Etat compte 1,326 millions d’habitants, selon les données les plus récentes (soit l’année 2014) du recensement, environ 1,1 million d’électeurs éligibles (tous ceux en âge de voter) et très officiellement, au 31 décembre, 873 932 électeurs enregistrés qui se répartissent ainsi (229.202 démocrates, 260.896 républicains et 383.834 « indépendants »). Pour participer à la primaire dans le New Hampshire, il faut s’enregistrer et se déclarer mais on peut s’enregistrer le jour même du vote. 525.000 électeurs ont participé aux primaires des deux camps.

Bernie Sanders a donc recueilli dans le cadre d’une primaire 17,2% de l’ensemble des électeurs enregistrés et 28,9% de ceux qui se sont déplacés pour choisir entre dix candidats (deux démocrates et huit républicains).

Ca fait beaucoup de chiffres comme dirait certains de mes amis. Mais ça vaut le coup, quand même pour saisir l’ampleur de la mobilisation créée autour de sa candidature. A titre de comparaison (un peu faussée mais c’est juste pour donner une idée), lors de la primaire du PS en 2011, dans un département de poids démographique équivalent (le Val-de-Marne comptait 1,33 millions d’habitants cette année-là), François Hollande avait recueilli 20.000 voix et l’ensemble des candidats, 56.297 voix. Rappel : Sanders, 148.000…

Cela apporte une pierre au débat sur le fait de savoir si Sanders est « éligible », question soulevée par l’équipe de campagne de Clinton (notons au passage qu’elle a perdu 20000 voix en huit ans dans cet Etat). Celle de Sanders répond désormais que le sénateur du Vermont est le mieux à même de rassembler le cœur de l’électorat démocrate et au-delà. La preuve par le vote de mardi…

L’argument de la proximité avec l’Etat du Vermont dont il est sénateur ne tient pas une seule seconde, comme l’a rappelé un article du New York Times. Le Vermont est un Etat progressiste, l’un des plus à gauche du pays, tandis que le New Hampshire relève plus d’une culture « libertarienne » (on ne paie pas d’impôt dans cet Etat où la devise est « vivre libre ou mourir »). Pour poursuivre dans l’aller-retour indicatif avec la France, suffit-il à Nicolas Sarkozy d’être des Hauts-de-Seine pour réaliser de bons scores en Seine-Saint-Denis ?

Bref, pour n’en rester qu’à Sanders : en anglais électoral, cela s’appelle un « momentum ». Un « élan », une « dynamique », qui vont dans quelques semaines affronter deux challenges plus compliqués, le Nevada et la Caroline du Sud, où Hillary Clinton est donnée largement favorite.

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En campagne avec les acteurs de la révolution Sanders

(Article publié dans l’Humanité du 9 février, le jour du vote qui a débouché sur une large victoire de Sanders, on y reviendra très vite.)

Dans l’Iowa, le candidat qui se proclame socialiste a recueilli 83% des suffrages des moins de trente ans. Dans le New Hampshire, ces mêmes jeunes constituent la force la plus militante et engagée de sa campagne de terrain.

Ils sont jeunes. Ils sont à l’image d’une Amérique devenue multicolore : blancs, noirs, latinos, asiatiques, métis. Ils sont souvent étudiants. Ils mènent leur première campagne électorale. Et ces « Millennials » (surnom donné à ceux qui ont aujourd’hui moins de trente ans) se mobilisent pour un candidat socialiste de 74 ans. En plus de cela, ils n’ont pas froid aux yeux. La preuve.  «Si je peux me permettre de rectifier, intervient posément Ben, petite barbichette brune à la D’Artagnan. Nous faisons campagne pour une révolution politique portée par un candidat socialiste de 74 ans et des millions d’autres personnes, dont de très nombreux jeunes. Nous avons d’ailleurs créé un hashtag NotMeUs(PasMoiNous).»

Comme si la génération du millénaire reprenait le flambeau des années 60 que la « révolution conservatrice » de Reagan n’a pas réussi à totalement éteindre. Dans l’Iowa, Bernie Sanders a perdu d’un cheveu mais il a emporté 84% du vote jeune. Dans le New Hampshire, où est organisée aujourd’hui la première primaire (le vote dans l’Iowa n’était réservé qu’aux militants du parti) du cycle présidentiel, la participation de la nouvelle génération de citoyens américains sera décisive pour l’avenir de cette « révolution politique. »

Pour Sarah, tout a commencé par un quizz sur Internet, l’été dernier, l’été de ses 18 ans. Quelle personnalité politique était la plus proche de ses idées ? Un nom, dont elle avait à peine entendu parler, est apparu sur son écran: Bernie Sanders. Depuis, elle a changé trois fois de couleur de cheveux (violet, blond et désormais roux) mais pas de choix : elle veut « Bernie for president ». « Je veux surtout une démocratie restaurée où les responsables politiques ne peuvent pas être achetés par des compagnies », argumente-t-elle. Originaire du Massachussetts voisin, elle mène ses études à l’Université du New Hampshire à Durham et c’est là qu’elle votera. Sur le campus, elle participe à l’une des 220 sections universitaires de « Sanders 2016». Avec Céline et Faye, entre autres, elle fait le tour des dortoirs pour s’assurer que le « turn out » (la participation) sera au rendez-vous.

Transformer l’enthousiasme en vote : c’est également la mission de Michael, 25 ans. Vendredi dernier, lors d’un meeting tenu à Exeter malgré d’abondantes chutes de neige qui n’ont apparemment rebuté personne, les participants avaient à peine le temps de défaire les flocons de leurs manteaux et chevelures qu’il leur demandait noms et contacts à des fins de relance dans la dernière ligne droite. Electeur d’Obama en 2008, ce petit-fils d’immigré italien entame sa première campagne comme militant. « Si la participation est forte, cela veut dire que notre mouvement a revigoré la démocratie, indique-t-il. Ce ne sera qu’une première étape. Et même s’il n’obtient pas la nomination, Sanders a changé la tonalité de la discussion politique nationale sur tous les sujets : gratuité des frais d’inscription scolaire, création d’une sécurité sociale universelle, dénonciation des inégalités, chasser l’argent de la politique. » Au milieu des vieux bois centenaires de l’Hôtel de ville, Michael a croisé Jo, 18 ans, et a souri. Le jeune lycéen de l’Exeter Academy arborait ce jour-là un pull rose frappé du mot « féministe ». Quarante-huit heures auparavant, il se tenait, avec une dizaine d’autres jeunes, face à ce même bâtiment où Donald Trump venait donner un meeting façon « town hall », c’est-à-dire avec des questions des personnes présentes. Anecdote : une dame a pris le micro pour contester la vision paranoïaque de l’immigration du milliardaire nationaliste qui a eu comme répartie : « Qui vous envoie ici, c’est Sanders ?»

Sanders, celui qui donne le « la » de la campagne et qui domine dans les sondages locaux. Les plus récentes lui donnent entre dix et vint points d’avance sur Hillary Clinton. Dante Scala, professeur de sciences-politiques à l’UNH, avoue qu’il est « déconcerté » face à de tels scores annoncés. « Je pensais bien que Sanders allait bien se tenir ici mais pas à un tel niveau ». Un tel niveau qui  ne peut être possible, outre le soutien des jeunes, sans « l’adhésion de la classe ouvrière blanche. C’est tout sauf normal ici surtout pour un progressiste insurgé», commente l’universitaire.

Samedi, Sarah, Joe et Michael ont participé à une opération géante de mobilisation électorale, du porte à porte à la relance téléphonique. A Concord, capitale de l’Etat, alors que Matt, Mark, Eric, Greg, Lou et Nanou forment l’équipe qui part du QG de Sanders situé dans la zone commerciale, à quelques centaines de mètres de là, on s’apprête à faire les 3x3x3. Trois équipes de trois heures pendant trois jours. La direction nationale du syndicat SEIU a apporté son soutien à Hillary Clinton mais le « local 1984 » qui syndique les employés territoriaux du New Hampshire a choisi Sanders. « La force motrice de la campagne du sénateur Sanders, ce sont les gens. Savoir jusqu’où elle peut aller sera déterminée par la quantité de personnes qui s’impliquent. Si nous votons en masse et bien nous devenons une force politique », argumente John Hattan, secrétaire du syndicat.

En quelques mois à peine, cette candidature annoncée dans le quasi-anonymat, a débouché sur la construction d’une organisation électorale sans équivalent hormis celle de Barack Obama en 2008. Dans le New Hampshire, dont la population équivaut à la moitié de celle de Paris, « Bernie for president » ce sont 7200 volontaires et 108 « staffs » (permanents). L’embauche de ces derniers –essentielle pour une organisation – est rendue possible par une levée de fonds unique dans l’histoire électorale du pays (lire l’encadré ci-contre).

Face à la percée du « challenger », Hillary Clinton ne trouve pas la riposte. Coincée par sa stratégie de défense du bilan d’Obama afin de s’assurer du vote africain-américain, son supposé meilleur « pare-feu ». Empêtrée dans l’affaire de ses discours dispensés aux grandes banques de Wall Street contre des centaines de milliers de dollars. Dans les débats télévisés et en meeting, comme la semaine dernière dans le gymnase d’un collège de Manchester, la principale ville de l’Etat, elle tente d’abattre ses cartes-maîtresses: expérience, réalisme, femme candidate. « Le fait qu’elle soit une femme est important mais le plus important est qu’elle soit qualifiée », expose Annie, une petite blonde retraitée venue de New York  pour aider la campagne. Elizabeth, soutien d’ « Hillary » depuis 2008 a, elle, plutôt tendance à renvoyer tous les questionnements concernant sa candidate – ses changements de position, sa proximité avec la finance – à une forme de sexisme déguisé : « C’est une femme suprêmement intelligente. Alors on ne le supporte pas et on lui fait tout porter… ». Mais elle n’est pas aveugle au point de ne pas voir que le coup est mal embarqué, ici au moins. « Certains lui ont conseillé de laisser tomber le New Hampshire et de préparer la Caroline du Sud mais elle a refusé. »

L’ancienne secrétaire d’Etat continue de sillonner l’Etat participant à une chorégraphie politique sans équivalent, de 8h du matin à 11 heures du soir, de candidats au contact direct de leurs électeurs. Ici, une cafétéria de lycée. Là, une usine. L’exercice se rapproche plus de la démocratie de proximité que du barnum « à l’américaine ».

Au-delà du « décor », ce qui domine, côté républicains, c’est la pièce jouée qui pourrait être titrée : « La grande dérive ». Suivre, dans la même journée, Jeb Bush puis Ted Cruz, Marco Rubio ou Donald Trump, c’est s’assurer un voyage dans le temps. Le « frère de… », c’est un parti républicain à l’ancienne, à la Reagan. Sur ses affiches, il a tenté de faire oublier son nom de famille. Sur fond rouge, il est juste écrit : « Jeb ! » Mais en débat avec les étudiants de l’Université Colby-Sawyer de New London, il ne peut pas échapper à la réalité : « Je suis un Bush et j’en suis fier. Je fais partie de l’establishment. Mais j’ai une vie aussi.» Républicain « classique », il critique l’Etat et les impôts mais il développe des plans en trois points pour régler tous les grands problèmes du pays et reconnaît certaines réalités (le changement climatique, la persistance du racisme). « Jeb » est un homme de raison. De droite mais de raison.

Ted Cruz, sénateur du Texas et vainqueur du premier round en Iowa, lui, est un homme d’ultra-droite et psychotique, obsessionnel. Nous sommes allés l’écouter à Hooksett, petite ville jadis industrielle (textile et briques) aux bords d’une rivière. Il avait choisi comme lieu de rencontre le Robie Country Store, une épicerie générale du XIXe siècle transformée en restaurant, avec sur les murs, affiches de campagne (de Goldwater 1964 à Reagan 1980), des ustensiles de pêche, quelques armes à feu. Bref, l’Amérique laborieuse et traditionnelle. La pluie du jour était glaçante. L’argumentation aussi. Cruz a une solution : « C’est le génie de la Constitution qui va nous retirer du bord du précipice ». Pour « restaurer » l’Amérique, il n’a que des plans en deux points, toujours les mêmes: supprimer et abolir. Supprimer le département de l’Education. Supprimer l’administration fiscale. Abolir la réforme de la santé d’Obama. Abolir la progressivité de l’impôt. Entre chaque proposition, surgissent des « Yeah », des «Amen », et même un « Alleluia ». Ted Cruz, d’origine cubaine et ex-catholique, est devenu un  évangélique « born gain ». Son premier jour en tant que président : mettre fin à la persécution religieuse qui sévit aux Etats-Unis !

La « réaction » incarnée par Trump est plus « nationaliste » que « religieuse », même s’il manie également ce bâton de dynamite. Le milliardaire new-yorkais se grime en porte-parole de l’homme blanc en colère qui veut renverser la table car il ne reconnaît plus son pays. A Exeter, son public est manifestement interclassiste : des deux fils à papa déposés en Porsche au chauffeur routier, chemises à carreaux et casquette aux couleurs de la bannière étoilée. Trump est toujours donné en tête dans les sondages mais l’appareil républicain cherche un homme plus « modéré », moins « cinglé », capable de gagner l’élection générale le 8 novembre prochain. Et le bon « cheval », ce serait lui, Marco Rubio, élu sénateur de Floride, en 2010, avec le vague des Tea Party. Fils d’immigrés cubains, père barman et mère femme de ménage. Un visage de gendre idéal. Sa campagne semble prendre. Dans la cafétéria d’un collège de Salem, il a fait le plein, comme à chaque fois. « Je connais la maison, nous dit un militant blanchi sous le harnais. Je peux vous dire que c’est le bon vieux parti républicain qui est ici : professions libérales, petits patrons, mères de famille. » Et que dit Rubio, l’homme du consensus ? Il affirme que « Dieu est la source de nos droits ». Qu’il abolira l’Obamacare. Annulera l’accord avec l’Iran. Baissera le nombre d’agents des impôts pour augmenter celui des patrouilles de la frontière. Traquera les terroristes qu’il enverra à Guantanamo, sans procès, ni avocat. Le consensus qui s’annonce sera le plus à droite de l’histoire du parti de Lincoln !

Comme le résume John Nichols, qui couvre la campagne pour le magazine progressiste The Nation,  « l’Amérique vire à droite et l’Amérique vire à gauche en même temps. C’est plus vrai que jamais. Cette élection s’annonce vraiment comme un moment-pivot dans l’histoire du pays. »

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Sanders et Trump, figures de la double radicalisation

ImagePolarisation

(Article publié dans l’Humanité du 1er février 2016)

La campagne des primaires commence aujourd’hui dans l’Etat de l’Iowa dans un contexte de polarisation politique des électorats républicain mais aussi démocrate. En toile de fond : accroissement des inégalités et débat sur l’immigration.

La saison  de désignation des candidats des deux grands partis s’ouvre aujourd’hui dans l’Iowa, petit Etat du Midwest peu représentatif du pays. La semaine prochaine, un Etat encore moins peuplé – le New Hampshire – donnera la deuxième note de la « musique » 2016. C’est ainsi. C’est la tradition. Mais cette année, rien de franchement « traditionnel » ne semble se profiler. Côté républicains, un milliardaire outrancier nationaliste (Donald Trump) mène le bal, sous le regard coupablement fasciné des grands médias, juste devant un sénateur texan évangéliste (Ted Cruz) et un sénateur de Floride élu en 2010 sur la vague des Tea Party (Marco Rubio). Un début de campagne républicaine ne s’est jamais autant joué à droite.

Côté démocrate, un sénateur de 74 ans qui se décrit comme « socialiste » (Bernie Sanders) met en grande difficulté l’ultra-favorite (Hillary Clinton). Lors de l’un de leurs débats, les deux responsables se sont affrontés sur le capitalisme, faisant dire à Ted Cruz qu’il avait assisté à une opposition entre « mencheviks et bolcheviks ». « Est-ce que je soutiens le processus capitaliste de casino par lequel si peu ont tant et autant ont si peu ? Non», avait déclaré Sanders. Un début de campagne démocrate ne s’est jamais autant joué à gauche.

Il s’écrit beaucoup de choses sur les deux personnalités – outrancière et quasi-clownesque de Trump,  authentique  et quasi-rigide de Sanders. Certes. Mais ces deux phénomènes politiques nouveaux reposent sur des forces sociales et électorales.

Comme le montre le premier graphique, le mouvement est double. D’un côté, les électeurs républicains glissent vers la droite. C’est le premier mouvement qui a été initié dès les années 1970 avec la « révolution conservatrice », incarnée par Reagan. Le fait est assez bien documenté et renseigné dans la presse française. Ce qui l’est moins : les électeurs démocrates sont de plus en à gauche. Selon trois politologues (McCarty, Poole et Rosenthal), cette polarisation va de pair avec  l’explosion des inégalités (qui retrouve son niveau des années 20) et un fort taux d’immigrés (là aussi, le plus important depuis près d’un siècle). Cette ligne de division politique renvoie à deux Amériques sociologiques. Du côté républicain, l’électeur est blanc, âgé de plus de 50 ans, financièrement installé, plus conservateur que jamais. Du côté démocrate, on trouve une Amérique plus jeune, féminine et multicolore, plus progressiste, celle qui avait porté Obama au pinacle en 2008 et 2012. Entre les deux le choc est total : idéologique, générationnel, culturel, politique. En termes électoraux, le parti démocrate tire les fruits de ces transformations même s’il est loin de répondre aux attentes de ses propres électeurs. Après deux mandats d’Obama, le rapport de forces lui reste favorable comme le montre le deuxième graphique de la colonne de droite : 48% à 39%. Mais la montée en puissance des « indépendants » (1er graphique) indique une insatisfaction grandissante à l’égard des deux grands partis. Ces électeurs ne sont pas des « centristes », car, en général, ils ont des positions fermes sur les grands sujets. Lors des élections, ils votent démocrate ou républicain, seul choix qui leur est laissé mais ils n’en sont pas moins à la recherche d’alternatives au « duopole ». Bernie Sanders est l’un de ses «  indépendants ». Au Sénat, il ne siège pas avec les démocrates même s’il a décidé de briguer l’investiture du parti de l’âne. Sa campagne centrée sur la thématique des inégalités et de Wall Street rencontre un écho parmi la jeune génération (dans les sondages, il recueille 66% des suffrages parmi les moins de 30 ans face à Hillary Clinton). « Bernie » peut s’appuyer sur la radicalisation de l’électeur démocrate : comme le montre le troisième graphique de la colonne, les « libéraux » (au sens américain, soit des progressistes) sont désormais plus nombreux au sein de l’électorat démocrate. A sa façon, Trump est également « indépendant » de l’establishment républicain.

C’est dire, si finalement, l’irruption d’un socialiste et d’un nationaliste reflète les évolutions des mentalités politiques de l’opinion publique américaine.

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