Dans un Etat qui n’est pas un bastion progressiste, le sénateur du Vermont règle le problème de son « éligibilité » et catalyse une mobilisation grandissante. Jusqu’où ?
Si on voulait verser dans le style ampoulé, on écrirait : l’Histoire ne fait pas les choses à moitié. En effet… Bernie Sanders est le premier candidat qui se définit comme « socialiste » à remporter une étape des élections primaires. En soi, voilà déjà un moment politique unique. Mais c’est l’ampleur de cette victoire qui lui confère définitivement son estampille « historique ».
Face à une ancienne First Lady et ancienne secrétaire d’Etat, soutenue par l’appareil démocrate, il remporte 60% des suffrages contre 38% à son adversaire (qui, rappelons-le, avait 50% d’avance au début de la campagne). Il domine dans toutes les catégories, parfois de manière « plébiscitaire » : 83% des voix chez les moins de 29 ans, 66% chez les 30-44 ans, 65% chez ceux qui gagnent moins que le revenu médian, 55% chez les 45-64 ans et même 55% chez les électrices, alors qu’Hillary Clinton mène notamment campagne sur le thème de « la première présidente du pays. » Cette dernière ne l’emporte que chez les plus de 65 ans et ceux qui gagnent plus de 200000 dollars par an.
Plus encore : Bernie Sanders est le candidat qui a recueilli le plus de voix de toute l’histoire des primaires du New Hampshire. 151.000 électeurs (décompte sur 97% des bulletins dépouillés). Ceux qui complètent le « top 5 » :
Hillary Clinton en 2008 : 112.400 voix
Barack Obama en 2008 : 104.815
Mitt Romney en 2012: 97.591
John McCain en 2008: 88.500
Sanders rassemble un tiers d’électeurs de plus que Clinton en 2008, numéro 2 au classement, alors que la population n’a évolué que de quelques milliers de personnes.
Cette année, l’Etat compte 1,326 millions d’habitants, selon les données les plus récentes (soit l’année 2014) du recensement, environ 1,1 million d’électeurs éligibles (tous ceux en âge de voter) et très officiellement, au 31 décembre, 873 932 électeurs enregistrés qui se répartissent ainsi (229.202 démocrates, 260.896 républicains et 383.834 « indépendants »). Pour participer à la primaire dans le New Hampshire, il faut s’enregistrer et se déclarer mais on peut s’enregistrer le jour même du vote. 525.000 électeurs ont participé aux primaires des deux camps.
Bernie Sanders a donc recueilli dans le cadre d’une primaire 17,2% de l’ensemble des électeurs enregistrés et 28,9% de ceux qui se sont déplacés pour choisir entre dix candidats (deux démocrates et huit républicains).
Ca fait beaucoup de chiffres comme dirait certains de mes amis. Mais ça vaut le coup, quand même pour saisir l’ampleur de la mobilisation créée autour de sa candidature. A titre de comparaison (un peu faussée mais c’est juste pour donner une idée), lors de la primaire du PS en 2011, dans un département de poids démographique équivalent (le Val-de-Marne comptait 1,33 millions d’habitants cette année-là), François Hollande avait recueilli 20.000 voix et l’ensemble des candidats, 56.297 voix. Rappel : Sanders, 148.000…
Cela apporte une pierre au débat sur le fait de savoir si Sanders est « éligible », question soulevée par l’équipe de campagne de Clinton (notons au passage qu’elle a perdu 20000 voix en huit ans dans cet Etat). Celle de Sanders répond désormais que le sénateur du Vermont est le mieux à même de rassembler le cœur de l’électorat démocrate et au-delà. La preuve par le vote de mardi…
L’argument de la proximité avec l’Etat du Vermont dont il est sénateur ne tient pas une seule seconde, comme l’a rappelé un article du New York Times. Le Vermont est un Etat progressiste, l’un des plus à gauche du pays, tandis que le New Hampshire relève plus d’une culture « libertarienne » (on ne paie pas d’impôt dans cet Etat où la devise est « vivre libre ou mourir »). Pour poursuivre dans l’aller-retour indicatif avec la France, suffit-il à Nicolas Sarkozy d’être des Hauts-de-Seine pour réaliser de bons scores en Seine-Saint-Denis ?
Bref, pour n’en rester qu’à Sanders : en anglais électoral, cela s’appelle un « momentum ». Un « élan », une « dynamique », qui vont dans quelques semaines affronter deux challenges plus compliqués, le Nevada et la Caroline du Sud, où Hillary Clinton est donnée largement favorite.