Archives mensuelles : mars 2016

La Californie devient le paradis du SMIC

(Article publié dans l’Humanité du 30 mars)

Le plus grand Etat américain, huitième économie du monde, va instituer un salaire minimum à 15 dollars de l’heure.

 

Emue, Holly Dias a posé son épaule sur celle de Jerry Brown qui l’a enlacée. La salariée de Burger King et le gouverneur du plus puissant Etat américain, la Californie. De la matière pour une romance hollywoodienne, célèbre production locale. En fait, cette étreinte symbolise la saga sociale et politique la plus populaire du moment : le combat pour un SMIC à 15 dollars.

Lundi de Pâques, Jerry Brown, le gouverneur démocrate de Californie a annoncé qu’il allait présenter à la législature de l’Etat une mesure qui permettra de porter le salaire minimum à 15 dollars de l’heure (contre 10 actuellement), soit le double du minimum fédéral (7,25). Le SMIC sera augmenté progressivement jusqu’en 2022 où il atteindra la barre des 15 dollars. Les PME de moins de 25 salariés disposeront de deux années supplémentaires pour s’y conformer puis, à partir de 2024, le SMIC de l’Etat sera indexé sur l’inflation. La Californie, huitième économie de la planète, deviendra l’endroit au monde où le salaire minimum sera le plus élevé.

Un tiers du salariat californien, soit près de 6 millions de personnes, bénéficieront de cette avancée sociale. Parmi celles-ci : Holly Dias, donc. Présente lors de la conférence de presse organisée par Jerry Brown pour annoncer l’accord trouvé avec les syndicats, elle a déclaré : « Je voudrais remercier tous les travailleurs qui se sont battus pour eux-mêmes et leurs familles en revendiquant un SMIC à 15 dollars. » Tout est en effet parti d’eux, ces salariés de fast food, dans un modèle de « bottom up », comme on dit outre-Atlantique, c’est-à-dire d’une campagne de terrain qui part du bas (bottom) et agit sur le haut (up).

En novembre 2012, une centaine de salariés de ce secteur à New York déclenchent une grève et quantifient leur revendication : 15 dollars de l’heure. Barack Obama venait de remporter l’élection présidentielle mais les Républicains avaient réussi à maintenir leur majorité à la Chambre des représentants. Quelques semaines plus tard, le premier allait appeler les seconds à donner un coup de pouce à un salaire minimum fédéral famélique (7,25). Et, sans surprise, les apôtres du laissez-faire y répondraient par l’inaction.

Pour les travailleurs souvent pauvres, la réponse ne pouvait venir que du « bottom » : ville après ville, le « fight for 15 » ouvre des sections, reçoit l’appui des syndicats traditionnels, met la pression sur les élus. A Seattle, ils font une étonnante rencontre : Kshama Sawant, une candidate socialiste, d’obédience troskyste, au conseil municipal qui mène toute sa campagne sur ce thème. A la surprise générale, elle est élue, le 5 novembre 2013, face au démocrate sortant. Dans l’enceinte feutrée de l’assemblée municipale, elle fait entrer la voix de Julia, Terran, Sam, Hana ou Iesha qui ont mis la friteuse et le grill sur « off » pour réclamer un salaire décent. La campagne est orchestrée par le local 775 du syndicat SEIU (Service Employees International Union). A la baguette : David Rolf, qui, en 1998, avait organisé la syndicalisation de 74 000 personnes du secteur de la santé à Los Angeles, la plus massive campagne d’adhésion depuis la syndicalisation de l’usine Ford de Rivière-Rouge en 1938. La combinaison d’une campagne politique et d’un mouvement social énergique menée par des salariés sous-payés et non-syndiqués s’avère gagnante: quelques mois plus tard, le SMIC à 15 dollars est adopté par les élus. Il devient la loi pour tous les salariés de l’une des principales villes de la côte pacifique.
Pour le syndicaliste David Rolf, interrogé par l’Humanité en octobre 2014, « en relançant massivement la demande par l’instauration d’un Smic à 15 dollars, nous offrons une alternative au “trickle down”, la théorie de l’offre, qui veut que plus on met d’argent par le haut, plus cela ruisselle vers le bas. C’est une réponse concrète au creusement des inégalités. Réponse construite à partir des villes et des Etats face au blocage de la machine à Washington. »Toujours pour l’Humanité, Kshama Sawant en tirait ces leçons politiques : « C’est un point de départ. D’abord, c’est une ouverture pour une gauche réelle qui ne veut plus se laisser prendre au piège du moindre des deux maux, avec les démocrates. Ensuite, le débat sur les 15 dollars nous a permis de changer la nature du débat politique dans cette ville où les élus, tous démocrates, étaient sensibles aux arguments du monde des affaires. » C’est dans l’ensemble du pays, en fait, que la nature du débat a changé. De l’épicentre Seattle, le combat pour un salaire décent se propage. Fin 2014, c’est San Francisco qui l’adopte par référendum. Puis New York qui l’appliquera pour les salariés des fast foods. Puis Los Angeles. Et désormais, la Californie. Et demain ?

Depuis le début de la campagne des primaires, Bernie Sanders fait du SMIC à 15 dollars un axe de sa « révolution politique ». Hillary Clinton trouve le montant trop élevé, trop irréaliste et propose 12 dollars. Le New York Times l’avait pourtant appelée à rejoindre la position de Sanders jugée la plus à même, par le grand quotidien, de lutter contre les inégalités. Hier, via un tweet, la candidate démocrate a salué une «  grande victoire » et a « applaudi ». Bernie Sanders a aussitôt rétorqué : « Je propose un SMIC fédéral à 15 dollars. Pas Hillary Clinton. » Le 7 juin prochain, les deux prétendants à l’investiture démocrate s’affronteront… en Californie.

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Trump-Le Pen, « même poil, même bête »

(Article publié dans l’Humanité du 23 mars)

Trumpisme et lepénisme jouent sur les mêmes peurs et enfilent les mêmes camouflages « sociaux ». Seuls divergent les verbes. Deux tactiques pour une même stratégie.

 

Marine Le Pen n’a sans doute pas poussé son plaisir jusqu’à envoyer un petit mot d’encouragement à Donald Trump qui creuse son sillon vers la nomination du parti républicain mais le cœur y est, on n’en doute pas. Les grandes admirations sont parfois pudiques. Mais d’autres n’ont pas ces vapeurs de circonstance. Il y a quelques mois, Sarah Palin, actuelle soutien de Donald Trump et ancienne colistière de John Mc Cain en 2008 qui s’était distinguée par sa méconnaissance totale du monde entourant l’Alaska, a avoué un « coup de cœur politique » pour une députée du Vaucluse, « fervente catholique », qui lui rappelle « Jeanne d’Arc ». Marion Maréchal-Le Pen, bien sûr. Côté FN, les outrances verbales du milliardaire nationaliste et xénophobe amènent les dirigeants les plus « marinistes » à une grande discrétion. Mais on peut toujours compter sur Robert Ménard pour dire ce qui est masqué dans les hautes sphères de l’extrême-droite. Dans « Le Monde », il reconnaissait: « Ses constats et sa sensibilité sont très proches de ceux de la droite patriote.»

« Même poil, même bête », comme le veut le proverbe antillais. Dans un article publié par « The American Prospect », trois universitaires décortiquent ce « trumpisme, phénomène transatlantique ». Dépassant la seule analyse du « monstre de Frankenstein du parti républicain », ils dressent un parallèle entre Trump, Ukip ou le Front national. Ils y voient des « réactions à la globalisation », promue « de manière presque monolithique par les gouvernements de centre droit ou centre gauche». Comme un dernier cri politique des « perdants » de la mondialisation, peu diplômés. Mais attention au raccourci d’une version transatlantisée du « gaucho-lepénisme », promue par Pascal Perrineau et déclinée à sa façon par le journaliste américain Thomas Frank dans son livre: « Pourquoi les pauvres votent à droite ? »

« Les gens qui sont vraiment déclassés ne votent pas, rappelle, pour l’Humanité, Charlotte Cavaillé, post-doctorante à l’institute for advanced studies in Toulouse, et co-auteur de l’article cité. Mon hypothèse de départ: ce sont ceux qui sont juste au-dessus de la ligne de déclassement qui se retrouvent en Trump. » En France, aussi, des chercheurs ont fait un sort à la fable des « damnés de la terre » convertis au « lepénisme ». Après les élections régionales de 2015, le démographe et historien Hervé Le Bras, le disait justement dans le Parisien: «Le FN recrute beaucoup au sein des artisans ou des cadres moyens, au sein d’une classe moyenne inférieure ou d’une classe populaire supérieure pour qui l’ascenseur social est bloqué. Ce sont le plus souvent des personnes de 25 à 50 ans qui sont dans la vie active, qui sont de plus en plus souvent diplômées mais qui sont bloquées dans leur métier, dans leur pavillon de la périphérie urbaine.» Aux Etats-Unis, David Frum, éditorialiste néo-conservateur, dresse, dans un point de vue publié en janvier dans le magazine The Atlantic, un constat voisin : « Les personnes les plus en colère et les plus pessimistes en Amérique sont ceux que l’on appelle les « Américains moyens ». Classe moyenne, âge moyen, pas riche et pas pauvre, qui sont agacés lorsqu’on leur demande de taper 1 pour l’Anglais (les services aux Etats-Unis sont souvent bilingues, NDLR) et qui se demandent comment « homme blanc » a pu devenir une accusation plutôt qu’une description. »

La « racialisation » de la peur, le ressentiment aux relents ethnicistes, la « matrice » du rejet de l’autre : nouveaux points communs entre trumpisme et lepénisme. « Comme dans le vote Le Pen, il y a un noyau raciste dans le vote Trump. Après, d’autres électeurs se rajoutent. La frontière est difficile à tracer entre le refus des changements démographiques (dans une génération, les Blancs constitueront moins de 50% de la population, NDLR) et la protestation « personne ne nous aide, ne s’occupe de nous», estime Charlotte Cavaillé. Les sondeurs indiquent pourtant le tronc commun des électeurs de Trump : soutien massif à la proposition d’interdire l’entrée du pays aux musulmans et approbation sans faille aux propos anti-immigrés mexicains du milliardaire.

En France, un article récent de la politologue Nonna Mayer (« Le mythe de la dédiabolisation du FN »), met en lumière le bien le mieux partagé des sympathisants du FN, noyau dur de l’électorat lepéniste : « Sur toutes les questions relatives à la perception de l’autre – autre par ses origines, sa couleur de peau, sa religion, sa culture – et quelle que soit la vague de sondage retenue, les réponses des sympathisants du FN sont toujours beaucoup plus négatives que celles des sympathisants des autres partis.»

Pour surfer sur la vague de rejet des effets de la « mondialisation », les alliés objectifs transatlantiques se parent du même camouflage « social ». Marine Le Pen se découvre des sympathies (verbales) pour des aspects du modèle social français tandis que son acolyte américain affirme, contrairement à tous les autres prétendants républicains, ne pas vouloir toucher au système de retraite et de protection sociale

Un seul point les différencie : stratégie de dédiabolisation au FN, diabolisation stratégique chez Trump. « Même poil, même bête », mais deux méthodes à l’instar de de l’hypnotique Kaa et de l’agressif Shere Kan dans « Le livre de la jungle ».

 

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Verdict du super Tuesday 3: Clinton-Trump

La moitié des Etats ont voté et 35 millions d’Américains (20 millions de républicains et 15 millions de démocrates) ont déjà placé un bulletin dans l’urne, hissant ce cru 2016 des primaires parmi les plus participatives de l’Histoire (http://www.pewresearch.org/fact-tank/2016/03/08/so-far-turnout-in-this-years-primaries-rivals-2008-record/). Les jeux ne sont pas encore faits mais ils vont être difficiles à défaire.

 

Chez les démocrates, grand chelem pour Hillary Clinton

Après sa défaite dans le Michigan, son équipe de campagne craignait le pire dans les autres Etats du Midwest. L’ancienne secrétaire d’Etat s’en sort facilement dans l’Ohio (56,5% contre 42,7%) et un peu moins largement dans l’Illinois (50,5% contre 48,7%) et le Missouri (49,6% contre 49,4%). Elle confirme également sa prédominance dans le Sud avec deux victoires en Floride (64,5% contre 33,3%) et en Caroline du Nord (54,6% contre 40,8%). Avant ce nouveau round, elle avait 215 délégués d’avance. Elle en a désormais 315.

Bernie Sanders qui comptait gagner au moins un Etat (Missouri) voire deux (avec l’Illinois en plus) et idéalement trois (l’Ohio en cerise sur le gâteau) a sans doute vécu sa pire soirée du cycle. Il ne peut désormais plus décemment prétendre à la nomination, puisqu’il lui faudrait remporter 58% des délégués encore en jeu dans les Etats restants, ce qui semble hautement improbable si ce n’est impossible.

 

Le scénario probable: Clinton nominée, Sanders en campagne jusqu’au 8 novembre

Bernie Sanders va rester en course. Aucune raison qu’il jette l’éponge. Il était inconnu il y a un an, cantonné à jouer les utilités il y a 6 mois et le voilà à la tête d’un « capital politique » unique pour quelqu’un qui se définit comme socialiste: neuf Etats remportés, plus de 6 millions d’électeurs à ce jour, soit 41,7% des électeurs démocrates ayant voté jusqu’ici (http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/democratic_vote_count.html). La suite du calendrier lui est, semble-t-il favorable, et il est donné en tête dans les neuf prochains Etats qui votent d’ici mi-avril. Bernie Sanders va donc continuer à engranger des victoires, des délégués et à donner le ton du débat chez les démocrates. Il pèsera durant la convention que les démocrates tiendront à Philadelphie du 25 au 28 juillet et au-delà. Hillary Clinton a compris que pour remporter la présidentielle du 8 novembre, elle doit pouvoir disposer des deux atouts-maîtres de son concurrent: sa popularité chez les jeunes et parmi la classe ouvrière blanche. Pour Sanders, la question post-novembre sera celle-ci: que faire de sa « révolution politique » naissante?

 

Chez les républicains: Trump reçu 4/5

Les attaques glissent sur la peau du milliardaire nationaliste. Elles semblent même le renforcer politiquement. Il l’emporte largement en Floride (45,8%), poussant vers la sortie le sénateur de l’Etat et favori de substitution (depuis le retrait de Jeb Bush) de l’establishment, Marco Rubio (27%). Trump engrange également l’Illinois, la Caroline du Nord et le Missouri devant Ted Cruz qui reste plus que jamais en course. Paradoxalement, sa défaite dans l’Ohio face à John Kasich (35,7% contre 46,8%) lui rend service car elle permet au gouverneur de cet Etat de rester en piste et donc de rendre impossible un front commun anti-Trump.

 

Le scénario probable: la marche triomphale de Trump…ou un coup tordu

Avec 621 délégués, Trump est à mi-chemin des 1237 nécessaires (http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/republican_delegate_count.html) pour rouler sous casaque rouge (la couleur du parti républicain) le 8 novembre. Si Cruz restait en duel face à Trump, le coup pourrait encore être jouable. Avec Kasich toujours sur le ring, mission impossible. Sauf que le national-populiste version étoilée n’est pas certain d’arriver à la convention de Cleveland (18 au 21 juillet) avec 50% des délégués. Dès lors, tout sera possible. Le matin du premier jour de la convention, le comité des règles se réunira pour définir justement ses règles. Quelles seront-elles? Permettront-elles au délégués de voter pour qui leur semble bon au mépris du mandat des électeurs? En tout cas, une chose est certaine: en la matière, la loi du parti prévaudra sur la loi de l’Etat. Et même s’il décroche l’estampille du GOP (Grand Old Party, le surnom du parti républicain), il pourrait faire face à une candidature concurrente suscitée par l’establishment. D’ici quelques jours, des notables républicains vont se réunir pour envisager de lancer ce genre de missile au cas où…

 

 

 

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Visages de l’Amérique de Sanders

 

(Article publié dans l’Humanité du 14 mars)

Alors que l’on vote aujourd’hui dans cinq Etats (Ohio, Illinois, Missouri, Floride, Caroline du Nord), sept portraits de ces électeurs du candidat qui se définit comme socialiste.

 

Amanda Volner, 33 ans, étudiante, Oklahoma.

La famille Volner a connu des réveillons de Noël plus tranquilles que celui de 2015. « C’était super fun », grimace Amanda. Son père et son frère votent Trump. Elle, a choisi Bernie Sanders et a convaincu sa mère et ses trois sœurs d’en faire de même. Ambiance dans cette famille républicaine dans l’Etat le plus républicain du pays. Rien, absolument rien, ne prédisposait cette jeune femme de 33 ans à s’engager dans le mouvement incarné par un sénateur socialiste de 74 ans. Mais comme des centaines de milliers d’autres « Millennials » (la génération née à partir de 1982), elle prend le contre-pied de la génération « reaganienne » de ses parents. « J’ai entendu parler pour la première fois du sénateur Sanders l’an dernier de la part d’un étudiant », raconte-t-elle. « J’ai commencé à faire des recherches sur lui.» Bingo. « La principale raison de mon soutien est que j’estime que notre vie politique est corrompue par les riches. Bernie est le seul candidat qui veut stopper l’argent dans la politique et veut empêcher les riches d’acheter les élections. Des personnes pensent que les Millennials soutiennent Bernie car  ils veulent que tout leur tombe tout cuit dans le bec. Pensez : on est obligés d’avoir plusieurs jobs pour financer nos études et on doit aussi s’endetter. » Après avoir donné naissance à Harper, 3 ans, elle a repris des études d’ergothérapie à l’Université d’Etat de l’Oklahoma, sur le campus de Weatherford. Pour financer ses études, elle cumule des emplois de serveuse, vend du maquillage et fait des petits travaux de conception graphique. Le 1er mars, « Bernie » a remporté l’Oklahoma.

 

David Zuckerman, 44 ans, agriculteur et sénateur d’Etat, Vermont.

A quel David voulez-vous parler ? A l’agriculteur bio qui gère avec son épouse la Ferme de la Pleine Lune et se trouve sur le marché paysan de Burlington toutes les semaines ? Au militant du parti progressiste du Vermont, crée par Bernie Sanders en 1999 ? Ou à l’élu au Sénat local qui représente le comté de Chittenden ? Eh bien, les trois ne font qu’un : David Zuckerman, originaire du Massachussetts voisin, venu faire ses études à l’Université du Vermont et vermontais d’adoption. Depuis son installation dans ce petit Etat rural désormais mondialement connu grâce à son sénateur, Bernie Sanders, il porte ses trois casquettes. Président de la Commission Agriculture de la Chambre des représentants locale de 2005 à 2009, il a juste fait un « break » politique de quelques années lorsqu’il a, en 2010, installé sa ferme sur de nouvelles terres et converti son exploitation en bio. Le temps également de lancer une AMAP qui regroupe 250 familles. Et, en 2012, il a été élu sénateur de son comté. La percée de Sanders ne l’a pas étonné : « Sa force, c’est son populisme (au sens américain du terme qui n’est pas péjoratif, NDLR) économique : des électeurs qui ont des désaccords sur les questions « morales » ou de « société » ont beaucoup plus en commun depuis que les politiques économiques reaganiennes se sont emparées de ce pays. Ces électeurs sont fatigués de la stagnation économique que l’on subit depuis 30 ans. Et le message de Bernie passe auprès d’eux bien au-delà de ce que les experts pensaient.»

 

Ben Jealous, 43 ans, militant des droits civiques, Californie.

Nul n’est prophète en sa communauté. Ben ne le découvre pas. Mais il l’affronte au quotidien. Il demeure pourtant l’une des figures les plus populaires de cette communauté. Rien de personnel. C’est politique. Ben a été le président de la National Association for the Advancement of Colored People, la grande organisation de défenses des droits civiques des noirs fondé en 1909. Le 6 février dernier, « l’un des plus importants leaders des droits civiques de la nation» a officiellement apporté son soutien à Bernie Sanders. Il disait notamment ceci : « Je me souviens des mots du regretté Révérend Martin Luther King Jr, pour qui « un vrai leader n’est pas un chercheur de consensus mais un créateur de consensus ( …) Bernie Sanders a été courageux et cohérent dans son combat des maux que le Dr King décrivait comme les « triplets géants » du racisme, du militarisme et de l’avidité. »

Mais le message passe difficilement parmi les Africains-Américains du Sud. Hillary Clinton bénéficie d’une meilleure notoriété ainsi que des soutiens de l’appareil et de ses relais locaux (élus et pasteurs). Ben Jealous ne désespère pas, continue de prendre son bâton de pèlerin et de balader sa carrure de footballeur américain auprès de celle, plus frêle, du sénateur du Vermont. « Au fur et à mesure que nous construisons notre mouvement, nous devenons plus fort et nous obtenons plus de soutien des électeurs noirs et latinos. Notre arme secrète, ce sont les jeunes qui nous rejoignent en masse. »

 

Lucy Flores, 35 ans, candidate aux législatives, Nevada.

Elle pourrait battre les estrades, répétant qu’elle incarne le « rêve américain ». Elle, la première latina élue au parlement local du Nevada. Elle, qui sera peut-être en novembre prochain la représentante au Congrès des Etats-Unis de la 4e circonscription de cet Etat, englobant les quartiers nord de Las Vegas. Elle, qui a grandi dans une famille de treize ans. Abandonnée par sa mère à l’âge de 9 ans. Elle, dont toutes les sœurs sont tombés enceintes adolescentes. Elle, qui a dû subir un avortement à l’âge de 16 ans. Elle, qui a cherché dans les gangs une famille plus solide. Elle, qui a passé plusieurs mois en centre pour mineurs après un vol de voiture. Elle, qui a repris ensuite ses études : lycée puis université. Elle, qui s’est engagée dans des associations. Puis en politique

Elle pourrait être républicaine et voir le monde à partir d’elle. Mais elle est démocrate et se voit à partir du monde. Dans ces primaires, « en tant que jeune femme qui a dû lutter dans le monde de la politique dominée par les hommes », elle aurait pu soutenir Hillary Clinton. Mais elle a choisi Bernie Sanders car elle pense qu’il « se lève tous les matins » avec les mêmes préoccupations qu’elle : « mener la charge, avec des millions d’Américains, contre l’avidité sans fin de Wall Street qui menace l’existence même de la classe moyenne et maintient tant de personnes dans la pauvreté permanente» et « mener la révolution politique. »

 

Pramila Jayapal, 50 ans, militante associative, Etat de Washington.

Dans l’Etat de Washington, ce sont les femmes indiennes qui mènent la révolution. Enfin, elles ne sont évidemment pas seules mais il semble que l’on ne voit qu’elles. A Seattle, la socialiste Kshama Sawant a délogé, en 2013, un démocrate centriste pour siéger au conseil municipal et transformer le SMIC à 15 dollars de l’heure d’une revendication en loi pour tous les salariés. Quelques mois plus tard, c’est Pramila Jayapal qui décrochait un siège au Sénat local dans la même ville de Seattle. Cette cité pluvieuse où elle est arrivée, de son Inde natale, à l’âge de 16 ans, avec toutes les économies réalisées par sa famille : 5000 dollars. Elle a décroché une maîtrise de business, a travaillé pour Wall Street et l’industrie  des équipements médicaux avant d’effectuer un radical virage vers le monde associatif et la militance pour la justice sociale. « Mon voyage d’Inde vers Seattle m’a appris que si la démocratie est brisée, c’est à nous de la réparer. » Après le 11 septembre 2001, elle a fondé dans son quartier une « zone exempte de haine », protégeant les musulmans de représailles. Sénateur d’Etat, elle vise désormais la députation, en se présentant dans la circonscription très à gauche de Seattle. « Je ne combats pas pour le 1% mais pour les salariés, pas pour l’austérité mais pour notre système de retraites, pas pour expulser et briser des familles mais pour construire des familles de classes moyennes plus fortes, pas pour des prisons mais pour de l’éducation. »

 

RoseAnn DeMoro, syndicaliste, 66 ans, Washington D.C.

Quiconque a croisé RoseAnn DeMoro un jour, ne peut avoir oublié cette pétulance. La lutte est tout sourire. Energisante. Victorieuse aussi. Cette ancienne caissière de supermarché dans la banlieue de Saint-Louis est devenue l’une des syndicalistes les plus puissantes du pays, à la tête de la National Nurses United (NNU), fondé, en 2009, par la fusion de la California Nurses Association (que dirigeait alors RoseAnn), l’United American Nurses et la Massachusetts Nurses Association. Avec 185.000 membres, il est aujourd’hui le principal syndicat représentant les infirmiers et infirmières. Réputé pour sa combativité, à l’image de sa présidente, le NNU  a récemment syndiqué 6000 « nurses » à travers le pays (Floride, Illinois, Iowa, Missouri, Nevada, Texas). Dans la campagne des primaires démocrates, le syndicat a officiellement pris position pour Bernie Sanders rendant publiques les dix raisons pour lesquelles ce choix avait été fait. Parmi celles-ci : les propositions du candidat socialiste de créer un système de protection maladie universelle, de rendre gratuites les études universitaires, d’empêcher le financement des campagnes par les entreprises.

Le syndicat ne se contente pas d’une pétition. Partout, dans le pays, on aperçoit son bus rouge avec ses mots « Bernie président », sillonnant la campagne de primaire en primaire. RoseAnn DeMoro n’est jamais loin, non plus. Et lorsque la presse lui demande pourquoi elle ne soutient pas une femme, elle répond du tac au tac : « Dans mon esprit, il n’y a jamais eu de meilleur candidat féministe que Bernie Sanders. Nous avons besoin que plus d’un symbole à la Maison Blanche. Nous avons besoin de quelqu’un qui accomplira de grandes choses pour les femmes. »

 

John Erhardt, 46 ans, développeur web, Colorado.

Le deuxième mercredi de chaque mois, John se rend, sur les coups de 19 heures,  au Federal Bar and Grill, dans le centre de Denver. Il y retrouve des habitués, comme Kyle et Misty. Parfois, des nouveaux arrivent : « On vient d’emménager dans la ville et on voulait rencontrer des progressistes. » Car oui, cet apéro regroupe des progressistes. L’initiative baptisé « Drinking Liberally » a été lancée en 2003 à New York en plein « bushisme ». Elle a, depuis, essaimé sur l’ensemble du territoire. Dans la principale ville du Colorado, c’est John le maître de cérémonie. Electeur passionné d’Obama en 2008, électeur déçu d’Obama en 2012, il redécouvre l’engouement en 2016 avec Sanders. Trop occupé avec ses activités professionnelles de développeur web (avant il était ingénieur) et son statut de père, John a raté le premier meeting de Sanders à Denver en juin 2015 mais il a rattrapé le temps perdu. Participant à la victoire du candidat socialiste lors de la primaire du Colorado le 1er mars. « Sanders a le même message cohérent depuis des années. Sanders représente l’authenticité pas la politique basée sur les enquêtes d’opinion. Beaucoup de jeunes et de militants en ont assez des démocrates financés par le « big business ». Je me souviens d’Hillary disant en 2008 que l’argent qu’elle recevait des lobbyistes ne l’influençait pas. On a tous bien ri.»

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Coup d’arrêt pour Trump, relance pour Sanders

 

Les votes de samedi ont peut-être marqué un tournant dans la primaire républicaine : un front anti-Trump semble prendre corps. Après ses deux victoires, le candidat socialiste déclare : « Ne nous barrez pas de la liste. »

Le mardi fut bon pour les favoris. Le samedi s’est avéré meilleur pour les outsiders (http://www.nytimes.com/elections/results). Le « super Tuesday » du 1er mars avait permis à Donald Trump et Hillary Clinton d’engranger victoires (sept chacun) et délégués, taillant leur chemin vers un duel en novembre. Les votes qui se sont déroulés samedi indiquent que rien n’est joué, particulièrement chez les Républicains. Le milliardaire nationaliste a accusé le premier revers de sa campagne. Donné largement en tête dans les derniers sondages, il a subi deux défaites cuisantes et engrangé deux victoires courtes, qui révèlent une perte de dynamique certaine. Dans le Kansas (48% à 23%) et le Maine (46% à 33%), il est battu par le candidat chrétien évangéliste Ted Cruz. En Louisiane et dans le Kentucky, il ne le devance de quelques points. Trump n’est pas invincible : l’establishment républicain ne manquera pas d’apprécier. Faut-il mettre ces revers sur l’offensive publique d’un certain nombre de personnalités respectées au sein du parti ? Jeudi dernier, Mitt Romney, le candidat battu par Obama en 2012 a sorti l’artillerie lourde : escroc, charlatan, malhonnête. John Mc Cain, le candidat de 2008, a confirmé tout le mal qu’il pensait de Trump. Et un certain nombre de notables du parti républicain ont clairement fait savoir qu’il ne voterait pas pour le milliardaire nationaliste s’il devait remporter la course à l’investiture.

Les dépouillements des votes montrent que Trump domine largement dans les procurations mais se retrouve distancé dans les votes effectués samedi. Il s’est donc bien passé quelque chose qui ressemble à un début de front anti-Trump. La participation qui a doublé en Louisiane et quadruplé dans le Kansas et le Maine est significative, selon Harry Enten, l’un des spécialistes du site 538 (http://fivethirtyeight.com): « Je ne suis pas preneur de l’argument selon lequel le vote Trump permet une augmentation de la participation. Beaucoup de gens dans le Kansas sont sortis, semble-t-il, pour voter contre lui. »

Mais d’une certaine façon, le week-end fut aussi atroce pour la direction du G.O.P. (Grand Old Party, son surnom) que le mardi précédent. Son favori, Marco Rubio, est en train de sombrer : il réalise entre 8% (dans le Maine) et 17% (dans le Kansas), faisant globalement à peine mieux que John Kasich, le gouverneur de l’Ohio. L’alternative à Trump, cauchemar numéro 1 de l’élite de droite, c’est Ted Cruz, cauchemar numéro 2… Rubio joue son va-tout, le 15 mars prochain, dans l’Etat de Floride, dont il est l’un des sénateurs. Il accuse pour l’instant un retard de 20 points dans les sondages. Pour voir le point sur le nombre de délégués : (http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/democratic_delegate_count.html)

Côté démocrates, les cartes ne semblent pas autant rebattues que chez les républicains mais les deux victoires de Bernie Sanders rappellent que ses lourdes défaites dans le Sud ne l’ont pas mis KO…Dans le Kansas, il  obtient presque autant de voix qu’Obama en 2008 et domine très largement Hillary Clinton (68% à 32%) dans le cadre d’un « caucus » (réservé aux seuls électeurs démocrates enregistrés comme tels auprès des autorités). Dans le Nebraska voisin, autre « caucus », autre victoire avec 57% des voix. En Louisiane, l’ancienne secrétaire d’Etat confirme son « firewall » anti-Sanders, grâce à l’électorat africain-américain : 71% dans l’ensemble de l’Etat, 75% à la Nouvelle-Orléans. Mathématiquement, le samedi n’a pas été profitable à Sanders, puisque son retard, en nombre de délégués (http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/democratic_delegate_count.html), augmente de huit unités (la Louisiane est autant peuplée que le Kansas et le Nebraska réunis) mais politiquement, ces deux victoires lui permettent de déclarer, dans une interview au New York Times : «  Ne nous barrez pas de la liste. » D’autant que le caucus du Maine, qui se déroule dimanche 6 mars, devrait lui apporter une huitième victoire.

 

 

 

 

 

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Clinton-Trump, duel improbable mais annoncé

(Article publié dans l’Humanité du 3 mars 2016)

L’avantage pris, lors du Super Tuesday, par Hillary Clinton sur Bernie Sanders semble décisif. Côté républicains, Trump tient plus que jamais la corde.

Les citoyens des Etats-Unis auront-ils le choix, le mardi 8 novembre prochain, entre deux bulletins : Hillary Rodham Clinton et Donald John Trump ? Voilà ce qui ressort du Super Tuesday qui mettait en jeu plus d’une dizaine d’Etats : le premier est quasiment prêt à l’impression, le second attend encore son « bon à tirer » final.

Sauf retournement spectaculaire, en effet, Hillary Clinton obtiendra la nomination du parti démocrate. Dans la lignée de son écrasante victoire en Caroline du Sud (73,5% contre 26% à Sanders), l’ancienne secrétaire d’Etat a remporté tous les Etats du Sud (Alabama, Arkansas, Georgie, Tennessee, Texas et Virginie), avec des scores très élevés (de 65 à 78%), ce qui lui permet de distancer son concurrent en nombre de délégués (répartis sur une base proportionnelle). Son « pare-feu » anti-Sanders, identifié par son équipe de campagne, fonctionne à merveille (https://presidentiellesamericaines.com/2016/02/28/hillary-clinton-dans-les-pas-dobama/) : le vote des « minorités », surtout celui des africains-américains, lui a permis de gripper la dynamique du candidat qui l’avait lourdement défaite dans le New Hampshire. Tout joue en sa faveur parmi la communauté africaine-américaine, qui représente 25% de l’électorat démocrate : sa défense du bilan d’Obama, les déclarations implicites de ce dernier en sa faveur, la méconnaissance de la personnalité de Sanders, la puissance des appareils locaux du parti démocrate (élus et pasteurs).

Distancé dans le Sud, le candidat qui se définit comme « socialiste » a enregistré un certain nombre de victoires qui lui permettent de se maintenir dans la course : outre son fief du Vermont (86%), le Colorado (59%), swing state » (Etat clé) lors des élections générales à la forte proportion de Latinos, le Minnesota (62%), Etat du midwest à la forte tradition de progressisme, l’Oklahoma, Etat du Sud où vivent de nombreux Indiens, parmi lesquels Sanders est très populaire. Le sénateur échoue de peu (48,5% contre 50,3%) dans le Massachusetts, bastion démocrate et terre des Kennedy. A l’issue du Super Tuesday, il compte 349 délégués contre 544 à sa rivale. Les rendez-vous de la deuxième quinzaine de mars lui sont plus favorables et il devra remporter des victoires dans l’ancienne ceinture industrielle du midwest (Ohio, Illinois, Michigan) pour espérer renverser la vapeur et ainsi amener les superdélégués (les « grands élus » du parti) à reconsidérer leurs positions, eux qui soutiennent aujourd’hui massivement Hillary Clinton (457 à 22). Mission impossible ?

Mission également de plus en plus impossible pour les opposants à Trump. Le Super Tuesday a de nouveau marqué une soirée cauchemar pour eux. Non seulement le milliardaire raciste et démagogue a remporté sept Etats (Vermont, Massachusetts, Georgie, Virginie, Arkansas, Tennessee, Alabama) mais les résultats dans les autres Etats permettent à tous ses concurrents de rester en course et de ne pas créer un front anti-Trump. Ted Cruz a gagné dans le Texas, où il est sénateur, mais également dans l’Oklahoma et dans l’Alaska. La deuxième place de John Kasich dans le Vermont va le consolider dans sa décision de maintenir sa candidature jusqu’au vote dans l’Ohio, dont il est le gouverneur, le 15 mars. Et le nouveau « champion » de l’establishment républicain, le sénateur de Floride Marco Rubio a remporté le Minnesota mais pas la Virginie, ce qui l’aurait placé en position de force pour incarner la seule alternative à Trump. L’avance de ce dernier, en nombre de délégués, n’est pas encore irrémédiable : 274 contre 152 à Cruz, 113 à Rubio et 27 à Kasich.

Mais les compteurs vont bientôt s’affoler : à partir de la mi-mars, la distribution proportionnelle des délégués cédera la place à la règle du « winner take all » (le premier rafle la mise). C’est une innovation du cru 2016, mise en place par la direction du parti républicain après le processus sans fin de 2012, afin de favoriser celui qui mène la danse (Romney en 2012). Les stratèges de l’appareil n’avaient tout simplement pas prévu que cela profiterait à un Bush ou à un Rubio mais à un Trump. Le 15 mars, Rubio (Floride) et Kasich (Ohio) joueront leur va-tout à domicile. Faute, ensuite, d’un ralliement derrière un candidat unique, Trump pourra envoyer sur les rotatives un bulletin de vote à son nom.

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Portrait: Bernie Sanders, l’homme qui croit en la révolution politique

(Article publié dans l’Humanité du 1er mars 2016)

On ne connaît pas encore la fin de l’histoire d’un sénateur de 74 ans qui se proclame « socialiste », prône une « révolution politique » et rencontre l’adhésion de la jeune génération. Mais voici déjà les débuts…

« Vous allez voir comment il fait. Quels que soient l’endroit et le public, il ne déroge pas à sa règle : il pose tout sur la table et il en discute». Bernie Sanders vient d’arriver dans la cafétéria du lycée d’Hinesburg. Petit matin brumeux d’octobre 2012. Il pose son manteau et va serrer une à une les mains de la petite centaine de personnes présentes. Il échange quelques mots avec certains. Engage quelques conversations. Ici, on lui donne du « Bernie » pas du « Senator Sanders ». Le contact est direct, simple.

« Vous allez voir comment il fait. » L’homme qui parle à l’oreille de l’envoyé spécial de l’Humanité est le « chief of staff » (directeur de cabinet). Son CV dit beaucoup de Sanders. Il faut donc s’y arrêter. Huck Gutman n’est pas un jeune collaborateur sorti d’une école de droit ou de sciences-politiques. Huck Gutman est un professeur d’université – spécialité : poésie –, ami de la première heure du néo-vermontais Sanders (on y reviendra), qui s’est transformé en « dircab » dans les couloirs anonymes du building Dirksen du Sénat. Quelques semaines après notre rencontre, Huck (un surnom en référence à Huckleberry Finn, son prénom de naissance étant Stanley) est retourné à ses études, non par désaccord mais par principe: la politique est un engagement pas un métier.

« Vous allez voir comment il fait.» Nous y voilà donc. D’abord, un peu grincheux : « Qu’on commence par baisser le chauffage, on pourra ensuite parler d’économies d’énergie. » Puis, il attaque : « J’en suis à ma 32e rencontre lors de cette campagne. On me dit que je n’en ai pas besoin (de fait, Sanders a été réélu quelques jours plus tard avec 71% des suffrages, NDLR). Mais je suis un conservateur : je crois en la bonne vieille démocratie. Je vais vous donner ma perception des Etats-Unis car il faut que l’on se mette d’abord d’accord sur le diagnostic. » Explosion des inégalités, corruption du processus démocratique par l’argent, emprise grandissante de l’oligarchie : « tout est sur la table », comme l’avait annoncé Gutman. Le dialogue s’ensuit. C’est ainsi qu’un petit matin brumeux d’octobre, dans une cafeteria de lycée dans l’Etat le plus rural du pays, on a parlé des conditions pour dominer Wall Street, du bilan d’Obama mais aussi du printemps arabes, de la politique de Netanyahu, des accords de libre-échange. Après une heure trente d’échanges, « Bernie » a dit : « Je dois vous laisser. J’ai mon trente-troisième rendez-vous de campagne qui m’attend.» Avant d’emboiter le pas, Huck Gutman nous salue d’un regard signifiant: « Bon, vous avez vu ! »

Ce jour-là, même son ami de quarante ans n’aurait pas parié un dollar  sur une candidature de « Bernie » à la présidentielle, encore moins sur sa percée fracassante. Du coup, le Professeur Gutman a dû sortir des vers de Yehuda Amichai, l’un de ses poètes préférés, pour mettre à jour un livre écrit avec Sanders en 1997: « Un outsider à la Maison Blanche » (non traduit en français). Qui expose à la fois le parcours et la conception politique de l’homme public dont la côte de popularité est désormais la plus élevée du pays.

Côté biographie, voici : Bernard Sanders est né en 1941 dans le quartier new-yorkais de Brooklyn, fils d’Eliasz Gutman, juif polonais arrivé aux Etats-Unis, à l’âge de 17 ans, en 1921 et de Dorothy Sanders (née Glassberg). Lors de sa naturalisation, le père prit le nom de famille de son épouse… C’est à l’Université de Chicago que Bernard devient socialiste, s’engage dans le mouvement pour les droits civiques (il est de la marche sur Washington en août 1963 ponctuée par le discours de Martin Luther King, « I have a dream »), puis dans le mouvement pacifiste. « Mauvais étudiant », de son aveu même, mais dévoreur de livres (Jefferson, Lincoln, Debs, Marx, Lénine, Trosky, Freud…), il décroche malgré tout une maîtrise de sciences-politiques. On voit pourtant plus sa longue et fine silhouette dans la chaleur de toutes les réunions du monde que dans les ambiances feutrées des bibliothèques.

C’est ainsi qu’un jour de 1964, répondant à l’invitation d’un ami, il participe à un meeting à Plainfield et découvre…le Vermont, petit Etat rural, bastion républicain à l’époque. Il s’y installe définitivement en 1968. Trois ans plus tard, le voilà candidat du Liberty Union Party pour les sénatoriales. Il prend une trempe. Un an plus tard, sous les mêmes couleurs, il se présente au poste de gouverneur. Nouveau revers. Et ainsi de suite durant la décennie 70, à la fin de laquelle il quitte le mouvement et se lance dans la production de documentaires. Le premier porte sur Eugene Debs, syndicaliste, fondateur de l’IWW (Industrial workers of the world), candidat socialiste aux élections présidentielles en 1900 (0,63%), 1904 (2,98%), 1908 (2,83%), 1912 (5,99%) et 1920 (3,41%). Dans le bureau du sénateur Sanders, trône toujours un portrait d’Eugene Debs.

En 1980, un ami lui inocule de nouveau le virus de l’action politique. Richard Sugarman, professeur de religion, convainc « Bernie » qu’il peut devenir maire de Burlington, la principale ville de l’Etat et pôle universitaire, aux mains d’un parti démocrate hégémonique. Il joue ses seules cartes en main : campagne de terrain orientée sur les problèmes de fond, action militante, participation électorale de ceux qui se trouvaient aux marges du processus. Il l’emporte de dix voix. Le Sanders « moderne » est né : élévation des consciences par la clarté idéologique, mobilisation populaire et… intangibilité politique. Sanders veut parler « urbi et orbi », à la ville et au monde. Maire d’une ville de 40000 habitants, il revendique d’avoir une « politique étrangère. » Prend la défense du gouvernement sandiniste au Nicaragua, se rend sur place, développe des jumelages avec des villes étrangères et se retrouve ainsi en lune de miel, en 1988, à Yaroslav, URSS. La même année, il soutient Jesse Jackson dans sa candidature à la présidentielle.

En 1989, après deux mandats, il quitte l’hôtel de Ville. Mais le Capitole se profile à l’horizon. Il ne le sait pas encore car il ne l’a pas prévu. Au lieu de cela, il donne des cours à Harvard. Ce sont ses amis, encore eux, qui lui tirent la manche pour l’élection législative de 1990. En triangulaire, il défriche son chemin vers la Chambre des représentants avec 56% des voix, où sa première initiative est de créer un « caucus » (comité regroupant des élus) progressiste qui est, aujourd’hui, le plus important parmi les élus démocrates, signe d’une évolution vers la gauche des représentants et surtout de leurs électeurs. Pendant seize ans, il sera réélu sans coup férir tous les deux ans (durée d’un mandat de député aux Etats-Unis).

En 2006, ce sont les portes du Sénat qui s’ouvrent devant une silhouette un peu plus voutée et une chevelure désormais plus blanche que grise. Mais l’énergie est intacte : le 10 décembre 2010, il s’oppose à la reconduction des réductions massives d’impôts décidée sous W. Bush et prononce un discours de 8h35 minutes et 14 secondes. Lorsque l’opportunité lui est donnée de présider une commission, il choisit, lui, l’ancien objecteur de conscience opposée à la guerre du Vietnam, celle des anciens combattants, car il ne confond pas ceux qui déclarent les guerres et ceux qui sont envoyés les faire puis se retrouvent abandonnés à leur sort.

C’est face à ce même Capitole qu’il annonce, en avril 2015, dans un texte assez mal ficelé qui déborde de peu d’ambition, sa candidature à l’élection présidentielle. On connaît la suite – mais pas encore la fin – avec, dans le New Hamsphire le 9 février, la première victoire d’un candidat qui se proclame socialiste dans une primaire. Au fait, est-il un socialiste ou plutôt un « new dealer » (partisan du New Deal de Roosevelt), comme l’estime Noam Chomsky qui ne lui en apporte pas moins son soutien ? Il est de « gauche », tranche Eli Zaretsky, professeur d’Histoire à  la New School de New York et auteur de « Left, essai sur l’autre gauche aux Etats-Unis » (éditions du Seuil). « De gauche en ce sens qu’il pose les choses en termes de droits : le droit à la santé avec un vrai système de protection universelle, le droit à l’éducation avec la gratuité des études supérieures, le droit à un salaire décent avec le SMIC à 15 dollars. »

Ce qui différencie Sanders de tous les autres candidats ne réside peut-être pas tant dans son programme, en effet plus progressiste que tous les autres, que  dans la façon dont il compte le faire appliquer : par une « révolution politique. » « Pour moi, la politique ce n’est pas juste arriver avec des idées et un programme législatif à Washington –ce qui est nécessaire – mais c’est trouver les moyens d’impliquer les gens dans le processus politique, à les rendre puissants. Ce n’est pas facile, mais, en fait, c’est ce qui doit être fait», écrit Bernie Sanders son livre-mémoire. John Nichols, journaliste au magazine progressiste The Nation, qui en écrit la postface, nous le confirme : « Sanders croit vraiment en la révolution politique. Il veut vraiment mettre en marche une armée d’électeurs qui vont pousser le Congrès à changer. » Ce vieux routier du journalisme politique, auteur d’un livre sur l’histoire du socialisme aux Etats-Unis, qui s’entretient régulièrement avec Sanders était loin de penser, il y a quelques mois seulement, que le mouvement déclenché par le sénateur de 74 ans pourrait atteindre une telle intensité. « Quoi qu’il arrive désormais, Sanders a catalysé les évolutions progressistes de l’opinion publique, notamment de la jeune génération. Si ce n’est pas lui, ce sera quelqu’un d’autre, un latino, une femme, qui sait. Mais Sanders aura semé les graines de ce changement. »

 

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Les enjeux du Super Tuesday

Pour les opposants à Trump, qui fait la course en tête chez les Républicains, cela peut se résumer à « Stop ou encore ». Pour Bernie Sanders, sèchement battu par Clinton en Caroline du Sud, c’est : « Maintenant ou jamais. »

C’est l’heure où le premier qui lâche la foulée du leader verra s’envoler ses rêves de franchir la ligne d’arrivée de l’investiture en vainqueur. L’analogie vaut ce qu’elle vaut mais elle pose l’enjeu de ce « super Tuesday » où douze Etats vont voter. Pour Clinton et Trump, il s’agit de maintenir le rythme qui les a placés en leader. Pour leurs concurrents : rester en course. Comment ? Voici quelques indices. Pour une carte, voir ici (http://www.grandhaventribune.com/Nation/2016/02/26/10-things-to-know-today-696). Pour l’ensemble des Etats, ici (http://www.electoral-vote.com)

Démocrates : l’obligation pour Sanders de remporter au moins trois Etats

L’écrasante victoire d’Hillary Clinton en Caroline du Sud (73,5% contre 26%) a confirmé qu’elle pouvait compter sur l’électorat africain-américain pour lui parsemer de pétales de roses sont chemin vers la nomination démocrate. Son soutien indéfectible au bilan d’Obama, les liens tissés depuis plus de vingt ans par son mari et elle, le soutien des élus et des pasteurs lui assurent une position dominante inattaquable. Ainsi, les Etats du Sud qui votent aujourd’hui, avec leur forte proportion d’électeurs africains-américains, lui sont promis : Alabama, Arkansas, Georgie, Tennessee, Texas et Virginie.

Si Bernie Sanders ne veut pas se laisser distancer en nombre de délégués, il doit remporter les autres Etats en jeu. Si ce n’est tous, au moins une immense majorité.  Pour le Vermont, dont il est le sénateur, c’est dans la poche. Pour le reste…  On vote dans le Massachusetts, bastion démocrate et terre des Kennedy ; le Minnesota, Etat du midwest où le socialisme municipal fut vigoureux dans les années 20 et 30 , le Colorado « swing state » (Etat clé) lors des élections générales à la forte proportion de Latinos et, pourquoi pas, l’Oklahoma, Etat du Sud où vivent de nombreux Indiens, parmi lesquels Sanders est très populaire.

S’il passe le cap de ce « super Tuesday », la suite du calendrier durant la deuxième quinzaine de mars lui apparaît plus favorable, selon les spécialistes. A ce bémol près : ce sera la saison du « spring break », les traditionnelles vacances de Pâques et de fêtes déjantées chez les étudiants, force motrice de la dynamique Sanders.

Républicains : l’état d’urgence face à Trump

Il reste quinze jours, et sans doute pas un de plus, pour barrer la route au milliardaire qui retweete des phrases de Mussolini (http://www.nytimes.com/politics/first-draft/2016/02/28/donald-trump-retweets-post-likening-him-to-mussolini/) et ne trouve rien à redire à ce qu’est le Klu Klux Klan, prétend ne pas savoir ce que sont les « suprématistes blancs » (http://www.npr.org/sections/thetwo-way/2016/02/28/468455028/trump-wont-condemn-kkk-says-he-knows-nothing-about-white-supremacists) après avoir reçu le soutien d’un grand maître de l’organisation secrète raciste . Il est donné vainqueur dans l’ensemble des Etats en jeu aujourd’hui sauf dans le Texas, où le sénateur de l’Etat, Ted Cruz le devancerait de quelques points. Si Trump devait gagner dans le deuxième Etat le plus peuplé du pays, ce serait un triomphe et sans doute la fin de l’aventure pour Cruz, le champion des chrétiens évangélistes. Mais finalement, ce ne serait peut-être pas une si mauvaise nouvelle pour le plan « Tout sauf Trump » : un retrait de Cruz permettrait éventuellement de regrouper les forces restantes derrière Marco Rubio, le seul qui, en l’état, peut encore prétendre faire dérailler ce qui était impensable il y a encore six mois : Donald Trump, candidat du parti républicain aux élections présidentielles. Serait-ce suffisant pour autant ? La date-clé, c’est le 15 mars. Ce jour-là, on vote notamment en Floride. Une victoire de Marco Rubio, sénateur de l’Etat, et il regagnerait du vent dans les voiles. Une victoire de Trump et c’est la marche triomphale assurée. Surtout, à partir du 15 mars, on passe d’une allocation proportionnelle des délégués au système du « winner take all » (le premier emporte la mise), extrêmement favorable, comme son nom l’indique,  à celui qui arrive en tête : soit, aujourd’hui, Donald Trump.

 

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