(Article publié dans l’Humanité du 14 mars)
Alors que l’on vote aujourd’hui dans cinq Etats (Ohio, Illinois, Missouri, Floride, Caroline du Nord), sept portraits de ces électeurs du candidat qui se définit comme socialiste.
Amanda Volner, 33 ans, étudiante, Oklahoma.
La famille Volner a connu des réveillons de Noël plus tranquilles que celui de 2015. « C’était super fun », grimace Amanda. Son père et son frère votent Trump. Elle, a choisi Bernie Sanders et a convaincu sa mère et ses trois sœurs d’en faire de même. Ambiance dans cette famille républicaine dans l’Etat le plus républicain du pays. Rien, absolument rien, ne prédisposait cette jeune femme de 33 ans à s’engager dans le mouvement incarné par un sénateur socialiste de 74 ans. Mais comme des centaines de milliers d’autres « Millennials » (la génération née à partir de 1982), elle prend le contre-pied de la génération « reaganienne » de ses parents. « J’ai entendu parler pour la première fois du sénateur Sanders l’an dernier de la part d’un étudiant », raconte-t-elle. « J’ai commencé à faire des recherches sur lui.» Bingo. « La principale raison de mon soutien est que j’estime que notre vie politique est corrompue par les riches. Bernie est le seul candidat qui veut stopper l’argent dans la politique et veut empêcher les riches d’acheter les élections. Des personnes pensent que les Millennials soutiennent Bernie car ils veulent que tout leur tombe tout cuit dans le bec. Pensez : on est obligés d’avoir plusieurs jobs pour financer nos études et on doit aussi s’endetter. » Après avoir donné naissance à Harper, 3 ans, elle a repris des études d’ergothérapie à l’Université d’Etat de l’Oklahoma, sur le campus de Weatherford. Pour financer ses études, elle cumule des emplois de serveuse, vend du maquillage et fait des petits travaux de conception graphique. Le 1er mars, « Bernie » a remporté l’Oklahoma.
David Zuckerman, 44 ans, agriculteur et sénateur d’Etat, Vermont.
A quel David voulez-vous parler ? A l’agriculteur bio qui gère avec son épouse la Ferme de la Pleine Lune et se trouve sur le marché paysan de Burlington toutes les semaines ? Au militant du parti progressiste du Vermont, crée par Bernie Sanders en 1999 ? Ou à l’élu au Sénat local qui représente le comté de Chittenden ? Eh bien, les trois ne font qu’un : David Zuckerman, originaire du Massachussetts voisin, venu faire ses études à l’Université du Vermont et vermontais d’adoption. Depuis son installation dans ce petit Etat rural désormais mondialement connu grâce à son sénateur, Bernie Sanders, il porte ses trois casquettes. Président de la Commission Agriculture de la Chambre des représentants locale de 2005 à 2009, il a juste fait un « break » politique de quelques années lorsqu’il a, en 2010, installé sa ferme sur de nouvelles terres et converti son exploitation en bio. Le temps également de lancer une AMAP qui regroupe 250 familles. Et, en 2012, il a été élu sénateur de son comté. La percée de Sanders ne l’a pas étonné : « Sa force, c’est son populisme (au sens américain du terme qui n’est pas péjoratif, NDLR) économique : des électeurs qui ont des désaccords sur les questions « morales » ou de « société » ont beaucoup plus en commun depuis que les politiques économiques reaganiennes se sont emparées de ce pays. Ces électeurs sont fatigués de la stagnation économique que l’on subit depuis 30 ans. Et le message de Bernie passe auprès d’eux bien au-delà de ce que les experts pensaient.»
Ben Jealous, 43 ans, militant des droits civiques, Californie.
Nul n’est prophète en sa communauté. Ben ne le découvre pas. Mais il l’affronte au quotidien. Il demeure pourtant l’une des figures les plus populaires de cette communauté. Rien de personnel. C’est politique. Ben a été le président de la National Association for the Advancement of Colored People, la grande organisation de défenses des droits civiques des noirs fondé en 1909. Le 6 février dernier, « l’un des plus importants leaders des droits civiques de la nation» a officiellement apporté son soutien à Bernie Sanders. Il disait notamment ceci : « Je me souviens des mots du regretté Révérend Martin Luther King Jr, pour qui « un vrai leader n’est pas un chercheur de consensus mais un créateur de consensus ( …) Bernie Sanders a été courageux et cohérent dans son combat des maux que le Dr King décrivait comme les « triplets géants » du racisme, du militarisme et de l’avidité. »
Mais le message passe difficilement parmi les Africains-Américains du Sud. Hillary Clinton bénéficie d’une meilleure notoriété ainsi que des soutiens de l’appareil et de ses relais locaux (élus et pasteurs). Ben Jealous ne désespère pas, continue de prendre son bâton de pèlerin et de balader sa carrure de footballeur américain auprès de celle, plus frêle, du sénateur du Vermont. « Au fur et à mesure que nous construisons notre mouvement, nous devenons plus fort et nous obtenons plus de soutien des électeurs noirs et latinos. Notre arme secrète, ce sont les jeunes qui nous rejoignent en masse. »
Lucy Flores, 35 ans, candidate aux législatives, Nevada.
Elle pourrait battre les estrades, répétant qu’elle incarne le « rêve américain ». Elle, la première latina élue au parlement local du Nevada. Elle, qui sera peut-être en novembre prochain la représentante au Congrès des Etats-Unis de la 4e circonscription de cet Etat, englobant les quartiers nord de Las Vegas. Elle, qui a grandi dans une famille de treize ans. Abandonnée par sa mère à l’âge de 9 ans. Elle, dont toutes les sœurs sont tombés enceintes adolescentes. Elle, qui a dû subir un avortement à l’âge de 16 ans. Elle, qui a cherché dans les gangs une famille plus solide. Elle, qui a passé plusieurs mois en centre pour mineurs après un vol de voiture. Elle, qui a repris ensuite ses études : lycée puis université. Elle, qui s’est engagée dans des associations. Puis en politique
Elle pourrait être républicaine et voir le monde à partir d’elle. Mais elle est démocrate et se voit à partir du monde. Dans ces primaires, « en tant que jeune femme qui a dû lutter dans le monde de la politique dominée par les hommes », elle aurait pu soutenir Hillary Clinton. Mais elle a choisi Bernie Sanders car elle pense qu’il « se lève tous les matins » avec les mêmes préoccupations qu’elle : « mener la charge, avec des millions d’Américains, contre l’avidité sans fin de Wall Street qui menace l’existence même de la classe moyenne et maintient tant de personnes dans la pauvreté permanente» et « mener la révolution politique. »
Pramila Jayapal, 50 ans, militante associative, Etat de Washington.
Dans l’Etat de Washington, ce sont les femmes indiennes qui mènent la révolution. Enfin, elles ne sont évidemment pas seules mais il semble que l’on ne voit qu’elles. A Seattle, la socialiste Kshama Sawant a délogé, en 2013, un démocrate centriste pour siéger au conseil municipal et transformer le SMIC à 15 dollars de l’heure d’une revendication en loi pour tous les salariés. Quelques mois plus tard, c’est Pramila Jayapal qui décrochait un siège au Sénat local dans la même ville de Seattle. Cette cité pluvieuse où elle est arrivée, de son Inde natale, à l’âge de 16 ans, avec toutes les économies réalisées par sa famille : 5000 dollars. Elle a décroché une maîtrise de business, a travaillé pour Wall Street et l’industrie des équipements médicaux avant d’effectuer un radical virage vers le monde associatif et la militance pour la justice sociale. « Mon voyage d’Inde vers Seattle m’a appris que si la démocratie est brisée, c’est à nous de la réparer. » Après le 11 septembre 2001, elle a fondé dans son quartier une « zone exempte de haine », protégeant les musulmans de représailles. Sénateur d’Etat, elle vise désormais la députation, en se présentant dans la circonscription très à gauche de Seattle. « Je ne combats pas pour le 1% mais pour les salariés, pas pour l’austérité mais pour notre système de retraites, pas pour expulser et briser des familles mais pour construire des familles de classes moyennes plus fortes, pas pour des prisons mais pour de l’éducation. »
RoseAnn DeMoro, syndicaliste, 66 ans, Washington D.C.
Quiconque a croisé RoseAnn DeMoro un jour, ne peut avoir oublié cette pétulance. La lutte est tout sourire. Energisante. Victorieuse aussi. Cette ancienne caissière de supermarché dans la banlieue de Saint-Louis est devenue l’une des syndicalistes les plus puissantes du pays, à la tête de la National Nurses United (NNU), fondé, en 2009, par la fusion de la California Nurses Association (que dirigeait alors RoseAnn), l’United American Nurses et la Massachusetts Nurses Association. Avec 185.000 membres, il est aujourd’hui le principal syndicat représentant les infirmiers et infirmières. Réputé pour sa combativité, à l’image de sa présidente, le NNU a récemment syndiqué 6000 « nurses » à travers le pays (Floride, Illinois, Iowa, Missouri, Nevada, Texas). Dans la campagne des primaires démocrates, le syndicat a officiellement pris position pour Bernie Sanders rendant publiques les dix raisons pour lesquelles ce choix avait été fait. Parmi celles-ci : les propositions du candidat socialiste de créer un système de protection maladie universelle, de rendre gratuites les études universitaires, d’empêcher le financement des campagnes par les entreprises.
Le syndicat ne se contente pas d’une pétition. Partout, dans le pays, on aperçoit son bus rouge avec ses mots « Bernie président », sillonnant la campagne de primaire en primaire. RoseAnn DeMoro n’est jamais loin, non plus. Et lorsque la presse lui demande pourquoi elle ne soutient pas une femme, elle répond du tac au tac : « Dans mon esprit, il n’y a jamais eu de meilleur candidat féministe que Bernie Sanders. Nous avons besoin que plus d’un symbole à la Maison Blanche. Nous avons besoin de quelqu’un qui accomplira de grandes choses pour les femmes. »
John Erhardt, 46 ans, développeur web, Colorado.
Le deuxième mercredi de chaque mois, John se rend, sur les coups de 19 heures, au Federal Bar and Grill, dans le centre de Denver. Il y retrouve des habitués, comme Kyle et Misty. Parfois, des nouveaux arrivent : « On vient d’emménager dans la ville et on voulait rencontrer des progressistes. » Car oui, cet apéro regroupe des progressistes. L’initiative baptisé « Drinking Liberally » a été lancée en 2003 à New York en plein « bushisme ». Elle a, depuis, essaimé sur l’ensemble du territoire. Dans la principale ville du Colorado, c’est John le maître de cérémonie. Electeur passionné d’Obama en 2008, électeur déçu d’Obama en 2012, il redécouvre l’engouement en 2016 avec Sanders. Trop occupé avec ses activités professionnelles de développeur web (avant il était ingénieur) et son statut de père, John a raté le premier meeting de Sanders à Denver en juin 2015 mais il a rattrapé le temps perdu. Participant à la victoire du candidat socialiste lors de la primaire du Colorado le 1er mars. « Sanders a le même message cohérent depuis des années. Sanders représente l’authenticité pas la politique basée sur les enquêtes d’opinion. Beaucoup de jeunes et de militants en ont assez des démocrates financés par le « big business ». Je me souviens d’Hillary disant en 2008 que l’argent qu’elle recevait des lobbyistes ne l’influençait pas. On a tous bien ri.»