Archives mensuelles : septembre 2020

« Dans le Midwest, Joe Biden se trompe de cible »

Selon Malaika Jabali, avocate spécialisée dans les politiques publiques et chroniqueuse pour le quotidien « The Guardian», le candidat démocrate doit s’adresser à l’ensemble de la classe ouvrière pas seulement aux ouvriers qui ont voté Trump en 2016. (Article publié dans l’Humanité du 30 septembre 2020.)

Alors que le candidat démocrate a affronté dans la nuit Donald Trump lors du premier débat, les doutes sur le bien-fondé de sa stratégie s’expriment de plus en plus. L’improbable scénario de 2016 est-il de nouveau envisageable ?

L’un des axes de campagne de Joe Biden est de « reprendre » à Trump des électeurs de la classe ouvrière blanche. Vous estimez qu’il s’agit d’une mauvaise cible. Pourquoi ?

Malaika Jabali. Après avoir fait les calculs dans le Michigan et le Wisconsin basés sur les données du recensement, j’ai constaté que la plus grande différence pour les démocrates en 2016 provient des abstentionnistes blancs et noirs, pas des électeurs qui avaient voté Obama puis Trump. C’est très net dans le Wisconsin. Le taux de participation des Blancs a chuté d’un seul point, soit 100.000 électeurs. Trump n’a engrangé que 700 voix de plus que Mitt Romney en 2012. Donc, ce n’est pas comme si Trump avait attiré à lui un nombre significatif d’électeurs. Ces 100.000 électeurs blancs – ainsi que les 88.000 électeurs noirs qui ont voté en 2012 mais pas en 2016 (le taux de participation des Noirs est passé de 79% en 2012 à 47%) – ont bien dû passer quelque part, mais ils ne sont pas allés chez Trump. Ils se sont abstenus en fait. Joe Biden a besoin de séduire les électeurs de la classe ouvrière, quelle que soit leur origine. Ils doivent être « gagnés » pas « regagnés » sur Trump. Malgré cela, l’équipe de campagne de Biden tente de lancer un appel à une infime partie de l’électorat, qui n’a jamais voté démocrate et ne le fera peut-être jamais.

La classe ouvrière noire constituerait donc la bonne cible ?

Malaika Jabali. L’ensemble de la classe ouvrière, sans distinction raciale, qui fait partie de la base démocrate – pas les électeurs conservateurs de Trump – est la bonne cible.

Comment, en termes programmatiques, incarner cet appel à la classe ouvrière dans son ensemble ?

Malaika Jabali. Il y a d’abord les impacts du coronavirus. Dans le Wisconsin, le coronavirus tue huit fois plus les Noirs. Dans quelques Etats du Midwest, les Noirs forment 15% de la population mais 30 à 40% des décès du coronavirus. Noirs et Latinos ont moins de couverture maladie que les blancs et reçoivent des soins de moindre qualité. Le Medicare for All (système public unique proposé par Bernie Sanders, NDLR) s’adresse à tous, quelle que soit l’origine. Cela permettrait d’éliminer les disparités raciales dans la couverture santé et améliorerait la qualité des soins. Biden dit qu’il opposerait son veto si le Congrès le votait…

L’impact du coronavirus c’est également un chômage qui a bondi mais frappe plus fortement les noirs et latinos. A New York, par exemple, noirs, latinos et asiatiques représentent les trois quarts du salariat. Un robuste plan de relance et un programme fédéral de garantie d’emplois seraient susceptibles d’atténuer la crise économique. D’autres mesures comme les « baby bonds » (le sénateur démocrate Cory Booker propose de verser 1000 dollars à chaque nouveau-né) ou l’annulation de la dette étudiante aideraient tout le monde mais de manière plus importante noirs et latinos qui souffrent le plus de la pauvreté et des inégalités sociales.

On peut aussi évoquer la question du définancement de la police. Beaucoup de budgets locaux ou des Etats pour la police ont explosé alors que ces fonds pourraient être redirigés vers des modèles de sécurité publique qui fonctionnent ou vers d’autres services sociaux. Les pratiques policières impactent de manière disproportionnée les noirs et latinos mais réduire ces budgets profiteraient à tout le monde.

Alors que Joe Biden ait formulé des promesses à propos des programmes de créations d’emplois ou d’annulation de la dette étudiante pour certaines familles, son équipe de campagne a dit aux journalistes que ces propositions ne pourront pas être financées s’il était élu. Non seulement il refuse de baisser les budgets de la police mais il veut même les augmenter. Ni son programme, ni sa stratégie ne sont centrés sur les électeurs ouvriers de couleur qui souffrent significativement plus tandis qu’il a déjà démontré son absence de volonté pour promouvoir des politiques publiques qui aideraient les ouvriers blancs.

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Pourquoi un siège à la Cour Suprême rebat les cartes de la campagne

Donald Trump voulait centrer le débat sur la thématique sécuritaire. Joe Biden souhaitait le coincer sur le terrain de sa gestion du coronavirus. Finalement, le décès de la juge progressiste Ruth Bader Ginsburg place les deux candidats sur un terrain inattendu. (Article publié le 21 septembre 2020 dans l’Humanité).

C’est la « surprise d’octobre » avant l’heure. L’éventuel imprévu (en 2016 : la réouverture par le FBI du dossier des fameux emails d’Hillary Clinton) qui surgit généralement à quelques jours du scrutin présidentiel s’est présenté avec un peu d’avance avec le décès, vendredi, de Ruth Bader Ginsburg, juge progressiste à la Cour Suprême. Un nouveau terrain d’affrontement s’offre à Donald Trump qui entendait imposer le thème de « la loi et l’ordre » au cœur du débat afin de mobiliser sa base électorale et à un Joe Biden contre-attaquant sur la gestion du coronavirus par son adversaire (le bilan affiche 200.000 morts ce jour). Dans une campagne déjà inédite (contexte de coronavirus, un président sortant distancé dans les sondages), la première grande bataille aura finalement lieu dans l’enceinte feutrée du Sénat (qui ratifie la nomination proposée par le président) comme sur les estrades surchauffées des meetings.

Cour Suprême : pourquoi une telle importance ?

Dans le monde, aucune instance judiciaire n’a autant de pouvoir politique que la Cour Suprême des Etats-Unis. Les lois les plus contestées finissent le plus souvent devant les neuf juges nommés à vie (ils étaient sept jusqu’en 1869), de fait acteurs politiques à part entière. Prenons l’exemple de l’une des questions cruciales de l’histoire du pays – l’esclavage puis la ségrégation – où elle a toujours joué un rôle de premier plan, dans des directions pourtant diamétralement opposées, selon l’époque. En 1857, sept juges contre deux rendent une décision favorable aux esclavagistes dans l’arrêt Scott v. Sandford. Quatre ans plus tard, la guerre de Sécession est déclenchée. Elle se solde par la défaite de la Confédération et par l’abolition de l’esclavage. Mais après le départ des troupes yankees, en 1877, les Etats du Sud mettent en place des lois de ségrégation. Là encore, intervient la Cour Suprême, qui dans son arrêt Plessy v. Ferguson, en 1896, leur donne raison à travers l’établissement d’une doctrine appelée « separate but equal » (séparés mais égaux). En 1954, l’instance judiciaire, dans l’arrêt Brown v. Board, déclare inconstitutionnelle la ségrégation dans les écoles publiques. Véritable tournant pour le mouvement des droits civiques qui gagnera alors en vigueur et ampleur jusqu’à la signature de lois égalitaires en 1964 et 1965. Ce que la Cour fait un jour, une autre Cour peut le défaire un autre jour. C’est d’ailleurs l’objectif de la droite chrétienne : qu’une majorité conservatrice invalide l’arrêt Roe v. Wade, qui déclare, en 1973, constitutionnel le droit à l’avortement.

Une aubaine pour Trump ?

En 2016, les républicains, majoritaires au Sénat, avaient refusé d’auditionner Merrick Garland, le candidat de Barack Obama, en remplacement du juge conservateur, Antonin Scalia, décédé en février. Raison officielle : ne pas décider en année électorale et laisser le soin aux électeurs de désigner le futur président. Nous étions alors à 8 mois et demi du scrutin. Nous sommes à 45 jours du cru 2020 de l’élection présidentielle et ces mêmes républicains ont lancé une course contre la montre pour remplacer la juge progressiste dont la dernière volonté était justement, selon sa petite fille, « de ne pas être remplacée tant qu’un nouveau président n’aura pas prête serment. » Dès cette semaine, Donald Trump fera connaître son choix. Il a déjà annoncé qu’il s’agirait d’une femme.

L’intérêt pour le président américain est double. Tout d’abord, il se trouve en situation de sécuriser le « verrou » de la Cour Suprême  avec une majorité conservatrice de 6 contre 3. Il s’agirait de la composition  « la plus conservatrice depuis un siècle », selon le professeur de droit Carl Tobias, interrogé par l’AFP. Depuis son accession au pouvoir Donald Trump a déjà nommé deux juges (Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh), mais l’instance a récemment pris des décisions (maintien du programme créé par Barack Obama permettant aux enfants d’immigrés sans-papiers de demeurer sur le territoire américain et obligation pour Trump de rendre publiques ses déclarations d’impôts) qui ont provoqué son ire. Dans les deux cas, le président de la Cour Suprême, John Roberts, un conservateur nommé par W. Bush, a voté avec les quatre juges progressistes. Nommer un nouveau juge conservateur permettrait aux républicains de s’assurer une majorité susceptible de remettre en cause le droit à l’avortement et de démanteler l’Obamacare.

Ensuite, que le processus soit bouclé ou non d’ici au 3 novembre, cela permet à l’hôte de la Maison Blanche de maximiser la mobilisation de ses troupes électorales, notamment les chrétiens évangéliques blancs qui l’ont adoubé à 80% en 2016, en identifiant clairement l’enjeu : un juge conservateur nommé par Trump ou un juge progressiste nommé par Biden. Parmi les deux noms qui reviennent le plus souvent dans les médias américains, figure celui de Barbara Lagoa, née à Miami de parents anticastristes. Cette nomination pourrait faire fonction d’une « pierre, deux coups » : en Floride, principal « swing state » (Etat clé) où il est devancé par son concurrent démocrate, la mobilisation de la communauté cubano-américaine lui sera essentielle.

Pour autant, cette stratégie d’une nomination à marche forcée risque d’entraîner certaines défections parmi les sénateurs républicains, actuellement au nombre de 53. L’attitude de quelques élus en situation politique fragile est d’ores et déjà scrutée. Susan Collins (Maine) et Jeff Flake ont fait savoir qu’ils souhaitaient attendre l’élection. Mitt Romney (Utah) et Lisa Murkowski (Alaska), parfois d’humeur frondeuse, pourraient la rejoindre, privant Donald Trump d’une majorité ou établissant un partage égal des votes. Auquel cas, le président du Sénat  s’avère décisive : il s’agit de celle du vice-président, soit le républicain Mike Pence.

Le déclic pour Biden ?

Dans les soixante minutes qui ont suivi l’annonce du décès de Ruth Ginsburg, le comité de campagne de Joe Biden a reçu 6,3 millions de dollars. Cent mille dollars par minute. Jamais une campagne n’avait reçu autant de dons en une heure. Signe que l’enjeu d’une nomination à la Cour Suprême ne galvanise pas que les républicains, qui ont pourtant montré historiquement plus d’appétit pour les nominations dans les tribunaux que les démocrates. Les choses sont manifestement en train de changer. Et Joe Biden a aussitôt adapté sa stratégie, sans donner l’impression pour autant de la réorienter. Selon ses conseillers, il compte transformer le  scrutin du 3 novembre en référendum sur l’Obamacare et le droit à l’avortement, qui seraient tous deux menacés en cas de super-majorité conservatrice.  « Si vous voulez quelque chose qui enflamme les jeunes qui ne sont pas intéressés par l’élection cette année, la voici. Ils connaissent Roe v. Wade », estime dans le New York Times, un expert en sondages de Joe Biden. Ce nouvel angle d’attaque positionnerait l’ancien vice-président de Barack Obama au-delà du seul antitrumpisme comme ciment de son électorat mais sans se détacher de ce centrisme qui a fait sa marque de fabrique depuis son entrée en campagne (et même en politique il y a 50 ans.) Certes, les démocrates ont bâti leur « vague bleue » lors des élections de mi-mandat de 2018 sur la thématique de la santé et la défense de la réforme de Barack Obama. Mais la pandémie a changé la donne, comme le souligne l’élue socialiste de New York, Julia Salazar. La défense de l’Obamacare s’accompagnera-t-elle d’un pas en avant décisif vers un système public universel, ce à quoi s’est refusé Biden depuis de longs mois ?

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L’insulte aux militaires décédés: le début de la fin pour Trump?

Alors que les sondages s’avèrent de plus en plus mauvais pour l’hôte de la Maison-Blanche, des révélations tombent en cascade sur sa façon d’être et de penser. « Il fera n’importe quoi pour l’emporter », prévient son ancien avocat. (Article publié dans l’Humanité du 7 septembre 2020.)

C’est une forme de manifestation qu’affectionnent les pro-Trump : en vrais « déclassés » de l’Amérique, ils montent à bord de leurs bateaux et défilent ensemble, sur un lac ou une rivière, drapeaux au vent, casquettes « Maga » (Make America Great Again) de capitaine du dimanche vissées sur la tête. Samedi, sur le lac Travis, au nord-ouest d’Austin (Texas), les choses ne se sont pas passées comme prévu et le bureau du shérif a reçu des appels de détresse en batterie. « Certains prenaient l’eau, d’autres étaient à l’arrêt, d’autres encore chaviraient… », a raconté Kristen Dark, sa porte-parole. On peut céder à l’allégorie facile : la campagne de Trump coule. Il est sans doute trop hardi (ou trop tôt) pour l’affirmer mais, depuis plusieurs jours, les mauvaises nouvelles succèdent aux révélations néfastes pour un président qui aborde la dernière ligne dans une situation de grande fragilité politique.

Jeudi, le magazine The Atlantic a publié une longue enquête dans laquelle plusieurs sources affirment que le président américain a qualifié de « losers » et « crétins » des soldats américains morts pendant la Première Guerre mondiale. En novembre 2018, afin de commémorer les cent ans de la fin de la Grande Guerre, Trump avait annulé son déplacement dans un cimetière américain près de Paris, prétextant que les conditions météorologiques ne permettaient pas à son hélicoptère de décoller. « Pourquoi devrais-je aller à ce cimetière ? C’est rempli de losers », aurait-il lancé à ses conseillers. Quant aux 1541 soldats américains morts pendant la bataille du bois de Belleau, ils ne seraient que des « crétins ». « Qui étaient les gentils ? » pendant ce conflit, a-t-il demandé à ses conseillers. Autre épisode raconté par le magazine : au cimetière militaire national d’Arlington, alors que son chef de cabinet, l’ancien général John Kelly, vient rendre hommage à son fils, un marine tué en Afghanistan en 2010 à l’âge de 29 ans, Trump lui glisse à l’oreille : « Je ne comprends pas. Quel intérêt il y avait pour eux ? » En 2015, il s’en était publiquement pris à John McCain, sénateur républicain, prisonnier de guerre torturé au Vietnam pendant cinq ans. « C’est un héros parce qu’il a été capturé. J’aime les gens qui ne sont pas capturés », avait-il déclaré. Donald Trump avait échappé à la conscription en 1968, officiellement en raison d’une excroissance osseuse au talon… La Maison-Blanche a démenti l’ensemble des accusations dénonçant l’anonymat des sources. Donald Trump a même demandé le renvoi de Jennifer Griffin, une journaliste de Fox News, la chaîne conservatrice, qui a confirmé en partie les propos « dénigrant » des soldats américains morts au combat.

Si John Kelly demeure muet depuis les révélations, un autre ancien proche de Donald Trump a décidé de parler. Il s’agit de son ancien avocat, Michael Cohen, condamné à trois ans de prison pour diverses fraudes et violation des lois électorales. Il publie ses mémoires dont CNN a obtenu une copie. On y apprend que Trump avait embauché un « Faux-Bama », un sosie de son prédécesseur afin de tourner une vidéo dans laquelle il l’a « rabaissé rituellement avant de le virer ». Le président américain y est décrit comme un menteur, un prédateur, un escroc, une brute et un raciste. Comme pour donner raison à ce portrait, Trump a ordonné, ce week-end, la suppression des formations contre le racisme dispensées dans l’administration fédérale, qui relèvent, selon lui, de la « propagande clivante et anti-américaine ». Michael Cohen dépeint également son ancien client comme un adorateur de Poutine et de la façon dont il tient la Russie sous sa coupe. Là encore, le contenu du livre trouve écho dans l’actualité : Trump a déclaré, vendredi, ne pas avoir vu de preuves de l’empoisonnement de l’opposant russe Alexeï Navalny. Interviewé par CNN, l’ancien avocat estime, enfin, que « Donald Trump fera tout et n’importe quoi pour gagner ». Il se dessine de plus en plus clairement que « faire n’importe quoi » sera la condition de sa réélection : même Fox News, la principale chaîne du Trumpistan, lui donne, dans la dernière livraison de sondages, un retard de 4 à 10 points dans tous les Swing States.

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Fragilisé, Donald Trump abat la carte sécuritaire

A 60 jours du scrutin, devancé, dans les sondages, dans presque tous les « swing states », il se trouve dans une situation presque inédite pour un président sortant. Pour tenter de renverser la tendance, il ne dispose que d’un seul atout: sa rhétorique de « la loi et l’ordre ». (Article publié dans l’Humanité du 03 septembre 2020.)

Joe Biden en visite à Pittsburgh, lundi, pour anticiper celle de Donald Trump, mardi, à Kenosha : à 60 jours du vote, la campagne électorale est sortie des réunions virtuelles et des conférences par « zoom » pour entrer dans la dernière phase du face à face direct. Anticipant les crochets de droite du président sortant, le candidat démocrate a multiplié les directs du gauche. Ce qui inonde les écrans de TV, « ce ne sont pas les images imaginaires de l’Amérique de Joe Biden, dans le futur. Ce sont des images de l’Amérique de Donald Trump, aujourd’hui »Sans surprise, dès le lendemain, dans la ville où Jacob Blake a été criblé de sept balles dans le dos par un policier, Donald Trump a travaillé au corps son adversaire, tout en ignorant soigneusement de mentionner et encore moins de rencontrer la victime ou sa famille. Il a accusé Joe Biden d’être l’agent des « anarchistes, émeutiers et pilleurs » et même des « forces sombres ». Les policiers, auteurs de violences, ont en revanche droit à toute sa commisération. Sous une « pression terrible », ils « craquent » parfois. « Comme un type qui n’arrive pas à rentrer un putt d’1 m », a-t-il dit sur Fox News, dans une comparaison nauséeuse.  Si les deux candidats se sont rendus coup pour coup, il n’en est pas moins vrai que c’est Donald Trump qui boxe dans sa catégorie préférée : celle de la sécurité. « Avec un bilan de 180.000 morts du coronavirus et des sondages le montrant largué par Biden, le président essaie de transformer l’élection d’un référendum sur son bilan abject en une course centrée sur Biden, les démocrates radicaux et l’agitation dans les rues », cadre le magazine The New Yorker dans un article récent.

  1. Trump, le Nixon 2.0 ?

Pour l’instant, c’est le thème de la « sécurité » qui occupe le centre du ring. Et avec lui, Donald Trump. « C’est malin, dans les deux sens du terme, décrypte Mark Kesselman, professeur de sciences-politiques honoraire à l’Université Columbia de New York. Pour lui, c’est la meilleure stratégie et certainement la seule qu’il soit capable de mener d’ailleurs. » Sa rhétorique incendiaire vise à souder un bloc qui ne s’est pas érodé depuis 2016, comme le montrent tous les indicateurs sondagiers. Calmer le jeu reviendrait à risquer d’effriter ce socle minoritaire mais solide sans pour autant appâter des « modérés » qui ont quasiment disparu du paysage. Son pari : rejouer à la ligne près le scénario de 2016, en l’emportant de quelques dizaines de milliers de voix dans quelques « swing states.» « Cela peut marcher… à condition qu’il réussisse à faire oublier qui est le président en place en ce moment ! », note Mark Kesselman.

Le cinéaste Michael Moore, soutien de Bernie Sanders durant les primaires, avait flairé le « hold up » trumpien il y a quatre ans. Il a partagé, il y a quelques jours, son inquiétude grandissante : « Je vous alerte dix semaines en avance. Le niveau d’enthousiasme des 60 millions d’électeurs de Trump est HORS DU COMMUN ! Pour Joe, pas tellement. » « Trump connaît sa base. Il EST sa base », commente l’historien Romain Huret, directeur de recherches à l’EHESS. Les études montrent que le profil-type de cet électeur est un « faible diplôme, hauts revenus » (donc plutôt âgé) et que le ciment de cet électorat demeure le « nativisme », un courant idéologique anti-immigration qui émaille l’histoire du pays. Jusqu’où peut aller la fuite en avant nationaliste voire suprémaciste ? Indicateur : Trump a récemment « aimé » sur Twitter un post soutenant Kyle Rittenhouse, meurtrier de deux manifestants antiracistes à Kenosha le 25 août dernier. « C’est grâce aux milices que Trump a été élu en 2016 », estime Romain Huret qui rappelle que « le poids de ces milices est indissociable des guerres extérieures. Nombre d’anciens combattants ont importé des méthodes et des façons de penser, notamment ceux qui ont été engagés contre l’Etat islamique.» Dans un climat d’intense polarisation, où peut mener cette alliance, surtout si Trump sent la victoire lui échapper ?

2. Biden, « Hillary, saison 2 » ?

Sur le papier, la stratégie des démocrates semble limpide: transformer le scrutin en référendum sur la présidence Trump, les 180.000 américains morts du Covid, une situation économique catastrophique, ses mots comme autant de pétards jetés en pleine poudrière. Mais la question sécuritaire est venue gripper cette belle machine théorique. « Biden doit trouver une solution pour condamner la violence urbaine sans s’aliéner la base militante de son parti qui soutient Black Lives Matter », pointe une analyse du site Real Clear Politics. C’est toute la stratégie de la « big tent » (littéralement « grande tente ») – soit rassembler autour de sa candidature de l’aile gauche démocrate aux républicains modérés – qui subit un sa première véritable épreuve du feu. Le choix de Kamala Harris et le refus d’incorporer à la plateforme démocrate des propositions-signatures (Medicare for All, création d’un impôt sur la fortune, annulation de la dette étudiante) de la gauche Sanders-Warren ont déjà déçu de nombreux électeurs progressistes. Quid si Joe Biden veut se montrer « dur » sur les questions de sécurité ?

« La tente n’est pas déjà pas suffisamment étendue, estime Mark Kesselman. Les jeunes et la gauche y sont sous-représentés. A la convention, John Kasich, Colin Powell et d’autres vieux routiers républicains ont eu droit à de grands honneurs, et Alexandria Ocasio-Cortez à 90 secondes de discours. » « Ce parti démocrate-là, centriste, risque de se tirer une balle dans le pied », selon Romain Huret. Il poursuit : « En attirant des républicains modérés, Biden fera un meilleur score à New York et en Californie, déjà acquis aux démocrates. Et alors ? Cette élection va se jouer à quelques milliers de voix dans quelques Etats. Or, la mobilisation des jeunes compte aussi dans les opérations de porte à porte. » Pour Marie-Cécile Naves, directrice de recherches à l’IRIS, Joe Biden gagnerait à produire « une mesure symbolique qui marquerait les esprits. » De gauche, ce serait encore plus marquant.

3. Participation : 2016 ou 2018 ?

« C’est la clé, indique Marie-Cécile Naves, et à ce jour, la grande inconnue. » Entre la situation sanitaire, la volonté de Trump de limiter le vote par correspondance (un quart des bulletins en 2016), les obstacles dressés sur la route du vote des « minorités » depuis une décennie par des majorités républicaines dans des Etats-clés, tout est réuni pour un taux d’abstention encore plus élevé alors que la défaite de Donald Trump passe par une mobilisation record. Une « vague bleue » (10 millions de voix d’avance et la prise de contrôle de la Chambre des représentants) avait déferlé dans les isoloirs lors des élections de mi-mandat en 2018 marquée par le plus fort taux de participation depuis les années 1920. L’élection présidentielle de 2016, en revanche, avait enregistré une abstention supérieure au scrutin de 2008 qui vit l’élection de Barack Obama. 

Tout est bon pour décourager les électeurs potentiels de Biden : Donald Trump envisage, sous prétexte de sécurité, de déployer devant les bureaux de vote des forces de police. Rien de tel pour dissuader un électeur latino, même administrativement en règle, ou pour tendre une situation déjà potentiellement explosive. « On n’a pas vu un tel climat de violence depuis 1968», alerte Romain Huret. Cette année-là, dans un contexte d’émeutes dans les grandes villes, déclenchées après l’assassinat de Martin Luther King, et de guerre du Vietnam, le candidat autoproclamé de la « majorité silencieuse » et de la « loi et l’ordre », Richard Nixon avait été élu. L’Amérique a certes changé depuis mais dans quelle mesure a-t-elle assez changée pour empêcher Donald Trump d’effectuer un second mandat ?

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