Voici l’intégralité de l’entretien que j’ai accordé ce site Internet. Pour consulter: http://www.lafauteadiderot.net/Pourquoi-ne-faut-il-pas-desesperer
Alors que Barack Obama sera officiellement élu le 17 décembre prochain président par le collège des grands électeurs, Christophe Deroubaix, journaliste à l’Humanité, auteur d’un « Dictionnaire presque optimiste des Etats-Unis » (éditions Michel de Maule) revient sur les leçons du scrutin du 6 novembre et sur l’évolution du pays.
Quelles leçons tirez-vous des élections américaines ?
Je vois trois enseignements à tirer de cette élection. Le premier c’est la défaite des Républicains. Depuis la fin de la guerre froide, les Républicains ont été minoritaires à 5 reprises sur les six élections présidentielles. Il faut en effet se souvenir que W. Bush a été élu en 2000 mais qu’il a été devancé en nombre de voix par Al Gore. Le projet conservateur et ultralibéral des républicains est minoritaire aux Etats-Unis.
Deuxième leçon, contrairement aux sondages qui donnaient les candidats au coude à coude, Obama a finalement 4,5 millions de voix et 3% d’avance sur Romney, dans le cadre d’une forte participation. Les Républicains pensaient pouvoir gagner, car aucun Président n’avait été élu dans un tel contexte de crise et de chômage. Avec 60,5 millions de voix, Romney retrouve à peu de choses près le score de John Mac Cain en 2008 (60) et à peine moins que Bush en 2004 (62 millions). Dans l’Amérique telle qu’elle évolue, les Républicains sont arrivés à une sorte de plafond stratégique. L’enjeu principal portait sur la participation, notamment des électeurs d’Obama de 2008. Malgré la déception, voire la désillusion, le « peuple » du « Yes, we can » a finalement décidé de ne pas se laisser voler sa victoire de 2008 en donnant les clés du pouvoir aux Républicains. Tentés par l’abstention, les jeunes et les Latino-Américains se sont finalement mobilisés. Les latinos sont devenus une donnée essentielle de la vie sociale et politique des Etats-Unis. Ils constituent la première minorité avec 16 % de la population et 10 % de l’électorat. Ils représentent la nouvelle classe populaire et subissent ce que les sociologues appellent « l’incorporation par le bas de l’échelle » : chaque génération intègre la vie active par l’occupation des boulots les moins qualifiés. Le rêve américain ne fonctionne pas pour eux. Le vote latino existe mais c’est un vote social, pas un vote communautaire. Troisième donnée : l’ouverture culturelle de l’opinion américaine. Ainsi le mariage gay, qui avait été rejeté par référendum à 31 reprises, a été adopté par 3 états, qui ont rejoint 7 autres états qui l’avaient adopté par voie législative. De plus, deux Etats (Colorado et Etat de Washington) ont voté pour la légalisation de la marijuana, ouvrant ainsi une brèche dans la catastrophique « guerre à la drogue ». Ajoutons aussi que la Californie a adopté, toujours par voie référendaire, une taxe sur les millionnaires dont le produit ira financer directement l’éducation et les services sociaux.
C’est cela qui vous rend « optimiste » ?
Les résultats du 6 novembre valident en effet l’analyse de Paul Krugman : « Les Etats-Unis sont prêts pour un nouveau New Deal, une nouvelle ère de politiques progressistes ». Je partage ce point de vue. L’évolution des mentalités ne concerne pas que les questions de société mais également les grands enjeux économiques et sociaux, comme le prouve la taxe sur les millionnaires californienne. Quand on demande aux Américains quelles solutions ils privilégient pour résorber la dette, ils sont 56 % à répondre non au recul de l’âge de la retraite, non à l’augmentation des cotisations sociales, mais 64 % répondent oui à l’augmentation des impôts pour les riches, ce fameux « 1% » mis en lumière par le mouvement « Occupy Wall Street ». En mars dernier, Michael Moore, peu suspect d’optimisme béat, disait lors du « Left Forum » à New York : « Nous sommes majoritaires dans les esprits ».
Mais qu’est-ce qui change vraiment et concrètement aux Etats-Unis ? Ce qui change d’abord, c’est la démographie du pays. La proportion des Blancs se réduit. Dans une génération, ils deviendront une minorité. C’est le déclin annoncé de la République anglo-protestante si propice au développement du capitalisme, comme le notait Max Weber. La montée en puissance des latinos n’est pas qu’une question d’origine. De par leur histoire (ils sont une immigration « américaine »), leur position sociale, comme je l’ai souligné précédemment, et leur vision du monde même qui empreinte plus au catholicisme qu’à un calvinisme individualiste, ils apportent un sang radicalement nouveau dans les veines du pays. Les mentalités changent également. De nombreuses enquêtes montrent que la jeune génération est la plus multicolore mais aussi la plus ouverte et progressiste de l’histoire du pays.
Mais les changements ne se limitent pas aux esprits et aux idées, ce qui constitue pourtant déjà une avancée majeure si l’on attache un peu d’importance au concept gramscien d’hégémonie culturelle. Des changements s’effectuent et s’organisent également dans la vie « réelle », pratique. On a déjà abordé les évolutions sur le mariage gay, la marijuana. Chaque année, un Etat abolit la peine de mort. J’ajoute que le Vermont est le premier Etat à créer un système public d’assurance-santé (ce qu’avait promis de faire Obama pendant sa campagne en 2008 avant de battre en retraite). A New Haven, ville de l’Université de Yale, une coalition syndicale progressiste a chassé du conseil municipal la majorité démocrate « plan-plan ». A Dallas, le shériff est… une femme, démocrate, latina et lesbienne déclarée.
Pourquoi a-t-on, alors, autant entendu parler des Tea Parties ?
En partie par paresse de ce côté-ci de l’Atlantique : il semble que, dans un certain nombre de médias, l’on considère les sujets sur les « dingues », les fous de Dieu et des armes, plus « vendeurs ».
Mais il y a des raisons plus profondes. Le Tea Party incarne l’Amérique WASP (white anglo-saxon protestant) telle qu’elle a été fondée. C’est le système dans sa quintessence. Le Tea Party dispose donc de puissants soutiens financiers (les frères Koch), de relais médiatiques (Fox News) qui décuplent sa voix et son message. Mais il ne faut pas prendre le chant du cygne pour le chant du coq. Le Tea Party constitue une « Réaction » au sens littéral du terme. Une Réaction à un monde qui n’est plus, à un monde qui change, à un monde qui s’ouvre… A sa façon, ce mouvement d’ultra-droite témoigne des évolutions positives que connaissent les Etats-Unis.
Quelle drôle de vision angélico-dogmatique de la société américaine est dépeinte ici! Obama a été élu avec 20% du corps électoral potentiel (50 à 60 millions de personnes en âge de voter ne sont pas inscrits sur les listes électorales). Et en quoi la politique d’Obama si tant est qu’il en ait une, distingue-telle le sort de l’immense majorité des « citoyens » d’une politique républicaine? En vérité comme en France la classe dominante s’est fabriquée une classe stabilisante (les classes moyennes) qui vote démocrate mais qui pour rien au monde ne voudrait transformer the american wya of life. Un mode de vie qui condamne des millions d’Américains à vivre dans la précarité et dans un désert culturel et social ahurissant.
Franchement il vaut mieux lire les écrits caustiques d’un Chris Hedges ou d’un Russels Banks pour se faire une petite idée de l’engloutissement des États-Unis dans cet abîme de décadence que symbolisent le mariage gay et la consommation massive de drogues y compris chez les sportifs. Comme disait Oscar Wilde il y a plus d’un siècle, « Les États-Unis forment un pays qui est passé directement de la barbarie à la décadence sans jamais avoir connu la civilisation ». Franchement ce pays n’est vraiment pas un modèle ni de démocratie ni d’évolution positive du système social.