Une année cruciale pour le syndicalisme américain

La renégociation cette année des conventions collectives dans le secteur automobile et chez UPS constituera un nouveau test pour un mouvement syndical affaibli, malgré les victoires chez Starbucks. (Article publié dans l’Humanité du 4 avril 2023.)

C’est le premier événement de l’année syndicale : la défaite du président sortant du syndicat de l’automobile UAW (United Auto Workers), Ray Curry, jugé trop apathique par la base. Son challengeur et successeur, Shawn Fain, annonce une ligne plus combative. C’est donc lui qui mènera les négociations avec les constructeurs automobiles pour la révision de la convention collective, moment crucial d’une année qui ne le sera pas moins pour le syndicalisme.

Le Bureau des statistiques sur le travail (Bureau of labor statistics) a publié en janvier les chiffres les plus récents montrant que le taux de syndicalisation a encore baissé en 2022, à 10,1 %, atteignant son plus-bas historique, alors que l’année a été marquée par la recrudescence des luttes sociales, notamment à travers la campagne de syndicalisation à Starbucks. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Les États-Unis sont un vaste pays avec des courants contradictoires. La campagne de syndicalisation a eu lieu dans des entreprises de commerce, comme Starbucks, Apple Store, REI (chaîne spécialisée dans les sports de plein air), des fabricants d’ordinateurs, etc. Les syndicats se sont organisés dans 280 magasins, avec 10 000 salariés désormais couverts par les conventions collectives qui seront négociées par les organisations. Il y a aussi eu une recrudescence des grèves, menées majoritairement par des salariés déjà syndiqués. Le nombre de syndiqués a augmenté de 270 000 entre 2021 et 2022, mais la population active a augmenté de 5 millions, particulièrement dans les déserts syndicaux, amenant à une nouvelle baisse du taux de syndicalisation.

Pour assister à une hausse de ce taux, il aurait fallu enregistrer des progrès significatifs dans des secteurs massivement non syndiqués comme le million de travailleurs d’Amazon, ou les 2 millions de Walmart (plus grande chaîne de supermarchés du pays), ou les 4 millions de chauffeurs, ou les 10 millions de travailleurs dans le BTP, voire parmi les centaines de milliers de salariés de l’automobile, principalement dans le Sud, souvent dans des compagnies étrangères (Toyota, Honda) qui emploient 25 % des salariés du secteur. Or, ces percées n’ont pas encore eu lieu…

Les directions syndicales portent-elles une responsabilité dans le déclin de la syndicalisation ?

Oui. On peut faire remonter l’offensive antisyndicale des capitalistes au moins au début des années 1950, avec le licenciement illégal des militants pendant les campagnes visant à organiser les travailleurs ou des offensives pour désyndicaliser des industries majeures : construction, automobile, transport routier. À mon sens, la férocité de ces attaques n’a pas été contrée par des tactiques plus agressives des syndicats et de leurs dirigeants.

Cette année 2023 sera marquée par la renégociation des conventions collectives chez UPS, la plus grande entreprise postale privée du pays, et parmi les Big Three de l’automobile (General Motors, Ford et Stellantis). À quoi peut-on s’attendre ?

Trois grands secteurs syndiqués vont en effet voir leurs contrats renouvelés. Les teamsters (chauffeurs routiers – NDLR) ont une nouvelle direction qui s’est engagée à se battre de manière plus agressive pour obtenir une meilleure convention pour les 350 000 salariés d’UPS. La frange rebelle du syndicat de l’automobile (UAW), qui a gagné l’élection, a également pris l’engagement de s’opposer à un certain nombre de points néfastes du contrat actuel, comme le système du salaire à deux vitesses (1). Il y a également la renégociation sur les ports avec le syndicat des dockers, West Coast International Longshoremen and Warehous Union (Ilwu), qui est vraiment orienté à gauche. Des grèves dans l’un de ces secteurs pourraient avoir des impacts économiques majeurs, contrairement à l’impact limité d’un mouvement chez Starbucks.

Joe Biden a fait des déclarations très fortes sur le rôle important des syndicats, mais peu a été fait sur le plan législatif. Comment l’expliquez-vous ?

Le droit du travail aux États-Unis est faible. Les personnes que Biden a nommées à l’agence fédérale du NLRB (2) ont peu d’outils, même si elles ont plutôt bien agi. Les démocrates, comme les républicains, sont redevables à un certain nombre de groupes capitalistes. Au bout du compte, ils ont toujours cédé aux intérêts commerciaux, comme ce fut le cas lors du récent conflit ferroviaire (3).

Fait cocasse, Las Vegas est l’une des villes les plus syndiquées du pays…

C’est une longue et très instructive histoire. Comme vous le savez, Las Vegas est une destination pour touristes et joueurs. Jusque dans les années 1950-1960, les salariés, particulièrement les femmes de chambre, étaient des immigrés mal payés, certains sans statut légal. Puis les salariés des hôtels et restaurants se sont organisés et ont marqué des points. Ils ont organisé des piquets de grève, parfois avec des milliers de personnes. Ils bénéficiaient de ce que j’appelle un grand pouvoir structurel. Les casinos et hôtels sont très profitables. Les hôtels, particulièrement, sont immenses et ne sont pas concurrencés par des structures plus petites. Ajoutez à cela le fait que les touristes n’ont pas forcément envie de tomber sur un piquet de grève en sortant de leur hôtel. À partir du moment où les salariés ont réussi à arrêter totalement l’activité, les propriétaires ont dû capituler. Les salaires ont été augmentés à plusieurs reprises et les conditions du contrat ont été améliorées. Beaucoup de travailleurs ont pu s’acheter une maison et envoyer leurs enfants à l’université.

(1) Dans les conventions collectives négociées après la crise de 2008, les nouveaux embauchés disposaient d’un salaire inférieur à la rémunération de base des salariés déjà en place.

(2) Le National Labor Relations Board est une agence indépendante du gouvernement fédéral américain, chargée de conduire les élections syndicales et d’enquêter sur les pratiques illégales dans le monde du travail.

(3) Fin 2022, la Maison-Blanche a forcé à un accord entre syndicats et patronat afin d’éviter l’impact économique d’une grève. S’ils ont obtenu des avancées (augmentations de salaires et un jour de congé maladie), une frange des salariés du secteur ont eu le sentiment d’avoir été dépossédés de leur mobilisation.

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