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Comment le syndicat UAW a fait plier les « Big Three » de l’automobile

Après plusieurs semaines de grève, les salariés de l’automobile ont obtenu et ratifié la meilleure convention collective depuis les années 50. Retour sur un mouvement qui fait déjà date dans l’histoire du mouvement ouvrier américain. (Article publié dans l’Humanité du 22 novembre 2023.)

« The rouge » : le domino suivant avait un nom et pas n’importe lequel. LE nom de l’industrie automobile américaine, diminutif de Ford River Rouge complex. La plus grande usine du monde dans les années 30; une vraie ville (1,5 kilomètre carré de chaines de production, 160 kilomètres de chemins de fer, une centrale électrique et une forge intégrées…); l’usine d’où sortent les pick-up F-150, le modèle le plus vendu aux Etats-Unis depuis 40 ans mais aussi le théâtre de la bataille de l’Overpass, en 1937, où des militants de l’UAW (United Auto Workers) tentant de syndiquer l’usine furent battus par les nervis du fondateur Henry Ford, par ailleurs antisémite et naziphile. « The rouge », donc, allait partir en grève. C’était une question de jours. La direction de la grande compagnie nationale le savait. Celle de l’UAW le préparait. Après six semaines de grève et des réponses insuffisantes des Big Three (Ford, General Motors et Stellantis qui détient Chrysler), Shawn Fain, le président du syndicat allait annoncer l’entrée de nouvelles usines dans la danse de la grève déclenchée le 15 septembre.

L’UAW avait non seulement lancé, pour la première fois de son histoire, une offensive simultanée chez les « Big Three » mais adopté de plus une tactique totalement nouvelle en ciblant, semaine après semaine, les sites en grève. Une sorte de « guérilla » du débrayage qui déboussole totalement le patronat. A ce jeu du chat et de la souris, il perd régulièrement. Savoureuse anecdote : la direction de General Motors déménage du matériel de l’usine de Spring Hill (Tennessee), qu’elle pense être la prochaine cible, vers celle de Wentzville (Missouri). Finalement, le syndicat, à l’affût, déclenche la grève dans cette dernière et récupère le « butin ».

Défaites tactiquement, les directions des trois constructeurs automobiles historiques le sont également stratégiquement. L’opinion publique souscrit ultra-majoritairement au mot d’ordre de l’UAW – « A profits records, contrat record» -alors que les « Big Three » ont engrangé 21 milliards de dollars de profits au premier semestre 2023, portant leur pactole à 250 milliards durant la décennie écoulée.

Ultime coup de maître : Shawn Fain contraint Joe Biden à se rendre mardi 26 septembre sur un piquet de grève et appuyer officiellement les revendications des salariés. Le président américain se tenait jusque-là à équidistance, appelant à un accord mais sans peser sur son contenu. En mai, insatisfaite des garanties apportées par l’administration dans le cadre de la transition vers les véhicules électriques, l’UAW avait pointé une première épée dans le dos de l’hôte de la Maison-Blanche en retirant son soutien officiel à sa candidature pour la prochaine élection présidentielle. Aux Etats-Unis, il est de tradition que les syndicats soutiennent un candidat et dans leur immense majorité cet appui va au représentant du parti démocrate. « Notre soutien ne va pas de soi. Il faut le mériter », lance alors Shawn Fain dans une sortie assez inédite. Dans l’Etat-clé du Michigan, berceau de l’automobile, remporté par Trump en 2016 (avec 11.000 voix d’avance) et par Biden en 2020 (avec 150.000 voix de plus), mener campagne sans l’UAW amoindrit fortement les chances de victoire. Joe Biden aggrave son cas, en août, en estimant que la grève n’aura pas lieu. Celle-ci a finalement bien lieu et quelques jours après son déclenchement, Shawn Fain met Joe Biden au pied du mur en l’invitant sur un piquet de grève. Celui qui se présente comme « le président le plus pro-syndicat » de l’Histoire ne peut refuser. Et c’est ainsi que pour la première fois de l’Histoire, un président s’est rendu sur un piquet de grève… « L’une des réalisations significatives et encourageantes de la nouvelle direction a été son rejet rapide des efforts de l’administration Biden pour interférer dans les négociations sur l’automobile, ainsi que son rejet catégorique des tentatives grossières du bigot antisyndical Trump de s’immiscer dans la mêlée », apprécie Chris Townsend, ancien directeur de l’action politique du syndicat United Electrical Workers Union.

Un syndicat de 400.000 membres au pactole de 850 millions de dollars qui permet de tenir pendant des mois cette grève « ciblée », les Américains de plus en plus favorables aux grévistes et un Président qui vient les rejoindre : les Big Three ne peuvent pas tenir longtemps contre ces vents contraires. Le 26 octobre, Ford cède et signe un protocole d’accord. Deux jours plus tard, c’est Stellantis. Puis viendra General Motors..

Une grande partie des concessions (gel des salaires,  effectuées par la direction du syndicat à l’époque de la Grande Récession sont effacées : augmentation des salaires de 25%, embauche des intérimaires en temps plein après quelques mois, restauration de l’indexation des salaires sur l’inflation, droit de faire grève en cas de fermeture d’usines. Au terme de cette nouvelle convention collective, un salarié de l’un des trois géants gagnera au minimum 35 dollars de l’heure (le salaire médian aux Etats-Unis s’établit à 17 dollars) et au maximum 42,60 dollars, le plaçant de nouveau au cœur de cette fameuse classe moyenne qu’il a incarné à partir des années 1950 avant d’en être, petit à petit relégué, à sa marge. Autre percée, selon Ian Greer, professeur à l’Université Cornell : « Le syndicat semble avoir réussi à intégrer les nouvelles usines de batteries électriques dans les accords-cadres, au même titre que les travailleurs qui fabriquent des véhicules à combustion interne. »

Mais l’UAW a échoué à faire accepter une revendication essentielle: la fin du double statut qui prive, depuis 2007, les nouveaux embauchés d’une pension de retraites et d’une protection sociale lorsqu’ils arrêtent de travailler. Raison pour laquelle le protocole d’accord n’a été avalisé que par 55% des salariés de General Motors et 69% chez Ford et Stellantis. « Beaucoup de mes collègues sont déçus que les pensions et l’assurance maladie des retraités n’aient pas été récupérées, explique pour l’Humanité, Chris Viola, ouvrier dans l’usine General Motors à Hamtramck, dans la banlieue de Detroit. Personnellement, j’ai voté pour, mais je comprends pourquoi les gens ont voté contre. Je pense que la grève de 2019 (40 jours de mobilisation pour quasiment aucun gain, N.D.L.R.) a peut-être incité les travailleurs de GM à vouloir continuer à se battre. » Shaw Fain a reconnu cet échec, donnant rendez-vous aux syndiqués en 2028 pour la prochaine renégociation. « L’un de nos principaux objectifs à l’issue de cette victoire historique est de nous organiser comme nous ne l’avons jamais fait auparavant, a-t-il annoncé. Lorsque nous reviendrons à la table des négociations en 2028, ce ne sera pas seulement avec les trois grands. Ce sera avec les cinq ou six grands ».

Le message envoyé est clair : l’UAW entend désormais s’attaquer aux entreprises automobiles où le syndicat n’a pas encore reçu l’aval de la majorité des salariés. « Le succès de la grève facilitera grandement la syndicalisation des constructeurs automobiles non syndiqués, qui se trouvent principalement dans le sud », estime l’universitaire Ian Greer. Les constructeurs en question ont vu arriver le danger et récemment annoncé des hausses de salaires (9% dès janvier pour Toyota, 11 et 14% l’an prochain pour Honda et Hyundai). C’est la « méthode » Starbucks ou Amazon: appliquer une partie des revendications (notamment le salaire minimum à 15 dollars) afin de couper l’herbe sous le pied des syndicats et d’empêcher la création de sections organisées.

Les déserts syndicaux et la transition vers l’électrique constituent les chantiers d’avenir, auquel l’UAW s’est préparé avec cette victoire que l’historien spécialiste du mouvement ouvrier Nelson Lichtenstein qualifie, dans un article pour le magazine marxiste Jacobin, d’ « historique et transformatrice ». « Elle met fin à une ère de quarante-trois ans de négociations de concessions et de défaites du mouvement ouvrier qui a commencé avec la quasi-faillite de Chrysler en 1979 et la destruction par Ronald Reagan de l’Organisation professionnelle des contrôleurs aériens deux ans plus tard », appuie ce professeur à l’Université de Californie-Santa Barbara.

Et dire que ce point de bascule dans l’histoire du syndicalisme a commencé par une enquête de justice et s’est, en partie, jouée dans les amphis de l’une des plus prestigieuses universités du pays… La posture revendicative de l’UAW doit en effet à l’élection d’une nouvelle direction en mars dernier, la première à laquelle les adhérents ont participé. Depuis des décennies, c’est un Congrès bien verrouillé qui désignaient les dirigeants. En 2020, suite à une enquête du ministère de la Justice, une dizaine de dirigeants syndicaux sont condamnés pour racket, détournement de fonds et fraude fiscale. En lambeaux, le syndicat se voit imposer une réforme démocratique. En 2023, on élit donc pour la première fois le président de ce syndicat créé en 1935 au suffrage universel. Ray Curry, le président sortant, doit affronter le candidat d’un groupe interne d’opposition,  l’United All Workers for Democracy, un certain Shawn Fain, ancien électricien de l’usine Stellantis de Kokomo dans l’Indiana. Ce dernier l’emporte avec 483 voix d’avance. Le « réformateur » doit sa victoire au vote massif en sa faveur des « travailleurs universitaires » (salariés, doctorants et post-doctorants chargés de cours), représentant aujourd’hui un quart des syndiqués de l’UAW, le syndicat s’étant porté volontaire pour les représenter lorsque ceux-ci ont mené des campagnes de syndicalisation. Parmi la nouvelle garde élue, figure Brandon Mancilla, 28 ans, désormais président régional de l’UAW pour la côte Est. Fils  d’immigrés du Guatemala, chargé de cours à Harvard, il avait été en 2019 la cheville ouvrière d’une grève de 29 jours dans la plus prestigieuse université du pays permettant la création d’une section syndicale.

A peine posé dans son bureau de Detroit, Shawn Fain s’entoure d’un staff où des anciens des campagnes de Bernie Sanders apportent leur sens de la communication disruptive. Sa première décision : faire voter par les syndiqués le principe d’une grève : 97% de « oui ». Les planètes étaient alignées…

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Etats-Unis et Israël : les ressorts d’une « relation spéciale »

Depuis 1967, Washington a fait de Tel-Aviv son allié proche-oriental dans la guerre froide puis dans celle contre le terrorisme. Après les attaques du 7 octobre, Joe Biden a récité la grammaire ancienne de l’alignement total, critiquée par sa base mais plébiscitée par les chrétiens évangéliques blancs. (Article publié dans l’Humanité du 15 novembre 2023.)

Il fut un temps où les Etats-Unis refusaient de vendre des armes à Israël et où le locataire de la Maison-Blanche ordonnait au premier ministre israélien d’évacuer un territoire occupé par son armée. Il s’agit certes d’un temps que les moins de 60 ans n’ont pas connu mais il a bel et bien existé. Reviendra-t-il ? Nombre d’observateurs estiment que la « clé » de sortie du « conflit » se trouve en fait dans un tiroir du bureau Ovale. Pour l’instant, malgré quelques ajustements rhétoriques et micro-frictions, Joe Biden continue de caler sa stratégie sur celle de Benyamin Netanyahou au nom d’un « droit d’Israël à se défendre » mais surtout de l’antériorité et de la solidité d’une relation comme la géopolitique mondiale en connaît peu, si ce n’est aucune. 

Pourtant, si les Etats-Unis ont été le premier pays à reconnaître l’Etat d’Israël, les administrations Truman et Eisenhower ont tenu à préserver un équilibre au Proche-Orient, à la fois pour ne pas laisser le champ libre à l’URSS et ne pas froisser Ryad, allié central depuis les années 1940 et la découverte du pétrole. Pendant deux décennies, Washington n’a livré aucune arme au nouvel Etat laissant la France se poser en principal fournisseur. La bascule se déroule lors de la Guerre des Six-Jours, en juin 1967. Le général De Gaulle, avec son opposition ferme à la guerre et une formule qui fera polémique (« un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ») clôt un chapitre. Washington prend le relais au moment même où Israël devient, au regard du droit international, une puissante occupante, ce qui ne peut évidemment relever de l’anecdotique.

Guerre froide, guerre contre le terrorisme : l’allié proche-oriental

En fait, la « relation spéciale » a commencé quelques années auparavant. C’est John Fitzgerald Kennedy qui est l’auteur de la formule en 1962. L’année suivante, il donne son feu vert à la première vente importante d’armement américain – les missiles antiaériens Hawk. La crise des missiles à Cuba est passée par là : en pleine guerre froide, la diplomatie américaine considère Israël comme une sorte d’avant-poste au Proche-Orient. Pendant la guerre de Kippour, Richard Nixon fait acheminer en urgence une aide militaire à Israël en difficulté face aux armées égyptienne et syrienne. Dans les années 1980, Ronald Reagan renforce encore le statut de l’allié proche-oriental : « Il n’y a aucune nation comme la nôtre, à part Israël ». L’argument du « rempart contre le communisme » tombe avec le mur de Berlin. Avec la première guerre en Irak et la volonté de George Bush d’établir un nouvel ordre mondial, Washington est à la manoeuvre et force le gouvernement Shamir à assister à la conférence de Madrid, prélude aux accords d’Oslo.

Le 11 septembre 2001 redonne une centralité au gouvernement israélien. En visite, quelques semaines après les attentats,  Ariel Sharon, premier ministre, lâche: « Vous, en Amérique, êtes en guerre contre la terreur. Nous, en Israël, sommes en guerre contre la terreur (référence à la seconde intifada déclenchée fin 2000, N.D.L.R.). C’est la même guerre. » Sur fond de néoconservatisme partagé, les deux pays deviennent « partenaires contre la terreur » et même davantage si l’on écoute W. Bush, en mai 2004, lors de la conférence annuelle de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), la principale organisation du lobby pro-Israël (lire plus loin) : « Nous sommes tous deux nés de la lutte et du sacrifice. Nous avons tous deux été fondés par des immigrants fuyant les persécutions religieuses dans d’autres pays. Nous avons tous deux construit des démocraties dynamiques, fondées sur l’État de droit et l’économie de marché. Et nous sommes tous deux des pays fondés sur certaines croyances de base : Dieu veille sur les affaires des hommes et accorde de la valeur à chaque vie. Ces liens ont fait de nous des alliés naturels, et ces liens ne seront jamais rompus ». Il aurait pu pousser l’analogie jusqu’à la création des deux pays reposant sur le vol de la terre.

En 56 ans de « relation spéciale », les Etats-Unis ont versé 158 milliards de dollars d’aide, dont les trois-quarts concernent le secteur militaire, ce qui a permis, selon le Congressional Research Service, une agence fédérale dépendant du Congrès, de « transformer les forces armées israéliennes en l’une des armées les plus sophistiquées au monde sur le plan technologique. » L’aide est comme la relation : inconditionnelle. Quelle que soit l’attitude du gouvernement qui dirige à Tel-Aviv, elle arrive en temps et en heure. Elle n’est pas que financière. Washington mettant tout son poids diplomatique dans la balance. Le veto US s’est abattu à des dizaines de reprises sur des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies critiquant la politique israélienne. Il y a quelques jours, encore, les Etats-Unis ont voté contre une résolution de l’assemblée générale de l’ONU – adoptée par 145 pays – condamnant la construction de colonies israéliennes illégales en Palestine, y compris à Jérusalem-Est.

Un puissant lobby pro-israélien

Plus que tout autre, l’AIPAC veille à la doxa. Il est le navire-amiral du « lobby pro-Israël », l’un des plus puissants du pays avec ceux des armes à feux et de Big Pharma. Le mot « lobby » ne relève pas de l’injure ou de la suspicion de complot: aux Etats-Unis, il désigne un groupe de pression. Si des Américains juifs (2,5% de la population) participent au « lobby pro-Israël », cela ne fait pas pour autant de ce dernier un « lobby juif », formule aux relents antisémites évidents. Une majorité de citoyens américains de confession juive ne font pas d’Israël une question déterminante dans leur comportement électoral. Les électeurs juifs votent invariablement pour les candidats démocrates à l’élection présidentielle, y compris pour Joe Biden (68%), alors que Donald Trump a certainement été le président le plus aligné sur un gouvernement israélien, au point de déménager l’ambassade US à Jérusalem. De plus, cette « communauté » est marquée depuis une décennie, par l’émergence de nouvelles générations qui font du droit à l’auto-détermination des Palestiniens une priorité et qui ont créé des organisations à cet effet comme J Street ou IfNotNow.

En revanche, il est un « bloc » pour lequel la question israélienne est centrale : les chrétiens évangéliques blancs. S’ils ne représentent plus que 20% de la population américaine, ils forment encore un quart de l’électorat. « C’est une force politique absolument considérable », comme le rappelait récemment Martin Quencez, directeur du German Marshall Fund à Paris sur France Culture. A 80%, ils ont voté pour Donald Trump. « Certains chrétiens évangéliques, en particulier ceux que l’on appelle les sionistes chrétiens, considèrent la création de l’État juif comme l’accomplissement d’une prophétie biblique. La Genèse dit que Dieu a donné à Abraham et à ses descendants la terre d’Israël ; en colonisant la Cisjordanie, les Juifs ne font que reprendre ce que Dieu leur a donné. Certains chrétiens considèrent également la création d’un grand Israël comme un événement clé menant à la « bataille finale » de la fin des temps, décrite dans le livre de l’Apocalypse du Nouveau Testament. Ces deux perspectives impliquent qu’Israël mérite le soutien des États-Unis, non pas parce qu’il s’agit d’une démocratie, d’un opprimé ou d’une société moralement supérieure, mais parce que la volonté de Dieu est de soutenir Israël », expliquent John Mearsheimer et Stephen Walt dans leur ouvrage référence « The Israel Lobby and US Foreign Policy ». Pour résumer, ils soutiennent la droite et l’extrême-droite israéliennes pour des raisons évidentes de proximité politique dont le fondement est religieux, si ce n’est théocratique. Si les années Netanyahou ont marqué une prise de distance critique d’une frange grandissante des Américains juifs, le « bloc évangélique », lui, demeure monolithique.

Biden dans les pas…du passé

Elu sénateur en 1972, Joe Biden a toujours évolué dans ce climat consensuel pro-Israélien. En un demi-siècle de carrière politique, il ne s’est jamais démarqué de la position officielle unilatérale des élites américaines. En arrivant à la Maison-Blanche, le nouvel élu marque pourtant une distance avec Netanyahou : le premier coup de fil tarde à venir et aucune visite n’est programmée. L’accord de gouvernement avec l’extrême-droite et la tentative de réforme judiciaire ajoutent à l’éloignement des deux dirigeants. Après les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre, Joe Biden décide malgré tout de confondre le « soutien inconditionnel » à Israël et un blanc-seing à son premier ministre, au point de jeter le trouble au sein du département d’Etat, comme l’a révélé un mémo rendu public par Politico.

Alors que le vieux routier de la politique a senti l’évolution à gauche du centre de gravité de la base démocrate sur les questions sociales et écologiques, il revient, sur la diplomatie proche-orientale, à la grammaire du passé. Si le positionnement de Donald Trump sur Israël (accords d’Abraham, déménagement de l’ambassade à Jérusalem reconnue comme capitale en violation du droit international et du plan de partage onusien) renforce sa popularité auprès de sa base, celui de Joe Biden l’affaiblit auprès de la sienne, au point de sérieusement décrocher dans les plus récents sondages. Contre-productif électoralement, cet appui aveugle l’est également diplomatiquement : elle braque les opinions publiques arabes et rend plus difficile l’objectif d’étendre les accords d’Abraham ; place en porte-à-faux des dirigeants pourtant pro-Américains, comme le président égyptien Al-Sissi ou le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane ; renvoie au monde l’image d’une puissance qui se veut morale et démocratique mais prétend soutenir le droit international à Kiev tout en acceptant qu’il soit bafoué à Ramallah. En 2007, John Mearsheimer et Stephen Walt prévenaient déjà, dans une formule qui n’a pas pris une ride: « Au lieu d’être un atout stratégique, Israël est devenu un handicap stratégique pour les États-Unis. Soutenir Israël aussi fermement rend les Américains plus vulnérables – et non moins – et rend plus difficile pour les États-Unis la réalisation d’objectifs importants et urgents en matière de politique étrangère ».

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