Dernier round pour Joe Biden ?

Groggy depuis son débat raté face à Donald Trump, le président en exercice est l’objet d’appels grandissant à jeter l’éponge. L’establishment démocrate semble divisé sur l’attitude à adopter. (Article publié dans l’Humanité du 12 juillet 2024.)

La prestation catastrophique du président sortant lors du débat face à Donald Trump le suit comme son ombre tandis que le spectre d’une défaite électorale hante les nuits des démocrates. La courbe des intentions de vote en sa faveur ne cesse de piquer du nez. Il est le seul candidat démocrate qui, depuis vingt ans, se trouve devancé à ce stade de la campagne par son challenger républicain.

Les jeunes et les minorités lâchent Biden

Selon l’agrégateur de sondages du site RealClearPolitics, il accuse un retard de 3 % sur Donald Trump. Mais la photographie semble encore plus sombre lorsque l’on aborde le collège électoral. Il perdrait la Géorgie, le Nevada et l’Arizona, mais également les trois États du Midwest qui forment le « mur bleu » (de la couleur du Parti démocrate) : Pennsylvanie, Michigan et Wisconsin. Dans ce dernier État, Trump est crédité de 44 % contre 38 % à Biden, mais, pour le siège de sénateur, la sortante Tammy Baldwin domine largement le candidat républicain : 50 % contre 45.

La leçon est claire : une frange de l’électorat démocrate refuse de porter ses suffrages sur Joe Biden. Cette fissure qui devient faille apparaissait déjà dans les sondages du New York Times, avant le fameux débat. Une partie des jeunes électeurs et membres des minorités (Africains-Américains et Latinos) attendent du candidat démocrate un projet de profonde transformation, notamment sur les questions sociales et la guerre à Gaza, pas seulement de faire barrage au retour de Trump à la Maison-Blanche.

Le problème s’avère plus structurel que conjoncturel. À cet obstacle d’ampleur sur le chemin de la réélection s’ajoute donc, depuis un mois, la focalisation sur l’attitude physique et mentale de Joe Biden. Butera-t-il sur un mot ? Son regard se perdra-t-il dans le vide ? Qu’il participe à un sommet de l’Otan ou qu’il donne une conférence de presse (comme la nuit dernière), les médias ne parlent que de l’état du messager pas du message. « Les démocrates sont en train de perdre la bataille du récit alors que le bilan du mandat Biden est bon », estime Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’Iris.

D’abord groggy, Joe Biden a tenté d’adopter une posture combative. Il le dit et le répète : il restera dans la course et il battra de nouveau Trump. « À ce rythme, Joe Biden se dirige vers une défaite écrasante face à un ancien président impopulaire et sans foi ni loi », objecte pourtant David Axelrod, ancien conseiller de Barack Obama. Si une élection peut s’apparenter à un combat de boxe, il n’y a ici aucun entraîneur habilité à jeter l’éponge à la place du pugiliste déboussolé ou acculé. Il semblerait que certains aient décidé de monter sur le ring afin de raccompagner Joe Biden dans les vestiaires.

« Ce n’était pas le sacré Biden de 2010. Même pas celui de 2020 »

Quelques députés sont sortis du bois, rejoints mercredi par Peter Welch, le premier sénateur à appeler Joe Biden à se retirer. Mais le signal le plus retentissant est certainement venu de… George Clooney. Le New York Times a publié une tribune de l’acteur au titre direct : « J’aime Joe Biden. Mais nous avons besoin d’un nouveau nominé. » Ce démocrate de longue date raconte être arrivé à cette conclusion il y a quelques semaines lors d’une soirée de levée de fonds à laquelle participait Joe Biden.

« Ce n’était pas le sacré Biden de 2010. Même pas celui de 2020 », a amèrement constaté George Clooney. Encore plus embarrassant pour la machine électorale démocrate : de gros donateurs ont mis leur poids dans la balance, à l’instar de Reed Hastings, l’un des cofondateurs de Netflix. Une organisation baptisée Next Generation (la prochaine génération) va lever 100 millions de dollars qui ne seront utilisés que si les démocrates désignent un nouveau candidat.

Indice sans doute le plus palpable d’une amorce de virage sur l’aile de l’establishment : Nancy Pelosi, l’ancienne présidente de la Chambre des représentants, a annoncé qu’elle reprendrait la conversation avec Joe Biden sur son avenir politique après le sommet de l’Otan. De façon surprenante, la contestation ne vient pas de l’aile gauche. « L’affaire est close. Joe Biden est notre candidat », a ainsi déclaré Alexandria Ocasio-Cortez.

« Ce qui est le plus important est ce que le candidat propose et ce qu’il fera pour vous et pour votre famille », a justifié, de son côté, Bernie Sanders, tout en reconnaissant qu’il était « important de faire attention aux capacités cognitives individuelles » pour citer conjointement Biden et… Trump.

« La position du « squad » (les élus progressistes à la Chambre) est que Biden est complice d’un « génocide » en cours et totalement apte à servir quatre années de plus est vraiment spécial», souligne, avec mordant, le journaliste Michael Tracey. Pourquoi un tel choix difficilement compréhensible par la base progressiste elle-même ? Peut-être l’aile gauche estime qu’elle ne disposerait pas d’assez de poids si les cartes devaient être rebattues.

C’est un fait : un plan B se trouverait exclusivement aux mains de l’establishment. Soit Kamala Harris est désignée pour prendre le relais, soit le choix est renvoyé à la convention démocrate (à Chicago, du 19 au 22 août), où l’intégralité des délégués appartiendra à la tendance « centriste » puisque désignés par Joe Biden pendant une primaire sans concurrence. Pourtant, l’appareil du parti demeure divisé sur l’opportunité de « débrancher » politiquement l’hôte de la Maison-Blanche, à commencer par Barack Obama, dont le soutien apparaît, jusqu’ici, infaillible.

« On a du mal à voir ce qui ressort des courants politiques et des initiatives personnelles, conclut Marie-Cécile Naves. Le fait que le débat au sein du Parti démocrate ne se structure pas autour des courants politiques renforce une impression de panique. » Un sondage publié hier par le Washington Post, montrant que 56 % des électeurs démocrates souhaitent le retrait de Joe Biden, conduira-t-il leurs dirigeants à trancher ?

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