Avec Tim Walz, Kamala Harris penche (un peu) à gauche

Le choix du gouverneur progressiste du Minnesota, soutenu par Bernie Sanders, donne la mesure du poids de l’aile gauche au sein de la coalition démocrate et révèle le choix stratégique de ne pas mener une campagne uniquement centriste. (Article publié dans l’Humanité du 7 août 2024).

Contrairement à Hillary Clinton en 2016, Kamala Harris n’a pas choisi une sorte de double politique pour constituer le ticket qui affrontera, le 5 novembre, Donald Trump. En retenant Tim Walz, le gouverneur du Minnesota (lire page suivante), elle a opté pour une complémentarité aussi politique que sociologique et indiqué un cap stratégique : la mobilisation de l’ensemble de la coalition démocrate.

L’annonce a de quoi surprendre le Landerneau politique états-unien, même si la figure de ce gouverneur populaire et progressiste avait émergé ces dernières semaines comme l’une des plus crédibles. Depuis l’annonce du retrait de Joe Biden et le ralliement express de la famille démocrate autour de la candidature de sa vice-présidente, le nom de Josh Shapiro revenait le plus souvent dans les « pronostics » des observateurs. Le gouverneur de Pennsylvanie disposait de plusieurs atouts : son âge (51 ans), sa popularité dans le plus important des États indécis (swing states) avec ses 19 grands électeurs et le soutien de l’establishment. En général, ce dernier suffit à peser sur la décision finale. Pas cette fois-ci, et cela donne sans doute une indication de l’état du rapport de force au sein du Parti démocrate.

Depuis plusieurs jours, une sorte de bras de fer s’était engagé entre l’appareil centriste et son aile gauche, celle-ci mettant tout son poids dans la balance en faveur de Tim Walz. Bernie Sanders et les syndicats avaient fait connaître leur préférence. De façon plus surprenante, Nancy Pelosi les avait rejoints. L’ancienne présidente de la Chambre des représentants, toujours extrêmement influente, garde sans doute à l’esprit la campagne désastreuse de 2016. Après une primaire tendue face à Bernie Sanders (45 % des suffrages), symbole d’un mouvement progressiste émergent, Hillary Clinton avait mené une campagne aussi molle que centriste, illustrée par le choix de son colistier, Tim Kaine, un sénateur bon teint de Virginie. Tentant de draguer les électeurs républicains « modérés », elle avait déployé des moyens dans des fiefs du GOP (Grand Old Party, surnom du Parti républicain) en plein changement démographique (Arizona, Texas et Géorgie). L’ancienne First Lady n’avait tenu aucun meeting dans le Wisconsin et très peu dans le Michigan et la Pennsylvanie. Le 8 novembre 2016, Donald Trump la devançait de 80 000 voix dans ces trois États du Midwest qui constituaient, depuis 1988, le « mur bleu » (la couleur du Parti démocrate).

« Une erreur est une erreur ; deux erreurs, c’est une faute », veut le dicton. Kamala Harris a donc évité la faute alors qu’elle devait prendre sa première grande décision en tant que candidate officielle du Parti démocrate. Avec Tim Walz sur le ticket, elle dévoile sa stratégie : ne pas braconner sur les terres républicaines mais faire en sorte que la moisson sur celles des démocrates soit la plus fertile possible.

Dans un pays polarisé comme jamais depuis la guerre de Sécession (1861-1865), la clé réside dans la mobilisation de sa propre base. D’autant plus dans un contexte où la guerre à Gaza et l’attitude de l’administration Biden constituent l’une des lignes de fracture au sein de l’électorat démocrate. Si elle veut devenir la première femme à entrer à la Maison-Blanche, elle se doit de les combler, tout au moins de les réduire. Lors de la récente visite de Benyamin Netanyahou, elle a d’abord refusé de présider à la session du Congrès avant de rencontrer, dans une ambiance distante et froide, le premier ministre israélien. Mais il lui faudra plus que des symboles pour recoller les morceaux d’une coalition démocrate fragmentée par le « soutien inconditionnel » de Joe Biden à Benyamin Netanyahou.

Une partie de l’électorat attend aussi des actes. Le deuxième étage de la fusée de la campagne Harris devra donc s’attaquer au contenu, sur les politiques économiques et sociales, comme l’y invite le sénateur du Vermont, Bernie Sanders, ainsi que sur le Proche-Orient, comme l’y oblige la situation. Ce n’est pas seulement la jeunesse des campus ou les électeurs originaires du Moyen-Orient vivant dans le Michigan qui ont démontré leur opposition à la guerre à Gaza, mais également les Africains-Américains qui représentent un tiers de l’électorat démocrate.

Alors que les courbes des sondages se sont rejointes mais pas encore croisées, cette nomination pourrait permettre à Kamala Harris de devancer Donald Trump d’ici à la Convention démocrate, qui se déroulera du 19 au 22 août, à Chicago. En attendant le grand raout démocrate, le duo a fait sa première apparition publique mardi soir lors d’un meeting à Philadelphie (Pennsylvanie). Figure encore largement méconnue du grand public, Tim Walz a attaqué bille en tête Donald Trump : “Il n’a aucune idée de ce qu’est le service (de la nation). Il n’a pas le temps pour cela parce qu’il est trop occupé à servir ses propres intérêts.” ”Si Trump a l’occasion de revenir, il reprendra exactement là où il s’est arrêté il y a quatre ans, mais cette fois, ce sera beaucoup, beaucoup plus grave“, a-t-il ajouté, en dénonçant le milliardaire xénophobe qui souhaite “restreindre nos libertés” et “aider les super-riches“. Surprise par le choix de Kamala Harris, l’équipe de campagne de Donald Trump tente de dépeindre Tim Walz en clone de Bernie Sanders, pourtant l’une des personnalités politiques les plus populaires du pays et en “gauchiste extrémiste“. Un coup d’oeil au CV de Tim Walz – racines rurales, ex-professeur et entraîneur de football américain, qui se revendique chasseur – permet de comprendre assez rapidement que cet angle d’attaque fera long feu. Le premier débat télévisé entre Kamala Harris et Donald Trump aura lieu le 10 septembre sur la chaîne ABC. Un possible nouveau tournant dans une campagne parmi les plus folles que le pays ait connu.

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