La victoire ou le chaos : l’unique scénario de Trump

Le milliardaire xénophobe a préparé les esprits de son camp à contester, comme en 2020, les résultats de l’élection présidentielle si ceux-ci ne lui étaient pas favorables. Une stratégie qui pourrait mettre le feu aux poudres. (Article publié dans l’Humanité du 5 novembre 2024.)

La nuit vient de tomber sur la côte est des États-Unis. Les bureaux de vote ont fermé en Pennsylvanie, le plus prisé des swing states (États pivots) avec ses 19 grands électeurs. Les premières totalisations donnent Donald Trump largement en tête. Rien de plus normal : l’État compte d’abord les bulletins déposés le jour même en personne, pratique privilégiée par les républicains.
Seront ensuite ajoutés les bulletins envoyés par correspondance, une méthode traditionnellement plus prisée des démocrates. Mais Donald Trump proclame déjà sa victoire, tentant de mettre le pays face à une alternative : ou il a gagné l’élection ou elle lui a été volée.
Un goût de déjà-vu ? C’est exactement ainsi que s’était déroulée la soirée du 3 novembre 2020, prologue d’un cycle qui avait abouti à l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021. Et c’est très probablement ainsi que va se dérouler cette soirée du mardi 5 novembre 2024. Stephen Bannon, l’ancien conseiller spécial de Donald Trump, à peine sorti de prison pour entrave aux prérogatives d’enquête du Congrès sur le 6 janvier 2021, a déjà fait sa recommandation : si, quelques heures après la fermeture des bureaux, le niveau de vote républicain est le même qu’en 2020, l’ancien président doit déclarer sa victoire. Avec un cynisme consommé, cet idéologue d’extrême droite a ajouté : « Cela ne voudra pas dire qu’il est le vainqueur, il va juste dire qu’il est le vainqueur. »
Une contestation qui débutera sur X
La rhétorique de Donald Trump n’a pas changé, mais la machine qu’il mettra au service de cette fausse alternative a été perfectionnée. La fallacieuse proclamation sera d’abord relayée sur le plus vaste réseau social au monde par l’homme qui y compte le plus d’abonnés : Elon Musk. Le milliardaire n’a pas investi autant de son argent (plus de 100 millions de dollars) et de son prestige (il annonce une « victoire écrasante » depuis des semaines) pour reconnaître une défaite, au cas où celle-ci se trouverait au rendez-vous. C’est sans nul doute sur X que Donald Trump revendiquera sa victoire et que Musk doublera la mise. Des « posts » qui pourraient mettre le feu aux poudres.
Dans les swing states, les autorités ont déployé des mesures de sécurité inédites afin de protéger les commissions électorales locales. Les centres de dépouillement seront isolés du monde extérieur et protégés par des forces de police. Dans le comté de Maricopa, qui englobe Phoenix, en Arizona, des snipers seront disposés sur les toits des bâtiments. Le ministre de la Justice a envoyé des observateurs électoraux dans 86 districts de 27 États, soit, selon le Washington Post, « le plus grand nombre depuis deux décennies, dans un contexte de crainte croissante de pressions partisanes abusives et de suppression d’électeurs des listes électorales ».
Donald Trump compte évidemment sur la frange la plus fanatisée de sa base Maga (Make America Great Again) pour aller réclamer physiquement l’objet supposément volé. N’a-t-il pas déclaré que le 6 janvier 2021 avait été un « jour d’amour » ? Le mensonge du vol de l’élection de 2020 s’est métabolisé dans le corps social républicain, comme le constatait récemment, auprès du New York Times, Joanna Lydgate, directrice générale du States United Democracy Center, un groupe à but non lucratif qui travaille avec les autorités des États pour renforcer la confiance dans leurs élections. « Cela fait quatre ans que l’on répand des mensonges sur les élections, que l’on recrute des volontaires pour contester le système et que l’on intente des actions en justice. Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est la concrétisation de tout cela », décrivait-elle.
Des failles dans la stratégie républicaine
La bataille se jouera également devant les tribunaux. Tirant les leçons de la débâcle de 2020 (60 plaintes déposées, aucune acceptée), l’équipe de campagne de Donald Trump a formé des équipes de volontaires, tandis que des centaines d’avocats sont d’ores et déjà prêts à lancer l’assaut dans les prétoires. Selon le Wall Street Journal, une cinquantaine d’organisations ont levé près de 140 millions de dollars (129 millions d’euros) pour nourrir cette guérilla judiciaire.
En dernier recours, ils comptent sur la Cour suprême, où siège une majorité conservatrice : six juges sur neuf, dont trois nommés par l’ancien président. En 2000, c’est cette même instance judiciaire qui, en ordonnant l’arrêt du recomptage des voix en Floride, avait de fait ouvert la voie de la Maison-Blanche à George W. Bush malgré le très faible écart (537 voix) avec son adversaire démocrate, le vice-président sortant Al Gore.
Si tout a été préparé comme jamais dans une élection américaine pour en contester le résultat, ce projet contient quelques failles. D’abord, Donald Trump n’est plus à la Maison-Blanche et ne peut pas actionner certains leviers comme la mobilisation de la garde nationale (force militaire de réserve). Joe Biden le peut, en revanche. Ensuite, les autorités fédérales et locales ne seront pas prises au dépourvu. Il n’est pas impossible également que des rouages de la galaxie Trump rechignent à dépasser les lignes officielles : on pense ici à Fox News qui a dû débourser 787 millions de dollars pour ses fausses allégations sur les machines à voter Dominion. Enfin et surtout : le vote des citoyens eux-mêmes.
Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin : un vote clé
L’acte 2 du plan de Trump dépendra en effet de la réalité qui émergera petit à petit des urnes. Si la situation de quasi-égalité dans les sept swing states indiquée par les derniers sondages doit se confirmer, cela jouera à plein dans la main du milliardaire xénophobe dont le présupposé est sa victoire et son arme, le poison du doute. Les règles différentes d’un État à l’autre renforçant la confusion, on n’y verra pas forcément plus clair à l’aube de mercredi qu’au crépuscule de mardi.
Pour autant, les flux qui se dessineront, au-delà des stratégies de revendication, donneront corps à une tendance. Le scénario de 2020 peut se rejouer jusqu’au bout, avec un Donald Trump perdant finalement la Maison-Blanche pour quelques dizaines de milliers de voix (43 000, exactement).
Il est peu probable que Kamala Harris retrouve la marge nationale de 7 millions de voix de Joe Biden mais une victoire au collège électoral dans un mouchoir de poche est de l’ordre du possible. La vice-présidente en exercice a besoin de consolider les trois États du Midwest (Pennsylvanie, Michigan et Wisconsin) pour sécuriser sa victoire. En 2020, Joe Biden y devançait Donald Trump de 260 000 voix, tandis qu’en 2016, ce dernier avait 80 000 voix d’avance sur Hillary Clinton.
Un pays au bord du précipice
Ce dernier scénario est donc lui aussi possible. Le « mur bleu » – ces États qui ont voté démocrate sans discontinuer de 1988 à 2016 – reconstitué en 2020 s’effrite à nouveau, faisant s’écrouler les espoirs de Kamala Harris, que ne consolera pas une possible victoire au « vote populaire. » Si les sondages ont sous-estimé le niveau de vote pour Donald Trump comme ils l’avaient fait en 2016 et 2020, c’est même l’hypothèse la plus probable : un nouveau mandat pour le candidat républicain lui donnerait les mains quasiment libres pour mettre en œuvre un projet d’une tout autre nature.
Mais… s’il est un invariant des campagnes électorales américaines, c’est bien la propension des instituts de sondage à se tromper. Qui se souvient des premiers jours de novembre 2012 ? Mitt Romney était annoncé sur les talons du président sortant, Barack Obama. Dans les cercles républicains, on commençait même à constituer les équipes de la future administration. Verdict le 6 novembre : 5 millions de voix et 4 % d’avance pour le premier président noir de l’histoire du pays.
Lors des élections de mi-mandat en 2022, la « vague rouge » annoncée en sanction des deux premières années de mandat de Joe Biden s’est terminée en victoire en demi-teinte pour les républicains, qui ont repris la Chambre des représentants pour une poignée de sièges mais échoué à faire basculer le Sénat.
Mais, même si les suffrages des Américains invalident les craintes suscitées par les derniers sondages en donnant une majorité à Kamala Harris, Donald Trump a décidé de mettre le pays au bord du précipice en n’envisageant qu’une seule alternative : la victoire ou le chaos.

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