« Des mesures extrémistes et des décisions inattendues »

Entretien avec Ludivine Gilli, historienne et directrice de l’observatoire Amérique du Nord à la Fondation Jean Jaurès. (Article publié dans l’Humanité Magazine du 16 janvier 2025.)

Donald Trump revient à la Maison Blanche. Quelles sont les différences avec sa première prise de fonction il y a huit ans ?
C’est un Donald Trump aussi volatil mais mieux préparé qui s’apprête à prêter serment. En 2016, son élection l’avait pris au dépourvu. Il était arrivé au pouvoir sans feuille de route, ni le personnel pour gouverner. Il revient à Washington avec l’expérience du fonctionnement de l’administration et surtout un réseau de soutiens dont il a éprouvé la loyauté.
Comme en 2017, il disposera de majorités à la Chambre et au Sénat, mais de majorités plus minces, qui lui donneront du fil à retordre. Car, s’il a depuis mis le Parti républicain au pas et peut compter sur un socle de fidèles au Congrès, les divergences politiques internes n’y sont pas nulles.
En termes de programme, plusieurs organisations conservatrices comme la Heritage Foundation (et son très médiatisé projet 2025) mais surtout l’America First Policy Institute lui offrent des mesures clés en main dans tous les domaines : du démantèlement de l’État à l’immigration, en passant par l’insertion de la religion à l’école. Ces mesures seront regardées avec bienveillance par la Cour suprême, devenue solidement conservatrice.
Donald Trump revient par ailleurs aux affaires dans un état d’esprit vengeur contre tous ses opposants démocrates, républicains, procureurs, patrons de la tech, médias et bien d’autres, qu’il a menacés de poursuites, de prison ou de tribunal militaire.


Comment analysez-vous la composition de l’administration ? Quelles sont ses caractéristiques ? Que disent-elles du projet trumpiste ?
Le maître mot est loyauté. Le point commun à tous les heureux élus est qu’ils ont prêté allégeance au chef. Donald Trump s’entoure de personnes dont il pense qu’elles feront ce qu’il exige, quoi qu’il leur demande. Cela indique qu’il entend garder la main sur son administration.
En termes de profil, les nominés sont non conventionnels et forment un assemblage assez disparate où un Elon Musk côtoie une Lori Chavez-DeRemer, défenseuse des syndicats et des travailleurs. On y trouve principalement des milliardaires et multimillionnaires, outsiders et chefs d’entreprise. Quelques-uns sont issus du monde politique. Plusieurs, comme Pete Hegseth, Tulsi Gabbard, Kash Patel ou Robert Kennedy Jr., sont contestés car ils sont sous-qualifiés pour le poste auquel ils prétendent et ont défendu des positions controversées.
La plupart des nominés sont des tenants de lignes radicales, de l’immigration au prétendu wokisme au sein de l’armée, en passant par le soutien à Israël. Les nominations de Pam Bondi à la justice et de Kash Patel au FBI suscitent des inquiétudes parmi les défenseurs de la démocratie, qui redoutent une instrumentalisation de ces deux institutions à des fins de représailles politiques contre de prétendus « ennemis de l’intérieur ».
La liste compte également plusieurs idéologues comme Stephen Miller, Brooke Rollins et Russel Vought, qui souhaitent dynamiter l’État de l’intérieur. La combinaison disparate de fidèles radicaux, dont certains à forte personnalité, laisse présager des mesures extrémistes mais aussi des décisions inattendues et une forte instabilité, nourrie par un président adepte du chaos.

Trump avait dû faire face, dès le début de son premier mandat, à un mouvement qui s’était baptisé la « résistance ». Rien de tel cette année. Comment l’expliquez-vous ? Faut-il s’attendre, malgré tout, à des formes de résistance dans certains Etats fédérés ?
En 2016, la victoire de Donald Trump avait été un électrochoc pour ses opposants, que la plupart n’imaginaient pas possible. C’est ce choc qui avait provoqué des manifestations de millions de personnes au début de son mandat. Depuis, il s’est installé dans le paysage médiatique, et ses outrances répétées ont généré une forme d’accoutumance. Par ailleurs, l’élection de 2024 s’annonçait serrée. La victoire de Trump n’a donc pas été une surprise et n’a pas suscité la sidération constatée en 2016.
Cela ne signifie pas que l’opposition au futur président est inexistante. Depuis 2016, les défenseurs des droits et libertés n’ont cessé d’œuvrer pour sanctuariser autant que possible ces droits et libertés et ont obtenu des succès du niveau local au niveau fédéral. L’opposition s’appuiera sur ces réussites associatives ou politiques, mais aussi sur l’inertie du système administratif et sur le système judiciaire. Elle sera plus aisée dans les États « bleus », dont les gouverneurs ont déjà annoncé leur intention de résister, tout en préparant les élections de mi-mandat.

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