A peine investi, ce lundi à Washington, le président nationaliste lancera une offensive tous azimuts afin d’imposer son projet de remodelage de la société américaine comme de la géopolitique mondiale. (Article publié dans l’Humanité du 20 janvier 2025.)
Le Capitole aurait dû symboliser son opprobre politique. Ce 20 janvier, il incarnera son retour vengeur. Un peu plus de quatre ans après l’assaut – qu’il avait encouragé – du saint des saints législatif du pays, Donald Trump va prêter serment à midi, heure locale, pour un second mandat qui se profile bien différemment du premier.
Cette fois-ci, le milliardaire rentre à la Maison-Blanche fort d’une majorité en voix (49,7 % contre 48,2 % à Kamala Harris), là où il ne devait sa première victoire qu’au système du collège électoral. Il dit disposer d’un mandat du peuple américain, ce qui est hautement discutable au regard de sa marge d’avance (+ 1,5 point), inférieure à celle dont disposait Hillary Clinton face à lui en 2016 (2,1 points). Peu importe. Tous les atouts se trouvent dans sa main.
Il peut s’appuyer sur la majorité républicaine au Congrès ainsi que sur la Cour suprême, un organe politique de fait. Il dispose d’une feuille de route, le Projet 2025, de la fondation Heritage, même s’il a dû, pendant la campagne électorale, prendre quelques distances avec ce brûlot dont l’objectif affirmé, selon Kevin Roberts, le président de ce think tank ultraconservateur, est l’« institutionnalisation du trumpisme ». À savoir : faire rentrer dans chaque pore des politiques publiques les préceptes de ce mouvement réactionnaire multiforme (oligarchie, masculinisme, anti-woke) qu’incarne le milliardaire.
Enfin, contrairement à 2016, il peut compter sur des troupes – fantassins et officiers – en nombre suffisant. À la fin de son premier mandat, des postes clés dans des administrations fédérales n’étaient toujours pas pourvus. Cette impréparation n’est plus de mise. Premier acte dès les premières minutes : Donald Trump signera dès ce lundi une centaine de décrets présidentiels, lançant sa croisade politique et culturelle sur tous les fronts.
Endiguer la puissance chinoise
Aussi curieux que cela puisse paraître, Donald Trump s’inscrit dans les pas de ses prédécesseurs démocrates sur la principale question de politique étrangère. À sa façon, certes : de manière apparemment plus erratique et avec plus de volume rhétorique. Mais, depuis 2011 et le « pivot asiatique » décidé par Barack Obama, cette volonté d’endiguer la montée en puissance économique et géopolitique de la Chine demeure l’option diplomatique la mieux partagée par les deux grands partis.
« La montée en puissance de la Chine pose pour les États-Unis un défi structurel de long terme que les décideurs de la politique internationale, les institutions de sécurité en particulier, considèrent comme étant absolument essentiel », rappelait dans nos colonnes l’universitaire Philip Golub. Si la puissance américaine est investie aux côtés de l’Ukraine et d’Israël, c’est contre Pékin qu’elle entend concentrer tous ses moyens.
Avec Donald Trump, la guerre sera commerciale et commencera par l’augmentation des droits de douane sur les produits importés de Chine, au risque de l’inflation. À quel niveau ? Mystère. L’excédent commercial de la Chine, qui vient d’atteindre la faramineuse barre des 1 000 milliards de dollars, l’encouragera peut-être à frapper plus fort qu’entre 2017 et 2021. Ironie : plus d’emplois industriels ont été créés pendant le mandat de Joe Biden, dans la foulée des lois d’investissements dans les infrastructures et la conversion climatique, que pendant celui de Donald Trump.
L’unilatéralisme à marche forcée
La Chine ne constitue que la pièce la plus importante d’un puzzle plus large que Donald Trump entend redessiner. Les saillies contre le Canada, le canal de Panama et le Groenland ont un point commun : poser un jalon pour une future « négociation », mais en bilatéral, donc supposément en position de force.
La réaction du ministre danois des Affaires étrangères est d’ailleurs symptomatique de ce type de discussions asymétriques. Plutôt que de s’élever contre un projet impérialiste, il a assuré le futur président américain que son pays porterait une attention particulière à ses attentes… Le message est, semble-t-il, passé. Avec le Canada, il s’agit d’anticiper une éventuelle remise à plat des accords de libre-échange. Quant à la question de la voie maritime en Amérique centrale, elle constitue une première étape de la guerre commerciale contre la Chine.
Si Donald Trump veut isoler un pays, ce n’est pas le sien, mais ceux auxquels il entend imposer un de ses fameux « deals ». C’est là la clé de l’approche diplomatique du nationaliste républicain : il n’est pas un isolationniste mais un unilatéraliste. Le multilatéralisme, clé de voûte de l’architecture des relations internationales conçue après la Seconde Guerre mondiale, lui apparaît comme un boulet entravant la puissance américaine.
Il veut donc en garder les avantages (le système d’alliances dont les États-Unis constituent l’épicentre) et se débarrasser des inconvénients (la mutualisation des décisions). L’arrivée de Marco Rubio, un « faucon », au département d’État révèle une approche beaucoup plus agressive.
Lancer la chasse aux migrants
« La plus grande opération d’expulsions de l’histoire. » Donald Trump est un habitué des superlatifs. Pour des dizaines de millions d’habitants des États-Unis, celui-ci fait froid dans le dos. Après la promesse (non tenue) de construire un mur à la frontière avec le Mexique, le républicain a mené campagne, notamment, sur celle de procéder à une véritable chasse aux migrants sans statut légal, dont le nombre est estimé à 11 millions, soit 3 % de la population totale.
Le rejet de l’immigration est devenu un ciment de l’électorat républicain.
Donald Trump comme ceux qui voudront lui succéder ou simplement être réélus lors des élections de mi-mandat en 2026 tiennent à maintenir cette question tout en haut de l’affiche médiatique. Thomas Homan, le nouveau « tsar de la frontière », a déjà annoncé que les descentes sur les lieux de travail allaient reprendre après avoir été mises en pause par l’administration Biden. Selon le Wall Street Journal, l’ICE, l’agence chargée de l’immigration, prépare un « raid » dès mardi à Chicago, une ville « sanctuaire », où les autorités et la police refusent de coopérer avec les forces fédérales. Un premier test grandeur nature.
« Drill, baby, drill »
Les pedigrees et déclarations des nommés disent tout du cap politique. Au ministère de l’Energie, Donald Trump a placé Chris Wright, directeur général de Liberty Energy, une société de fracturation hydraulique. Celui que le New York Times présente comme un « évangéliste des combustibles fossiles » estime qu’« il n’y a pas de crise climatique, et (que) nous ne sommes pas non plus au milieu d’une transition énergétique ».
À la tête de l’Agence fédérale de l’environnement (EPA), c’est un ancien député républicain, Lee Zeldin, parmi les plus farouches opposants à toute réglementation climatique, qui officiera. Sa mission, selon Donald Trump : « tuer » et « annuler » les réglementations de l’agence. « Nous rétablirons la domination énergétique des États-Unis », a promis l’impétrant, comme si celle-ci avait été mise à mal par le mandat Biden.
En fait, les États-Unis occupent depuis près d’une décennie une position d’exportateur nette d’énergie, grâce notamment à l’explosion du pétrole et du gaz de schiste. Si Joe Biden a timidement limité cette croissance, Donald Trump entend lâcher totalement la bride sur le cou des multinationales. Comme le veut le slogan de campagne du Parti républicain en 2008 : « Drill, baby, drill ! » (« Fore, chéri, fore ! »).
Reconfigurer l’État fédéral
Ici aussi, le pedigree constitue une boussole : la réforme de l’État confiée à deux milliardaires, à commencer par le plus riche d’entre eux, Elon Musk. Le deuxième homme fort de l’administration Trump – après le président lui-même – sera épaulé par Vivek Ramaswamy, ultradroitier candidat à la primaire républicaine. Une structure a été créée ex nihilo pour les besoins de leur mission : un département pour l’efficacité gouvernementale (Department of Government Efficiency). L’acronyme (Doge) fait penser à la magistrature suprême de la République de Venise.
Il s’agit surtout d’établir un gouvernement des ultra-riches en reconfigurant les missions de l’État. Selon le New York Times, « un groupe non rémunéré de milliardaires, de cadres du secteur de la technologie et certains disciples de Peter Thiel, un puissant donateur républicain, se préparent à occuper des postes non officiels au sein du gouvernement américain au nom de la réduction des coûts ».
Il ne s’agit pas de dépecer l’État fédéral mais de le remodeler. À titre d’exemple, la ministre de l’Éducation, la millionnaire Linda McMahon, ne videra pas la structure de sa substance et de ses finances. Elle les redéployera au bénéfice des écoles privées, principalement religieuses. Et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, Elon Musk a déjà demandé des moyens supplémentaires pour SpaceX, société détenue par… Musk Elon.