Le torchon brûle entre Trump et sa base Maga

Affaire Epstein, livraison d’armes à l’Ukraine et chasse aux migrants : sur ces trois dossiers, la frange populiste de la coalition républicaine reproche au président d’avoir renoncé à ses engagements de campagne. (Article publié dans l’Humanité du 15 juillet 2025).

Donald Trump n’aura savouré l’adoption de sa grande loi budgétaire que le temps d’un week-end. Aussitôt après la célébration de l’indépendance, le 4 juillet dernier, le climat politique au sein de coalition a viré à l’orage. Trois décisions prises par l’administration Trump ont provoqué la fronde d’éléments conséquents de la base MAGA (« Make America Great Again »).

Commençons par l’affaire Epstein, qui a mis le feu aux poudres. Après avoir expliqué il y a quelques mois que la liste des « clients » de Jeffrey Epstein, le prédateur sexuel mort en prison en 2019, se trouvait sur son bureau, Pam Bondi, la ministre de la Justice, a annoncé qu’elle n’avait finalement pas d’informations supplémentaires à communiquer. Plusieurs voix influentes d’extrême droite ont aussi tôt crié à la dissimulation. Laura Loomer, l’une des plus extrêmes d’entre elles et souvent cajolée par Donald Trump, a même appelé à la démission de Pam Bondi.

Durant la campagne présidentielle, la frange « complotiste » mettait régulièrement en avant une conjuration organisée par l’administration Biden visant à masquer l’étendue du réseau de prédation sexuelle organisé par Jeffrey Epstein et les noms de personnalités politiques et de célébrités y ayant participé. Donald Trump avait relayé cette théorie, trop content de nuire à son adversaire démocrate.

« En tant que personne qui a voté pour le président et qui a beaucoup fait campagne pour lui, je ne m’en prends pas au président, mais je pense que même les personnes qui soutiennent pleinement la majeure partie du programme MAGA se disent : ”C’est trop, en fait”, a déclaré Tucker Carlson, ancien présentateur vedette de Fox News. Je dis cela avec amour, et j’espère qu’ils m’écoutent. Parce que je pense que cela risque de tout faire capoter. »

Interrogé par un journaliste lors d’une réunion de son cabinet, le président n’a pas masqué son agacement : « Vous parlez encore de Jeffrey Epstein ? On parle de ce type depuis des années », a-t-il rétorqué. « Je n’arrive pas à croire que vous posiez une question sur Epstein dans un moment pareil. Nous connaissons actuellement l’un de nos plus grands succès, mais aussi une tragédie avec ce qui s’est passé au Texas. Cela me semble tout simplement irrespectueux. »

Cet épisode a eu lieu quasiment en même temps que la décision de reprendre les livraisons d’armes à l’Ukraine, un temps suspendues. Les « isolationnistes » y ont vu un renoncement, quelques mois après le lâchage de Kiev via l’humiliation dans le bureau ovale de Volodymyr Zelensky. Ils avaient déjà été échaudés par les bombardements sur les sites nucléaires iraniens, contravention au principe de l’ « America First ».

De la même manière, ils regardent avec suspicion, mais pas vraiment dans une franche opposition pour autant, les visites à répétition de Benyamin Netanyahou à Washington, symbole d’un alignement total de l’administration Trump sur la stratégie de la coalition au pouvoir à Tel-Aviv et du risque que la puissance américaine soit de nouveau directement impliquée sur le terrain au Proche-Orient.

Enfin, dernier motif de fâcherie pour une partie des plus fidèles trumpistes : la « plus grande opération d’expulsions de migrants de l’Histoire du pays », promise par Donald Trump. Ce dernier a finalement cédé à l’aile « business » de sa coalition et donné des instructions pour que la police de l’immigration (ICE) cesse ses raids dans les grandes propriétés agricoles, les hôtels et restaurants. Les lobbies patronaux faisaient pression depuis plusieurs semaines, évoquant une situation qui mettait en péril leur activité.

L’ICE est prié de se concentrer sur les sans-papiers qui sont des délinquants ou criminels. La composante « nativiste » y voit une « amnistie » déguisée pour l’immense majorité des 11 millions de sans-papiers. Là encore, ce ne sont pas des voix « secondaires » qui mènent la charge : Steve Bannon, l’ancien conseiller de Donald Trump à la Maison Blanche et idéologue du suprémacisme blanc, et Charlie Kirk, fondateur de Turning Point USA et figure montante de l’extrême droite. « De quoi parlent-ils ? Je n’ai jamais parlé d’amnistie », s’est défendu Trump, sans vraiment convaincre ses propres ouailles.

Début juillet, lors d’un rassemblement dans l’Iowa visant à célébrer le vote de la grande loi budgétaire, le président, qui a fait de l’immigration le thème central de son ascension politique, avait annoncé le changement de couleur : « Je me suis mis dans une situation délicate parce que j’ai dit que je ne voulais pas priver les agriculteurs de leur main-d’œuvre », avait-il lancé avant d’annoncer qu’une loi était en cours d’élaboration pour protéger certains migrants contre les « expulsions brutales » menées par son administration dans le cadre de ses raids sur les lieux de travail.

Il a depuis reconnu que les « partisans radicaux de droite » de sa base politique « pourraient ne pas être très satisfaits » de cette initiative. Des trois sujets de discorde, c’est incontestablement celui-ci qui porte le plus à conséquence politique. De nombreuses enquêtes et études ont montré que le sentiment anti-migrants constituait le ciment de la base électorale de Donald Trump.

Dans les arbitrages entre les différents segments de sa coalition, Donald Trump a, sur ces trois dossiers, donné le sentiment qu’il agissait de plus en plus comme un républicain « normal » et non plus comme le champion populiste que certains voyaient en lui. Les dissensions sont désormais étalées au grand jour avec un Stephen Bannon, très offensif.

Dans son talk-show quotidien « War Room », très populaire auprès de la base MAGA, il a exhorté ses auditeurs à ne pas « se recroqueviller en position fœtale », mais à engager le bras de fer. « Ne disons pas : ”Oh mon Dieu, il va entrer en guerre avec l’Iran. Il se laisse entraîner en Ukraine. Il pousse à l’amnistie.” C’est Epstein, oui, c’est tout cela, et peut-être plus encore. Ce n’est pas grave, a-t-il poursuivi. Vous êtes dans le fight club. Et dans le fight club, que faisons-nous ? Nous nous battons. »

Elon Musk, lui aussi, a décidé d’engager le combat mais de l’extérieur, avec la création de son « parti de l’Amérique ». S’il peut difficilement envisager une vocation majoritaire, il peut à tout le moins empêcher le parti républicain de retrouver sa majorité au Congrès lors des élections de mi-mandat en novembre 2026.

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