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Colorado, le fleuve de la discorde

La ressource diminue de manière presque dramatique mais les Etats n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la répartition des réductions. Personne ne veut toucher à son modèle de développement qu’il soit basé sur l’agriculture irriguée (le sud de la Californie) ou la croissance démographique (Arizona et Nevada). Le gouvernement fédéral a pris la main. (Article publié dans l’Humanité du 14 février 2023).

La sécheresse endémique a mis le Colorado quasiment à sec. Les Etats que traverse le fleuve nourricier se livrent une lutte sans pitié pour accaparer le peu d’eau qu’il reste. L’Etat fédéral s’effondre lentement et ne peut plus jouer les arbitres. C’est l’heure de la guerre de l’or bleu. Voici la trame du roman « Water knife », écrit en 2015 par la star de la science-fiction américaine, Paolo Bacigalupi. Sept ans après sa publication, il ne fait quasiment plus figure de roman d’anticipation.  

Ce n’est pas encore tout à fait la guerre de l’or bleu mais les tensions n’ont jamais été aussi vives entre les Etats dont l’approvisionnement dépend du fleuve qui prend sa source dans les Montagnes rocheuses et traverse l’Ouest américain pour se jeter dans le Pacifique, après 2300 kilomètres de course. L’Arizona, la Californie, le Colorado, le Nevada, le Nouveau-Mexique, l’Utah et le Wyoming avaient jusqu’au 31 janvier pour parvenir à un accord, sous peine de se voir imposer des coupes par le gouvernement fédéral. A ce stade, les différends sont trop importants entre la Californie et ses six voisins. Ces derniers ont élaboré un plan commun afin de réduire leur consommation d’eau qui ne convient pas au « Golden State ». Celui-ci a donc formulé sa contre-proposition, concédant des efforts sans s’attaquer à son modèle de surconsommation. Ce qui, sans surprise, ne convient pas aux six autres, dont la population cumulée (22 millions d’habitants) atteint à peine plus de la moitié de celle de la Californie (39 millions) même si seul le sud du « Golden State », soit 20 millions d’habitants, dépend du fleuve.  

L’Etat fédéral s’en mêle désormais. Le fleuve Colorado est à l’agonie, malgré de premiers plans de réductions qui se sont avérés avoir un coup de retard sur le niveau de la baisse de la ressource, induite par la sécheresse devenu un phénomène ordinaire depuis le début des années 2000. Désormais, les économies nécessaires correspondent à 20 à 40% de la capacité actuelle du fleuve. Faute d’accord, le ministère de l’intérieur, qui gère les espaces naturels dont les rivières, a donc pris la main, une première depuis 1922 et le grand accord passé entre les Etats fédérés eux-mêmes. Le pilotage centralisé depuis Washington passe mal. Dans le cadre des pourparlers, le ministère a proposé d’explorer un scénario au cours duquel Phoenix (Arizona) et Las Vegas (Nevada) se trouveraient coupées d’approvisionnement issu du Colorado. Refus catégorique des deux Etats concernés. La piste n’apparaît pourtant pas du tout improbable. La volonté des autorités fédérales d’aller y regarder de plus près dans ces deux métropoles ne doit rien au hasard: elles répondent toutes deux à un mode de développement qui n’est littéralement plus soutenable. La population de l’aire urbaine de Phoenix a doublé en 30 ans, absorbant désormais plus des deux-tiers de la population de l’Arizona, le tout en plein désert de Sonora. Au cœur de cette métropole, on trouve notamment la ville de Scottsdale, « la Mecque » des golfeurs avec ses dizaines de aprcours, dévoreurs d’eau. Autre désert – celui des Mojaves – mais même problématique avec l’agglomération de Las Vegas et ses 2,2 millions d’habitants sur les 3 que compte le Nevada, soit un quadruplement de la population depuis les années 90. Les élus ne veulent notamment pas assumer les réductions drastiques concernant les remplissages de piscines privées et d’arrosage de golfs, un premier pas impopulaire mais pourtant insuffisant pour sortir de cette crise historique. Quant à la Californie, elle argue que son agriculture – véritable grenier des Etats-Unis – ne peut descendre en dessous d’un niveau donné de consommation d’eau. Bref, la quadrature du cercle. 

Le changement climatique et les effets combinés de la croissance démographique et d’une agriculture ultra-intensive, ont amené les niveaux des lacs Mead et Powell quasiment à sec. Or, ces deux réserves alimentent en eau et en électricité l’Arizona, le Nevada et le sud de la Californie. Le lac Mead a atteint son plus bas étiage l’an dernier à 315 mètres au-dessus du niveau de la mer. Une baisse du niveau de 30 mètres et le barrage Hoover ne sera plus en capacité de générer de la puissance hydroélectrique. 45 mètres de moins et l’eau ne passerait plus la rampe, créant une situation connue sous le nom de “deadpool” (piscine morte). « C’est un désastre au ralenti, constate, dans le New York Times, Kevin Moran, de l’ONG Environmental Defense Fund. On est vraiment à un moment de vérité. » 

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La fausse main tendue de Biden aux républicains

Pour le traditionnel discours sur l’état de l’Union, le président a surtout préparé le terrain en vue de l’élection de 2024. (Article publié dans l’Humanité du 9 février 2023).

Devant le congrès, pour l’épreuve orale imposée de la politique américaine, Joe Biden a proposé aux républicains, qui détiennent désormais une majorité à la Chambre des représentants, de coopérer mais à ses propres conditions. Comme si le travail « bipartisan » n’était qu’une figure de style sans réelle portée alors que s’ouvre un cycle qui mènera à l’élection présidentielle de novembre 2024, pour laquelle il n’a pas encore dévoilé ses intentions. « À mes collègues républicains, si nous avons pu travailler ensemble lors du dernier Congrès (en fait, les républicains se sont opposés à quasiment tous les projets de loi déposés par les démocrates – NDLR), il n’y a aucune raison que nous ne puissions travailler ensemble et trouver des consensus sur des sujets importants lors de ce Congrès », a-t-il estimé, avant d’accuser ses opposants de vouloir réduire les fonds pour la Social Security (le système fédéral de retraites) et Medicare (programme fédéral d’assurance-maladie pour les plus de 65 ans). Des bancs républicains sont montés des dénégations. Joe Biden n’aime rien tant que ce genre de situation d’estrade électorale. « Bien, collègues, comme nous sommes apparemment d’accord, la Social Security et Medicare ne sont pas sur la table », s’est-il amusé. Sénateur, le même Joe Biden proposait, dans les années 1990, des coupes qu’il reproche désormais aux républicains de vouloir mettre en œuvre.

Depuis vingt ans, le centre de gravité de l’électorat démocrate a évolué vers la gauche, et l’hôte de la Maison-Blanche doit en tenir compte. Ainsi, son discours de 73 minutes a été émaillé d’appels à appliquer le programme démocrate. « Interdisez-les maintenant ! » a-t-il lancé aux élus du GOP (Grand Old Party, surnom du parti républicain), à propos des armes d’assaut. « Faites quelque chose ! » a encore invoqué Joe Biden à propos de la réforme de la police, tandis que les parents de Tyre Nichols, un jeune Africain-Américain de 29 ans tué le 7 janvier à Memphis par cinq membres d’une unité spéciale de la police, se trouvaient aux côtés de Jill Biden. Enfin, il a dénoncé les surprofits des compagnies pétrolières, proposant d’augmenter les impôts pour les plus riches, une promesse électorale qu’il n’a pas réussi à rendre effective alors qu’il disposait d’une majorité dans les deux chambres du Congrès. Tous ses propos n’engagent donc en rien l’hôte de la Maison-Blanche : ils servent principalement à la scénarisation d’une opposition avec les républicains, alors que ceux-ci vont rentrer dans la phase de désignation de leur candidat pour 2024.

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