Faute d’accord sur la nouvelle convention collective, le syndicat UAW a lancé vendredi un débrayage simultané parmi les «Big Three », les géants du secteur, une première. (Article publié dans l’Humanité du 18 septembre 2023.)
Detroit (Michigan),
Envoyé spécial.
“Solidarity forever”. C’est avec l’hymne du syndicalisme américain que les grévistes de l’usine Ford de Wayne, près de Detroit, ont été accueillis par les collègues qui les attendaient aux portes de l’usine. A la même heure, les salariés de l’usine Chrysler de Toledo (Ohio) et ceux du site de General Motors à Wentzville (Missouri) coupaient les lignes et débrayaient. Il était minuit ce vendredi 15 septembre et le contrat – l’équivalent d’une convention collective – venait d’expirer. Comme 97% des 150.000 syndiqués de l’UAW le lui en avaient donné mandat, la direction du syndicat déclenchait donc un mouvement de grève, le premier dans le secteur depuis 2019. Quelques heures plus tôt, le président de l’UAW avait prévenu : « Ce soir, pour la première fois de notre histoire, nous allons faire grève chez les Big Three (les trois grands constructeurs, N.D.L.R.).»
Mais une grève bien ciblée : un site par groupe, pas plus, afin de se laisser une marge de manœuvre si le patronat du secteur ne répond pas aux attentes dans les jours qui viennent. L’UAW a fait connaître de longue date ces revendications, parmi lesquelles : 40% d’augmentation des salaires, le retour de l’indexation des salaires sur l’inflation, semaine de 32 heures payées 40, la fin de la double échelle des statuts qui fait que les embauchés depuis 2009 ne disposent pas de plan de retraite. Les grands groupes ont récemment hissé leur propositions salariales à près de 20% sur les quatre années du nouveau contrat, un montant inférieur à l’inflation de ces dernières années. Interrogée sur CNN, Marry Barra, la présidente de General Motors, a qualifié l’offre « d’historiquement généreuse avec d’importantes hausses salariales » mais a calé au moment de répondre à la question de la journaliste : « Pourquoi les salariés ne pourraient-ils obtenir la même hausse de salaire que celle que vous vous êtes octroyée, à savoir 34% entre 2019 et 2022? ». Le slogan de l’UAW – « A profits records, contrat record » – fait mouche alors que les « Big Three » affichent 21 milliards de dollars de profits au premier semestre 2023, portant leur pactole à 250 milliards durant la décennie écoulée.
En ciblant chaque groupe mais à une petite échelle, le syndicat espère faire comprendre sa détermination aux constructeurs automobiles sans entamer sa caisse de grève dont le montant est estimé à 850 millions de dollars. Pour chaque gréviste, l’UAW verse 500 dollars par semaine. Si les 150.000 salariés du secteur débrayaient, il pourrait tenir trois mois. Depuis vendredi, ce sont 12700 salariés qui se déclarent en grève. Histoire de bien faire comprendre sa détermination, l’UAW a organisé dès vendredi soir un meeting « pour sauver le rêve américain.» Invitation avait été faite de venir vêtu de rouge, ce à quoi se sont prêtés les milliers de participants, y compris… Bernie Sanders qui avait fait le déplacement. « Le combat que vous menez vise à reconstruire la classe moyenne de ce pays qui jadis faisait envie au monde», a lancé le sénateur socialiste.
Après la seconde guerre mondiale, les salariés de l’automobile ont constitué les figure centrale de cette « classe ouvrière » qui grâce à de bons salaires et une protection sociale accédait à la société de consommation (téléviseur, frigidaire) devenait « classe moyenne ». « Ce rêve a disparu, constate Mitchell, salarié d’une usine Ford à Dearborn, les bras entourant les épaules de ses deux fils, portant également un sweat shirt rouge. Avec mon salaire, je ne peux plus prétendre faire partie de la classe moyenne. Je vis mois après mois, priant pour que la famille ne rencontre pas de problèmes inattendus. Et les PDG qui se sont grassement augmenté me disent qu’ils ne peuvent pas faire plus alors que l’entreprise pour laquelle je travaille a fait des profits records.» Dans son discours, Bernie Sanders a insisté sur le fait que « le combat de l’UAW contre la cupidité capitaliste est le combat de chaque Américain. » Selon les sondages, les trois-quarts des Américains soutiennent les revendications des salariés de l’automobile et la moitié d’entre eux approuve la grève (contre un tiers qui la désapprouve). C’est sans aucun doute la popularité de ce mouvement qui a poussé Joe Biden, jusqu’ici très prudent au point d’envenimer les relations avec Shawn Fain et l’UAW, à reprendre l’antienne syndicale et à déclarer que des « profits records devraient être partagés dans des contrats records pour l’UAW », mettant un peu plus de poids dans la balance pour les 150.000 salariés du secteur, à un an de l’élection présidentielle.