Une semaine après le déclenchement d’un mouvement historique, le syndicat a lancé de nouveaux débrayages et amené le président en exercice à se rendre mardi sur un piquet de grève. (Article publié dans l’Humanité du 25 septembre 2023.)
La poubelle de Shawn Fain commence à être bien remplie. Vendredi, le président de l’UAW y a jeté la dernière proposition en date de Stellantis qui y a rejoint les précédentes déjà jugées « insultantes », un geste devenu récurrent depuis juillet et l’entame de la dernière ligne droite des négociations. Lors de son point hebdomadaire en direct sur Facebook, le dirigeant syndical a longuement critiqué l’attitude du géant de l’automobile, qui englobe Chrysler, et de son PDG, Carlos Tavares, estimant que certaines de ses réponses aux demandes des salariés constituaient des régressions.
A l’instar de la corbeille à papiers du président de l’UAW, la carte des sites en grève se densifie elle-aussi. Il y avait depuis vendredi 15 septembre, trois petits points : une usine Ford près de Detroit (Michigan), un site Stellantis à Toledo (Ohio) et un autre de GM à Wentzville (Missouri). Vendredi à midi, 38 nouveaux sites dans 20 Etats – une façon de « nationaliser » – le conflit – sont entrés dans cette grève aux modalités totalement inédites : pour la première fois dans l’histoire, les « Big Three » sont simultanément visés mais de manière ciblée et graduelle. Chaque semaine, et en fonction de l’avancement des négociations, le syndicat franchit un cran dans la mobilisation de ses 150.000 membres salariés des trois compagnies engagées dans la renégociation de la convention collective. Fait notable : Ford est épargné par l’extension du mouvement. « Pour être clair, nous n’en avons pas fini avec Ford, a déclaré Shawn Fain. Nous avons de sérieux problèmes à résoudre, mais nous voulons reconnaître que Ford est sérieux dans sa volonté de parvenir à un accord. » L’entreprise qui est considérée par une grande majorité d’Américains comme la grande compagnie nationale a d’ores et déjà accepté plusieurs revendications du syndicat : indexation des salaires sur l’inflation, titularisation de tous les salariés intérimaires, augmentation des bonus liés aux profits, droit (jusqu’ici non reconnu) de faire grève pendant la durée du contrat contre des projets de fermeture d’usines, une grande première dans l’histoire du syndicalisme dans l’automobile. La semaine dernière, Ford a conclu un accord au Canada avec le syndicat Unifor, évitant le déclenchement d’une grève. Le contenu n’a pas été rendu public mais il devrait contenir des hausses substantielles des salaires et des pensions de retraite, que sont appelés à ratifier les adhérents.
Aux Etats-Unis, les nouveaux débrayages ne concernent pas les usines d’assemblage mais les centres de vente de pièces détachées : dix-huit sites General Motors et vingt sites Stellantis, employant respectivement 3475 et 2150 salariés, portant le nombre total des grévistes à 18000, soit 12% des syndiqués concernés. Parlant depuis un piquet de grève dans le Michigan, Shawn Fain a souligné que ces centres « généraient beaucoup de profits, spécialement pour Stellantis ». Auprès du site spécialisé Labornotes, il a également souligné ajouté qu’ils constituaient un « exemple typique de la double échelle des salaires » – cette pratique acceptée par l’UAW après la grande crise de 2009 que la nouvelle direction entend éradiquer – avec le plafonnement pour nombre de salariés de leurs rémunération à 25 dollars de l’heure.
En ciblant avec précision les sites en grève, l’organisation syndicale maximise la portée de l’impact tout en minimisant le coût pour elle (500 dollars sont versés hebdomadairement à chaque salarié depuis un fonds dont le montant est estimé à 825 millions de dollars). « En élargissant la grève aux centres de distribution, qui fournissent des pièces aux concessionnaires pour les réparations, le syndicat s’adresse effectivement aux consommateurs, dont certains pourraient avoir des difficultés à faire réparer leur voiture ou leur camion, voire être dans l’impossibilité de le faire », commente le New York Times. Pour l’UAW, la grève doit autant se mener auprès de l’opinion publique que dans le périmètre des usines, et ce…jusqu’au sommet de l’Etat. C’est ainsi que Shaw Fain a invité Joe Biden à se rendre sur un piquet de grève, plaçant l’hôte de la Maison Blanche au pied du mur : soit être aux côtés des salariés, à l’instar de Bernie Sanders, qui a participé à un meeting de l’UAW à Detroit dès le premier jour de grève, soit continuer de maintenir une sorte d’équidistance entre ceux-ci et les directions d’entreprises. La relation entre Joe Biden et Shawn Fain est marquée, depuis l’élection de ce dernier, du sceau de la tension. Le syndicat a récemment retiré son soutien officiel à, la candidature du président sortant car il dit attendre des « actions pas des paroles » de la part de celui qui se présente comme le « président le plus pro-syndicat de l’Histoire. »
A un an de l’élection présidentielle, le président américain a donc décidé de se rendre donc mardi dans le Michigan – un Etat qu’il a remporté en 2020 mais que Hillary Clinton avait perdu face à Trump en 2016. Selon les termes d’un communiqué de la Maison Blanche, Joe Biden « se joindra à un piquet de grève », un fait sans précédent.
SONDAGE
Une majorité d’Américains avec les grévistes de l’automobile et d’Hollywood
Aux Etats-Unis, les grèves sont de nouveau populaires. C’est la conclusion qu’il faut tirer d’un sondage réalisé par Ipsos pour Reuters. 58% des Américains soutiennent la grève dans l’automobile (contre 32% qui s’y opposent) et 60%, celle des scénaristes d’Hollywood (contre 27%). L’appui au mouvement historique lancé par le syndicat UAW est plus fort chez les démocrates (72%) mais 48% des Républicains (contre 47) s’y retrouvent. La grève est la plus populaire parmi 18-34 ans, les africains-américains et ceux qui gagnent moins que le revenu médian.
Le sondage révèle également un large soutien au mouvement syndical en général, même si le taux de syndicalisation a atteint un niveau historiquement bas aux États-Unis (10,1%) : pour 61 % des personnes interrogées, les syndicats ont amélioré la qualité de vie de tous les Américains. Les deux tiers estiment que les salaires des PDG et des travailleurs devraient augmenter de manière égale, l’un des principaux arguments avancés par l’UAW qui demande une augmentation de 40%.