Réuni en convention à Chicago à partir de ce lundi, le parti démocrate profite d’une dynamique créée par le retrait de Joe Biden. L’establishment centriste s’est rallié à la vice-présidente et a verrouillé tout débat interne. (Article publié dans l’Humanité du 19 août 2024.)
Chicago 2024 ne sera pas Chicago 1968. Au creux de leurs courtes nuits, les stratèges démocrates doivent se répéter cette phrase comme un mantra. Alors que s’ouvre ce lundi la convention démocrate, le spectre d’un chaos, prélude à une défaite – scénario tellement redouté lors de l’annonce du retrait de Joe Biden de la campagne –, ne semble plus qu’une ombre très lointaine. Le ralliement express de l’establishment autour de la candidature de Kamala Harris a conjuré la perspective d’une grand-messe démocrate transformée en bataille fratricide de chapelles.
Chicago 2024 ne sera sans doute pas Chicago 1968. Cette année-là, Lyndon Johnson avait dû, en raison de son impopularité grandissante liée à la guerre du Vietnam, renoncer à briguer un second mandat complet. Durant la convention, alors que le vice-président Hubert Humphrey ralliait, au terme d’interminables tractations, une majorité de suffrages autour de sa candidature, dehors, la police de Chicago, aux ordres du maire démocrate Richard Daley, battait comme plâtre les manifestants pacifistes.
Quelques mois plus tard, Richard Nixon était élu président en promettant de mettre fin à l’escalade au Vietnam, le premier d’une litanie de mensonges qui conduira finalement à sa chute en 1974. L’Histoire ne bégaiera peut-être pas mais la coalition démocrate devra affronter ses propres dissensions sur une autre guerre – celle à Gaza, en l’occurrence – qui la divise comme aucun autre sujet.
Pour le reste, elle affichera une unité derrière Kamala Harris, renforçant la dynamique en cours : l’agrégateur de sondages du site Realclearpolitics crédite la vice-présidente d’une moyenne de 47,9 % des suffrages au plan national, contre 46,9 % pour Donald Trump. Dans les « swing states » (États indécis) qui feront la décision le 5 novembre, les nouvelles s’avèrent même encore meilleures.
Selon une enquête du New York Times publiée ce week-end, la candidate démocrate remporterait les trois États du Midwest qui suffiraient à la propulser à la Maison-Blanche – Pennsylvanie, Michigan et Wisconsin – avec la même marge (50-46). Elle disposerait également d’une avance en Arizona (50-47) et en Caroline du Sud (49-47), ne cédant qu’au Nevada (47-48) et en Géorgie (46-50). « Les nouveaux sondages prouvent que Mme Harris parvient à consolider une partie de la base démocrate qui hésitait depuis des mois à soutenir M. Biden, en particulier les jeunes électeurs, les non-Blancs et les femmes », analyse le quotidien new-yorkais.
Dans un pays ultra-polarisé, le chemin vers la Maison-Blanche passe d’abord par la mobilisation de sa propre base avant d’aller tenter de convaincre d’hypothétiques « swing voters ». Kamala Harris a clairement effectué une partie du chemin… et Donald Trump ne trouve pas la riposte à ce retournement de situation. Il l’a d’ailleurs avoué la semaine dernière : « Je n’ai pas du tout recalibré ma stratégie. »
Le milliardaire xénophobe a passé ces trois dernières semaines à questionner l’intelligence de Kamala Harris, son identification « raciale » (alléguant que la fille noire d’immigrés indiens et jamaïcains « a pris un virage et est devenue une personne noire » par opportunisme politique), l’affluence à ses meetings et à écorcher volontairement son nom. Et lorsqu’il revient sur les rails du contenu programmatique, c’est pour cultiver sa monomanie nativiste, insulter les migrants sans papiers (« des monstres sauvages ») et décrire une situation migratoire aussi apocalyptique qu’irréelle.
Quant à son colistier, il fait lui aussi du Trump mais presque en pire. J. D. Vance, présenté comme un idéologue, a successivement prêté l’intention à Kamala Harris de vouloir faire interdire la viande rouge puis les gazinières (sic). Le sénateur de l’Ohio s’est également lancé dans une croisade contre les femmes sans enfants – ce qui est le cas de Kamala Harris, comme d’un nombre grandissant de citoyennes américaines.
Il n’est pas en reste à l’encontre du colistier choisi par celle-ci, Tim Walz, d’abord accusé d’avoir abandonné son unité déployée en Irak alors qu’il avait simplement pris, à l’âge de 51 ans, sa retraite de la garde nationale, dans laquelle il servait depuis vingt-quatre ans.
Deuxième salve : en tant que gouverneur du Minnesota, Tim Walz aurait tardé à envoyer la troupe face aux manifestations suivant l’assassinat de George Floyd, à Minneapolis, une retenue pour laquelle l’aile gauche le loue. Le débat entre les deux colistiers, prévu le 1er octobre, pourrait revêtir une importance particulière pour un exercice habituellement sans surprises.
Les services involontairement rendus par le ticket républicain au ticket démocrate ne s’arrêtent pas là. À chaque évocation d’une possible proposition économique ou sociale, les républicains crient au délire d’extrême gauche, voire au communisme. Pourtant, un certain flou demeure sur le curseur programmatique, l’un des principaux enjeux de cette convention.
« Jusqu’à présent, Mme Harris a mené une campagne électorale solide en tant que démocrate générique compétente, mais la classe des donateurs semble y voir une opportunité, décrypte David Sirota, ancien conseiller de Bernie Sanders, scénariste du film oscarisé Don’t Look Up et créateur du site d’information The Lever. Certains milliardaires démocrates se sentent encouragés à exiger qu’elle se retire de la politique populiste la plus réussie de l’administration Biden. En effet, les articles parus dans la presse économique montrent que les grands patrons considèrent la nomination de Walz comme un simple geste rhétorique et esthétique à l’égard de la base du parti, mais pas comme un signal de l’engagement de Harris à adopter les ”Walzonomics” (les principes économiques de Tim Walz pendant son mandant de gouverneur du Minnesota – NDLR) ou même les éléments les plus forts de l’agenda économique Biden-Harris. »
Dans une première ébauche du déroulé de la convention, l’aile gauche du parti n’avait droit à aucun créneau. Les discours de Joe Biden, des anciens présidents Bill Clinton et Barack Obama et de l’ancienne candidate Hillary Clinton étaient prévus, mais pas celui de Bernie Sanders. Finalement, le sénateur et ancien candidat aux primaires démocrates, s’exprimera mardi 20 août en soirée devant les 4000 délégués.