La percée de la startup spécialisée dans l’intelligence artificielle signe l’échec d’une stratégie américaine visant à priver la Chine des meilleurs processeurs. (Article publié dans l’Humanité du 30 janvier 2025.)
L’incrédulité puis l’incompréhension, et enfin la quasi-panique. Les élites – technologiques et politiques – des États-Unis sont passées par ces trois phases après le succès fulgurant de DeepSeek. Cette start-up chinoise a développé un modèle d’IA aux performances égales à celles des leaders OpenAI ou Google mais à un coût de développement largement inférieur. Pour résumer, Liang Wenfeng a damé le pion à des mastodontes américains du secteur et leurs armées d’ingénieurs.
Le jeune geek concurrence même la Silicon Valley sur le terrain du narratif cher aux « pionniers » de la Big Tech. En 2008, diplôme d’informatique en poche, il a préféré emménager dans un petit appartement de Chengdu (sorte de pendant du garage californien dans lequel semble commencer toute histoire technologique qui se respecte) afin de creuser son propre sillon dans l’IA plutôt que de prendre un joli salaire dans l’un des grands groupes chinois qui pullulent à Shanghai ou Shenzhen. Dix-sept ans plus tard, le voilà « roi » momentané du secteur le plus porteur de la tech.
Premier impact du succès de DeepSeek, lancée le 10 janvier : la chute libre des actions de Nvidia. L’entreprise californienne, dont les processeurs sont les plus utilisés pour entraîner les modèles d’IA, a perdu 590 milliards de dollars de capitalisation boursière, rien que ça. Les spécialistes du secteur discutent encore des raisons et de la portée de cette avancée technologique mais, dans les lieux de pouvoir, on a instantanément saisi ce qu’elle signifiait : l’échec d’un type de politique d’endiguement de la Chine.
Depuis plusieurs années, Washington tente de limiter l’accès de Pékin aux microprocesseurs les plus pointus. La firme taïwanaise TSMC, leader mondial des puces électroniques de haut niveau, a interdiction de les exporter vers la Chine. Quant à Nvidia, les processeurs qu’elle vend à la Chine sont limités à la moitié de leur potentiel de puissance et de calcul.
Malgré cet embargo « soft », la Chine vient, via sa petite start-up, de marquer un point dans la grande bataille technologique et économique qui l’oppose aux États-Unis. « Les contrôles ont forcé les chercheurs chinois à faire preuve de créativité en utilisant un large éventail d’outils disponibles gratuitement sur Internet », explique le New York Times. Certains observateurs parlent même de « moment Spoutnik ».
La première mise en orbite d’un engin, réalisée par les Soviétiques en 1957, avait sidéré la puissance américaine, qui pensait encore disposer d’un avantage concurrentiel dans la conquête spatiale. Un « Pearl Harbor technologique », estimait alors le New York Times. On connaît la suite : le plan annoncé par John Fitzgerald Kennedy en 1961 qui aboutira aux premiers pas de l’homme – américain, en l’occurrence – sur la Lune.
Autre temps, autre rivalité stratégique. Donald Trump s’est pour l’instant contenté de voir dans la réussite de DeepSeek un « avertissement » pour les États-Unis. Une réaction assez « neutre » au regard des enjeux colossaux qui peut laisser penser que les élites américaines, prises au dépourvu, ne disposent pas encore de la « martingale » pour contrer cette percée du rival désigné.