L’offensive contrariée de Donald Trump

Malgré une guerre éclair politique et des dégâts considérables causés, le président nationaliste a rencontré plus d’opposition que prévue. Son bilan des 100 jours s’affiche en demi-teinte, à l’image de sondages en berne. (Article publié dans l’Humanité du 29 avril 2025.)

Donald Trump envisageant la politique comme une guerre permanente, il faut bien mobiliser un vocabulaire belliqueux pour jauger les cent premiers jours de son second mandat. Une offensive d’une envergure sans doute, en effet, inégalée dans l’histoire des États-Unis a été lancée dès son retour dans le bureau Ovale : autoritaire et ethniciste en Amérique même, nationaliste et unilatéraliste à l’extérieur.

Elle a été pensée, notamment dans le cadre du Projet 2025 de la fondation ultra-conservatrice Heritage, comme une opération militaire. La presse états-unienne a même tracé un parallèle avec la doctrine « Shock and Awe » (choc et stupeur), credo de l’armée états-unienne, qui vise à écraser l’adversaire sous une telle puissance de feu qu’il ne peut y riposter avant de céder au découragement.

Pour autant, malgré l’escadrille de décrets présidentiels lancée dès le 20 janvier, le bilan des cent jours, marqueur plus médiatique que réellement politique, s’affiche en demi-teinte. Si des percées ont été effectuées et des dégâts causés, il compte également des replis tactiques pas forcément attendus et des micro-défaites certainement peu envisagées. La ligne de front politico-idéologique a-t-elle avancé ? Incontestablement. Elle semble pourtant, en l’état, plus ou moins gelée et les « territoires » conquis sont moins importants que dans les rêves des républicains. Ces derniers ont dû faire face à une triple opposition dont ils n’envisageaient certainement pas la vigueur.

L’émergence de contre-pouvoirs

La première vient des institutions elles-mêmes, notamment de la justice. Nombre d’ordres exécutifs ont été retoqués dans des tribunaux, y compris par des juges nommés par des présidents républicains. Les stratèges trumpistes avaient sans doute anticipé ces blocages, pariant sur une résolution à l’échelon supérieur du système judiciaire, soit à la Cour suprême, à majorité conservatrice (six juges sur neuf, dont trois nommés par Donald Trump lui-même).

C’est de là qu’est venue une mauvaise nouvelle : elle ne se montre pas aussi docile que prévu. La plus haute instance judiciaire du pays s’est même réunie en pleine nuit le 19 avril afin de bloquer, par sept voix contre deux, l’expulsion de migrants vénézuéliens, au nom d’une loi de 1798 – Alien Enemies Act –, transformant les migrants en soldats d’une puissance étrangère et conférant à Donald Trump des pouvoirs spéciaux.

La seconde réside dans la « société civile ». Avec des millions de personnes défilant dans des milliers de villes, la grande journée de mobilisation du 5 avril a marqué le réveil de cette autre Amérique, plongée jusque-là dans un état de sidération. Le boycott de Tesla constitue un autre volet de cette résistance par le bas : les profits de la compagnie détenue par Elon Musk ont plongé de 71 % au premier trimestre. L’attitude de la direction de Harvard peut également être classée ici : malgré un climat de peur sur les campus, elle a refusé les diktats de l’administration Trump et lui intente même un procès. Enfin, les villes « sanctuaires », protectrices pour les migrants, tiennent bon malgré les chantages à la suppression de fonds fédéraux.

La troisième, enfin, renvoie à l’opposition politique institutionnelle. On l’attendait comme la plus ferme, elle s’est avérée dans les tout premiers temps comme la plus chancelante. Lors de réunions publiques, de nombreux députés démocrates se sont fait secouer par des électeurs leur reprochant leur manque de mordant face au nouveau pouvoir. Figure honnie parmi toutes : celle de Chuck Schumer, le chef des sénateurs démocrates qui a apporté sa voix à une loi républicaine de réduction des dépenses publiques afin de prévenir une fermeture des services de l’État (shutdown). Moribonde, la coalition démocrate a, sous la pression de sa base et avec Bernie Sanders et ses meetings pour « combattre l’oligarchie » comme aiguillon, retrouvé de l’énergie.

Les limites de la guerre commerciale de Donald Trump

L’action involontairement combinée de ces contre-pouvoirs empêche Donald Trump de déclarer la « mission accomplie » sur les grandes thématiques de sa campagne. Chasse aux migrants : le milliardaire nativiste avait promis « la plus grande opération d’expulsions de l’histoire du pays ». Au-delà de cas médiatisés – les gangs vénézuéliens et quelques étudiants pro-Palestiniens – les résultats se situent en deçà des annonces.

En février 2025, 11 000 migrants ont été expulsés du pays contre 12 000 en février 2024 sous l’administration Biden. « Les rues sont vides, les stades sont vides, les églises sont vides. Les migrants, qu’ils aient un statut légal ou non, préfèrent ne pas prendre de risque et restent chez eux », résume une pasteure d’une église du centre-ville de Denver. Le cas de Kilmar Abrego Garcia, déporté par erreur dans une prison au Salvador, cristallise le rejet de cette politique par une majorité d’Américains.

Guerre commerciale : c’est sans doute l’exemple le plus parfait des limites du projet trumpiste. Tout a commencé par un quasi-show en direct de la roseraie de la Maison-Blanche pour se poursuivre assez rapidement en chute spectaculaire des Bourses et notamment des bons du trésor américain (la dette publique, dont un quart est détenu par des pays étrangers). Et finalement un virage à 180 degrés, ramenant la guerre mondiale des « tarifs » à un duel avec Pékin qui ne semble pas en être affolé.

Dépeçage de l’État : Elon Musk, à la tête du Doge (département pour l’efficacité du gouvernement), a manié la tronçonneuse sans distinction. Il a découpé des budgets utiles et infligé des licenciements massifs. Il revendique, sans preuves, 160 milliards d’économies contre 1 000 milliards annoncés. De nombreuses décisions de justice l’ont obligé à mettre en pause une partie de ses projets. Personnage le plus haï d’Amérique, selon un récent sondage, le multimilliardaire va retourner plus vite que prévu à ses affaires qui profitent grandement… de subventions publiques.

Des visées impérialistes en matière de politique étrangère

Politique internationale : c’est sans doute le domaine dans lequel la présidence impériale, sans contrôle de la justice ou du Congrès, a provoqué le plus de dommages. Donald Trump a donné le feu vert à Benyamin Netanyahou pour finir de nettoyer ethniquement Gaza. Il est en passe d’accorder la victoire politique à Vladimir Poutine tout en extorquant centrale nucléaire et terres rares à l’Ukraine. Ses menaces tous azimuts – de retrait du continent européen ou d’annexions du Groenland, du Panama voire du Canada – ont accéléré une course inflationniste des budgets militaires.

Selon le récent sondage du New York Times, ces cent premiers jours sont jugés chaotiques (66 %), effrayants (59 %) plus qu’exaltants (42 %). « Les électeurs sont plus de deux fois plus nombreux à dire que ses politiques leur ont nui qu’ils ne le sont à dire que ses politiques les ont aidés. Il s’agit d’un revirement par rapport à l’automne dernier, lorsque de nombreux électeurs, toutes catégories démographiques confondues, estimaient que les politiques menées au cours de son premier mandat les avaient aidés », commente le quotidien new-yorkais.

Le dilemme des républicains pour les élections de mi-mandat

Donald Trump a signé son retour à la Maison-Blanche en profitant à la fois d’une volonté de changement et d’un vote sanction contre Kamala Harris, considérée comme dépositaire du bilan Biden. Il est désormais jugé à l’aune du changement qu’il apporte lui-même. « Nous sommes à une époque – je dirais que nous y sommes depuis 2016 – où il y a un désir de changement structurel, en particulier en ce qui concerne l’économie », rappelait David Sirota, ancien conseiller de Bernie Sanders, dans l’Humanité magazine (17 avril 2025).

La méthode Trump n’a fait que contenter une base Maga (Make America Great Again), puissante et cohérente mais minoritaire dans le pays. Les stratèges du GOP (Grand Old Party, surnom du parti républicain) commencent à avoir des suées à la perspective d’un Waterloo électoral lors des scrutins de mi-mandat, en novembre 2026. D’autant que l’extension, en partie réussie, du champ présidentiel a, lui aussi, ses limites.

Les républicains devront faire passer leur grande loi économique (baisse des impôts pour les plus riches, coupes dans les budgets sociaux) par le Congrès, exposant chacun des élus de droite à un vote public, obligeant ainsi les fantassins à se découvrir, nouvelle phase d’une guerre qui n’a pas encore proclamé son vainqueur.

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