« L’ancien régime politique est en train de disparaître »

Pour l’universitaire Ted Hamm, la campagne de Zohran Mamdani, articulant une plateforme progressiste avec une force militante inégalée, ouvre une nouvelle ère politique à New York. (Entretien publié dans l’Humanité du 4 novembre 2025.)

Il a suivi la campagne de Zohran Mamdani depuis la première minute et n’en a pas perdu une miette. Ted Hamm a consigné cette incroyable épopée dans un livre Run Zohran run ! (« Cours, Zohran, cours ») et revient pour l’Humanité sur ce basculement de la vie politique new-yorkaise.

Qu’est-ce qui rend la campagne de Zohran Mamdani si particulière ?

Ted Hamm

Professeur de journalisme à l’université Saint-Joseph

D’abord, c’est l’organisation d’une campagne de terrain menée par des bénévoles qui font du porte-à-porte et vont à la rencontre des électeurs. Il y a déjà eu des cas similaires auparavant, mais pas à cette échelle et pas avec ce niveau d’enthousiasme.

Les démocrates organisaient des campagnes avec les syndicats qui envoyaient leurs membres. Ces derniers le faisaient car la direction du syndicat le leur demandait, mais pas toujours avec conviction. Là, on avait 50 000 bénévoles pendant la campagne des primaires et 90 000 pendant cette élection. C’est le meilleur moyen de faire passer le message dans une ville aussi vaste que New York avec ses 8,5 millions d’habitants.

Et puis il y a le travail sur les réseaux sociaux, où il est bien meilleur que la plupart des candidats plus âgés. Cela a permis d’attirer l’attention et a conduit à des dons financiers qui ont été multipliés par le système de financement public (1 dollar privé est abondé par 9 dollars publics, NDLR), propulsant la campagne.

Mais si tout cela a bien fonctionné, c’est en raison du message qu’ils véhiculaient, de leur programme et de ses trois principales propositions : gel des loyers, bus rapides et gratuits, garde d’enfants universelle. Vous ne pouvez donc retirer aucun de ces éléments. Tout cela a fusionné. Un porte-à-porte sans message n’aurait pas fonctionné. Un message sans moyen de transmission, non plus.

Quelle est la composition de cette force militante ?

D’une manière générale, ils ont moins de 35 ans, probablement même moins de 25 ans. Regardez les photos publiées et vous verrez la diversité des militants. Ajoutez les différentes langues parlées, ce qui permet de toucher les électeurs dans leur langue maternelle. Mais il ne suffit pas d’avoir un groupe de bénévoles, encore faut-il les organiser. Ce qu’a parfaitement réussi la campagne.

Comment expliquez-vous l’aveuglement de l’équipe d’Andrew Cuomo et plus largement de l’establishment démocrate sur les évolutions de New York ?

Ce sont des gens qui sont dans la politique depuis si longtemps qu’ils partent du principe que tout ce qui était vrai il y a cinquante ou quarante ans l’est toujours aujourd’hui. Ils ne s’interrogent pas sur l’impopularité du capitalisme parce que cela fonctionne pour l’élite.

Le plus surprenant, c’est la façon dont l’establishment démocrate a réagi après le réveil brutal en 2018 qu’a constitué la victoire d’Alexandria Ocasio-Cortez. Ils auraient pu se dire : « D’accord, il se passe quelque chose dans cette ville. Peut-être que nous devrions nous montrer plus ouverts aux politiques progressistes, quelles qu’elles soient. » Mais ils ont préféré tenter d’éradiquer le DSA (Democrat Socialists of America, NDLR) et son influence.

Et finalement, l’hostilité de l’establishment a contribué à créer une dynamique en faveur de l’organisation et de Zohran Mamdani.

S’il est élu maire, comment Zohran Mamdani pourra-t-il appliquer son programme ?

Il pourra s’appuyer sur l’élan de l’élection. La gouverneure démocrate Kathy Hochul, opposée à un nouvel impôt sur les millionnaires, veut être réélue l’an prochain et elle a besoin des voix de New York. Donald Trump menace de réduire les fonds fédéraux mais Mamdani pourrait demander à ses partisans de descendre dans les rues.

Enfin, si vous considérez New York comme la capitale du capital, vous pouvez aussi penser que les dirigeants d’entreprises n’aiment pas tant le chaos que cela. Certains petits patrons peuvent même adhérer aux politiques sociales qui profiteront à leurs salariés. Il va rencontrer des obstacles mais il est tellement populaire qu’il s’agit d’une force avec laquelle il faudra compter. New York a changé de manière irréversible. L’ancien régime est en train de disparaître.

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