Zohran Kwame Mamdani, du hip hop au City Hall

Ce fils d’immigrés indiens naturalisé à 27 ans est devenu le 111e maire de l’histoire de la ville. Un parcours météorique pour celui qui a appris le langage du socialisme démocratique pendant la campagne de Bernie Sanders en 2016. (Article publié dans l’Humanité du 6 novembre 2025.)

« Mr. Cardamom » va entrer à l’hôtel de ville de New York. Preuve que le hip-hop peut mener à tout, à condition d’en sortir. Sous ce nom de scène, il y a six ans à peine, Zohran Mamdani se produisait dans le métro new-yorkais ou comme MC (maître de cérémonie) après avoir écumé les scènes de Kampala (Ouganda), sa ville natale. Il en reste une chanson, Nani, et un clip qui rend hommage à sa grand-mère, jouée par l’actrice indienne Madhur Jaffrey.

On y voit l’auteur prendre une claque de la grand-mère pétroleuse puis se déhancher dans un food truck vêtu d’un seul tablier de cuisine. La carrière de l’artiste n’ira pas plus loin que le succès d’estime, mais l’homme politique gardera le cadre – la rue – et le cadrage – la caméra témoin.

Sa première vidéo de candidat à la mairie de New York est filmée à l’un des principaux carrefours du Bronx, le plus pauvre des cinq arrondissements de New York. Personne alors ne le connaît vraiment. Il veut poser aux passants des questions sur l’élection présidentielle qui vient de se dérouler et leur rapport à la politique. Des habitants lui avouent ne plus y croire ou avoir voté pour Donald Trump, qui a réalisé en novembre 2024 une percée dans des quartiers relégués de la plus grande ville du pays.

Zohran Mamdani écoute puis leur annonce qu’il est candidat à l’élection municipale et les informe de ses propositions principales. Tous les ingrédients sont là : le sillon universel de la gauche pour la justice sociale, le contact direct avec les électeurs et la créativité des formes. Il faudra plusieurs mois pour que le projet irrigue le corps social et que le candidat devienne presque une figure de la culture populaire avec « le charisme de Barack Obama et les idées de Bernie Sanders », selon la formule d’un cadre de DSA (Democratic Socialists of America).

La rencontre est politique entre l’électorat et le mouvement autour de l’organisation DSA qui nomme le problème – l’explosion des inégalités et la relégation croissante des classes populaires et moyennes – et propose des solutions pour « rendre la ville abordable ». Elle est aussi plus personnelle : la ville-monde, celle où 180 langues sont parlées (dont certaines disparues dans leur pays d’origine même), se reconnaît forcément dans l’homme-monde qu’est Zohran Kwame (en hommage au dirigeant ghanéen Kwame Nkrumah, figure centrale des indépendances et du panafricanisme) Mamdani. Il l’est par ses origines : né en Ouganda de parents indiens, passé par l’Afrique du Sud post-apartheid avec Nelson Mandela pour président, arrivé à l’âge de 7 ans à New York, naturalisé états-unien à 27.

Par l’ouverture culturelle offerte par ses parents : Mira Nair, cinéaste et réalisatrice du multirécompensé Salaam Bombay, et Mahmoud Mamdani, professeur d’anthropologie à l’université Columbia. Par son rapport à l’identité partagé par une majorité d’habitants de « Big Apple » : « Il ne fait aucun doute dans mon esprit que je suis indien. Et il ne fait aucun doute dans mon esprit que je suis new-yorkais », déclare-t-il, en 2020, au magazine marxiste Jacobin. Enfin, par sa formation au Bowdoin College, spécialisé dans les arts libéraux. C’est d’ailleurs sur le campus situé à 500 kilomètres au nord-est de New York qu’il se frotte pour la première fois au militantisme en participant à la fondation d’une section de Students for Justice in Palestine.

« Socialisme démocratique »

Son diplôme – licence en études africaines – ne lui sera d’aucune utilité autre que purement intellectuelle. Il devient conseiller en prévention des saisies immobilières et aide des propriétaires immigrés à faibles revenus du Queens à faire face à des avis d’expulsion. En 2015, il participe à la campagne présidentielle de Bernie Sanders à la primaire démocrate puis rejoint les rangs de DSA, en pleine expansion. « Je parle le langage du socialisme démocratique, car Bernie Sanders l’a parlé en premier », rappelait Zohran Mamdani lors d’un meeting commun, le 26 octobre, avec le sénateur du Vermont et Alexandria Ocasio-Cortez.

Fin 2019, même si cette dernière a déjà secoué l’establishment en devenant députée, l’idée du « socialisme démocratique » est encore ultra-minoritaire. Elle gagne du terrain à partir de 2020 : des socialistes sont élus par vagues, au conseil municipal comme aux assemblées législatives de l’État, parmi lesquels Zohran Mamdani représente le district d’Astoria, dans le Queens.

Fin 2024, il annonce à ses pairs son intention de briguer la magistrature la plus symbolique du pays après la présidence. Certains partagent leurs craintes qu’une campagne qui ne prenne pas puisse agir comme un boomerang pour le mouvement socialiste à New York. La majorité appuie la démarche. Aucun sans doute n’envisageait que Zohran Mamdani deviendrait un an plus tard le 111e maire de New York.

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