(Article publié dans l’Humanité daté du 22 novembre 2013)
L’assassinat de « JFK » symbolise le passage de l’apparente quiétude de l’après-guerre au vacarme des années 60. Quant au premier président catholique de l’histoire du pays, il n’a pas eu le temps de laisser une trace tangible hors celle de son propre sang.
Ce sont, en définitive, trois histoires qui s’enchevêtrent tragiquement en une même journée automnale mais ensoleillée de Dallas, Texas : l’assassinat d’un président des Etats-Unis, le destin tragique d’une dynastie (1) et la projection d’un pays dans une autre époque. Il a tant été écrit sur les deux premières dimensions qu’il n’y a plus rien à ajouter. Il faut désormais attendre l’ouverture des archives qui permettra, peut-être, d’y voir clair entre la thèse du tireur unique – la conviction semble même avoir abandonné ses derniers défenseurs – et celle du complot ou plutôt des complots (mafia, mafia-CIA, castriste…). En attendant, on gardera pour livre de chevet « American tabloïd » de James Ellroy : « La véritable trinité de Camelot était : de la Gueule, de la Poigne et de la Fesse. Jack Kennedy a été l’homme de paille mythologique d’une tranche de notre histoire particulièrement juteuse. Il avait du bagou et arborait une coupe de cheveux classe internationale. C’était le Bill Clinton de son époque, moins l’œil espion des médias et quelques poignées de lard. »
Et encore et surtout : « Jack (John Fitzgerald Kennedy, NDLR) s’est fait dessouder au moment optimal pour lui assurer sa sainteté. Les mensonges continuent à tourbillonner autour de sa flamme éternelle. (…) L’heure est venue de démythifier toute une époque et de bâtir un nouveau mythe depuis le ruisseau jusqu’aux étoiles. L’heure est venue d’ouvrir grand les bras à des hommes mauvais et au prix qu’ils ont payé pour définir leur époque en secret. »
« Démythifier toute une époque ». En plein dans le mille. Aux Etats-Unis, nombre d’observateurs datent de ce lieu et de de jour la fin de l’ « insouciance ». Des organisations politiques, presque exclusivement de droite, ont cultivé cette nostalgie des années 50, censée représenter un petit paradis perdu. C’était l’époque des « unlocked doors » (portes non bouclées à double tour), les années bénies « when we liked Ike » (quand nous aimions Ike, le surnom d’Eisenhower, président de 1952 à 1960). A contrario, les années 60 seraient synonymes de « chienlit », de révoltes multiformes sapant l’autorité du « modèle américain ».
La « révolution conservatrice » reaganienne a largement mobilisé cette imagerie d’une Amérique tranquille et prospère que l’on est venue déranger. De même que le sens des paroles de la chanson de Springsteen « Born in the USA », jouée dans les meetings républicains des années 80, avait échappé aux stratèges reaganiens, un malentendu règne sur les années 50. Si cette décennie représente une symbolique forte, c’est celle du « New Deal » triomphant. Même le parti républicain ne conteste pas, à ce moment-là, l’héritage laissé par les présidences de Franklin Delano Roosevelt. C’est sous le général républicain Eisenhower que le taux d’imposition sur les plus hauts revenus atteint son pic (91%) ou que le syndicalisme est à son diapason imposant, notamment dans l’automobile, des accords avantageux pour ses membres. Mais comment oublier que les « fifties » furent aussi le temps de la paranoïa maccarthyste et de la chasse aux sorcières, de la guerre en Corée et de la naissance et de l’expansion du mouvement des droits civiques. Tout sauf une décennie « républicaine » et paisible…
Premier président catholique de l’histoire du pays, élu à 43 ans, personnage télégénique formant un couple « people » avec Jackie, « JFK » symbolise le passage à un « quelque chose d’autre » encore mal défini. En matière de politique étrangère, il poursuit l’œuvre de ses prédécesseurs, donne son feu vert à la désastreuse invasion de la baie des cochons, retourne en sa faveur la crise des missiles de Cuba en 1962, amorce l’engrenage guerrier au Vietnam. Sur le plan intérieur, il apporte un soutien au mouvement des droits civiques et reçoit Martin Luther King lors de la marche sur Washington en août 1963 mais se montre prudent quant à la possibilité de légiférer. Il prépare un grand plan contre la pauvreté, mal endémique au pays du « rêve américain. » Au sens littéral, il promet la Lune aux Américains. Incontestablement, la génération du baby-boom qui arrive à l’âge adulte en a fait son porteur d’espoir. Pour autant, au soir du 22 septembre 1963, la « nouvelle frontière », promise lors de son discours à la convention démocrate en 1960, n’a encore connu aucune matérialité.
Et c’est finalement son vice-président détesté, Lyndon B. Johnson, vieux sudiste repenti, qui par la force du mouvement de la société, entrera dans l’Histoire du pays à la fois comme l’un de ses plus grands législateurs avec son projet de « Grande société » (loi sur les droits civiques, guerre à la pauvreté, réforme de l’immigration) et comme celui qui a décuplé le déluge de fer et de feu au Vietnam. Quant à JFK, il est le seul des présidents « panthéonisés » sans grande réforme à son actif. « Jack s’est fait dessouder au moment propice pour lui assurer sa sainteté »…
(1) Voir à ce propos « Il n’y a pas de Kennedy heureux », un film de Patrick Jeudy.