Celui qui voulait « assécher le marécage » a finalement accordé l’impunité à quelques gros crocodiles corrompus. Une sorte de testament politique. (Article publié dans l’Humanité du 21 janvier 2021.)
Avant de quitter les lieux de leur pouvoir, certains font tourner la broyeuse à papiers. Donald Trump a choisi la grande blanchisseuse. Quelques heures avant de quitter la Maison Blanche pour sa résidence de Mar o Lago, le 45e président des États-Unis a fait jouer à plein l’un des plus précieux privilèges : le droit de grâce. Il ne s’est évidemment pas appliqué aux condamnés des couloirs de la mort exécutés la semaine dernière dans la prison fédérale de Terre Haute, contrairement à la tradition qui veut qu’un président sur le départ ne donne pas son feu vert à de telles exécutions. La liste (143 personnes au total, 70 grâces et 73 commutations de peine) constitue une sorte de testament politique pour le milliardaire qui s’est positionné comme l’outsider, le candidat antisystème, celui qui allait assécher « le marécage » à Washington. Aucun « Américain lambda » n’y figure contrairement à pléthore de condamnés pour corruption, escroqueries voire meurtres.
Le nom le plus en vue est évidemment celui de Steve Bannon, son ancien conseiller, figure de l’extrême-droite nationaliste. Accusé d’avoir détourné des fonds prétendument destinés à la construction d’un mur à la frontière avec le Mexique, il plaidait pourtant… non-coupable. À ses côtés, on trouve Elliott Broidy, un homme d’affaires, l’un des collecteurs de fonds de sa campagne de 2016, poursuivi pour une campagne de lobbying illégale pour laquelle il a plaidé coupable. Pour une fois « bipartisan », Donald Trump a également absous républicains (trois anciens députés) comme démocrates (l’ancien maire de Detroit, Kwame Kilpatrick ou le « boss » clientéliste de New York, Sheldon Silver) pris la main dans le pot à dollars. Il avait déjà récemment fait le ménage dans le cadre de l’enquête sur la collusion entre la Russie et son équipe de campagne en 2016, refusant simplement sa grâce à ceux qui avaient collaboré avec la justice, à l’instar de son ancien avocat, Michael Cohen. L’impunité a été offerte à ses anciens conseillers, Paul Manafort et Roger Stone, à Charles Kushner, le père de son gendre, ainsi qu’à quatre ex-employés de Blackwater, un contractant du gouvernement fédéral, convaincus du meurtre de civils en Irak.
En revanche, les élus républicains qui pourraient être poursuivis pour avoir incité l’assaut contre le Capitole n’ont pas bénéficié d’un coup de pouce de dernière minute. Et Donald Trump a finalement renoncé à gracier de manière préventive les membres de sa famille ainsi que lui-même, ce qu’il envisageait le plus sérieusement du monde. Alors qu’il finalisait la liste avec ses avocats, son ancien allié, Mitch Mc Connell, lui portait ce qui pourrait être un coup de… grâce. « La foule a été nourrie de mensonges, a-t-il déclaré, à propos de l’assaut contre le Capitole le 6 janvier dernier. Ils ont été provoqués par le président et d’autres personnes puissantes. » Le leader des républicains au Sénat n’a pas fait connaître la nature de son vote lors de la procédure d’impeachment qui va être prochainement présenté devant la chambre haute du Congrès pour « incitation à l’insurrection ». Une majorité des deux-tiers est requise pour la destitution, ce qui nécessite l’apport de dix-sept sénateurs républicains. L’establishment du G.O.P. semble tenté par une mise hors d’état de nuire de Donald Trump, via son inéligibilité, mais soupèse la réaction de la base trumpiste.