F 35, l’avion qui vaut 1000 milliards

Lockheed-Martin, leader mondial de l’armement, engrange de nombreuses commandes depuis le déclenchement du conflit. Washington s’occupe de rendre profitable le chasseur-bombardier le plus cher de l’Histoire, dont l’efficacité n’a toujours pas été prouvée. (Article publié dans l’Humanité du 29 avril 2022).

L’issue de la guerre déclenchée le 24 février par Vladimir Poutine est toujours incertaine mais on connaît déjà le nom du premier grand vainqueur : Lockheed Martin et plus précisément sa tête de gondole, l’avion de combat F 35. Depuis, les commandes pleuvent. Berlin a ouvert le bal, matérialisation de son virage atlantiste, alors qu’elle était engagée avec Paris et Madrid dans le développement d’un avion de combat 100 % européen, le SCAF (Système de combat aérien du futur), dont l’entrée en service prévue d’ici à 2040 pourrait bien être repoussée aux calendres grecques. Ottawa est entrée en piste dans la foulée : 88 avions pour un montant de 14 milliards d’euros. Fin 2021, Helsinki, avec 64 appareils pour 10 milliards d’euros, avait écrit son nom sur le carnet de commandes. Le tout au grand contentement du conseil d’administration et des actionnaires de Lockheed Martin, dont la crainte est pourtant absente de leur « business plan ». Pour cause : largement financé par des fonds publics, la réussite commerciale du  produit-phare de la plus importante entreprise d’armement au monde (65 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 7 milliards de profits) est assurée par l’armée américaine – donc l’Etat fédéral – qui planifie l’achat de 2456 avions pour un montant de 400 milliards.

C’est d’ailleurs le gouvernement américain qui, dès 1993-1994, se trouve à l’initiative du projet de recherche – Joint strike fighter – afin de mettre au point un avion de combat « multirôle », c’est-à-dire capable d’effectuer plusieurs missions (reconnaissance furtive, interception et attaque au sol, attaque sur une base aérienne terrestre ou sur un porte-avions), ce chasseur-bombardier étant amené à remplacer progressivement la « flotte » des différents avions en service aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Canada et dans d’autres pays membres de l’OTAN. Après une série d’essais, le prototype de Lockheed Martin X-35 est préféré au X-32 de Boeing. La multinationale s’associe alors à Northtrop Grumman et BAE Systems, respectivement 4e et 7e vendeurs d’armes dans le monde. En 30 ans, les clignotants rouges se sont allumés les uns après les autres. Le programme accuse d’abord un retard (de 7 ans en 2014). Puis des surcoûts absolument faramineux au point qu’aux États-Unis, on parle de « Trillion program » (mille milliards). Pour le budget US, le coût global (développement, construction, exploitation, modernisation et maintenance) sur une période de 50 ans se monte à 1550 milliards de dollars… Si seulement le F-35 s’avérait être l’avion-miracle. Au contraire, il multiplie les problèmes : moteurs, logiciels, affaissement des ailes, surchauffe dans les soutes à armements, vulnérabilité à la foudre, etc… Ce ne sont pas les concurrents qui font courir des « fake news » mais le Government Accountability Office, l’équivalent de la Cour des Comptes, qui en dresse publiquement la liste, au fur et à mesure de la découverte de défauts, d’autant plus nombreux que chacune des trois versions possèdent les siens propres. L’addition s’alourdit, encore et encore, mais les ventes ne s’en ressentent pas : acheter des F-35, c’est aussi montrer patte blanche auprès de Washington.

Pour Peter Goon, directeur du think tank Air power Australia, « ce programme a toutes les caractéristiques du système de Ponzi. Quand le produit ne fonctionne pas, recrutez autant de clients que vous pouvez, assurez la promotion de ce dernier du mieux que vous le pourrez, amassez autant d’argent que possible tant que le marché ignore ses défaillances ». Avec la guerre en Ukraine, la file d’attente des clients s’allonge. Un seul en rabat sur ses prétentions d’achat : le gouvernement américain lui-même qui a récemment annoncé qu’il allait réduire le nombre de F35 acquis d’ici 2035. Victime de son succès, Lockheed Martin n’arrivant pas à faire face à une demande croissante, les délais de fabrication s’allongent et la version Block 4, que le Pentagone considère comme la seule opérationnelle, ne sera ainsi pas disponible avant 2019. L’armée US passe donc son tour jusqu’à cette date, laissant les pays alliés être livrés d’une version moins fiable. En 2018, « 70% des revenus de Lockheed Martin venaient du seul gouvernement américain», selon le magazine marxiste jacobin. Désormais, Washington invite gentiment les contribuables des pays alliés à mettre la main à la poche (110 à 130 millions l’unité) pour rentabiliser l’avion le plus cher de l’Histoire.

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