AR-15, le fusil fétiche de la NRA et des tueurs de masse

Pour le lobby des armes, il n’y a pas plus « uniquement américain » que ce semi-automatique que l’on retrouve dans les « mass shootings » les plus meurtriers. La société Daniel Defense l’a popularisé grâce à un marketing sans bornes et à la vente par correspondance. (Article publié dans l’Humanité du 1er juin 2022.)

«Le fusil le plus populaire d’Amérique », selon la National Rifle Association. Aussi le fusil préféré des tueurs de masse. Uvalde : AR-15. Buffalo : AR-15. Parkland (2018) : AR-15. Las Vegas (2017) : AR-15. Sandy Hook (2012) : AR-15. AR pour ArmaLite Rifle, du nom de la société qui en a conçu le premier modèle, à la fin des années 1950, dans un but militaire. En 1959, elle le revend à Colt, qui le manufacture dès lors à grande échelle pour l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam : le fameux M-16 de Rambo, totalement automatique. Dans sa version civile, c’est une arme semi-automatique : elle tire au coup par coup, mais se recharge toute seule tant qu’il reste des munitions dans le chargeur.

Disons que l’AR-15 est une arme de semi-guerre. Et en vente libre. Un clic, un virement et hop !, à domicile en moins de 48 heures. C’est exactement la façon dont a procédé Salvador Ramos. Quatre jours après son anniversaire – 18 ans –, il en a acheté un exemplaire pour 1 870 dollars (1 737 euros), puis affiché son reçu sur le réseau social Yubo. Aussi simple qu’une commande de livres sur Amazon. Un colis pas plus lourd que ça : l’AR-15 pèse 2,7 à 3,8 kg, selon les versions, ce qui, en plus de sa fiabilité, en fait l’arme sur laquelle la NRA ne tarit pas d’éloges. En 2016, elle publie sur son site un article sur les « 10 raisons de posséder un AR-15 ». On peut y lire : « Tandis que ceux qui détestent les armes vous feraient penser que l’AR-15 n’est rien d’autre qu’une machine de guerre, en vérité, c’est l’arme de chaque jour – le fusil de chaque homme, fièrement possédé par des hommes et femmes patriotiques de tout âge, de toute couleur et de tout centre d’intérêt. » Recommandé pour la chasse, le loisir et l’autodéfense. Dernier argument : « Posséder un AR-15 est aussi uniquement américain que le baseball, l’apple pie et le second amendement. C’est un exemple classique de l’exceptionnalisme, l’indépendance et l’ingéniosité américains – toutes choses qui font de nous “la terre de la liberté et la patrie des courageux” (dernière strophe de l’hymne américain-NDLR). »

À la liste des singularités américaines, on peut ajouter le « mass shooting ». De préférence donc avec un AR-15, dont 11 millions d’exemplaires sont en circulation, selon CBS News. Si Colt a stoppé sa production en 2019, le modèle est toujours produit par d’autres manufacturiers qui avaient profité de la fin de la licence exclusive de Colt en 1977 pour développer leurs propres modèles. L’un d’eux, Daniel Defense, se distingue. Pas tant pour les qualités intrinsèques de ses armes, ni par sa part de marché (juste 1 %), que pour son agressivité commerciale et politique. Il a d’abord été l’un des pionniers de la vente par correspondance, agrémentée d’offres de paiement en plusieurs fois : « Lancez-vous dans l’aventure maintenant, payez plus tard ! » Puis a développé une politique de publicités qui font le buzz, multipliant les références au jeu vidéo aussi populaire qu’ultraviolent Call of Duty, dont étaient adeptes Salvador Ramos comme Adam Lanza, le tueur de Sandy Hook (28 morts, dont 20 enfants en 2012). Fin 2021, deux jours après Noël, l’une d’elles présente un homme habillé comme Santa Claus (le père Noël), cigare aux lèvres, casque militaire sur la tête, fusil en main : un MK-18 produit par la maison.

Rien n’arrête Marty Daniel, le fondateur de Daniel Defense, pas même la limite d’âge. « Un fusil qui tire comme l’arme de papa et de maman » : voilà le sous-titre d’une publicité pour le JR-15, réplique exacte du fusil semi-automatique à destination des enfants. Il pèse moins d’un kilo, mesure 80 centimètres et peut contenir jusqu’à 10 cartouches en calibre 22 Long Rifle. Sur le côté, une gravure affiche des os croisés et un crâne de bébé portant une tétine. Cette arme permettra « aux adultes d’introduire leurs enfants aux sports de tir ». Coût : 389 dollars. Le 16 mai dernier, la compagnie publie, sur Twitter et Facebook, une photo d’un jeune garçon assis par terre les jambes croisées, un fusil d’assaut dans ses mains, accompagnée de ce commentaire : « Entraînez un enfant de la façon dont il doit l’être et, quand il sera plus vieux, il ne s’en départira pas. » « Des compagnies comme Daniel Defense glorifient la violence et la guerre dans leur marketing », dénonce Nick Suplina, vice-président d’Everytown for Gun Safety, un groupe qui prône le contrôle des armes, cité par le New York Times.

Après le massacre d’Uvalde, le compte Twitter est passé en mode privé, et Daniel Defense fait profil bas. Lors de la conférence annuelle de la NRA, qui s’est déroulée en fin de semaine dernière à Houston, dans le même État qu’Uvalde, et seulement trois jours après le massacre, le stand que la société avait réservé est resté vide. Le business reprendra vite ses droits. D’autant que Marty Daniel a un agenda politique. Il ne se contente pas de fabriquer et commercialiser en nombre des armes, il veut aussi vendre le droit à en disposer sans restriction.

En 2013, un an après le massacre de Sandy Hook, il entend diffuser une publicité de 60 secondes à la mi-temps du Super Bowl, la finale du championnat de football américain, l’événement le plus regardé de l’année outre-Atlantique. Il connaît pertinemment la politique de la National Football League (NFL) en la matière : pas de publicité pour des armes. Marty Daniel fait alors le tour des médias conservateurs, dont Fox News, la chaîne préférée des républicains, et son émission phare Fox and Friends, avec ce mot d’ordre : « Appelez la NFL et dites : “Allez, passez cette pub.” » Ces dernières années, son épouse et lui ont bruyamment manifesté leur soutien à Donald Trump, versant 300 000 dollars à sa campagne et rejoignant un groupe nommé 2nd Amendment Coalition, qui conseille le milliardaire en matière de politique publique sur les armes. Cette dernière se résume assez facilement : aucune loi. En 2022, le couple a encore donné 70 000 dollars à des candidats républicains. Politiser le business, c’est aussi l’assurance de le faire fructifier. Depuis une semaine, c’est silence radio du côté de Marty Daniel. Un communiqué adresse « pensées et prières » aux familles de victimes. Mais les chaînes de production continuent de tourner.

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