Archives mensuelles : février 2024

Dans le Michigan, Biden contesté

Dans cet Etat-clé, 15% des électeurs démocrates ont décidé de lancer un avertissement au président sortant, en protestation contre sa politique de soutien à la guerre à Gaza (article paru dans l’Humanité du 29 février 2024).

Plus de 100.000 suffrages. L’initiative du mouvement Listen to Michigan (« Ecoutez le Michigan ») a remporté un écho que ses organisateurs n’attendaient pas. Un électeur démocrate sur huit qui s’est déplacé mardi pour la primaire a décidé de voter « uncommited » (« non engagé »), en signe de protestation contre la politique de soutien de Joe Biden à la guerre à Gaza. « Dans certaines circonscriptions à prédominance arabo-américaine de Dearborn, environ trois démocrates sur quatre ont émis un vote de protestation pour ne pas s’engager », souligne le New York Times. « C’est une victoire éclatante pour le mouvement pro-palestinien et anti-guerre de notre pays », a déclaré Abbas Alawieh, porte-parole de Listen to Michigan.

Le groupe créé il y a à peine quelques semaines par Layla Elabed, organisatrice communautaire progressiste palestino-américaine à Dearborn, avait reçu le soutien de Rashida Tlaib, députée socialiste de Detroit, par ailleurs la sœur de la créatrice, d’Abdullah Hammoud, le maire de Dearborn, et Abraham Aiyash, le chef de la majorité démocrate de la Chambre des représentants du Michigan.

Avec près de 15% de son électorat qui lui fait défaut, Joe Biden ne peut pas se convaincre qu’il n’a pas un problème, notamment dans le Michigan, un Etat-clé avec ses 15 grands électeurs, où il l’avait emporté avec 150.000 voix d’avance sur Donald Trump en 2020 mais où Hillary Clinton cédait de 10.000 voix en 2016. Dans un scrutin qui s’annonce serré, chaque voix comptera. « S’ils ne sont pas émus par l’humanité du peuple palestinien, peut-être verront-ils les choses différemment lorsqu’ils devront faire un calcul politique », espérait avant le vote Abraham Aiyash. Comment Joe Biden en tiendra-t-il compte ?

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L’ombre de Trump sur un vaudeville sans fin au Congrès

Les élus proches de l’ancien président veulent faire capoter un « package » proposé par Joe Biden et soutenu par certains républicains, comprenant une aide massive à l’Ukraine et des mesures pour la « sécurisation » de la frontière avec le Mexique. (Article publié dans l’Humanité du 9 février 2024).

La vie au Sénat des Etats-Unis ressemble à un vaudeville avec portes qui claquent, rebondissements inattendus, élus qui changent d’avis. Sauf que personne n’en rit. Il faut reprendre depuis les trois coups de départ. Depuis plusieurs mois, l’administration Biden veut faire voter un « package » d’aides : 60 milliards de dollars pour l’Ukraine, 14 milliards pour Israël et 10 milliards de dollars d’aide humanitaire pour les civils victimes de crises mondiales, y compris les Palestiniens et les Ukrainiens. Les démocrates, majoritaires d’une voix au Sénat, ont besoin des Républicains, majoritaires à la Chambre des représentants pour le faire adopter. Comme dans une partie de poker, le Grand Old Party veut « maximiser » sa main et entend lier ces aides au vote de nouveaux financements pour la « sécurisation » de la frontière avec le Mexique où ils décrivent une « crise migratoire » et une « invasion ».

Coincé par la mathématique politique et son tropisme bipartisan, Joe Biden rentre dans la négociation… et n’en est toujours pas sorti. Un nouvel acteur – de poids – est entré en scène dans un hémicycle où il n’est pourtant pas élu : Donald Trump. Il ne veut pas d’un accord sur la frontière sud car cela nuirait à son fonds de commerce électoral à neuf mois de l’élection présidentielle. Un sénateur républicain, James Lankford, a rapporté « qu’une personnalité médiatique éminente de la droite », selon le New York Times, lui avait dit directement : « Si vous essayez de présenter un projet de loi qui résout la crise frontalière au cours de cette année présidentielle, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous détruire ». Une stratégie qui fonctionne pour l’heure : mercredi, le package n’a obtenu que 50 voix sur 100 alors qu’une majorité qualifiée de 60 est nécessaire. Même le leader républicain du Sénat, Mitch McConnell, a voté contre alors qu’il l’avait défendu à chaque étape. Bernie Sanders, de son côté, s’y est également opposé expliquant sur Twitter : « Le Sénat examine un projet de loi supplémentaire sur l’aide étrangère qui prévoit une aide militaire américaine supplémentaire de 14 milliards de dollars pour permettre au gouvernement Netanyahou de poursuivre son horrible guerre contre le peuple palestinien. C’est inadmissible. »

Les démocrates tentaient hier de trouver une porte de sortie, autant dire un trou de souris, en découplant le vote : d’abord, l’aide étrangère puis ensuite le dossier de la frontière. Quelques sénateurs républicains qui y étaient opposés ont récemment fait connaître leur accord, ajoutant à une confusion générale, où les observateurs peinent à distinguer qui maîtrise quoi. La réponse pourrait être : à part Donald Trump, personne.

Si d’aventure, un des deux textes obtenait une majorité au Sénat et arrivait à la Chambre des représentants, il s’y trouverait une minorité d’élus ultra-trumpistes pour le bloquer. Ils sont à la fois opposés à une aide à l’Ukraine et au financement de la sécurisation de la frontière, afin de laisser leur champion en faire son thème principal de campagne. Ils ont même menacé d’évincer du poste de « speaker », Mike Johnson, comme ils l’avaient fait avec son prédécesseur, Kevin Mc Carthy. La majorité républicaine à la Chambre est tellement ténue (219 républicains contre 212 démocrates et 4 sièges vacants pour une majorité à 218) qu’une poignée de députés détient un pouvoir de nuisance incommensurablement supérieur à sa force numérique. L’ironie de cette situation tient au fait que la « vague républicaine » attendue lors des élections de midterms en 2022 s’était transformée en très courte victoire, suite à une immixtion dans la campagne de Donald Trump ayant provoqué une mobilisation plus importante d’électeurs démocrates pourtant déçus par les deux premières années de Joe Biden à la Maison-Blanche. Epouvantail électoral hier, à la tête d’une minorité MAGA (Make America Great Again, son slogan de campagne de 2016) au sein d’une minorité (le parti républicain), Donald Trump n’en reste pas moins maître du jeu politicien aujourd’hui. Avant de redevenir un épouvantail électoral ?

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Au Texas, les républicains rejouent Fort Alamo

Le gouverneur conservateur, Greg Abbott, a engagé le bras de fer avec le gouvernement fédéral auquel il dénie la gestion de la frontière et des flux migratoires. Une façon pour les trumpistes de souder leur base face à Joe Biden, en pleine année électorale. (Article publié dans l’Humanité du 8 février 2024.)

Eagle Pass ne sera sans doute jamais l’équivalent contemporain de Fort Sumter, où s’était déroulée la première bataille de la guerre de Sécession. Mais la petite ville américaine à la frontière avec le Mexique illustre parfaitement la « guerre civile froide » souvent évoquée par le journaliste Carl Bernstein. Les républicains ont décidé de transformer Eagle Pass, sur le Rio Grande, en lieu de bataille idéologique et politique sur l’immigration. Ils invoquent une « crise migratoire » et une « invasion » pour défier le gouvernement fédéral, donc Joe Biden. Greg Abbott, le gouverneur conservateur, entend gérer directement la situation via son programme de contrôle, nommé Opération Lone Star (surnom de l’Etat du Texas). Il a réquisitionné une portion de la ville, empêche les agents fédéraux d’y accéder et a fait dresser des barrières en barbelés dans ce point de passage où de nombreux migrants arrivent afin de se rendre à des agents fédéraux et voir leur dossier instruit aux Etats-Unis.

L’administration Biden a ordonné à ses agents de couper les barbelés. La Cour suprême, pourtant majoritairement composée de juges conservateurs, lui a donné raison. Mais le gouverneur persiste, appuyé par vingt-cinq de ses homologues, tous républicains, illustrant là aussi la profonde division du pays. Ron De Santis, le gouverneur de Floride, s’est même engagé à envoyer des soldats de la Garde nationale de son État « pour aider le Texas dans ses efforts pour arrêter l’invasion à la frontière sud ». Les dirigeants de deux des Etats les plus peuplés du pays défient donc l’autorité de l’Etat fédéral, avec mobilisation d’une force militaire de réserve.

Le bras de fer va se poursuivre devant les tribunaux. Greg Abbott y défendra une nouvelle loi, qui devrait entrer en vigueur en mars, permettant aux forces de sécurité du Texas d’arrêter les migrants qui traversent sans autorisation depuis le Mexique. L’administration Biden, quant à elle, y traîne le gouverneur républicain, arguant que cette loi viole l’autorité du gouvernement fédéral en matière de législation sur l’immigration.

Mais en ce début d’année électorale, le GOP (Grand Old Party) ne se contentera pas de joutes oratoires dans les prétoires. Dimanche dernier, accompagné d’une douzaine de gouverneurs républicains, Greg Abbott est venu marteler sur le terrain son message, devant un amas de caméras. Son « opération communication » a coïncidé avec l’arrivée d’une autoproclamée « armée de Dieu »  qui organisait un convoi sur le thème « Reprenons notre frontière. » Ils avaient annoncé des dizaines de milliers de personnes. Ils étaient 200 à 300.

Si le GOP texan persiste, Joe Biden dispose du pouvoir de « réquisitionner » les gardes nationaux texans afin qu’ils ne se trouvent plus au service des autorités locales. Une perspective qui rend furieux l’establishment républicain local : le sénateur Ted Cruz a repris le slogan de la guerre d’indépendance du Texas (« Venez et prenez-le ») tandis que le procureur général de l’Etat a évoqué Fort Alamo, site d’une légendaire bataille entre les colons anglo-américains et le gouvernement mexicain, lors de la guerre d’indépendance du Texas (1835-1836).

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Teenagers : la nouvelle armée de réserve made in USA

Une quinzaine d’Etats dirigés par les républicains ont voté des lois assouplissant les conditions d’emploi des jeunes âgés de 14 à 16 ans. Une façon pour eux de lutter contre une « pénurie de main d’œuvre » en réalité causée par la faiblesse des salaires. (Article publié dans l’Humanité du 8 février 2024.)

Diminution des impôts pour les plus aisés, stigmatisation de l’immigration, maintien du gel du salaire minimum fédéral (7,25 dollars de l’heure, inchangé depuis 2009), restriction du droit à l’avortement, négation des personnes transgenres, dénonciation du « wokisme » : on connaît les grandes lignes du programme que les républicains défendront, en novembre prochain, lors de l’élection présidentielle. Néo-libéralisme et guerres culturelles : que des valeurs sûres du conservatisme américain. Mais viendra-t-il s’y ajouter un nouvel élément ? Du côté de certains « thinks tanks » (groupes de réflexion) comme des élus du Grand Old Party, on propose, comme le formule l’Alabama Policy Institute de « supprimer les obstacles à l’autorisation de travail des mineurs ».

C’est ce que sont concrètement en train de mettre en œuvre de nombreux Etats – tous dirigés par des républicains. Seize d’entre eux ont voté des lois réduisant les barrières à l’emploi de jeunes âgés de moins de seize ans. Il ne s’agit évidemment pas de renvoyer des mômes de dix ans dans les mines, le travail des enfants de moins de 14 ans demeurant interdit, selon les termes du Fair Labor Standards Act voté en 1938 en plein New Deal mais de considérer les jeunes âgés de 14 à 16 ans comme des adultes et donc des salariés à part entière.

En mars dernier, Sarah Huckabee Sanders, gouverneure de l’Arkansas et ancienne responsable presse de Donald Trump lorsque celui-ci était à la Maison-Blanche, a signé une loi qui supprime l’obligation faite aux services de l’État de vérifier l’âge des travailleurs de moins de 16 ans et de leur délivrer une autorisation. La cérémonie officielle de signature de cette nouvelle législation a donné l’occasion d’une photo qui semblait toute droit sortie d’une œuvre dystopique : brandissant le texte paraphé, l’élue expose un sourire radieux tandis que trois enfants placés à côté d’elles – apparemment plus jeunes que 14 ans, tous blancs, et habillés comme des adultes (cravates pour les deux garçons, chemisier fermé jusqu’au dernier bouton pour la jeune fille) – affichent un visage totalement fermé voire apeuré. En septembre, la Floride devenait le treizième Etat à supprimer des protections en 2023 : l’Etat dirigé par Ron De Santis a supprimé toutes les « lignes directrices » sur les heures de travail que les employeurs peuvent accorder aux jeunes de 16 ou 17 ans, permettant ainsi aux adolescents de travailler un nombre illimité d’heures par jour ou par semaine, y compris les quarts de nuit les jours d’école.

Cette « vague » n’a évidemment rien de spontané : elle a été préparée par des groupes d’entreprises, comme la Fédération nationale des entreprises indépendantes, la Chambre de commerce et l’Association nationale des restaurateurs et appuyés, Etat par Etat, par des associations d’hôtellerie, d’hébergement et de tourisme, de l’industrie alimentaire ou encore des constructeurs de maisons. L’argument brandi est à chaque fois le même : faire face à la « pénurie de main d’œuvre. Le pays est plutôt confronté, comme le note le site Truthout, « à une pénurie d’employeurs offrant des salaires justes et raisonnables ». Le salaire minimum fédéral – à 7,25 dollars de l’heure – n’a pas bougé d’un iota depuis 2009. Selon l’Economic Policy Institute, sa valeur relative est au plus bas depuis 66 ans. Dans de nombreux Etats, le « Fight for 15 », la mobilisation syndicale et associative pour doubler le montant du salaire minimum fédéral, a remporté de retentissantes victoires. Désormais, plus du tiers des salariés du pays vivent dans des Etats dont le « SMIC » est compris entre 14 et 16 dollars de l’heure. Ce mouvement qui fait tache d’huile depuis 2012 a rencontré une digue : le Sud, bastion des lois dites « right to work » qui affaiblissent le syndicalisme et favorisent le dumping social mais également la principale base géographique du parti républicain. Ce sont sur ces mêmes terres que fleurissent les lois visant faciliter le travail des mineurs. Pour résumer : afin de ne pas augmenter les salaires, certaines industries préfèrent constituer un nouveau réservoir de main d’oeuvre parmi des très jeunes travailleurs.

Mais cette frénésie législative cache peut-être un second objectif. « Les pressions visant à réduire les normes dans ce genre de contexte ressemblent beaucoup aux groupes de l’industrie qui espèrent légaliser les infractions qu’ils savent déjà commettre », estime Jennifer Sherer, directrice de l’initiative « State Worker Power » du think tank Economy Policy Institute, citée dans le quotidien britannique The Guardian. C’est un fait : l’inflation des projets de loi arrivant sur les bureaux des élus locaux a accompagné celle des infractions à la loi. Selon Reid Maki, coordinateur de la Child Labor Coalition, « le nombre de violations du travail des enfants a augmenté de près de 300 % depuis 2015, selon les données du ministère américain du travail ». En 2023, ce dernier –  pourtant peu doté en moyens humains et financier – a recensé 5 792 enfants travailleurs aux États-Unis.

« La semaine dernière, on a appris avec inquiétude que trois franchises McDonald’s basées dans le Kentucky employaient des enfants âgés d’à peine 10 ans dans 62 magasins situés dans quatre États différents. Certains de ces enfants en âge de travailler travaillaient jusqu’à 2 heures du matin », relatait déjà en mai 2023 Sam Pizzigati, un journaliste social à la retraite, associé au think tank progressiste Institute for Policy Studies. Selon The Guardian, les entreprises qui ont violé la réglementation sociale l’an dernier comprennent des noms comme « McDonald’s, Chipotle, Chick-fil-A, Sonic, Dunkin’, Dave & Buster’s, Subway, Arby’s, Tropical Smoothie Cafe, Popeyes et Zaxby’s, Tyson Foods et Perdue Farms », soit des poids lourds de l’économie US qui peuvent se permettre le coût de l’amende unitaire : 15 138 dollars, soit à peine plus qu’une année de salaire minimum fédéral. Conclusion de Jeet Heer, chroniqueur au magazine progressiste The Nation : « Cette philosophie favorable aux employeurs n’est pas simplement le produit de législateurs du GOP à l’esprit dickensien, mais fait partie d’un effort concerté de la part d’entreprises cherchant à faire des économies et à maximiser leurs profits ».

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