Archives mensuelles : janvier 2025

La guerre « totale » contre le droit à l’avortement, en mode camouflage

Si Donald Trump n’a signé aucun décret sur le sujet, les républicains et le camp « pro life » préparent les prochaines étapes d’une interdiction totale. (Article publié dans l’Humanité du 31 janvier 2025.)

Décret après décret, Donald Trump abat toutes ses cartes avec l’aplomb d’un joueur de poker sûr de sa main. Il y a un sujet sur lequel, pourtant, il fait preuve d’une surprenante prudence : l’avortement. Aucune déclaration, aucun document paraphé : c’est, apparemment, le calme plat sur ce front où les groupes dits « pro-life » (« pro-vie ») et le Parti républicain ont remporté une victoire, en 2022, avec la décision de la Cour suprême de revenir sur l’arrêt Roe v. Wade de 1973 qui accordait une protection constitutionnelle au droit à l’avortement. L’audition par le Sénat de Robert Kennedy Jr (RFK), pressenti par Donald Trump pour être le prochain secrétaire à la Santé, a pourtant dévoilé la stratégie « à bas bruit » de la nouvelle administration, à commencer par la pilule abortive.
Dans son projet 2025, véritable feuille de route pour l’administration Trump, la Heritage Foundation – think tank ultraconservateur – fait une priorité de l’annulation de l’approbation par la Food and Drug Administration (l’agence fédérale chargée de réguler notamment le marché des médicaments) de la mifépristone, prise dans la moitié des IVG médicamenteuses aux États-Unis. Or, Donald Trump a donné pour mission à Robert Kennedy Jr de se pencher sur les « questions de sécurité » liées à celle-ci.
« Le président Trump m’a demandé d’étudier la sécurité de la mifépristone. Il n’a pas encore pris position sur la manière de la réglementer. Dès qu’il le fera, je mettrai en œuvre ces politiques », a-t-il indiqué aux élus qui doivent valider sa candidature. La ficelle est grosse. « Alors que toutes les études crédibles montrent que le médicament est sûr et efficace », comme le rappelle la journaliste Jessica Valenti sur son blog, les groupes anti-avortement vont ressortir « des “recherches” trompeuses et fausses qui affirment que le médicament met en danger la santé et la vie des femmes ».
Trump pourra alors s’appuyer sur le principe « dans le doute, on s’abstient » pour tenter d’interdire la mifépristone. Saisie du sujet en avril 2023 après la décision d’un juge du Texas ordonnant le retrait de la pilule du marché fédéral du médicament, la Cour suprême avait décidé d’en maintenir l’accès.
Plus grave encore : RFK Jr a informé le Congrès que Donald Trump lui avait dit son intention « de mettre fin aux avortements tardifs ». Une formule suffisamment floue pour que s’y cache un loup, selon Jessica Valenti. « Pour moi, il s’agit d’une indication claire que Trump est ouvert à une interdiction nationale de l’avortement si elle est présentée comme restreignant les avortements “tardifs” », commente la journaliste.
Durant toute la campagne, Donald Trump avait adopté un profit bas sur ce sujet très sensible de la politique américaine. Pour une bonne raison : une majorité d’Américaines se déclare favorable au droit à l’avortement. Le 5 novembre, le camp « pro-choice » (« pro-choix ») a remporté sept des dix référendums d’initiative populaire, y compris dans certains bastions conservateurs. La stratégie des républicains de renvoyer aux États fédérés la question de l’exercice de ce droit se trouve ainsi (relativement) mise en échec. D’où le retour de l’idée d’une loi fédérale, à laquelle Trump avait promis de ne pas avoir recours.

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DeepSeek, un « moment Spoutnik » pour Washington ?

La percée de la startup spécialisée dans l’intelligence artificielle signe l’échec d’une stratégie américaine visant à priver la Chine des meilleurs processeurs. (Article publié dans l’Humanité du 30 janvier 2025.)

L’incrédulité puis l’incompréhension, et enfin la quasi-panique. Les élites – technologiques et politiques – des États-Unis sont passées par ces trois phases après le succès fulgurant de DeepSeek. Cette start-up chinoise a développé un modèle d’IA aux performances égales à celles des leaders OpenAI ou Google mais à un coût de développement largement inférieur. Pour résumer, Liang Wenfeng a damé le pion à des mastodontes américains du secteur et leurs armées d’ingénieurs.
Le jeune geek concurrence même la Silicon Valley sur le terrain du narratif cher aux « pionniers » de la Big Tech. En 2008, diplôme d’informatique en poche, il a préféré emménager dans un petit appartement de Chengdu (sorte de pendant du garage californien dans lequel semble commencer toute histoire technologique qui se respecte) afin de creuser son propre sillon dans l’IA plutôt que de prendre un joli salaire dans l’un des grands groupes chinois qui pullulent à Shanghai ou Shenzhen. Dix-sept ans plus tard, le voilà « roi » momentané du secteur le plus porteur de la tech.
Premier impact du succès de DeepSeek, lancée le 10 janvier : la chute libre des actions de Nvidia. L’entreprise californienne, dont les processeurs sont les plus utilisés pour entraîner les modèles d’IA, a perdu 590 milliards de dollars de capitalisation boursière, rien que ça. Les spécialistes du secteur discutent encore des raisons et de la portée de cette avancée technologique mais, dans les lieux de pouvoir, on a instantanément saisi ce qu’elle signifiait : l’échec d’un type de politique d’endiguement de la Chine.
Depuis plusieurs années, Washington tente de limiter l’accès de Pékin aux microprocesseurs les plus pointus. La firme taïwanaise TSMC, leader mondial des puces électroniques de haut niveau, a interdiction de les exporter vers la Chine. Quant à Nvidia, les processeurs qu’elle vend à la Chine sont limités à la moitié de leur potentiel de puissance et de calcul.
Malgré cet embargo « soft », la Chine vient, via sa petite start-up, de marquer un point dans la grande bataille technologique et économique qui l’oppose aux États-Unis. « Les contrôles ont forcé les chercheurs chinois à faire preuve de créativité en utilisant un large éventail d’outils disponibles gratuitement sur Internet », explique le New York Times. Certains observateurs parlent même de « moment Spoutnik ».
La première mise en orbite d’un engin, réalisée par les Soviétiques en 1957, avait sidéré la puissance américaine, qui pensait encore disposer d’un avantage concurrentiel dans la conquête spatiale. Un « Pearl Harbor technologique », estimait alors le New York Times. On connaît la suite : le plan annoncé par John Fitzgerald Kennedy en 1961 qui aboutira aux premiers pas de l’homme – américain, en l’occurrence – sur la Lune.
Autre temps, autre rivalité stratégique. Donald Trump s’est pour l’instant contenté de voir dans la réussite de DeepSeek un « avertissement » pour les États-Unis. Une réaction assez « neutre » au regard des enjeux colossaux qui peut laisser penser que les élites américaines, prises au dépourvu, ne disposent pas encore de la « martingale » pour contrer cette percée du rival désigné.

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Trump la menace, de retour au pouvoir

Dans son discours d’investiture, le nouveau président a mobilisé tout le registre d’un nationalisme exacerbé, d’une rhétorique quasi-messianique à des premières mesures hostiles pour le Mexique (urgence nationale à la frontière) et la Chine (droits de douanes). (Article publié dans l’Humanité du 21 janvier 2025.)

La base Maga (Make America Great Again) ne manquera pas d’y voir un signe du ciel. Pour la première fois depuis 1985, la prestation de serment d’un président américain a dû se dérouler dans l’enceinte même du Capitole, en raison du grand froid qui régnait sur Washington.
Le hasard des conditions météorologiques vient donc placer Donald Trump aux côtés de Ronald Reagan, dans la catégorie des « présidents rapatriés au chaud ». Cette même base espère que le 47e président rejoindra le 40e au panthéon des saints patrons de la réaction. C’est la promesse faite par le milliardaire durant sa campagne : imposer à la société une cure réactionnaire à la société, à l’État fédéral et à la diplomatie, les remodeler selon les standards oligarchiques, nativistes, unilatéralistes et patriarcaux.
Brochette de milliardaires et réactionnaires
Cette nouvelle « révolution conservatrice » a commencé en mots, hier, lors d’un discours de Donald Trump prononcé devant un parterre d’invités d’honneur dont la composition en disait déjà long sur la nature du projet. Se sont pressés dans la capitale fédérale les administrateurs de l’internationale réactionnaire (Javier Milei, Giorgia Meloni et Nayib Bukele) comme les milliardaires les plus en vue (de Rupert Murdoch, le magnat des médias, à Bernard Arnault, PDG de LVMH, en passant par Jeff Bezos ou Mark Zuckerberg, qui vient de faire allégeance au nouveau pouvoir trumpiste).
Les PDG des principales multinationales américaines ont payé de leur personne, mais aussi des deniers de leurs entreprises. Le comité chargé de la cérémonie d’inauguration (bals, réceptions, défilés, dîners et autres événements) a collecté un montant record de 170 millions de dollars. Google, Meta, Microsoft, Boeing, Goldman Sachs, entre autres, ont donné 1 million de dollars chacun pour l’événement.
Condensé de son discours type de campagne électorale, excessif et hyperbolique sur la forme, nationaliste et quasi messianique sur le fond, le texte, prononcé d’une voix monocorde, a donné le ton de ce début de second mandat. « Dès cet instant, le déclin de l’Amérique prend fin », a décrété Donald Trump, annonçant le début « d’un nouvel âge d’or », symbolisé par des premières mesures annoncées.
Un ton messianique et des mesures nationalistes
Priorité de sa campagne et de ce début de mandat, la question migratoire a fait l’objet de la première mesure : l’urgence nationale à la frontière sud est déclarée, ce qui lui permettra de mobiliser l’armée tandis que les cartels sont désormais inscrits sur la liste des organisations terroristes et qu’une loi de 1798 est invoquée pour mobiliser tous les moyens sécuritaires contre les gangs.
Une urgence énergétique nationale est également déclarée, justifiant les premiers décrets pris en la matière : nouvelles autorisations de forage en mer, fin du crédit d’impôt pour les véhicules électriques, arrêt des dépenses liées aux politiques climatiques de Joe Biden et surtout, retrait, pour la seconde fois, des accords de Paris.
Quant aux droits de douane, ils sont annoncés mais non accompagnés de chiffres précis qui devraient venir dans les jours qui viennent. Le virilisme nationaliste dont le plus vieux président en exercice est coutumier s’est incarné dans du symbolisme (rebaptiser le golfe du Mexique en golfe d’Amérique), dans une projection à la façon Kennedy (« planter la bannière étoilée sur Mars ») et une menace évidente (« nous allons reprendre le canal de Panama »).
En ce jour honorant la mémoire de Martin Luther King, Donald Trump, sans vergogne, a promis de « réaliser son rêve ». Dans l’un des premiers décrets qu’il devait signer, il s’apprêtait pourtant à rayer d’un trait de plume les politiques développées pendant le mandat de Joe Biden contre les discriminations visant à assurer des mesures de « diversité, d’équité et d’inclusion » dans les agences fédérales.
« J’ai été sauvé par Dieu pour rendre sa grandeur à l’Amérique », a encore prétendu l’instigateur de l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, qui a lancé hier, depuis le même endroit, une autre offensive, contre les « ennemis », intérieurs et extérieurs.

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Les cinq lignes de front de Donald Trump

A peine investi, ce lundi à Washington, le président nationaliste lancera une offensive tous azimuts afin d’imposer son projet de remodelage de la société américaine comme de la géopolitique mondiale. (Article publié dans l’Humanité du 20 janvier 2025.)

Le Capitole aurait dû symboliser son opprobre politique. Ce 20 janvier, il incarnera son retour vengeur. Un peu plus de quatre ans après l’assaut – qu’il avait encouragé – du saint des saints législatif du pays, Donald Trump va prêter serment à midi, heure locale, pour un second mandat qui se profile bien différemment du premier.
Cette fois-ci, le milliardaire rentre à la Maison-Blanche fort d’une majorité en voix (49,7 % contre 48,2 % à Kamala Harris), là où il ne devait sa première victoire qu’au système du collège électoral. Il dit disposer d’un mandat du peuple américain, ce qui est hautement discutable au regard de sa marge d’avance (+ 1,5 point), inférieure à celle dont disposait Hillary Clinton face à lui en 2016 (2,1 points). Peu importe. Tous les atouts se trouvent dans sa main.
Il peut s’appuyer sur la majorité républicaine au Congrès ainsi que sur la Cour suprême, un organe politique de fait. Il dispose d’une feuille de route, le Projet 2025, de la fondation Heritage, même s’il a dû, pendant la campagne électorale, prendre quelques distances avec ce brûlot dont l’objectif affirmé, selon Kevin Roberts, le président de ce think tank ultraconservateur, est l’« institutionnalisation du trumpisme ». À savoir : faire rentrer dans chaque pore des politiques publiques les préceptes de ce mouvement réactionnaire multiforme (oligarchie, masculinisme, anti-woke) qu’incarne le milliardaire.
Enfin, contrairement à 2016, il peut compter sur des troupes – fantassins et officiers – en nombre suffisant. À la fin de son premier mandat, des postes clés dans des administrations fédérales n’étaient toujours pas pourvus. Cette impréparation n’est plus de mise. Premier acte dès les premières minutes : Donald Trump signera dès ce lundi une centaine de décrets présidentiels, lançant sa croisade politique et culturelle sur tous les fronts.


Endiguer la puissance chinoise
Aussi curieux que cela puisse paraître, Donald Trump s’inscrit dans les pas de ses prédécesseurs démocrates sur la principale question de politique étrangère. À sa façon, certes : de manière apparemment plus erratique et avec plus de volume rhétorique. Mais, depuis 2011 et le « pivot asiatique » décidé par Barack Obama, cette volonté d’endiguer la montée en puissance économique et géopolitique de la Chine demeure l’option diplomatique la mieux partagée par les deux grands partis.
« La montée en puissance de la Chine pose pour les États-Unis un défi structurel de long terme que les décideurs de la politique internationale, les institutions de sécurité en particulier, considèrent comme étant absolument essentiel », rappelait dans nos colonnes l’universitaire Philip Golub. Si la puissance américaine est investie aux côtés de l’Ukraine et d’Israël, c’est contre Pékin qu’elle entend concentrer tous ses moyens.
Avec Donald Trump, la guerre sera commerciale et commencera par l’augmentation des droits de douane sur les produits importés de Chine, au risque de l’inflation. À quel niveau ? Mystère. L’excédent commercial de la Chine, qui vient d’atteindre la faramineuse barre des 1 000 milliards de dollars, l’encouragera peut-être à frapper plus fort qu’entre 2017 et 2021. Ironie : plus d’emplois industriels ont été créés pendant le mandat de Joe Biden, dans la foulée des lois d’investissements dans les infrastructures et la conversion climatique, que pendant celui de Donald Trump.

L’unilatéralisme à marche forcée
La Chine ne constitue que la pièce la plus importante d’un puzzle plus large que Donald Trump entend redessiner. Les saillies contre le Canada, le canal de Panama et le Groenland ont un point commun : poser un jalon pour une future « négociation », mais en bilatéral, donc supposément en position de force.
La réaction du ministre danois des Affaires étrangères est d’ailleurs symptomatique de ce type de discussions asymétriques. Plutôt que de s’élever contre un projet impérialiste, il a assuré le futur président américain que son pays porterait une attention particulière à ses attentes… Le message est, semble-t-il, passé. Avec le Canada, il s’agit d’anticiper une éventuelle remise à plat des accords de libre-échange. Quant à la question de la voie maritime en Amérique centrale, elle constitue une première étape de la guerre commerciale contre la Chine.
Si Donald Trump veut isoler un pays, ce n’est pas le sien, mais ceux auxquels il entend imposer un de ses fameux « deals ». C’est là la clé de l’approche diplomatique du nationaliste républicain : il n’est pas un isolationniste mais un unilatéraliste. Le multilatéralisme, clé de voûte de l’architecture des relations internationales conçue après la Seconde Guerre mondiale, lui apparaît comme un boulet entravant la puissance américaine.
Il veut donc en garder les avantages (le système d’alliances dont les États-Unis constituent l’épicentre) et se débarrasser des inconvénients (la mutualisation des décisions). L’arrivée de Marco Rubio, un « faucon », au département d’État révèle une approche beaucoup plus agressive.


Lancer la chasse aux migrants
« La plus grande opération d’expulsions de l’histoire. » Donald Trump est un habitué des superlatifs. Pour des dizaines de millions d’habitants des États-Unis, celui-ci fait froid dans le dos. Après la promesse (non tenue) de construire un mur à la frontière avec le Mexique, le républicain a mené campagne, notamment, sur celle de procéder à une véritable chasse aux migrants sans statut légal, dont le nombre est estimé à 11 millions, soit 3 % de la population totale.
Le rejet de l’immigration est devenu un ciment de l’électorat républicain.
Donald Trump comme ceux qui voudront lui succéder ou simplement être réélus lors des élections de mi-mandat en 2026 tiennent à maintenir cette question tout en haut de l’affiche médiatique. Thomas Homan, le nouveau « tsar de la frontière », a déjà annoncé que les descentes sur les lieux de travail allaient reprendre après avoir été mises en pause par l’administration Biden. Selon le Wall Street Journal, l’ICE, l’agence chargée de l’immigration, prépare un « raid » dès mardi à Chicago, une ville « sanctuaire », où les autorités et la police refusent de coopérer avec les forces fédérales. Un premier test grandeur nature.

« Drill, baby, drill »
Les pedigrees et déclarations des nommés disent tout du cap politique. Au ministère de l’Energie, Donald Trump a placé Chris Wright, directeur général de Liberty Energy, une société de fracturation hydraulique. Celui que le New York Times présente comme un « évangéliste des combustibles fossiles » estime qu’« il n’y a pas de crise climatique, et (que) nous ne sommes pas non plus au milieu d’une transition énergétique ».
À la tête de l’Agence fédérale de l’environnement (EPA), c’est un ancien député républicain, Lee Zeldin, parmi les plus farouches opposants à toute réglementation climatique, qui officiera. Sa mission, selon Donald Trump : « tuer » et « annuler » les réglementations de l’agence. « Nous rétablirons la domination énergétique des États-Unis », a promis l’impétrant, comme si celle-ci avait été mise à mal par le mandat Biden.
En fait, les États-Unis occupent depuis près d’une décennie une position d’exportateur nette d’énergie, grâce notamment à l’explosion du pétrole et du gaz de schiste. Si Joe Biden a timidement limité cette croissance, Donald Trump entend lâcher totalement la bride sur le cou des multinationales. Comme le veut le slogan de campagne du Parti républicain en 2008 : « Drill, baby, drill ! » (« Fore, chéri, fore ! »).

Reconfigurer l’État fédéral
Ici aussi, le pedigree constitue une boussole : la réforme de l’État confiée à deux milliardaires, à commencer par le plus riche d’entre eux, Elon Musk. Le deuxième homme fort de l’administration Trump – après le président lui-même – sera épaulé par Vivek Ramaswamy, ultradroitier candidat à la primaire républicaine. Une structure a été créée ex nihilo pour les besoins de leur mission : un département pour l’efficacité gouvernementale (Department of Government Efficiency). L’acronyme (Doge) fait penser à la magistrature suprême de la République de Venise.
Il s’agit surtout d’établir un gouvernement des ultra-riches en reconfigurant les missions de l’État. Selon le New York Times, « un groupe non rémunéré de milliardaires, de cadres du secteur de la technologie et certains disciples de Peter Thiel, un puissant donateur républicain, se préparent à occuper des postes non officiels au sein du gouvernement américain au nom de la réduction des coûts ».
Il ne s’agit pas de dépecer l’État fédéral mais de le remodeler. À titre d’exemple, la ministre de l’Éducation, la millionnaire Linda McMahon, ne videra pas la structure de sa substance et de ses finances. Elle les redéployera au bénéfice des écoles privées, principalement religieuses. Et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, Elon Musk a déjà demandé des moyens supplémentaires pour SpaceX, société détenue par… Musk Elon.

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Depuis les années 70, une radicalisation sans fin du parti de Lincoln

Trop souvent présenté comme un républicain hétérodoxe, Donald Trump, à la personnalité certes parfois insaisissable, s’inscrit pourtant dans la droite ligne de la droitisation du GOP entamée il y a un demi-siècle. (Article publié dans l’Humanité du 20 janvier 2025.)

Comment un parti conservateur bon teint s’est transformé en mouvement populiste d’extrême droite. Récit en cinq étapes.


1971 : le Mémo Powell, feuille de route de la révolution conservatrice
Il faut sans doute un mythe fondateur à tout récit. Celui de la droitisation sans fin du Grand Old Party (GOP) commence par un mémo confidentiel. La chambre de commerce, le lobby patronal, charge Lewis Powell, avocat spécialisé en droit des affaires (notamment en faveur de l’industrie du tabac), d’en assurer la rédaction.
Son diagnostic : avec le New Deal rooseveltien encore étoffé sous la présidence de Lyndon Johnson et les mouvements de contestation des années 1960 (droits civiques, féminisme, pacifisme), le « système américain de libre entreprise » est attaqué de toutes parts. Celui que Richard Nixon nommera à la Cour suprême l’année suivante préconise que le mouvement conservateur mène une contre-attaque tous azimuts.
Un « appel aux armes néolibéral », selon l’historien Gary Gerstle, qui sera relayé par des think tanks (Heritage Foundation, Cato Institute, Manhattan Institute) créés dans la foulée et surtout par le Parti républicain, devenu le creuset de tous les mouvements réactionnaires.

1976 : la « welfare queen », symbole du virage raciste
Dès le début des années 1970, le parti de Lincoln a mis en œuvre sa stratégie sudiste. Il décide de ne pas s’opposer aux lois sur les droits civiques – le sens de l’histoire – mais d’exploiter le racisme des Blancs du Sud, traditionnellement démocrates, afin de les attirer à lui. Il faut donc flatter leurs pires instincts.
Un candidat à la primaire républicaine en 1976 s’y adonne. Il rythme sa campagne avec l’anecdote récurrente d’une « welfare queen », une « reine des aides sociales », qui multiplie les identités et les fraudes, achète des Cadillac à foison, et vit mieux que le pauvre travailleur dur à la peine.
Jamais il n’évoque la couleur de peau de cette arnaqueuse au demeurant fictive (les journalistes n’ont jamais trouvé trace d’un tel cas), mais le public qu’il cible en a déduit, comme une évidence, qu’elle était noire. L’homme perdra la primaire face au président en exercice Gerald Ford, mais trouvera quatre ans plus tard le chemin de la Maison-Blanche. Il s’agissait de Ronald Reagan.

1981 : Reagan et la mort de l’impôt progressif
« Le gouvernement n’est pas la solution. Il est le problème. » Élu en 1980, l’ancien gouverneur de Californie lance la « révolution conservatrice », dont la théorie du ruissellement constitue l’un des piliers. Dès sa prise de fonction, il fait voter une première loi qui ramène le taux de l’impôt sur le revenu de 70 à 50 %.
Cinq ans plus tard, une seconde loi l’abaisse à 28 %. Élu en 2000, George W. Bush fait adopter une nouvelle loi de réduction d’impôts. Donald Trump fera de même, dès son accession au pouvoir. Le pays, pionnier de l’impôt progressif, mis en place dès 1913, et dont le taux maximal a été porté à 93 % pendant le New Deal de Roosevelt, est entré dans l’ère de l’impôt régressif, où un milliardaire paie proportionnellement moins que sa secrétaire, comme l’indiquait le richissime Warren Buffett. Cela a conduit à l’explosion des inégalités sociales qui ont retrouvé leur niveau des années 1920.

1992 : Buchanan, ou le retour du nativisme
Auréolé, si l’on peut dire, de sa victoire dans la guerre du Golfe, George Bush pensait son autorité incontestable au sein du GOP. Pourtant, lors de la primaire, un commentateur conservateur le défie. Pat Buchanan mène toute sa campagne sur le rejet de l’immigration latino, dans un accès de fièvre nativiste récurrent aux États-Unis. Il perdra la primaire mais gagnera la bataille des idées.
Quatre ans plus tard, Samuel Huntington, dans son livre le Choc des civilisations, développe cette thèse de l’ennemi intérieur latino qui menace le caractère blanc et protestant de l’Amérique. En axant sa déclaration de candidature sur les migrants accusés de tous les maux, Donald Trump s’inscrit dans cette lignée. Sa victoire contribuera à amener au centre de la coalition républicaine le mouvement marginal initié par Buchanan.

1996 : Création de Fox News, TV Trump avant l’heure
Deux ans après le raz de marée qui a fait basculer le Congrès pour la première fois depuis quarante ans chez les républicains, Rupert Murdoch, le magnat australien des médias, lance une chaîne qu’il veut ouvertement conservatrice. Il en confie les rênes à un ancien stratège politique républicain, Roger Ailes.
Peu de monde croit réellement en la pérennité de cette « niche ». Mais Ailes a compris, avant d’autres, que le pays était entré dans une phase de polarisation. Fox News va à la fois surfer sur ce phénomène et l’accélérer en flattant et galvanisant une frange de l’électorat républicain qui se radicalise encore plus après l’élection de Barack Obama, dans un mélange de complotisme, de racisme, de nativisme, et d’antiféminisme.
Fox News, c’est TV Trump avant l’heure. Lors de son entrée dans l’arène politique, le milliardaire investit à fond le porte-voix que représente cette chaîne en forme de bulle qui devient le seul et unique moyen d’informations de la base « Maga » (Make America Great Again).

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« Des mesures extrémistes et des décisions inattendues »

Entretien avec Ludivine Gilli, historienne et directrice de l’observatoire Amérique du Nord à la Fondation Jean Jaurès. (Article publié dans l’Humanité Magazine du 16 janvier 2025.)

Donald Trump revient à la Maison Blanche. Quelles sont les différences avec sa première prise de fonction il y a huit ans ?
C’est un Donald Trump aussi volatil mais mieux préparé qui s’apprête à prêter serment. En 2016, son élection l’avait pris au dépourvu. Il était arrivé au pouvoir sans feuille de route, ni le personnel pour gouverner. Il revient à Washington avec l’expérience du fonctionnement de l’administration et surtout un réseau de soutiens dont il a éprouvé la loyauté.
Comme en 2017, il disposera de majorités à la Chambre et au Sénat, mais de majorités plus minces, qui lui donneront du fil à retordre. Car, s’il a depuis mis le Parti républicain au pas et peut compter sur un socle de fidèles au Congrès, les divergences politiques internes n’y sont pas nulles.
En termes de programme, plusieurs organisations conservatrices comme la Heritage Foundation (et son très médiatisé projet 2025) mais surtout l’America First Policy Institute lui offrent des mesures clés en main dans tous les domaines : du démantèlement de l’État à l’immigration, en passant par l’insertion de la religion à l’école. Ces mesures seront regardées avec bienveillance par la Cour suprême, devenue solidement conservatrice.
Donald Trump revient par ailleurs aux affaires dans un état d’esprit vengeur contre tous ses opposants démocrates, républicains, procureurs, patrons de la tech, médias et bien d’autres, qu’il a menacés de poursuites, de prison ou de tribunal militaire.


Comment analysez-vous la composition de l’administration ? Quelles sont ses caractéristiques ? Que disent-elles du projet trumpiste ?
Le maître mot est loyauté. Le point commun à tous les heureux élus est qu’ils ont prêté allégeance au chef. Donald Trump s’entoure de personnes dont il pense qu’elles feront ce qu’il exige, quoi qu’il leur demande. Cela indique qu’il entend garder la main sur son administration.
En termes de profil, les nominés sont non conventionnels et forment un assemblage assez disparate où un Elon Musk côtoie une Lori Chavez-DeRemer, défenseuse des syndicats et des travailleurs. On y trouve principalement des milliardaires et multimillionnaires, outsiders et chefs d’entreprise. Quelques-uns sont issus du monde politique. Plusieurs, comme Pete Hegseth, Tulsi Gabbard, Kash Patel ou Robert Kennedy Jr., sont contestés car ils sont sous-qualifiés pour le poste auquel ils prétendent et ont défendu des positions controversées.
La plupart des nominés sont des tenants de lignes radicales, de l’immigration au prétendu wokisme au sein de l’armée, en passant par le soutien à Israël. Les nominations de Pam Bondi à la justice et de Kash Patel au FBI suscitent des inquiétudes parmi les défenseurs de la démocratie, qui redoutent une instrumentalisation de ces deux institutions à des fins de représailles politiques contre de prétendus « ennemis de l’intérieur ».
La liste compte également plusieurs idéologues comme Stephen Miller, Brooke Rollins et Russel Vought, qui souhaitent dynamiter l’État de l’intérieur. La combinaison disparate de fidèles radicaux, dont certains à forte personnalité, laisse présager des mesures extrémistes mais aussi des décisions inattendues et une forte instabilité, nourrie par un président adepte du chaos.

Trump avait dû faire face, dès le début de son premier mandat, à un mouvement qui s’était baptisé la « résistance ». Rien de tel cette année. Comment l’expliquez-vous ? Faut-il s’attendre, malgré tout, à des formes de résistance dans certains Etats fédérés ?
En 2016, la victoire de Donald Trump avait été un électrochoc pour ses opposants, que la plupart n’imaginaient pas possible. C’est ce choc qui avait provoqué des manifestations de millions de personnes au début de son mandat. Depuis, il s’est installé dans le paysage médiatique, et ses outrances répétées ont généré une forme d’accoutumance. Par ailleurs, l’élection de 2024 s’annonçait serrée. La victoire de Trump n’a donc pas été une surprise et n’a pas suscité la sidération constatée en 2016.
Cela ne signifie pas que l’opposition au futur président est inexistante. Depuis 2016, les défenseurs des droits et libertés n’ont cessé d’œuvrer pour sanctuariser autant que possible ces droits et libertés et ont obtenu des succès du niveau local au niveau fédéral. L’opposition s’appuiera sur ces réussites associatives ou politiques, mais aussi sur l’inertie du système administratif et sur le système judiciaire. Elle sera plus aisée dans les États « bleus », dont les gouverneurs ont déjà annoncé leur intention de résister, tout en préparant les élections de mi-mandat.

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