(Articles publiés dans l’Humanité du 10 novembre)
C’est certainement le paradoxe ultime de ce scrutin: alors que la candidate officielle du parti démocrate a démobilisé sa base par ses éternelles « prudences », l’augmentation du salaire minimum, la légalisation de la marijuana et l’encadrement du port d’armes à feu ont remporté d’éclatantes victoires.
L’abstention frappe plus Clinton que Trump
Pour la cinquième fois de l’Histoire des Etats-Unis, un candidat est majoritaire en voix mais minoritaire en nombre de grands électeurs. Pour la première fois, il s’agit d’une femme. Après le démocrate-républicain Andrew Jackson en 1824, le démocrate sortant Samuel Tilden en 1876, le président démocrate sortant Grover Cleveland et le candidat démocrate Al Gore en 2000, Hillary Clinton rentre dans le cercle fermé des majoritaires-minoritaires. Trump est bel et bien président mais il ne pourra se targuer de disposer d’une majorité électorale. Il a même rassemblé moins d’électeurs (59,1) que ses devanciers républicains (61 pour Romney en 2012, 60 pour McCain en 2008 et 62 pour W. Bush en 2004). Maigre consolation pour ceux qui voulaient barrer la route du pouvoir au milliardaire nationaliste et xénophobe. « La seule façon pour Trump de gagner, c’est de faire une campagne dégueulasse et de décourager les électeurs de se déplacer », nous confiait, au printemps dernier, un stratège démocrate qui n’avait pas conscience, alors, de prédire ce qui allait précisément arriver.
Ce scrutin présidentiel a été marqué par le plus fort taux d’abstention depuis 2000. Peu surprenant lorsque l’on sait qu’il mettait aux prises les deux candidats les plus impopulaires de ces trente dernières années. A ce jeu de « qui perd gagne », Trump a mieux consolidé le bloc républicain que Clinton n’a pu le faire avec la « coalition d’Obama ». L’ancienne secrétaire d’Etat (59,3 millions de voix) enregistre un déficit de respectivement 10 et 5 millions de voix par rapport à Obama 2008 et 2012. Surtout, la perte n’est pas uniforme. C’est une véritable saignée à laquelle on a assisté dans les Etats de la « ceinture industrielle » du Midwest. Dans le Michigan, le Wisconsin et l’Ohio, elle perd entre 15 et 20% du score d’Obama en 2012. Ses électeurs traditionnels du parti démocrate ne sont pas passés avec armes et bagages chez Trump. Ils se sont retirés sur un aventin de l’abstention. Ils sont, dans leur majorité, membres de la classe ouvrière blanche, soumis à l’insécurité économique de la mondialisation-désindustrialisation. Pour une autre partie, ce sont des électeurs africains-américains des centre-villes moins enthousiastes que pour l’élection du premier président noir de l’Histoire. Des « électorats » que la campagne de Clinton considérait comme acquis. A titre d’exemple, la candidate n’a pas mis les pieds dans le Wisconsin depuis fin juillet, même pas pour soutenir Russ Feingold, en capacité de reprendre un siège de sénateur aux républicains. Il est vrai que l’ancien député est un proche de Bernie Sanders.
Perdue entre ses petits calculs politiciens et son appétence pour le « consensus », l’archifavorite a favorisé la désagrégation de la puissante coalition d’Obama qui s’est retrouvée pour partie dans la candidature Sanders. Le sondage « sortie des urnes » du New York Times quantifie ces petites pertes qui ont provoqué une immense défaite : -8 points chez les latinos, -7 chez les Africains-Américains, -5 points chez les moins de trente ans. Trump reproduit presque à l’identique les scores de ses prédécesseurs. Le « manque à gagner » démocrate se retrouve chez les candidats de troisième parti (Gary Johnson ou Jill Stein) voire dans l’abstention.
Voilà comment la future première femme présidente est devenue la cinquième de la liste des « victimes» du système des grands électeurs. Elle était certainement celle qui pouvait le plus s’en prémunir.
Référendums: victoires progressistes
Ce n’est pas tout à fait une victoire sur toute la ligne mais le nombre de succès surpasse celui des défaites. Autant des voix progressistes ont boudé la candidature d’Hillary Clinton, autant peu ont manqué à l’appel pour promouvoir des législations progressistes à travers le pays. Les référendums locaux constituent aussi une grille de lecture de l’état des Etats-Unis. Celui-ci est moins cauchemardesque que l’accession à la magistrature suprême de Donald Trump.
Grand vainqueur du cru 2016 : le salaire minimum qui réalise un grand chelem. En Arizona (59%), dans le Colorado (54%) et dans le Maine (55%), les électeurs ont décidé d’établir le salaire plancher à 12 dollars de l’heure, contre 7,5 au niveau fédéral. Dans l’Etat de Washington (60%), il passera à 13,5 dollars. Ces conquêtes dessinent un pays où le niveau du SMIC est décent. A Seattle et dans les Etats de Californie et de New York, la revendication d’un salaire minimum de 15 dollars – lancée par des salariés de fast food à New York en 2012 – est devenue la loi. Avec les votes de mardi, ce sont 20 millions d’habitants supplémentaires qui pourront disposer de cette avancée sociale dans un pays où les salaires ont dramatiquement stagné depuis le début des années 70. Dans le Dakota du Sud, c’est la tentative de créer un SMIC jeune inférieur au standard qui a été massivement rejeté par les électeurs (71%).
Deuxième « hit » de la démocratie référendaire: la légalisation de la marijuana. Son usage, à titre récréatif, n’est plus considéré comme un délit en Californie, le plus grand Etat du pays avec ses 40 millions d’habitants, dans le Massachussetts et dans le Nevada rejoignant ainsi le Colorado, l’Alaska, l’Etat de Washington et l’Oregon. L’usage, à titre médical, de la substance est autorisé en Floride, en Arkansas, dans le Montana et le Dakota du Nord.
Bloqué à Washington par la majorité républicaine au Congrès, l’encadrement restrictif du port d’armes a trouvé son chemin en Californie, dans le Nevada et dans l’Etat de Washington.
La Californie, devenue un véritable laboratoire progressiste, a également renforcé sa législation sur le contrôle des armes à feu et augmenté, de nouveau, l’impôt sur le revenu pour les plus riches. Le revers est cinglant, en revanche, pour les militants de l’abolition de la peine de mort. Non seulement, leur proposition a été repoussée à 55% mais un autre texte, appelant à la reprise des exécutions, a obtenu une courte majorité.
analyse juste qui sort des chantiers battus des autres commentateurs. j’en profite pour recommander le dernier livre de Christophe Deroubaix.
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