(Article publié dans l’Humanité du 5 avril 2017)
Les rémunérations des salariés les moins bien payés ont enregistré une progression inédite de plus de 5% en 2016 dans les Etats où les mobilisations sociales et politiques ont conduit à l’augmentation substantielle du salaire minimum.
Après des décennies de creusement des inégalités aux Etats-Unis, un coup d’arrêt a-t-il été porté à la grande sécession sociale? Et l’une des raisons de ce changement tiendrait-il dans les luttes victorieuses des salariés, des syndicats et de certains élus pour l‘augmentation du SMIC ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce sont les deux questions que pose un rapport récent de l’Economic Policy Institute, un think tank classé à gauche. Titré « L’état des salaires américains 2016 », cette étude met en lumière un fait inédit : « la croissance salariale en 2016 a été plus rapide pour les bas et moyens salaires que pour les plus hauts salaires. » Le « quintile » (cinquième) situé en bas de la pyramide salariale a enregistré entre 2015 et 2016 une augmentation nette de salaires de 6,4% contre moins de 2% pour le « quintile » supérieur. Depuis 2000, les salaires les plus élevés augmentaient toujours plus rapidement que ceux du bas de l’échelle, rappelle l’institut. Le changement n’a été constaté que sur une seule année. Il est donc bien trop récent pour annoncer une nouvelle tendance. L’étude parle de « pause bienvenue ». Parmi les éléments explicatifs, elle avance « la reprise » qui « semble avoir touché une portion plus large des travailleurs américains. » Mais pas seulement…
Si l’on considère le dernier décile, soit les 10% des salaires les plus bas, l’augmentation des rémunérations a été de 2,9% dans l’ensemble du pays. Mais dans les Etats où des mesures ont été prises en faveur du salaire minimum, le « coup de pouce » est encore plus substantiel : 5,2%. Il bénéficie principalement aux femmes salariées, surreprésentées dans les emplois mal payés : leur paie a augmenté de 6,3% dans ces Etats contre 2,5% nationalement, contre respectivement 4,6% et 2,6% pour les hommes.
Fragiles, encore limités, et nettement insuffisants au regard de l’explosion des inégalités salariales, et encore plus de patrimoine (1% du pays détient 42% de la richesse nationale tandis que la moitié des ménages n’en possèdent que 2%), ces progrès n’en sont pas moins, selon David Rolf du syndicat SEIU 775 de Seattle, « le résultat, d’années de mobilisation volontaire et déterminée de milliers de travailleurs courageux. Quand les salariés de fast food de Brooklyn à Seattle se mirent en grève (en 2012, NDLR) et les travailleurs de SeaTac (aéroport de Seattle, NDLR) imposèrent le premier référendum sur le salaire minimum à 15 dollars (en 2013), c’est exactement le genre de retournement économique qu’ils exigeaient. » Revendication syndicale, lancée en 2012, le salaire minimum à 15 dollars est devenu une réalité politique dans un « pays » de 60 millions d’habitants. La ville de Seattle a fait figure de pionnière, adoptant dès 2014 cette mesure portée par la conseillère municipale socialiste Kshama Sawant lors de sa campagne victorieuse en novembre 2013. David Rolf fut son alter égo syndical dans cette conquête. En 2016, ce sont les Etats de Californie et New York qui ont également mis le cap sur les « 15 dollars ». La montée vers ce nouveau standard est progressive, c’est dire si la moisson n’est pas encore arrivée à maturité.
A Seattle, par exemple, il se situe entre 11 (pour les PME qui fournissent une assurance-santé aux salariés) et 15 dollars (pour les gros employeurs sans couverture sociale). Une étude de l’Université de Washington, rendue public en juillet 2016, montrait que ces hausses du salaire minimum comptaient pour un tiers de l’augmentation des richesses dans la ville tout en permettant de réduire le chômage des moins qualifiés, contrairement à l’argumentation du patronat local qui prédisait un impact négatif sur l’emploi.
En novembre dernier, le même jour que le scrutin présidentiel, des augmentations substantielles du salaire minimum (entre +50% et +70% par rapport au minimum fédéral qui s’établit à 7,25 dollars) ont été adoptées par référendum, dans quatre Etats (Etat de Washington, Colorado, Arizona et Maine) comptant 20 millions d’habitants. D’autres statistiques indiquent que ces hausses salariales ont permis de faire reculer le taux de pauvreté. Mais, là encore, leurs effets pleins et entiers ne se feront pas sentir avant 2020.