(Article publié dans l’Humanité du 14 juin 2019)
Dans un discours prononcé mercredi, le sénateur du Vermont a livré un plaidoyer pour sa philosophie politique au risque de se couper des électeurs progressistes qui ne se reconnaissent pas dans ce « label ».
Alors que Joe Biden se contente de cultiver un argument unique (« Je suis le mieux placé pour battre Trump ») sans s’attarder sur le fond et qu’Elizabeth Warren décline, au contraire, point par point un programme qu’elle se garde bien de qualifier, Bernie Sanders, lui, a choisi d’assumer sa vision politique globale, en donnant, mercredi soir, dans la prestigieuse Université George Washington, un discours sur le « socialisme démocratique ». Les faits sont incontestablement liés. Tactiquement, le sénateur du Vermont tentait de faire d’une pierre deux coups : asséner, contre l’ancien vice-président de Barack Obama, que la défaite de Trump passait par une proposition radicale et affirmer que celle-ci s’incarnait dans le « socialisme démocratique » tandis la sénatrice du Massachusetts, dont les propositions tranchantes (super-impôt pour les plus riches, représentation des salariés dans les conseils d’administration, suppression du collège électoral) lui ont assuré une remontée dans les derniers sondages s’est affirmée, en début de campagne, « capitaliste jusqu’aux tréfonds ». Stratégiquement, le pari est aussi clair que risqué : imposer la question du « socialisme » comme élément central de la primaire démocrate.
En 2016, face à Hillary Clinton, « Bernie » défendait une « révolution politique » et des propositions iconoclastes pour l’establishment démocrate (SMIC à 15 dollars, système de santé universel, gratuité des études dans les universités publiques). Trois ans après, alors que celles-ci sont devenus le bien commun de quasiment tous les candidats en lice, il revendique ouvertement le label « socialiste » de son projet. Mais qu’entend-il par « socialisme démocratique» ? C’était tout l’enjeu de son discours au cours duquel Bernie Sanders a tenu à ancrer sa philosophie politique dans l’histoire américaine. Invoquant les figures de Franklin Delano Roosevelt et Martin Luther King, il a indiqué que sa philosophie politique s’incarnait dans des programmes fédéraux très populaires aux Etats-Unis : la « social security » (système de retraite), créée pendant le New Deal, et Medicare et Medicaid (systèmes de santé pour les plus de 65 ans et les enfants pauvres nés sous la présidence de Lyndon Johnson dans les années 60). Sa proposition centrale est de reprendre ce fil, « de finir le travail du New Deal » et de le compléter par l’adoption d’une « déclaration des droits économiques du 21e siècle » (santé, éducation, salaires, logement, environnement, retraites mais pas de référence au contrôle des moyens de productions), en référence à la « déclaration des droits » (Bill of Rights) de la Constitution du pays, formé des dix premiers amendements qui assurent les libertés fondamentales. « Les droits économiques sont des droits de l’homme », avait-il martelé dans une récente interview au magazine The Nation.
En début de semaine, un sondage confirmait que le mot « socialisme » gagnait en popularité. Quatre américains sur dix affirment préférer vivre dans une société socialiste que capitaliste. 55% des femmes de moins de 54 ans se trouvent dans cet état d’esprit. De précédentes enquêtes d’opinions ont montré que l’idée est largement majoritaire parmi les moins de 35 ans, cette génération baptisée « Millennials ». Avec son plaidoyer pour assumer un « socialisme démocratique », Sanders tente de mobiliser cette « base », au risque de se couper des électeurs progressistes qui ne se reconnaissent pas dans ce mot.