Pourquoi la jeunesse américaine préfère le socialisme

(Article publié dans l’Humanité Dimanche daté du 18 au 24 janvier. Il est accompagné, dans le magazine, par quatre portraits de jeunes socialistes, intellectuels ou élus)

Le socialisme dispose-t-il d’un avenir radieux… aux Etats-Unis ? La question est provocante mais pas inepte. En tout cas, ce système est plus populaire que le capitalisme dans un pays qui s’appelle l’Amérique des millennials. Un pays de 80 millions d’habitants. Un pays partiel mais réel. Les « Millennials », c’est le nom de baptême donné à la génération qui est née à partir de 1982 et qui a donc commencé à atteindre l’âge de la majorité au début du nouveau millénaire. « Chaque génération est un nouveau pays », constatait Tocqueville. Et que veut ce « nouveau pays » des Millennials ? Une étude rendue publique en novembre dernier par la société YouGov nous éclaire : 44% des moins de 35 ans préféreraient vivre dans une société socialiste contre 42% dans une société capitaliste et 7% dans une société communiste. Ironie : cette enquête a été commandée par l’association anti-communiste « Victims of Communism Memorial Foundation » Celle-ci trouve les résultats « profondément inquiétants ».

Comment, en une génération, le pays est-il passé du « mot en S » (le « S-word »), ce socialisme que l’on ne pouvait nommer car infamant, à popularité croissante parmi la jeunesse? La réponse se trouve en partie dans la réponse : « en une génération »… Les jeunes gens interviewés jouaient encore aux billes ou n’étaient même pas nés au moment de la chute du mur de Berlin. « Les gens n’associent plus le socialisme aux dictatures en URSS et en Chine », pointe dans un entretien à l’AFP Cathy Schneider, professeur à l’American University de Washington.

Les « Millennials » ont grandi dans un contexte politique de capitalisme triomphant et…défaillant. Car la crise de 2008 constitue l’autre élément structurant du « basculement ». Ils sont les premiers enfants du krach. Nombre d’entre eux, parmi les plus âgés et donc en situation professionnelle active, ont dû retourner vivre chez leurs parents, ce qui leur a valu le surnom passager de « génération boomerang ». Pour les plus jeunes de la génération, la plus diplômée de l’histoire du pays, le « krach » et la « reprise » ont en partie démonétisé la valeur de leur diplôme souvent obtenu au prix d’un endettement colossal (plusieurs dizaines de milliers de dollars par étudiant en moyenne). A qualification égale, les emplois créés sont largement moins rémunérateurs que ceux détruits.

 

Délesté de l’expérience soviétique, le socialisme apparaît donc comme « une alternative au capitalisme sauvage à l’américaine qui, pour les jeunes, vaut le coup d’être exploré», selon John Mason, professeur de sciences-politiques à l’Université William Patterson. Mais qu’entendent-ils par socialisme ? Le sondage YouGov cité a donné aux personnes interrogées des définitions de chacun des mots soumis à leur approbation et réprobation. Il en ressort « une grande confusion » entre les définitions de socialisme et de communisme, selon l’organisation anticommuniste à la manœuvre qui veut y voir la preuve que les jeunes ne savent pas de quoi il relève. Pour 31% des Millennials, la « propriété collective des moyens de production » relève du communisme, mais pour 32% il s’agit de socialisme. Tandis que la « propriété sociale et d’Etat » est assimilée au socialisme pour 34% et au communisme pour 29%. Au final, quand les jeunes Américains disent privilégier la vie dans une société socialiste, ils entendent aussi bien l’Etat-Providence qu’une forme de collectivisation. La « confusion » se solde par un rapport encore plus « radical » à la nécessité de changement.

« Bernie Sanders n’a pas poussé la jeunesse vers le socialisme. Ils y étaient déjà », analyse Harold Meyerson, éditorialiste au magazine « The American Prospect ». En d’autres termes, le renouvellement générationnel a été le combustible de la dynamique Sanders. Celle-ci avait d’abord été promise, par nombre de commentateurs, à une extinction rapide avant d’être ramenée à une « simple » tentative de mettre en œuvre une forme d’Etat social-démocrate à la scandinave. Comme si promouvoir une sécurité sociale universelle, rendre gratuite l’accès aux universités publiques, doubler le SMIC fédéral pour le porter à 15 dollars, réglementer un Wall Street insolent, pouvait être de même nature, en termes de projet politique, dans l’Amérique super-inégalitaire du turbo-capitalisme que dans la Suède post-seconde guerre mondiale. A se tromper d’époque et de contexte…

Le plus radical dans le projet de Sanders dépasse pourtant ces seuls points programmatiques. Il tient en la « révolution politique » qu’il propose : nous ne changerons la société, dit-il en substance, que si nous créons un mouvement qui implique des millions de personnes. La clé du changement a été décliné en un mot d’ordre : « UsNotMe » (Nous pas Moi).

C’est ce sens de l’action politique collective qui se décline un peu partout dans le pays. Au-delà des enquêtes d’opinion, la réalité de la société est modifiée par des militants et élus dont la conception du socialisme peut en effet varier du communisme originel à une social-démocratie ancestrale.

Pour la première fois depuis les années 20, des socialistes proclamés sont élus au suffrage universel , du conseil municipal au conseil d’école, du Minnesota au Maine. Ils s’appuient tous sur des mouvements organisés à la base plutôt que sur des appareils constitués. Un peu à la façon de Sanders lui-même prenant, en 1981, la mairie de Burlington (Vermont) aux démocrates hégémoniques.

Une organisation cristallise ce regain des idées socialistes : DSA (democratic socialists of America). Son emblème : deux mains (une blanche et une noire) solidaires surmontées d’une rose. Depuis l’élection de Donald Trump, son nombre d’adhérents est passé de 6500 à 30000 tandis que l’âge moyen a baissé de 60 à 35 ans. La direction de DSA évoque même un « baby boom socialiste ». «Les Etats-Unis peuvent être tout à coup devenu le foyer de millions de socialistes, mais il manque encore un mouvement socialiste », tempère Harold Meyerson. Il y a des socialistes mais pas encore de socialisme. Et 110 ans après, l’œuvre du sociologue allemand, Werner Sombart, « Pourquoi n’y a-t-il pas de socialisme aux Etats-Unis ?», pas encore tout à fait démenti.

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