Le président sortant, donné perdant dans tous les cas de figure face à Joe Biden, vient de changer de directeur de campagne. Objectif : s’appuyer sur le suprémacisme blanc dans la course à la Maison-Blanche. (Article publié dans l’Humanité du 17 juillet 2020.)
« Vous êtes viré .» Donald Trump s’était rendu célèbre, il y a une dizaine d’années, avec cette formule par laquelle il congédiait les candidats à son émission de télé-réalité « The Apprentice » Mercredi, il a appliqué la même sentence à Brad Parscale : ce zélé défenseur du président n’est plus son directeur de campagne même s’il reste conseiller en charge de la stratégie numérique. A moitié viré, d’une certaine façon. L’impétrant paie sans doute le fiasco du meeting de Tulsa(Oklahoma), le 21 juin dernier, le premier organisé par Trump depuis le déclenchement de l’épidémie de coronavirus : les images des tribunes à moitié vides avaient fait le tour du monde, sapant le récit du leader charismatique mobilisant des foules nombreuses et courageuses au point de braver le danger pour écouter ce même messie. Celui qui occupait cette fonction centrale depuis février 2018 sert sans doute aussi de « fusible » au moment où il devient évident que quelque chose cloche dans la campagne pour la réélection de Trump.
Ce dernier est distancé, au plan national, par Joe Biden d’une dizaine de points en moyenne. Ce sont les enquêtes d’opinion dans les Etats-clés, les fameux « swing states », qui ont déclenché des signaux d’alerte au sein de l’équipe de campagne de Trump. Le président sortant est donné perdant dans les trois Etats du Midwest (Michigan, Pennsylvanie et Wisconsin) qui l’avaient fait « roi » il y a un peu plus de trois ans. Il est également distancé en Floride, un morceau de choix avec ses 29 grands électeurs, ainsi qu’en Arizona, une terre historiquement républicaine. Au Texas, le plus grand Etat républicain du pays, son avance de deux points s’inscrit dans la marge d’erreur. A la même époque, en 2016, la situation apparaissait moins favorable pour Hillary Clinton qu’elle ne semble désormais l’être pour Joe Biden.
Quelles sont les raisons de ce décrochage évident? La première renvoie à une évolution de la composition de l’électorat qui, année après année, se diversifie. Or, toute la stratégie de Trump est d’engranger une part grandissante du vote d’un segment déclinant de cet électorat : les blancs plutôt âgés, sans diplômes mais affichant des revenus supérieurs à la moyenne. On sait que le milliardaire est un président minoritaire qui a accusé 3 millions de voix de retard en 2016. Deux ans plus tard, lors des élections de mi-mandat, le déficit des candidats républicains est passé à 10 millions de voix, dans le cadre d’une participation inédite depuis 1920 pour un tel scrutin. Seul le système du collège électoral lui permet d’entretenir l’espoir d’un second mandat, tant sa défaite au suffrage universel semble acquise. La condition de sa victoire tient donc à la conservation du bloc trumpiste dans quelques parties du pays principalement le Midwest. C’est justement l’effritement de ce socle que mettent en lumière les sondages, avec un recul prononcé parmi les plus de 65 ans.
Sa gestion du coronavirus a sans doute rebattu les cartes parmi cette frange de l’électorat, plus fragilisée en cas de contraction du virus. Son déni, son rejet de la science, son nationalisme ne trouvent plus écho que dans une base de plus en plus rabougrie. La réouverture « sauvage » de l’économie, à laquelle il n’a cessé de pousser, a produit un spectaculaire rebond des cas positifs et, ces derniers jours, du nombre de décès. Sa réaction face au mouvement de protestation après le meurtre de George Floyd a manifestement plus galvanisé ses opposants que ses partisans. Son remake nixonien de la loi et de l’ordre a fait un flop. Comme le dit le journaliste Ronald Brownstein, dans le magazine The Atlantic: « Donald Trump se présente pour assumer la présidence d’une Amérique qui n’existe plus. » Afin de prolonger son bail à la Maison-Blanche, il s’est lancé dans une fuite en avant flirtant avec le suprématisme blanc tout en faisant le pari d’une élection à forte abstention, d’où son refus de la généralisation du vote par correspondance (alors que lui-même vote par ce biais). Il sait qu’un taux de participation historique serait synonyme d’un message sans ambigüité : « Vous êtes viré ! »