En refusant de condamner des groupes extrémistes blancs, le président sortant endosse définitivement le costume de « premier président blanc de l’histoire du pays. » (Article publié dans l’Humanité du 1er octobre.)
« Reculez et attendez ». Il y eut foultitude de mots, d’invectives et d’accusations, dans la nuit de mercredi à jeudi à Cleveland, mais il faudra retenir de ces 90 minutes de pugilat sans substance ces deux mots : « Reculez et attendez. » Alors que le modérateur, Chris Wallace, lui demande s’il est prêt à condamner les violences des groupes suprémacistes blancs, Donald Trump répond d’abord : « Oui, mais je dirais que presque tout ce que j’ai vu vient de la gauche pas de la droite. » Puis pressé par ce même journaliste de Fox News (« allez-y, dites-le »), la chaîne favorite des conservateurs, le président sortant semble décontenancé avant de presque bafouiller : « Qui voulez-vous que je dénonce ? Donnez-moi un nom. » « Les Proud boys », suggère Chris Wallace. Et là, Trump : « Proud Boys. Reculez et attendez. » Attendez quoi ? L’ordre du chef ? Comme l’a commenté le député démocrate pro-Sanders, Ro Khanna, « le problème n’est pas que Trump ait refusé de condamner la suprématie blanche. C’est bien pire. C’est qu’il a reconnu qu’il était leur leader en leur disant : « Attendez. » A l’autre bout de l’échiquier, la réaction de Rick Santorum, candidat évangélique à la primaire républicaine de 2012, confirme d’une certaine façon cette analyse : il a critiqué le journaliste « qui a demandé au président de faire quelque chose qu’il sait que le président n’aime pas faire : dire du mal des gens qui le soutiennent. »
Le groupe en question rassemble des « suprémacistes purs et durs », selon l’Anti-Defamation League, et revendique la violence comme moyen d’action politique. Le week-end dernier, ils ont débarqué à Portland, avec armes et gaz lacrymogènes, pour en découdre avec les manifestants antiracistes. Quelques minutes après la phrase de Donald Trump, des membres des Proud Boys l’ont qualifiée d’ « historique» sur des réseaux sociaux privés (ils ont été bannis de Twitter et de Facebook). Dans un autre message, un membre assure qu’un bond de « nouvelles recrues» va survenir.
D’une certaine façon, Donald Trump a achevé sa mue suprémaciste en direct. On ne sait s’il faut parler de dérive, tant le racisme est constitutif de sa proposition politique. Dès 2011, il s’est taillé une réputation parmi les républicains les plus à droite en épousant les thèses conspirationnistes des « birthers », affirmant que l’acte de naissance de Barack Obama était un faux et qu’il n’aurait donc pas pu se présenter à l’élection présidentielle. Lorsqu’il se déclare candidat à la primaire démocrate, en juin 2015, le milliardaire mobilise la rhétorique de l’extrême-droite contre l’immigration latino (« Ils amènent des drogues. Ils amènent la criminalité. Ce sont des violeurs. ») et promet de construire un mur le long de la frontière avec le Mexique. « Donald Trump est la dernière chance pour l’Amérique blanche de rester à la Maison Blanche », analysait alors John Mason, professeur de sciences-politiques à l’Université William-Paterson.
Au cours de l’histoire américaine, chaque grand moment d’immigration a produit son mouvement politique anti-immigrés inspiré d’une idéologie baptisée, outre-atlantique, « nativisme »: anti-irlandais dans les années 1850, anti-chinois vers 1880, anti-européens (les ouvriers italiens, allemands et russes ont participé activement au développement des syndicats et partis progressistes) après la première guerre mondiale et anti-latinos depuis deux décennies. Le trumpisme combine ce ressort avec un élément fondamental du parti républicain depuis un demi-siècle : la prise en charge des ressentiments blancs à l’égard des Noirs. Intervenue après la signature de la loi sur les droits civiques, cette « stratégie sudiste » a transformé le parti de Lincoln en mouvement néo-confédéré. Au carrefour de ces deux courants, Donald Trump est devenu, en 2016, «le premier président blanc », selon la formule de l’écrivain et journaliste Ta-Nehisi Coates. Joe Biden entend transformer le scrutin du 3 novembre en référendum sur Trump : il en sera assurément un sur le nationalisme blanc.