Géorgie: les clés du « runoff »

La présidence de Joe Biden se joue le 5 janvier lors deux deux élections sénatoriales dans un Etat traditionnellement conservateur mais qui a basculé chez les démocrates en novembre dernier. (Article publié dans l’Humanité dimanche du 24 décembre 2020.)

« Si on m’avait dit, il y a quatre ans, ce qui allait se passer en Géorgie, je ne l’aurais pas cru : ni la purge massive électorale, ni la campagne de Stacey Abrams de 2018 puis celle pour inscrire sur les listes électorales, ni encore moins les résultats de 2020. » A l’instar de Laurel Snyder, pas grande monde n’aurait misé un dollar sur une bascule du « rouge » vers le « bleu » de cet Etat du Sud. Et lorsque cette écrivaine résidant à Atlanta, déroulait, en quelques mots ce scénario, lors d’un webinaire, organisé mi-décembre, des « Ecrivains contre Trump », ses acolytes opinaient franchement du bonnet. C’est la Floride qui s’affichait comme LE « swing state » que démocrates et républicains s’arrachaient. Et c’est au Texas, où les changements démographiques étaient bien plus avancés, que l’on promettait un destin d’Etat indécis. Finalement, le 3 novembre, Joe Biden a devancé Donald Trump de près de 13.000 voix. Et le 5 janvier, c’est ici, en plein cœur du Sud que tout va se jouer pour l’administration Biden lors d’un « runoff » (disons l’équivalent d’un second tour) qui promet d’être le plus médiatique des « runoff ». Deux sièges de sénateurs y sont en jeu. L’enjeu est simple : les démocrates l’emportent et ils auront 50 sénateurs, à égalité avec les républicains, mais la voix prépondérante de la vice-présidente Kamala Harris leur permettra de disposer des moyens de leur politique. S’ils perdent, ne serait-ce que l’une des deux élections, et ils seront condamnés à voir leurs initiatives législatives bloquées par la digue républicaine du Sénat.

Les démocrates peuvent-ils reproduire l’exploit du 3 novembre dans un Etat au long passé conservateur ? « La vague bleue peut-elle survivre à Trump ?», reformule Lauric Henneton, maître de de conférences à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, lors d’un webinaire sur les « villes nord-américaines à l’heure de Trump » organisé par réseau EUNA (Etudes Urbaines Nord-Américaines). En Géorgie, la « vague bleue » (Joe Biden a augmenté le capital électoral de Hillary Clinton d’un tiers, passant de 1,8 à 2,4 millions de voix) s’est incontestablement nourrie du rejet de la figure de Donald Trump. Le jour même où le président sortant perdait cet Etat, le sénateur républicain David Perdue devançait Jon Ossof (49,7% contre 47,9%), échouant pourtant à franchir la barre des 50%, ce qui conduit, en fonction d’une règle locale, au fameux « runoff. »

Finalement, le président battu est peut-être en train de rendre un fier service à son ennemi Joe Biden en s’impliquant autant dans la campagne des sénatoriales et en semant la zizanie au sein du G.O.P. (Grand old party, le surnom du parti républicain). Il s’en est successivement pris au secrétaire républicain aux élections, Brad Raffensperger, accusé d’avoir couvert la fraude en validant les résultats après un recompte puis le gouverneur républicain, Brian Kemp, de les avoir certifiés. Une partie des trumpistes les plus acharnés appellent à boycotter le scrutin du 5 janvier qui se jouera sans doute à quelques milliers de voix près. Mais, Trump ou pas Trump, l’émergence des démocrates dans cet Etat qui lui fut fidèle jusque là signature de la loi sur les droits civiques dans les années 60 n’en reste pas moins un phénomène durable. Il tient aux changements démographiques et à l’immense travail d’inscription sur les listes électorales.

« Il y a un double processus : densification et diversification. C’est lorsqu’il y a densification par la diversification qu’il y a changement», résume Lauric Henneton. En résumé, le curseur électoral évolue vers les démocrates lorsque les nouveaux habitants sont membres des « minorités. » Le cœur du boom démographique se situe dans la métropole d’Atlanta, où « la croissance démographique repose quasi-exclusivement sur les noirs.» Joe Biden y a recueilli 1,5 million de voix contre 1 million pour Barack Obama en 2008. Selon une enquête, les habitants arrivés ces dix dernières années ont voté démocrate à 65%. Les sciences sociales l’avaient étudiée : la « nouvelle grande migration » (en référence à la « grande migration » qui vit, entre 1910 et 1950, des millions de noirs quitter le Sud et ses lois ségrégationnistes pour se rendre dans les grandes villes du nord-est et du Midwest) favorise sur le long terme les démocrates. Mais encore faut-il que ces électeurs potentiels votent. Les républicains l’ont bien compris, eux, qui ont mené une purge électorale de près d’1,5 million d’électeurs avant l’élection de 2018, ce qui permit à Brian Kemp de se défaire de Stacey Abrams. Cette dernière a ensuite mené, avec son organisation Fair Fight un immense travail d’inscription sur les listes électorales (800.000 personnes en deux ans), sans lequel Joe Biden n’aurait jamais entrevu le moindre espoir de victoire. Désormais inscrits en masse, les électeurs doivent se déplacer le 5 janvier : c’est tout le travail des militants politiques et syndicaux (entretien ci-dessous)

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