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Face à Donald Trump, Kamala Harris tient la corde

Le retrait de Joe Biden redistribue les cartes d’une élection présidentielle dont l’issue était annoncée comme catastrophique pour les démocrates. Le candidat républicain va devoir, lui aussi, réviser sa stratégie. (Article publié dans l’Humanité du 23 juillet 2024.)

Ses jours comme candidat démocrate étaient comptés. En bon catholique, Joe a préféré ne pas boire le calice jusqu’à la lie. Par un communiqué publié dimanche, en début d’après-midi, le président sortant a annoncé qu’il se retirait de la course à l’élection présidentielle et qu’il ne briguera donc pas un second mandat. « Cela a été le plus grand honneur de ma vie de servir en tant que votre président, a-t-il déclaré dans une lettre publiée sur les réseaux sociaux. Et bien que j’aie eu l’intention de me représenter, je pense qu’il est dans l’intérêt de mon parti et du pays que je me retire et que je me concentre uniquement sur l’exercice de mes fonctions de président jusqu’à la fin de mon mandat. » Joe Biden s’est donc rendu à l’évidence à laquelle l’appelaient des élus en nombre grandissant. Il est même allé plus loin en adoubant la vice-présidente Kamala Harris, désormais grande favorite pour reprendre le flambeau démocrate.

Pourquoi Kamala Harris est-elle la favorite ?

Dans les heures qui ont suivi l’annonce de Joe Biden, la vice-présidente en exercice a reçu une salve de soutiens qui la positionnent clairement comme la favorite de cette nouvelle course à la nomination. Bill et Hillary Clinton ont annoncé leur soutien à l’ancienne sénatrice de Californie, tout comme de nombreux élus. L’American Federation of Teachers, le plus grand syndicat d’enseignants du pays, a pris position dès dimanche soir : ce sera Kamala Harris. Celle-ci a aussi hérité du staff de campagne de Joe Biden – dont la manager, Julie Chavez Rodriguez, petite-fille du leader syndicaliste Cesar Chavez – et surtout de la cagnotte. Aux dizaines de millions de dollars déjà en caisse s’est ajouté un tas de dollars inattendus. Dans l’heure qui a suivi l’annonce du retrait de Joe Biden, les démocrates ont récolté 5 millions de dollars, record absolu.

En revanche, Barack Obama s’est abstenu de lui apporter son onction, pourtant recherchée comme le Graal. Selon une source proche de l’ancien président, citée par le New York Times, il adopterait la même politique de neutralité que lors des primaires en 2020, dans le souci « d’aider à unir le parti une fois que nous aurons un candidat ». L’explication relève de la blague : après la victoire de Bernie Sanders dans le Nevada, qui le plaçait alors comme le favori évident, Barack Obama a appelé Pete Buttigieg et Amy Klobuchar afin qu’ils retirent leur candidature et appuient celle de Joe Biden. Quelques jours plus tard, lors du Super Tuesday, la manœuvre se révélait payante et le candidat de l’establishment dominait le sénateur socialiste. Barack Obama a sans doute une autre idée en tête, que révélera le déroulement des événements dans les semaines à venir.

Du côté de l’aile gauche démocrate, les différences stratégie d’approche sont évidentes. « Kamala Harris sera la prochaine présidente des États-Unis. Je m’engage à la soutenir pleinement pour assurer sa victoire en novembre », a posté sur X (ex-Twitter) Alexandria Ocasio-Cortez. Bernie Sanders, lui, s’est contenté de souligner le bon bilan de Joe Biden. Commentaire de David Axelrod, ancien conseiller de Barack Obama : « De nombreux dominos sont tombés, y compris la quasi-totalité des principaux candidats potentiels qui auraient pu la défier. Il est difficile d’envisager une autre issue que sa nomination. »

Comment la désignation va-t-elle se dérouler ?

Jaime Harrison, plutôt inconnu du grand public, détient l’une des clés de l’avenir de la campagne démocrate. En tant que président du Comité national démocrate, l’instance dirigeante du parti, il devra trancher entre deux scénarios.

Le premier : la candidature de Kamala Harris ne rencontre pas de concurrence et, dès début août, un vote est effectué pour valider cette proposition. Le second : le vote est renvoyé à la convention organisée par les démocrates du 19 au 22 août à Chicago. La porte serait ainsi ouverte à des candidatures alternatives. C’est sans doute le plus démocratique mais également le plus dangereux pour le parti au pouvoir. L’histoire peut se terminer en déchirements dont les démocrates auraient dû mal à se remettre, alors que les Américains commenceront à voter de manière anticipée à peine quelques jours plus tard, soit début septembre.

Qui votera ? 4 672 personnes, en tout et pour tout. Il y aura les 3 933 délégués élus pendant les primaires démocrates remportées haut la main par Joe Biden, qui ne faisait face à aucune concurrence. Ils sont donc fidèles politiquement au président en exercice, mais le retrait de ce dernier les délie juridiquement de leur engagement. Ils pourront ainsi voter pour le candidat de leur choix. Enfin, 739 « super-délégués » auront aussi voix au chapitre : non élus, ils sont désignés en raison de leur position dans l’appareil démocrate (députés, sénateurs, gouverneurs, stratèges, etc.)

Pour l’instant, personne n’est sorti du bois. Joe Manchin, le sénateur anciennement démocrate centriste, devenu indépendant, envisagerait de redevenir démocrate afin de postuler. Robert Kennedy Jr, candidat indépendant, a affirmé qu’il serait réceptif à un éventuel appel des « aînés du parti » qui l’inviteraient à défier Kamala Harris. Deux hypothèses peu crédibles.

Petite tranche d’histoire : la dernière convention « ouverte » remonte à 1968 et se déroulait déjà à Chicago. Lyndon Johnson avait dû renoncer à se présenter en raison de son impopularité grandissante liée à la guerre du Vietnam. C’est finalement son vice-président, Hubert Humphrey, qui sortit vainqueur d’une convention demeurée dans les mémoires : tandis que les tractations se déroulaient à l’intérieur de l’International Amphitheatre, la police de Chicago de triste réputation frappait dehors les militants pacifistes. Quelques semaines plus tard, Richard Nixon remportait l’élection présidentielle sur une double promesse : du respect de la loi et de l’ordre ; de mettre fin à l’escalade au Vietnam (on sait ce qu’il en advint).

Si les éléments d’analogie semblent frappants, la convention de cette année ne se présente pas forcément sous les mêmes auspices. Contrairement à celle du Vietnam, la guerre à Gaza, dont Joe Biden est rendu responsable par une partie de sa base électorale, n’est pas menée directement par Washington. Et le mouvement anti-guerre, bien que présent dans les campus, n’a pas atteint le point d’ignition de 1968, l’année rebelle par excellence. Le candidat républicain Richard Nixon n’avait pas encore fait la démonstration de son cynisme, ce que Donald Trump a parfaitement prouvé lors de son premier mandat.

Les démocrates peuvent-ils battre Trump ?

En une semaine, le « narratif », comme disent les communicants, a changé de côté. On est passé d’une élection supposément imperdable pour un Trump survivant à une tentative d’assassinat, opposé à un président quasiment grabataire, à « Harris peut-elle l’emporter ? ». Signe que la mission n’est pas impossible. C’est également ce que montrent les sondages. Depuis quelques jours, les machines des instituts tournent à plein. Si Kamala Harris apparaît distancée par Donald Trump à la fois au plan national et dans les « swing states » (États pivots) qui feront la différence le 5 novembre, l’ampleur de l’écart est moindre que celui accusé par Joe Biden.

La vice-présidente devra d’abord tenter de remobiliser plusieurs franges de l’électorat démocrate qui refusaient de porter leur suffrage sur Biden. Le plus simple est de rallier ceux qui avaient comme unique problème les capacités physiques et cognitives du chef de l’État. Mais il faudra également convaincre les électeurs « naturels » du Parti démocrate, peu satisfaits du bilan social ou ulcérés par le soutien inconditionnel de Joe Biden à Benyamin Netanyahou. La visite de ce dernier à Washington, à partir de mardi, constituera le premier vrai test pour la candidate putative qu’est Kamala Harris. La campagne « uncommitted » (non engagée) qui avait encouragé avec un certain succès les électeurs démocrates à ne pas voter Biden lors des primaires, afin de protester contre le soutien de la Maison-Blanche à la guerre d’Israël à Gaza, a exhorté Kamala Harris à « prendre clairement position contre les armes qui soutiennent la guerre et l’occupation d’Israël contre les Palestiniens ».

Si elle était confirmée comme la candidate officielle du Parti démocrate, Kamala Harris disposerait d’une carte à abattre que Joe Biden, par définition, n’avait pas en main : celle de son colistier. Un « ticket » présidentiel est toujours affaire de complémentarité à visée stratégique. En 2020, Joe Biden avait choisi un profil féminin, plus jeune et Noir (les Africains-Américains représentent un tiers de l’électorat démocrate) : Kamala Harris. Quel profil choisirait-elle, une fois intronisée ? Un homme blanc, avec sans doute un ancrage dans le Midwest où trois États clés (Pennsylvanie, Michigan et Wisconsin) font figure de sésame pour une candidature démocrate ? Josh Shapiro, gouverneur de Pennsylvanie, semble figurer en tête de la shortlist. Ce choix répondrait à celui du colistier de Trump : J. D. Vance, sénateur de l’Ohio, lui aussi élu de la Rust Belt, cette « ceinture de rouille » des terres jadis industrialisées.

C’est ici que le retrait de Joe Biden semble secouer autant la campagne des républicains que celle des démocrates. La convention des premiers a eu lieu et ils ne peuvent revenir en arrière. Or, avec J. D. Vance, un idéologue plus trumpiste que Trump en colistier, c’est une stratégie de campagne ultradroitière qui se dessine. Elle pouvait s’avérer payante face à un candidat faible. Avec un nouveau ticket démocrate, elle apparaît décalée dans un pays certes polarisé, mais au sein duquel la coalition démocrate domine en nombre de voix sans discontinuité depuis 2008. Les faiblesses de Joe Biden avaient fini par masquer celles de Trump, lui aussi âgé (78 ans), reconnu responsable au civil d’une agression sexuelle, condamné au pénal pour falsification de documents comptables, inculpé dans d’autres affaires, à la tête d’une base Maga (Make America Great Again, le slogan de Trump en 2016) chauffée à blanc… mais minoritaire dans le pays.

Son plus grand dénominateur commun – le refus, voire la haine de l’immigration et des migrants – servira à faire tonner l’artillerie lourde contre Kamala Harris, décrite comme « la tsarine de l’ouverture des frontières de Biden ». L’hôte de la Maison-Blanche lui avait en effet confié ce dossier chaud de la politique américaine. Malgré une solide expérience – successivement procureure de San Francisco, puis de l’État de Californie et sénatrice entre 2016 et 2020 –, Kamala Harris, 59 ans, n’avait jamais réussi à convaincre, ni à vaincre les réticences, rendant au fil du mandat l’hypothèse de la passation de relais de plus en plus improbable et amenant de facto Biden à rempiler… le temps de démontrer son incapacité politique à prétendre à un second mandat. Dès lors, à qui tendre le relais si ce n’est à Kamala Harris, sauf à ajouter à la crise politique que traversent les démocrates ?

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Joe Biden renonce : Kamala Harris ou une convention ouverte pour lui succéder ?

L’annonce du président en exercice de renoncer à la course présidentielle ouvre chez les démocrates le scénario d’une convention ouverte à Chicago, du 19 au 22 août, une possible boîte de Pandore même si Joe Biden a d’ores et déjà apporté son soutien à Kamala Harris. (Article publié dans l’Humanité du 21 juillet 2024.)

Ses jours comme candidat démocrate étaient comptés et Joe Biden, en bon catholique, a préféré ne pas boire le calice jusqu’à la lie. Par un communiqué publié hier, en début d’après-midi, le président sortant, 81 ans, a annoncé qu’il se retirait de la course à l’élection présidentielle et qu’il ne briguera pas un second mandat.

« Cela a été le plus grand honneur de ma vie de servir en tant que votre président », a-t-il déclaré dans une lettre publiée sur les médias sociaux. « Et bien que j’aie eu l’intention de me représenter, je pense qu’il est dans l’intérêt de mon parti et du pays que je me retire et que je me concentre uniquement sur l’exercice de mes fonctions de président jusqu’à la fin de mon mandat. »

Depuis sa prestation catastrophique lors de son premier duel face à Donald Trump, les déclarations l’appelant à jeter l’éponge s’étaient multipliées. Ce week-end, encore, Sherrod Brown, sénateur de l’Ohio et poids lourd démocrate du Congrès, avait demandé à Joe Biden de renoncer. L’étape suivante – forcément humiliante – aurait pris la forme d’une quasi-exécution politique par l’un de ses plus proches alliés. En l’occurrence, le rôle aurait été dévolu, selon de nombreux observateurs, à Nancy Pelosi, l’ancienne présidente de la Chambre des représentants.

Dans sa déclaration, le président en exercice a annoncé qu’il s’exprimerait plus tard dans la semaine. Pourtant, quelques minutes après, il apportait son soutien à la vice-présidente, Kamala Harris. Ce dernier ne tranche pas entre les deux scénarios. A ce stade, il ne peut y en avoir que deux.

Le premier : la candidature de Kamala Harris ne rencontre pas de concurrence et, dès début août, un vote est effectué pour valider cette proposition.

Le second : une convention « ouverte » comme en 1968. Les délégués élus durant le cadre de la primaire démocrate se rendent, comme prévu, à Chicago, du 19 au 22 août avec les « super délégués » (non élus mais bénéficiant d’un droit de vote). Comme Biden se retire, ils sont déliés (« unbound ») de leur engagement à le soutenir et peuvent choisir le candidat de leurs choix. Les candidatures seront ouvertes et il ne devrait pas manquer d’y en avoir plusieurs, ne serait-ce que pour peser au sein de l’appareil démocrate dans les années à venir.

C’est sans doute le plus démocratique mais également le plus dangereux pour le parti au pouvoir. L’histoire peut se terminer en déchirements dont les démocrates auraient dû mal à se remettre alors que les Américains pourront commencer à voter de manière anticipée à peine quelques jours plus tard, soit début septembre.

La dernière convention « ouverte » remonte à 1968. Elle se déroulait (déjà) à Chicago. Lyndon Johnson avait dû renoncer à se présenter, en raison de son impopularité grandissante liée à la guerre du Vietnam. C’est finalement son vice-président, Hubert Humphrey, qui sortit vainqueur d’une convention demeurée dans les mémoires : tandis que les tractations se déroulaient à l’intérieur du centre de convention, la police de Chicago de triste réputation frappait dehors les militants pacifistes. Quelques semaines plus tard, Richard Nixon remportait l’élection présidentielle sur une double promesse : du respect de la loi et de l’ordre ; de mettre fin à, l’escalade au Vietnam (on sait ce qu’il en advint).

Si les éléments d’analogie semblent frappants, la convention de cette année ne se présente pas forcément sous les mêmes auspices. Contrairement à celle du Vietnam, la guerre à Gaza, pour laquelle Joe Biden est rendue responsable par une partie de sa base électorale, n’est pas menée directement par Washington. Et le mouvement anti-guerre, bien que présent dans les campus, n’a pas atteint le point d’ignition de 1968, l’année rebelle par excellence. Le candidat républicain, Richard Nixon, n’avait pas encore fait la démonstration de son cynisme, ce que Donald Trump a parfaitement prouvé lors de son premier mandat. Rien ne dit pourtant que l’Histoire se terminera mieux pour les démocrates.

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« Que Joe Biden perde ou gagne, il faudra clarifier l’offre démocrate »

Derrière Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, l’aile gauche tente d’influencer de l’intérieur le programme du président sortant, souligne Tristan Cabello, maître de conférences à l’université Johns Hopkins, historien spécialiste des États-Unis. (Article publié dans l’Humanité du 18 juillet 2024.)

Alors que Donald Trump sort renforcé de la convention républicaine, le débat interne à la coalition démocrate n’a toujours pas été tranché sur le maintien de la candidature de Joe Biden, toujours en retard dans les sondages.

Dans quelle mesure la tentative d’assassinat de Donald Trump modifie-t-elle la stratégie des démocrates ?

Je me demande encore s’il existe une véritable stratégie de campagne au sein du Parti démocrate. Elle reste difficile à cerner. Cette tentative d’assassinat survient à la fin d’une semaine de débats sur l’âge et les capacités de Joe Biden. Sa candidature ne fait plus consensus au sein du Parti démocrate.

Or, cet attentat renforce encore plus la candidature de Donald Trump, qui passe du statut de multi-condamné à celui de victime, survivant d’un attentat. C’est le discours qu’il préfère : « Je suis une victime, mais je reste fort pour vous défendre, vous, l’électorat républicain. » Les démocrates ne peuvent répondre à cet acte que politiquement : renforcer la lutte contre les armes à feu, le terrorisme intérieur, mais aussi s’attaquer sérieusement au problème de la santé mentale aux États-Unis.

Ils peuvent également prôner des discours de « raison » et d’unité nationale, qui seraient moins porteurs. Cela se transformera donc en une bataille de discours et de narration. Cependant, l’option républicaine, jouant sur les émotions et les sentiments, ainsi que sur l’idée d’un grand sauveur, me semble beaucoup plus efficace pour dynamiser la base républicaine et convaincre certains indépendants.

Des élus de plus en plus nombreux demandent à Joe Biden de se retirer. Mais l’aile gauche semble le soutenir. Comment l’expliquez-vous ?

Les représentants modérés ou de l’aile conservatrice du Parti démocrate pourraient perdre leur siège en novembre si Biden ne remporte pas l’élection. Des élus comme Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) sont relativement protégés, dans des circonscriptions qui ne peuvent pas vraiment basculer à droite. Ils ont tout à gagner à soutenir Joe Biden, même si leurs électeurs, souvent jeunes, urbains et issus des classes plus défavorisées, sont très critiques de cette administration, notamment à cause de la gestion de la guerre à Gaza.

Le message d’AOC est clair : choisir d’influencer le programme du candidat Biden de l’intérieur. Et en effet, lors de son meeting dans le Michigan, le candidat a dévoilé les premiers aspects d’un programme plus à gauche avec des mesures très attendues : élargir la Sécurité sociale et Medicare, éliminer toutes les dettes médicales, augmenter le salaire minimum, plafonner l’insuline à 35 dollars pour tous et construire plus de logements sociaux. Les détails ne sont pas encore connus, mais c’est un programme qui répondrait aux demandes des électeurs de l’aile progressiste du parti.

Vous semble-t-il y avoir des différences d’appréciation au sein de l’aile gauche, notamment entre Bernie Sanders et AOC ?

L’aile gauche du Parti démocrate est très divisée sur ces sujets. Il faut rappeler que, principalement à cause de son soutien à Gaza, Jamaal Bowman n’a pas remporté sa primaire dans sa circonscription à New York et ne siégera plus au Congrès. Cori Bush semble aussi en danger dans sa primaire. Ilhan Omar soutient le président, alors que Rashida Tlaib est beaucoup plus critique. Et AOC, qui a remporté sa primaire récemment, a décidé de soutenir le président.

Jusqu’à récemment, Bernie Sanders était plus distant. Il soutenait le président à demi-mot en l’encourageant à faire plus de meetings, de rencontres et d’interviews pour prouver ses capacités cognitives. Or, depuis le 13 juillet, après que Joe Biden a dévoilé une partie de son programme, Sanders est plus clair : il le soutient et a même écrit toute une tribune à ce sujet pour le New York Times.

Il souligne toujours ses désaccords avec Biden, comme le soutien des États-Unis à Israël et la nécessité d’un système de santé universel, mais il met aussi en avant les grandes avancées de son mandat (l’annulation de la dette étudiante, la réduction des coûts des médicaments et la défense des droits des femmes).

Sanders insiste maintenant sur l’importance de l’unité au sein du Parti démocrate pour combattre Trump. Pour lui, l’élection à venir présente un choix clair entre Biden, qui cherche à répondre aux besoins des familles travailleuses, et Trump, dont les politiques favorisent les riches et sapent la démocratie.

Ce pari de l’aile gauche d’investir la candidature de Biden afin d’y faire accepter un programme très progressiste ne comporte-t-il pas le risque que ce dernier ne soit associé à une éventuelle défaite du président sortant, discréditant ainsi toute idée de changement radical aux États-Unis ?

Oui et non. La victoire du candidat républicain ne serait pas vraiment une victoire des idées de la droite conservatrice. Elle reposerait avant tout sur la faiblesse du camp démocrate, qui peine à mobiliser sa coalition, ou sur un avantage au collège électoral, malgré une possible perte du vote populaire. Les idées progressistes resteraient majoritaires dans le pays (les Américains sont en majorité favorables à Medicare for All, à l’augmentation du salaire minimum, à la régulation des armes à feu et à la lutte contre les discriminations).

Si Donald Trump gagne, cela ouvrira de grands débats au sein du Parti démocrate. Contrairement au Parti républicain, il n’est pas toujours en phase avec sa base électorale, et il serait peut-être temps d’une mise à jour plus progressiste et moins centriste, dans le cadre d’une opposition ferme à un président de droite dure comme Trump. Si Joe Biden gagne, il faudra, par le parti et par la rue, faire pression sur son administration pour faire passer ces lois progressistes (qui, au passage, nécessiteront pour la plupart une majorité dans les deux chambres).

Il faudra également engager une véritable discussion sur l’avenir de ce parti qui, depuis Clinton, est élu sur une plateforme progressiste mais échoue, présidence après présidence, à apporter de vraies solutions aux problèmes de la classe ouvrière et de la classe moyenne aux États-Unis. Que Joe Biden perde ou gagne l’élection présidentielle, il faudra clarifier l’offre démocrate, remodeler le fonctionnement du parti et préparer la suite.

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J.D. Vance, le choix du « à droite toute »

Quelques jours après une tentative d’assassinat, Donald Trump a choisi comme colistier le sénateur de l’Ohio, symbole du virage national-populiste du parti républicain. (Article publié dans l’Humanité du 17 juillet 2024.)

Appeler à la concorde et choisir un colistier qui attise les divisions : Donald Trump a manié le chaud et le froid à l’ouverture de la convention républicaine. Lequel des deux messages dominera ? Le suspense ne semble pas intenable tant le profil de J. D. Vance, l’heureux élu, dit à peu près tout de la stratégie trumpiste.

Son CV commence comme une histoire d’Horatio Alger, romancier américain du XIXe siècle, dont les innombrables livres mettaient en scène des « self-made-men », petites choses devenues riches par la grâce du rêve américain. James Donald Bowman, né en 1984 à Middletown dans une petite ville de l’Ohio, traverse une enfance chaotique dans une famille pauvre, avec une mère addict à la drogue et un père absent.

Il est élevé par ses grands-parents, des chrétiens évangéliques, avant de se convertir au catholicisme à l’âge de 20 ans. Il s’engage dans les marines, part en Irak, reprend ses études qui le mèneront jusqu’à la prestigieuse école de droit de Yale.

Il travaille un an pour le sénateur républicain John Cornyn, puis comme clerc auprès d’un juge dans le Kentucky, avant de rejoindre un cabinet d’avocats et de choisir le business en allant à San Francisco, auprès de Peter Thiel, le capitaliste libertarien. C’est ce dernier, pièce centrale de la radicalisation de la droite américaine, qui finance sa première campagne : à 37 ans, Vance est élu au Sénat, l’organe législatif le plus puissant au monde.

D’anti-Trump à colistier, itinéraire d’un revirement

Pour décrocher cette timbale, il a dû effectuer une seconde conversion. L’anti-Trump des années 2016-2017, qu’il comparait à l’occasion à Hitler, est devenu un trumpiste zélé. Après la tentative d’assassinat de Donald Trump, samedi 13 juillet, il est l’un des premiers à déclencher la machine à instrumentaliser, rendant l’hôte de la Maison-Blanche responsable de l’acte : « Il ne s’agit pas aujourd’hui d’un simple événement isolé. Le postulat central de la campagne de Biden est de dire que le président Trump est un fasciste autoritaire qu’il faut arrêter à tout prix. Cette rhétorique a directement conduit à la tentative d’assassinat du président Trump. »

Ce premier millennial (génération née entre 1981 et 1996) présent sur un ticket présidentiel défend toujours mordicus l’idée que l’élection de 2020 a été volée, assurant même qu’il aurait refusé de certifier les résultats. Il est également l’un des plus farouches opposants à l’aide à l’Ukraine, affichant un alignement sans complexe avec le pouvoir russe. Bref, comme le souligne l’universitaire Corentin Sellin, sur X, J. D. Vance est un « symbole de la mue nationale-populiste du Parti républicain achevée par Donald Trump ».

En 2016, Donald Trump avait favorisé la complémentarité avec Mike Pence, considéré comme un atout pour rallier les chrétiens évangéliques blancs. Ces derniers étant massivement « trumpisés », plusieurs choix s’offraient au 44e président des États-Unis. Il avait la possibilité de tenter de séduire les femmes diplômées modérées – talon d’Achille des républicains lors de la présidentielle de 2020 et des élections de mi-mandat de 2022 – ou de lancer une sorte d’appel aux minorités – traditionnellement favorables aux démocrates, mais de plus en plus distantes avec Joe Biden. Nikki Haley, ancienne ambassadrice des États-Unis à l’ONU et candidate aux primaires républicaines, ou Marco Rubio, le sénateur de Floride d’origine cubaine, pouvaient dès lors faire figure d’incarnation.

Trump a finalement opté pour sa « copie conforme », mais en plus jeune. D’une pierre il fait trois coups : renforcer son emprise sur le Grand Old Party (surnom du parti de Lincoln) ; désigner un héritier et, surtout, indiquer le cap de sa campagne. Cette dernière reposera sur la base Maga (Make America Great Again, son slogan de 2016 emprunté à Ronald Reagan) et s’adressera clairement à l’Amérique blanche.

C’est, d’une certaine façon, la poursuite de cette stratégie qui lui a permis sa première élection. Alors que les stratèges républicains avaient tiré comme conséquence de la défaite de Mitt Romney en 2012 face à Barack Obama la nécessité de s’ouvrir à la réalité d’un pays en plein bouleversement démographique, le milliardaire nationaliste avait pris le contre-pied en s’adressant aux ressentiments notamment raciaux d’une frange de l’électorat blanc.

Cette continuité implique une aggravation puisque le candidat républicain doit extraire une plus forte proportion du vote d’une population en déclin numérique. Sa rhétorique doit donc être de plus en plus inflammable. C’est ainsi qu’au début de son meeting à Butler, quelques minutes avant la rafale de huit balles, il expliquait comment l’Amérique était submergée par l’immigration, dans un plan organisé par les démocrates…

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Trump, du sang sur la route de la Maison Blanche

La tentative d’assassinat contre l’ancien président le renforce dans sa stratégie de reconquête de la magistrature suprême, au moment où les démocrates présentent un candidat affaibli et une stratégie anti-trumpiste désormais caduque. (Article publié dans l’Humanité du 15 juillet 2024.)

Donald Trump venait de commencer son discours de campagne à Butler, une petite ville située au nord de Pittsburgh, dans l’État de Pennsylvanie, l’un de ces « swing states » (États pivots) qui feront la décision, le 5 novembre. Comme d’habitude, il avait accusé les démocrates de faire venir des millions de migrants afin de changer la nature de l’Amérique, une assertion complotiste centrale dans la rhétorique de l’ancien président, quand, en quelques secondes, dans un registre pourtant tellement commun à la vie politique des États-Unis, la campagne électorale a basculé.

Une déflagration. Donald Trump porte la main à son oreille. Les agents du secret service, qui se précipitent sur lui, le plaquent au sol et le protègent avant de l’évacuer, le visage perlé de sang, brandissant le poing en direction d’une foule encore abasourdie.

Que sait-on du tireur et des circonstances ?

Pareil événement nourrira des questions (légitimes) pendant des jours, voire des semaines et les théories du complot durant des décennies. « Incompétence extrême ou alors c’était délibéré », a insidieusement glissé sur X le milliardaire Elon Musk, soutien officiel de Donald Trump, en appelant à la démission des responsables du Secret Service, l’agence gouvernementale chargée de protéger les personnalités.

Comment un ancien président a-t-il pu être laissé dans la ligne de mire d’un tireur, armé d’un fusil semi-automatique ? L’enquête le déterminera. Des vidéos montrent en revanche qu’un sniper du Secret Service, positionné sur le toit d’un hangar proche de l’estrade, a repéré le tireur après avoir entendu les premières balles et l’a mortellement atteint.

L’auteur des tirs serait, selon les informations du FBI, Thomas Matthew Crooks, un homme blanc de 20 ans. D’après les registres de l’État de Pennsylvanie, il y était enregistré comme électeur républicain qui aurait pu voter pour la première fois à la présidentielle de novembre. Le New York Times rapporte qu’il aurait fait, à l’âge de 17 ans, un don de 15 dollars à Progressive Turnout Project, une organisation liée au Parti démocrate dont l’objet est de favoriser la participation électorale. L’enquête sur ses motivations se poursuivait.

Le jeune homme était positionné sur le toit du hangar d’une entreprise située à un peu moins de 120 mètres de l’estrade où se tenait Donald Trump. Plusieurs participants ont témoigné l’avoir repéré sur le toit avant la fusillade et alerté la police locale qui confirme avoir « répondu à un certain nombre de rapports d’activité suspecte », sans donner plus de précisions. Le bilan s’établit à un homme tué et deux autres sévèrement blessés.

Quelles conséquences pour la campagne de Trump ?

Au-delà de la gravité du fait lui-même, chaque observateur est amené à répondre à la question : « Cela favorise-t-il Donald Trump ? » La réponse est assez évidemment positive. Échapper à une tentative d’assassinat renforce à la fois la cohésion de l’électorat déjà décidé à voter pour le républicain et bride de fait les attaques que Joe Biden pourra porter contre lui. Donald Trump abordait déjà la dernière ligne droite en situation de favori avec des sondages presque unanimement favorables et un adversaire fragilisé par une catastrophique prestation lors du premier de leurs débats.

L’ancien président des États-Unis se présentera aujourd’hui à la convention républicaine à Milwaukee (Wisconsin) auréolé de cette image de miraculé qui brandit le poing, alors qu’il vient manifestement d’échapper à la mort. Il pourrait désormais adopter une posture plus consensuelle, comme l’indique son premier message sur Truth Social, son propre réseau social : « Il est plus important que jamais que nous restions unis et que nous montrions notre véritable caractère en tant qu’Américains, en restant forts et déterminés, et en ne laissant pas le mal l’emporter. J’aime vraiment notre pays, je vous aime tous, et je me réjouis de m’adresser à notre grande nation cette semaine dans le Wisconsin. »

Tout ce qui lestait sa candidature – une première condamnation et trois autres procès à venir ; son soutien à l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 ; des défaites à répétition (2018, 2020) – se trouve relégué au second plan. Momentanément ? C’est pour rendre durable cet état passager que les républicains ont frontalement attaqué leurs adversaires démocrates. J.D. Vance, le sénateur républicain de l’Ohio figurant parmi les favoris pour devenir le colistier de Donald Trump, a incriminé la « rhétorique » de Joe Biden.

« Il ne s’agit pas aujourd’hui d’un simple événement isolé. Le postulat central de la campagne de Biden est de dire que le président Trump est un fasciste autoritaire qu’il faut arrêter à tout prix. Cette rhétorique a directement conduit à la tentative d’assassinat du président Trump », a-t-il avancé dans une tentative assez grossière d’instrumentalisation. « Ils ont essayé de le mettre en prison. Ils ont essayé de le tuer. Cela ne marchera pas », a de son côté artillé le gouverneur du Texas, Greg Abbott. « Joe Biden a envoyé les ordres », a même osé le député Mike Collins.

Pourtant, le profil du tireur – en l’état de ce que l’on en sait – ne correspond pas à la description politique des trumpistes de l’opposant féroce à Trump dont le doigt aurait été armé par les propos des démocrates. De plus, l’acte a été perpétré avec un type d’arme dont les républicains refusent de réglementer la vente, contrairement aux démocrates. Ces derniers disposeraient d’un argument de politique publique (« policy ») si le tout n’était pas écrasé par la puissance de l’impact politique (« politics »).

Quel impact pour la campagne de Biden ?

Joe Biden nageait déjà à contre-courant. La vague déclenchée par cet événement de nature historique le submergera-t-elle ? Là encore, aucune réponse définitive ne peut être apportée. Une chose semble pourtant certaine : l’hôte de la Maison-Blanche ne pourra poursuivre sur la même trajectoire. Jusqu’ici, sa stratégie ressemblait à un copier-coller de celle de 2020 : transformer le scrutin du 5 novembre en référendum anti-Trump.

Elle avait parfaitement fonctionné il y a quatre ans, permettant à l’ancien vice-président de Barack Obama de distancer le président républicain sortant au vote populaire (7 millions de voix d’avance) comme au collège électoral (306 grands électeurs contre 232). Elle semblait déjà beaucoup moins bien fonctionner ces derniers mois. Tout d’abord, parce que Joe Biden se présente avec un bilan que sa coalition juge positivement mais qui reflète en creux également des promesses non tenues (salaire minimum à 15 dollars, augmentation des impôts pour les plus riches). Ensuite, parce que depuis le premier duel télévisé entre les deux candidats, le débat public est focalisé sur l’état physique et cognitif de Joe Biden.

Il sera désormais difficile, pour ne pas dire impossible, pour le camp démocrate de dramatiser l’enjeu de l’élection présidentielle en dépeignant Trump en danger pour la démocratie sans se faire qualifier de pousse-au-crime par les républicains. Sans stratégie, avec un candidat affaibli politiquement, les démocrates ont-ils d’autre choix qu’un big bang pour empêcher la tentative d’assassinat de Butler de devenir, dans les livres d’histoire, l’événement fondateur d’un second mandat Trump ?

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Dernier round pour Joe Biden ?

Groggy depuis son débat raté face à Donald Trump, le président en exercice est l’objet d’appels grandissant à jeter l’éponge. L’establishment démocrate semble divisé sur l’attitude à adopter. (Article publié dans l’Humanité du 12 juillet 2024.)

La prestation catastrophique du président sortant lors du débat face à Donald Trump le suit comme son ombre tandis que le spectre d’une défaite électorale hante les nuits des démocrates. La courbe des intentions de vote en sa faveur ne cesse de piquer du nez. Il est le seul candidat démocrate qui, depuis vingt ans, se trouve devancé à ce stade de la campagne par son challenger républicain.

Les jeunes et les minorités lâchent Biden

Selon l’agrégateur de sondages du site RealClearPolitics, il accuse un retard de 3 % sur Donald Trump. Mais la photographie semble encore plus sombre lorsque l’on aborde le collège électoral. Il perdrait la Géorgie, le Nevada et l’Arizona, mais également les trois États du Midwest qui forment le « mur bleu » (de la couleur du Parti démocrate) : Pennsylvanie, Michigan et Wisconsin. Dans ce dernier État, Trump est crédité de 44 % contre 38 % à Biden, mais, pour le siège de sénateur, la sortante Tammy Baldwin domine largement le candidat républicain : 50 % contre 45.

La leçon est claire : une frange de l’électorat démocrate refuse de porter ses suffrages sur Joe Biden. Cette fissure qui devient faille apparaissait déjà dans les sondages du New York Times, avant le fameux débat. Une partie des jeunes électeurs et membres des minorités (Africains-Américains et Latinos) attendent du candidat démocrate un projet de profonde transformation, notamment sur les questions sociales et la guerre à Gaza, pas seulement de faire barrage au retour de Trump à la Maison-Blanche.

Le problème s’avère plus structurel que conjoncturel. À cet obstacle d’ampleur sur le chemin de la réélection s’ajoute donc, depuis un mois, la focalisation sur l’attitude physique et mentale de Joe Biden. Butera-t-il sur un mot ? Son regard se perdra-t-il dans le vide ? Qu’il participe à un sommet de l’Otan ou qu’il donne une conférence de presse (comme la nuit dernière), les médias ne parlent que de l’état du messager pas du message. « Les démocrates sont en train de perdre la bataille du récit alors que le bilan du mandat Biden est bon », estime Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’Iris.

D’abord groggy, Joe Biden a tenté d’adopter une posture combative. Il le dit et le répète : il restera dans la course et il battra de nouveau Trump. « À ce rythme, Joe Biden se dirige vers une défaite écrasante face à un ancien président impopulaire et sans foi ni loi », objecte pourtant David Axelrod, ancien conseiller de Barack Obama. Si une élection peut s’apparenter à un combat de boxe, il n’y a ici aucun entraîneur habilité à jeter l’éponge à la place du pugiliste déboussolé ou acculé. Il semblerait que certains aient décidé de monter sur le ring afin de raccompagner Joe Biden dans les vestiaires.

« Ce n’était pas le sacré Biden de 2010. Même pas celui de 2020 »

Quelques députés sont sortis du bois, rejoints mercredi par Peter Welch, le premier sénateur à appeler Joe Biden à se retirer. Mais le signal le plus retentissant est certainement venu de… George Clooney. Le New York Times a publié une tribune de l’acteur au titre direct : « J’aime Joe Biden. Mais nous avons besoin d’un nouveau nominé. » Ce démocrate de longue date raconte être arrivé à cette conclusion il y a quelques semaines lors d’une soirée de levée de fonds à laquelle participait Joe Biden.

« Ce n’était pas le sacré Biden de 2010. Même pas celui de 2020 », a amèrement constaté George Clooney. Encore plus embarrassant pour la machine électorale démocrate : de gros donateurs ont mis leur poids dans la balance, à l’instar de Reed Hastings, l’un des cofondateurs de Netflix. Une organisation baptisée Next Generation (la prochaine génération) va lever 100 millions de dollars qui ne seront utilisés que si les démocrates désignent un nouveau candidat.

Indice sans doute le plus palpable d’une amorce de virage sur l’aile de l’establishment : Nancy Pelosi, l’ancienne présidente de la Chambre des représentants, a annoncé qu’elle reprendrait la conversation avec Joe Biden sur son avenir politique après le sommet de l’Otan. De façon surprenante, la contestation ne vient pas de l’aile gauche. « L’affaire est close. Joe Biden est notre candidat », a ainsi déclaré Alexandria Ocasio-Cortez.

« Ce qui est le plus important est ce que le candidat propose et ce qu’il fera pour vous et pour votre famille », a justifié, de son côté, Bernie Sanders, tout en reconnaissant qu’il était « important de faire attention aux capacités cognitives individuelles » pour citer conjointement Biden et… Trump.

« La position du « squad » (les élus progressistes à la Chambre) est que Biden est complice d’un « génocide » en cours et totalement apte à servir quatre années de plus est vraiment spécial», souligne, avec mordant, le journaliste Michael Tracey. Pourquoi un tel choix difficilement compréhensible par la base progressiste elle-même ? Peut-être l’aile gauche estime qu’elle ne disposerait pas d’assez de poids si les cartes devaient être rebattues.

C’est un fait : un plan B se trouverait exclusivement aux mains de l’establishment. Soit Kamala Harris est désignée pour prendre le relais, soit le choix est renvoyé à la convention démocrate (à Chicago, du 19 au 22 août), où l’intégralité des délégués appartiendra à la tendance « centriste » puisque désignés par Joe Biden pendant une primaire sans concurrence. Pourtant, l’appareil du parti demeure divisé sur l’opportunité de « débrancher » politiquement l’hôte de la Maison-Blanche, à commencer par Barack Obama, dont le soutien apparaît, jusqu’ici, infaillible.

« On a du mal à voir ce qui ressort des courants politiques et des initiatives personnelles, conclut Marie-Cécile Naves. Le fait que le débat au sein du Parti démocrate ne se structure pas autour des courants politiques renforce une impression de panique. » Un sondage publié hier par le Washington Post, montrant que 56 % des électeurs démocrates souhaitent le retrait de Joe Biden, conduira-t-il leurs dirigeants à trancher ?

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