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A New York, comment Zohran Mamdani a renversé l’establishment

Le candidat socialiste de 33 ans a remporté la primaire démocrate, appuyé sur une force militante unique et un programme de rupture. (Article publié dans l’Humanité du 26 juin 2025.)

« M-A-M-D-A-N-I ». Lors du deuxième débat opposant les candidats à la primaire démocrate pour la fonction de maire de New York, Zohran Mamdani avait épelé fermement son nom de famille au favori, Andrew Cuomo, qui l’écorchait régulièrement, volontairement ou pas. L’ancien gouverneur de l’État de New York ne risque pas d’en oublier l’orthographe. Et le monde politique américain sera désormais bien obligé de retenir son nom.

Mardi soir, le candidat de 33 ans, membre du DSA (Democratic Socialists of America, la principale organisation socialiste du pays), né en Ouganda de parents indiens, de confession musulmane, a remporté une victoire aussi éclatante qu’inattendue. Avec 43,5 % des suffrages (432 000 voix), il devance largement Andrew Cuomo (36 %, 360 000 voix).

Les inégalités dans le viseur

Ces derniers jours, les courbes des sondages s’étaient rapprochées mais les observateurs tablaient sur un duel serré au 8e tour. New York a en effet adopté en 2019 le vote préférentiel. Les électeurs ont la possibilité de choisir cinq candidats en les désignant par ordre de préférence. À chaque tour, le candidat arrivé dernier est éliminé, et les choix suivants de ses électeurs sont crédités à ceux qui restent en lice. Lorsque tous les bulletins seront comptabilisés, l’avance de Zohran Mamdani sera certainement massive.

« Ensemble, nous avons montré le pouvoir de la politique du futur », a lancé le désormais candidat démocrate à la mairie de New York. Lorsqu’il s’engage dans cette primaire à l’automne 2024, le jeune socialiste n’a que peu d’expérience (trois ans de mandat d’élu du Queens à l’Assemblée de l’État) et quasiment pas d’équipe. Il dispose néanmoins d’une vision qui part d’un constat : la métropole la plus riche des États-Unis est également l’une des plus inégalitaires et les classes populaires et même moyennes sont de plus en plus reléguées à ses confins. Big Apple est devenu le terrain de jeu des millionnaires – au nombre de 384 000.

Zohran Mamdani choisit un mot, un seul, pour résumer son projet, « affordability », que l’on peut traduire par « accessible », mais qui s’incarne mieux dans le concept de « ville pour tous ». Ses propositions concrètes – augmentation des impôts pour les plus fortunés et les entreprises, gel des loyers, gratuité des bus, création d’épiceries municipales – deviennent rapidement des « forces matérielles » lorsque des forces militantes et sociales s’en emparent.

En quelques mois est bâtie une campagne forte de 50 000 volontaires qui propagent la « bonne parole » jusque dans les quartiers les plus reculés du Queens et de Brooklyn. Le mode de communication comme le charisme du candidat enflamment une campagne dans laquelle personne pourtant ne se risque à dire que le favori n’est pas Andrew Cuomo.

Ce dernier a un nom que tout le monde sait épeler : son père était gouverneur de l’État de New York dans les années 1980, fonction qu’il a lui-même occupée plus tard. Contraint de démissionner après les accusations de harcèlement sexuel de la part de 11 femmes, il revient dans l’arène politique dans un climat moins favorable au mouvement MeToo. L’establishment – qui n’a sans doute pas d’alternative puisque le maire démocrate sortant, englué dans des affaires de corruption, veut se présenter en novembre prochain en indépendant – se range derrière lui. Il dispose donc du soutien des églises noires, de la plupart des syndicats et de riches donateurs, dont certains ont également abondé la campagne de Trump.

Les élites démocrates affolées

La montée en puissance régulière de Zohran Mamdani inquiète puis affole les élites démocrates et l’oligarchie new-yorkaise. Les milliardaires menacent de quitter la ville. On l’accuse directement d’être « anti-Israël » et à demi-mot d’être antisémite, puisqu’il a qualifié la guerre à Gaza de « génocide ». Le New York Times demande aux électeurs de ne même pas l’inscrire parmi les cinq noms possibles de leur bulletin. Et, finalement, Bill Clinton tente de venir à la rescousse de son ancien ministre Andrew Cuomo en lui apportant son soutien à quelques jours du vote.

Mais toutes ces tentatives de barrages semblent avoir plutôt fonctionné comme des accélérateurs de la campagne « populiste » (aux États-Unis, le mot a une connotation positive) de Zohran Mamdani, qui finit donc largement en tête du premier tour.

« Les milliardaires et les lobbyistes ont dépensé des millions contre vous et notre système de financement public. Et vous avez gagné », a écrit sur X la députée socialiste Alexandria Ocasio-Cortez, qui, en 2018, avait elle-même mené une campagne de ce type afin de battre le sortant démocrate de sa circonscription. Bernie Sanders, qui avait apporté son soutien à Zohran Mamdani, y est également allé de sa félicitation : « Vous vous êtes attaqué à l’establishment politique, économique et médiatique, et vous l’avez battu. »

Plus largement, la soirée électorale a été bonne pour tous les sortants de gauche défiés par des candidats centristes. Comme le dit l’adage états-unien : « La marée fait monter tous les bateaux. » Et la marée est celle « d’une nouvelle coalition démocrate à travers la ville, composée principalement d’électeurs blancs, asiatiques et latino-américains de Brooklyn, Manhattan et Queens », comme la décrit le New York Times.

On peut y ajouter deux autres caractéristiques : une coalition jeune et diplômée (mais précaire), à l’instar de Aisha Pasha, 37 ans, dont le salaire à l’université de Columbia (5 500 dollars par mois) peine à couvrir son loyer à Brooklyn (3 100 dollars). Elle a voté pour la première fois à une primaire.

« J’ai vu une interview de Zohran, et ça m’a poussée à y regarder de plus près, notamment sur les questions de richesses », raconte-t-elle à l’Humanité. Elle a finalement voté pour le jeune socialiste « afin de montrer au parti démocrate que des gens comme lui ont un soutien populaire, que les gens veulent quelqu’un comme Zohran, pas comme Cuomo ».

Dans le bras de fer commencé en 2016 entre l’aile gauche et l’establishment, la première vient de décrocher une victoire dans la ville que les jazzmen chérissaient par-dessus tout, au point d’en faire la plus belle des pommes de l’arbre, « Big Apple ». La gauche attend que, dans d’autres endroits, la même stratégie porte également ses fruits.

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A New York, la saga des deux familles démocrates

La primaire démocrate pour la fonction de maire de la plus grande ville du pays s’est transformée en test national du rapport de force entre la gauche, incarnée par le socialiste Zohran Mamdani, et l’aile centriste derrière Andrew Cuomo. (Article publié dans l’Humanité du 24 juin 2025.)

Tom Wolfe, le romancier qui avait dépeint, dans le Bûcher des vanités, les ressorts du pouvoir à New York, n’aurait certainement pas trouvé mieux, quarante après, que le pitch offert par la primaire démocrate pour la fonction de maire qui se déroule ce mardi 24 juin. Tous les ingrédients d’un roman à succès s’y trouvent : les personnages – deux responsables politiques aux antipodes l’un de l’autre – comme la palette des thèmes (l’argent, le monde, la morale, la religion, l’espoir), le tout dans un climat de tension dramatique propre aux moments aussi indécis que décisifs.

Commençons par le contraste saisissant des deux figures d’incarnation. En tête dans les sondages et champion de l’establishment : Andrew Cuomo, fils d’un ancien gouverneur de l’État de New York, lui-même ancien gouverneur de l’État, contraint à la démission en 2021 après des accusations de harcèlement sexuel.

Son challenger, inattendu, tout au moins en début de campagne : Zohran Mamdani, membre du DSA (Democratic Socialists of America) et représentant du Queens à l’Assemblée de New York. C’est un bras de fer générationnel et politique presque chimiquement pur dont l’issue alimentera le récit de l’un des deux principaux blocs au sein de la coalition démocrate – la gauche ou les centristes – et qui déterminera, en partie, l’attitude du Parti démocrate dans les années à venir. Le cru 2025 de la primaire new-yorkaise est devenu une véritable élection nationale.

Comme Trump, Cuomo collectionne les casseroles

Andrew Cuomo a 67 ans ; Zohran Mamdani, la moitié de son âge (33). Il s’agit pourtant de la moindre de leurs différences. Le premier était considéré comme politiquement démonétisé lorsque des accusations de plus d’une dizaine de femmes l’avaient poussé hors des murs du manoir de gouverneur à Albany. Le revoici, entré par la fenêtre de la mairie de New York, sans que son pedigree ne semble lui porter préjudice.

Pour Michael Zweig, professeur honoraire d’économie à l’université de Stony Brook, « cela dit que l’environnement n’est plus le même que lors du déclenchement du mouvement MeToo. La parole des femmes était alors crue. Ce n’est plus le cas ». Au point où Andrew Cuomo peut estimer que sa démission fut une erreur, la seule qu’il « revendique » dans sa carrière politique.

« Il s’agit aussi d’une campagne de redéfinition de ce qui est acceptable en termes de candidature, souligne pour l’Humanité Fanny Lauby, professeure associée de science politique à l’université de Montclair. Il y a un changement du rapport de l’électorat aux candidats, avec l’abandon de certains principes. C’est encore plus surprenant à New York, avec un électorat qui se définit comme progressiste. »

Comme si une « jurisprudence Trump » avait rebattu les cartes dans les deux camps. Bill de Blasio, maire progressiste de la ville de 2014 et 2021, assure avoir entendu les conseillers d’Andrew Cuomo assumer de prendre pour modèle le « come-back » de Donald Trump après les accusations de harcèlement sexuel.

À part le président en exercice, aucun responsable politique dans le pays ne traîne d’ailleurs autant de casseroles qu’Andrew Cuomo. Ajoutons au panier le scandale des maisons de retraite : lors de la pandémie, alors gouverneur, il avait sciemment masqué les vrais chiffres de décès.

L’establishment uni derrière Cuomo

Dès l’annonce de sa candidature, l’establishment s’est pourtant rallié (presque) en masse. Sans doute ne disposait-il pas d’autre option, alors que le maire démocrate sortant, Eric Adams, englué dans des scandales depuis le début de son mandat et qui a passé un deal avec Donald Trump (l’abandon des enquêtes judiciaires contre la « bienveillance » politique du premier édile), a renoncé à l’étiquette démocrate pour se présenter, en novembre prochain, en « indépendant ».

L’argent afflue comme jamais, avec certains donateurs qui ont également financé la campagne de Donald Trump, une collision-collusion que Zohran Mamdani ne manque pas de mettre en lumière. Et les segments les plus influents de la coalition démocrate à New York se sont rangés derrière celui qui a également reçu le soutien de l’ancien maire (républicain puis indépendant puis démocrate) le milliardaire Michael Bloomberg. « Le soutien du mouvement syndical et des églises noires n’est pas surprenant car ils sont plus proches du centre de la coalition démocrate », décrypte Fanny Lauby.

Toutes les planètes semblent aligner sauf que… les sondages et la dynamique de campagne racontent autre chose. Propulsé par son profil de fils d’immigré (il est né en Ouganda de parents indiens), son style de communication, sa campagne de terrain et son programme, Zohran Mamdani talonne désormais Andrew Cuomo dans les enquêtes d’opinion.

Dans une métropole de plus en plus inaccessible aux classes populaires et moyennes, ses propositions (gratuité des bus, gel des loyers, création d’épiceries municipales, le tout financé par une augmentation de l’impôt des plus fortunés) tapent dans le mille. La ville la plus riche du monde est également l’une des plus inégalitaires. New York compte 384 000 millionnaires, soit l’équivalent de la population d’une ville comme Cleveland.

L’oligarchie new-yorkaise tremble

Pour ajouter à la dramaturgie, cette élection se déroule selon un mode scrutin dont personne ne maîtrise réellement l’impact. Zohran Mamdani et Brad Lander, autre candidat progressiste, récemment arrêté par la police de l’immigration dans un tribunal, ont conclu un accord en demandant de voter pour l’autre comme second choix.

Les soutiens d’Alexandria Ocasio-Cortez, députée de New York, et de Bernie Sanders ont encore gonflé les voiles de la campagne de Mamdani. « Son message, présenté avec éloquence et une communication directe, peut vraiment amener dans le processus de nouveaux électeurs, nous indique Peter Hogness, auteur et lui-même membre du DSA. Je ne pensais pas que sa campagne serait aussi réussie et rencontrerait autant de succès. » Dans la dernière ligne droite, alors que le vote anticipé bat des records, notamment parmi les jeunes, la nervosité de l’establishment est devenue tellement visible que certains y ont vu le sens du vent. Zohran Mamdani, de confession musulmane, constant dans ses positions contre la guerre à Gaza, est dépeint par l’équipe de campagne de Cuomo en activiste anti-Israël voire en antisémite, un argument qu’ils espèrent définitif pour les électeurs juifs.

Des milliardaires font savoir, par voie de « confidences » à la presse, qu’ils quitteront la ville s’il est élu. Le New York Times a demandé à ses lecteurs, dans un éditorial, de ne réserver aucune place à Zohran Mamdani sur leurs bulletins de vote. Enfin, dimanche, le soutien officiel de Bill Clinton, fait rarissime pour un ancien président, est venu confirmer la panique qui agite les élites démocrates dans une ville qu’elles dominent depuis des décennies.

D’autres indicateurs montrent que la dynamique se trouve du côté du jeune candidat socialiste, fort d’une force militante revendiquée de 50 000 volontaires. Le grand syndicat des enseignants n’a pas donné de consigne de vote, une première dans l’histoire des élections municipales new-yorkaises. « C’est un bon signe que la direction du syndicat qui penche pour Cuomo n’ait pas appelé à voter officiellement pour lui. Il y a eu des pressions de la base », explique Bryan McTiernan, professeur d’histoire au lycée Franklin Delano Roosevelt de Brooklyn.

Lui-même, avec sa confortable paie d’enseignant, ne peut prétendre à une location dans un quartier central de la ville, symbole à sa façon d’un New York devenu une cité premium pour les classes supérieures et les élites, qui attendent une seule chose du scrutin de ce mardi : le statu quo.

Quitte à mobiliser tous les moyens possibles : en cas de défaite, Andrew Cuomo envisage de se présenter en novembre prochain lui aussi en « indépendant ». David Sirota, l’ancien conseiller de Bernie Sanders, résume d’une formule qui pourrait servir d’incipit à ce roman politique : « Cette primaire, c’est la guerre des classes et la crise démocratique emmêlées dans une seule et même chose. »

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Iran: Donald Trump et la quadrature de sa coalition

Entre les « néocons », les isolationnistes et les chrétiens évangéliques blancs pro-Israël, le président américain navigue à vue, conscient qu’il devra s’aliéner un bloc de son électorat. (Article publié dans l’Humanité du 20 juin 2025.)

« Personne ne sait ce que je vais faire. » Cela pourrait être du Donald Trump fanfaron autant que d’habitude, jouant avec le fait qu’il détient la clé de telle ou telle décision, savourant son pouvoir « maximus ». En fait, en répondant, mercredi, à quelques journalistes sur la pelouse de la Maison-Blanche, c’est un Trump désemparé qui parlait : lui-même ne sait sans doute pas ce qu’il va faire.

En attendant, il temporise : « Je prendrai ma décision sur le fait d’y aller ou non au cours des deux prochaines semaines », a-t-il fait savoir lendemain en évoquant « une possibilité substantielle de négociations éventuelles avec l’Iran dans le futur proche ».

Pris à son propre piège

Si le président n’aime rien tant qu’occuper le centre du ring médiatico-politique, le voilà dans la position qu’il déteste le plus : acculé dans un coin. Benyamin Netanyahou l’y a placé de fait. Mais l’hôte de la Maison-Blanche a participé à son propre piège en exigeant de l’Iran une « capitulation sans conditions ».

Désormais, soit il donnera l’impression de reculer, soit il devra franchir un pas dans l’engrenage déclenché par le premier ministre israélien et lancer la puissance militaire américaine au Moyen-Orient, une nouvelle fois, vingt-deux ans après l’invasion de l’Irak par George W. Bush.

Ce n’est pas une affaire de conscience pour Donald Trump, mais un sujet politique, partisan même. Sa décision risque de fracturer durablement la coalition républicaine. Elle se déchire déjà ouvertement, comme le résume une scène inimaginable il y a quelques mois. Elle oppose Ted Cruz à Tucker Carlson, deux fidèles parmi les fidèles.

Quand les troupes républicaines se déchirent

Le premier, sénateur du Texas, est un « faucon », à l’instar du secrétaire d’État, Marco Rubio. Le second, ancien journaliste de Fox News, voix très écoutée par la base Maga (Make America Great Again), incarne cette frange trumpiste qui rejette les interventions militaires. Lors d’une interview, l’affrontement entre ces deux figures ultraconservatrices s’est déroulé à couteaux tirés. Le second demande au premier combien l’Iran compte d’habitants. L’élu ne sait pas. « Vous ne connaissez pas le nombre d’habitants d’un pays que vous cherchez à renverser ? » hoquète Tucker Carlson. « Je ne passe pas mon temps à mémoriser les tableaux des populations », se défend Ted Cruz, dont le chemin de croix se poursuit pendant plus d’une minute, avec une ultime banderille de l’ancienne vedette de la chaîne ultraconservatrice : « Dites-moi comment ça va se jouer, dans un pays de 90 millions d’habitants. Est-ce que vous avez bien réfléchi ? Est-ce que ça vous importe ? La réponse est non. »

Steve Bannon, l’idéologue d’extrême droite qui a dirigé la première campagne victorieuse de Donald Trump, se trouve également sur la ligne originelle de l’America First, donnant du poids au bloc « isolationniste » face au substrat « néoconservateur » qui demeure au sein du Grand Old Party (surnom du Parti républicain).

Mais Donald Trump doit prendre en considération un troisième bloc, sans doute le plus important : les chrétiens évangéliques blancs. Ils forment à la fois la matrice du lobby pro-Israël aux États-Unis et le socle électoral du Parti républicain (80 % d’entre eux ont voté Trump).

Figure de la droite religieuse, Mike Huckabee, ambassadeur des États-Unis en Israël, totalement aligné sur les menées de Benyamin Netanyahou, s’est dit certain que le président américain entendrait « la voix de Dieu », qui serait « bien plus importante que (…) celle de quiconque ». Une façon d’appeler Donald Trump à engager le feu américain, sans toutefois donner l’impression de l’y contraindre.

Le Congrès comme ultime garde-fou ?

Mais finalement, c’est peut-être la voix du Congrès qui sera la plus importante de toutes. Thomas Massie, élu républicain ultraconservateur du Kentucky, a déposé avec Ro Khanna, député progressiste de Californie, une résolution dont le vote « empêcherait l’implication américaine dans la guerre Israël-Iran ». Les juristes sont presque unanimes : il appartient au Congrès de déclarer une guerre.

L’Aipac (American Israel Public Affairs Committee), le groupe de pression pro-Israël le plus influent à Washington, l’a tellement intégré qu’il a lancé, selon the Prospect et Drop Site News, une offensive à Capitol Hill en direction des… démocrates. Signe que l’unité des républicains, majoritaires dans les deux Chambres, est considérée comme une cause perdue.

Les divergences qui s’étalent désormais publiquement pourraient même se transformer en « schisme », a alerté Charlie Kirk, fondateur de l’organisation d’extrême droite Turning Point USA, étoile montante de la constellation trumpiste.

Déjà, au sein de l’administration, les brèches se sont élargies au point que Tulsi Gabbard, la directrice du renseignement national, a été mise sur la touche. Le 26 mars, devant une commission de la Chambre des représentants, elle déclarait que l’Iran « ne construit pas d’arme nucléaire et (que) le guide suprême Khamenei n’a pas autorisé le programme d’armes nucléaires qu’il avait suspendu en 2003 », invalidant ainsi l’argument principal de Benyamin Netanyahou, sur lequel pourrait s’appuyer Donald Trump pour prendre le contre-pied de son propre discours d’investiture. Il y disait alors que son succès serait « mesuré non seulement par les batailles (qu’il) remport (erait), mais aussi les guerres (qu’il) ach (èverait), et, peut-être encore plus significativement, les guerres dans lesquelles (il ne s’)engage (rait) jamais ».

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En Californie, le double coup de force de Donald Trump

En ordonnant le déploiement de la garde nationale et des marines en Californie, le président nationaliste tente de mettre au pas le principal Etat démocrate et de faire taire les dissensions internes à la coalition républicaine. (Article publié dans l’Humanité du 11 juin 2025.)

D’une garde nationale, deux coups. En envoyant la réserve de l’armée en Californie, Donald Trump délivre un double message politique. Aux démocrates, qui dirigent l’État le plus peuplé du pays, il impose un rapport de forces politique en s’appuyant sur l’armée. Aux républicains, il signale qu’il a tranché en faveur de la ligne Bannon, quelques jours après le divorce ultramédiatisé avec Elon Musk.

C’est le premier message qui compte évidemment le plus dans un pays ultra-polarisé. Pour la première fois depuis 1965, un président a envoyé la garde nationale sans que le gouverneur de l’État concerné ne l’ait sollicité. Il s’agissait alors de Lyndon Johnson déployant la troupe en 1965 en Alabama afin d’assurer la sécurité des manifestants en faveur des droits civiques.

Donald Trump a pris le prétexte de quelques heurts très localisés à Paramount et Compton, deux villes de l’agglomération de Los Angeles pour déclencher cette offensive sans précédent. Les opérations de l’ICE (Immigration and Customs Enforcment), la police de l’immigration, y avaient rencontré l’opposition vigoureuse des habitants las de ces descentes à répétition.

C’est pourtant la décision de déployer des soldats – dont les premiers sont arrivés dimanche 8 juin – qui a contribué à envenimer la situation. La tension s’est aussitôt accrue lors de rassemblements qui se sont déroulés dans la ville.

Une escalade inédite

En se saisissant de faits mineurs pour procéder à une escalade inédite, Donald Trump rejoue la même partition qui plaît tant à sa base : le parti de l’ordre contre la « chienlit » que représentent les « villes sanctuaires ». Los Angeles fait partie de ce mouvement depuis très longtemps : sur ordre du maire, la police locale (LAPD) ne collabore pas avec l’ICE. Elle n’est intervenue ces derniers jours que dans sa mission de « maintien de l’ordre », qu’elle mène traditionnellement dans une grande brutalité, pas pour procéder à des arrestations de sans-papiers.

Rien ne justifiait le déploiement de la garde nationale, si ce n’est une sorte d’impératif politique pour Donald Trump. Il représente d’abord un aveu de faiblesse. La « plus grande opération d’expulsions de l’histoire du pays », promise par le candidat républicain, vire au fiasco : la peur propagée dans les quartiers à forte immigration est inversement proportionnelle aux résultats effectifs.

Il intervient surtout dans un moment politique où l’hôte de la Maison Blanche se trouve affaibli notamment par la tonitruante dissension avec Elon Musk. Pour prévisible qu’il fut, ce clash des oligarques n’en ébrèche pas moins la coalition républicaine, constituée de différents courants aux visions parfois contradictoires. Le multimilliardaire s’était ainsi opposé à la guerre commerciale et au creusement du déficit tout en réclamant, en vain, l’ouverture des robinets migratoires pour les plus qualifiés.

En assumant la guéguerre avec le plus important financeur de sa campagne et en créant un précédent dans le principal État démocrate sur la question de l’immigration, Donald Trump a choisi la ligne de Steve Bannon, son ancien conseiller ouvertement en contact avec toutes les extrêmes droites du monde : ouvertement nativiste et autoritaire.

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Donald Trump, le dernier allié de Benyamin Netanyahou

Le premier ministre israélien ne peut désormais plus compter que sur le président américain pour mener à bien sa guerre totale à Gaza. Mais l’hôte de la Maison Blanche doit gérer des contradictions inhérentes à ce statut. (Article publié dans l’Humanité du 22 mai 2025.)

Les derniers, mais les plus puissants. Avec le changement de pied de l’Union européenne, les États-Unis apparaissent comme l’ultime allié de la coalition d’extrême droite au pouvoir à Tel-Aviv. Problème : il est aussi celui qui dispose des leviers les plus importants pour obliger Benyamin Netanyahou à mettre fin à sa guerre totale à Gaza.

Malgré quelques frictions entre les deux diplomaties, rien n’indique que l’administration Trump envisage une révision de son soutien inconditionnel. C’est ce qu’a rappelé l’ambassadeur des États-Unis en Israël, Mike Huckabee, lors de récentes déclarations publiques : il n’y a pas de désaccords entre la Maison-Blanche et le premier ministre israélien.

L’annulation de la visite du vice-président J. D. Vance et la tournée de Donald Trump au Moyen-Orient qui ne passait pas par Israël avaient alimenté la chronique de possibles dissensions. Avant le décollage, mi-mai, du président nationaliste pour Riyad, Yanir Cozin, correspondant de la radio de l’armée israélienne, annonçait dans un message sur son compte X que celui-ci avait pris la décision de couper les liens avec Benyamin Netanyahou, suspectant ce dernier de le manipuler. « Il n’y a rien que Trump déteste plus que d’être dépeint comme un imbécile ou quelqu’un qui se fait manipuler. C’est pourquoi il a décidé de couper les ponts avec M. Netanyahou », estimait alors un fonctionnaire israélien.

Vers un revirement de l’administration Trump ?

Il ne s’agissait finalement que d’un simple nuage dans un ciel uniformément serein. Dans un entretien accordé au journal de gauche Haaretz, Mike Huckabee reprend tous les éléments de langage de Benyamin Netanyahou. Il accuse l’Unrwa d’avoir collaboré avec le terrorisme et estime que le Hamas demeure le principal responsable de la situation de famine à Gaza en refusant de libérer les derniers otages détenus.

Surtout, il propose un changement de cap de la diplomatie américaine sur la question d’un État palestinien. « C’est une grande question que les Palestiniens et les Israéliens doivent résoudre », répond-il, renvoyant donc aussi à Israël un sujet qui, au regard du droit international, ne doit relever que de l’autodétermination des peuples, donc des Palestiniens seuls. « Je me demande s’il est vraiment nécessaire de créer un État distinct », ajoute-t-il ensuite. Or, la solution à deux États est la position officielle de Washington depuis les accords d’Oslo.

L’administration Trump s’apprête-t-elle à la remettre en cause ? Si tel devait être le cas, les républicains n’auraient à subir aucune conséquence électorale lors du scrutin de mi-mandat en novembre 2026, contrairement à Kamala Harris, qui a, en partie, payé la calamiteuse politique de Joe Biden en la matière. Le bloc évangélique (dont fait partie l’ambassadeur Huckabee, pasteur de son état), matrice de la base Maga (Make America Great Again), constitue également le pilier du lobby pro-Israël.

Selon un sondage réalisé par le Pew Research Center, la moitié des électeurs républicains estiment que la politique de Donald Trump est équilibrée, contre 13 % seulement la jugeant trop favorable à Israël. Un quart d’entre eux soutient l’idée démentielle d’une prise de possession américaine de Gaza. Les plus fervents partisans de ce projet sont à trouver parmi ces chrétiens évangéliques blancs dont le vote pour le Parti républicain (80 %) s’est renforcé au fur et à mesure de leur recul numérique dans le pays (désormais 20 % de la population).

Mais Donald Trump doit néanmoins affronter une contradiction : son soutien sans faille à une guerre génocidaire renforce l’isolement d’une puissance dont il prétend restaurer la prédominance, voire l’hégémonie. C’est sans doute pour tenir compte de l’émotion grandissante dans le monde que les États-Unis ont d’ailleurs contraint Israël à laisser entrer dans Gaza, en début de cette semaine, le premier convoi humanitaire depuis le 2 mars.

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Trump, deux fers au feu oriental

La tournée du président américain a permis de fortifier les liens avec des pays arabes sans affaiblir pour autant le lien avec le gouvernement Netanyahou. (Article publié dans l’Humanité du 16 juin 2025.)

Pour la première fois depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a pu dérouler un de ses plans, sans obstacles, ni accrocs. Pas de décisions de justice stoppant l’expulsion illégale de migrants. Pas de boycott citoyen visant les entreprises de son allié, Elon Musk. Pas de tensions financières l’obligeant à rétropédaler sur les « droits de douane réciproques ». Pas de manœuvre dilatoire de Vladimir Poutine l’empêchant de régler, en 24 heures, comme promis durant sa campagne présidentielle, la guerre en Ukraine.

Autopromoteur de son art du deal, il repart les bras chargés d’accords commerciaux. Riyad a confirmé des contrats, notamment négociés en amont avec les fils du président, d’une valeur de plusieurs centaines de milliards de dollars. À Doha, les dirigeants qataris ont annoncé une commande de 210 Boeing pour un montant de près de 100 milliards de dollars. Un volume record qui s’ajoute à un cadeau plus personnel : un Boeing 747 destiné à remplacer Air Force One et à demeurer propriété personnelle du président lorsqu’il aura quitté le bureau Ovale. Le Qatar devient ainsi le seul État qui finance à la fois le Hamas et la famille Trump.

Réinsérer la puissance américaine

Si le milliardaire nationaliste avait placé sa tournée sous le sceau des bonnes affaires, celle-ci revêtait également – et peut-être surtout – une dimension politique. Il s’agissait d’une certaine façon de réinsérer la puissance américaine – suspectée, à raison, de s’aligner sur la stratégie de Benyamin Netanyahou – au cœur de la géopolitique du Proche et Moyen-Orient. L’Arabie saoudite, dont le rapprochement avec Pékin n’avait pas échappé à Washington, a ainsi retrouvé une centralité, tandis que l’administration Trump aurait remis une proposition d’accord à l’Iran sur son programme nucléaire, autre pierre d’achoppement régional.

La rencontre avec Ahmed Al Charaa, le nouvel homme fort de la Syrie, en présence de Mohammed ben Salmane et, en visio, de Recep Tayyip Erdogan, suite à la levée des sanctions américaines, a illustré également une volonté d’apaisement que Donald Trump a tenu à expliciter lors d’un discours. Le président américain a assuré que les États-Unis en avaient fini avec leur volonté de « nation building », une notion qui a conduit la superpuissance à s’impliquer dans des changements de régime. Sous les applaudissements de son audience saoudienne, il a également déclaré que l’Amérique ne « donnerait plus de leçons sur comment vous devez vivre ».

La « rupture » avec la doxa néo-conservatrice, jadis en vogue au sein du Parti républicain, est spectaculaire, mais elle n’est en grande partie que sémantique. Avec sa proposition de prendre le pouvoir à Gaza, le même Donald Trump a justement versé dans le « nation building » via un nettoyage ethnique assumé qu’il a, de fait, autorisé la coalition d’extrême droite au pouvoir à Tel-Aviv à mener. Dans ce même discours, Donald Trump a invité les habitants de la région à tracer « leur propre destin à leur manière », un droit qu’il nie de fait aux Palestiniens. Si Benyamin Netanyahou ne figurait pas au programme de cette tournée, il y retrouve finalement son compte.

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L’offensive contrariée de Donald Trump

Malgré une guerre éclair politique et des dégâts considérables causés, le président nationaliste a rencontré plus d’opposition que prévue. Son bilan des 100 jours s’affiche en demi-teinte, à l’image de sondages en berne. (Article publié dans l’Humanité du 29 avril 2025.)

Donald Trump envisageant la politique comme une guerre permanente, il faut bien mobiliser un vocabulaire belliqueux pour jauger les cent premiers jours de son second mandat. Une offensive d’une envergure sans doute, en effet, inégalée dans l’histoire des États-Unis a été lancée dès son retour dans le bureau Ovale : autoritaire et ethniciste en Amérique même, nationaliste et unilatéraliste à l’extérieur.

Elle a été pensée, notamment dans le cadre du Projet 2025 de la fondation ultra-conservatrice Heritage, comme une opération militaire. La presse états-unienne a même tracé un parallèle avec la doctrine « Shock and Awe » (choc et stupeur), credo de l’armée états-unienne, qui vise à écraser l’adversaire sous une telle puissance de feu qu’il ne peut y riposter avant de céder au découragement.

Pour autant, malgré l’escadrille de décrets présidentiels lancée dès le 20 janvier, le bilan des cent jours, marqueur plus médiatique que réellement politique, s’affiche en demi-teinte. Si des percées ont été effectuées et des dégâts causés, il compte également des replis tactiques pas forcément attendus et des micro-défaites certainement peu envisagées. La ligne de front politico-idéologique a-t-elle avancé ? Incontestablement. Elle semble pourtant, en l’état, plus ou moins gelée et les « territoires » conquis sont moins importants que dans les rêves des républicains. Ces derniers ont dû faire face à une triple opposition dont ils n’envisageaient certainement pas la vigueur.

L’émergence de contre-pouvoirs

La première vient des institutions elles-mêmes, notamment de la justice. Nombre d’ordres exécutifs ont été retoqués dans des tribunaux, y compris par des juges nommés par des présidents républicains. Les stratèges trumpistes avaient sans doute anticipé ces blocages, pariant sur une résolution à l’échelon supérieur du système judiciaire, soit à la Cour suprême, à majorité conservatrice (six juges sur neuf, dont trois nommés par Donald Trump lui-même).

C’est de là qu’est venue une mauvaise nouvelle : elle ne se montre pas aussi docile que prévu. La plus haute instance judiciaire du pays s’est même réunie en pleine nuit le 19 avril afin de bloquer, par sept voix contre deux, l’expulsion de migrants vénézuéliens, au nom d’une loi de 1798 – Alien Enemies Act –, transformant les migrants en soldats d’une puissance étrangère et conférant à Donald Trump des pouvoirs spéciaux.

La seconde réside dans la « société civile ». Avec des millions de personnes défilant dans des milliers de villes, la grande journée de mobilisation du 5 avril a marqué le réveil de cette autre Amérique, plongée jusque-là dans un état de sidération. Le boycott de Tesla constitue un autre volet de cette résistance par le bas : les profits de la compagnie détenue par Elon Musk ont plongé de 71 % au premier trimestre. L’attitude de la direction de Harvard peut également être classée ici : malgré un climat de peur sur les campus, elle a refusé les diktats de l’administration Trump et lui intente même un procès. Enfin, les villes « sanctuaires », protectrices pour les migrants, tiennent bon malgré les chantages à la suppression de fonds fédéraux.

La troisième, enfin, renvoie à l’opposition politique institutionnelle. On l’attendait comme la plus ferme, elle s’est avérée dans les tout premiers temps comme la plus chancelante. Lors de réunions publiques, de nombreux députés démocrates se sont fait secouer par des électeurs leur reprochant leur manque de mordant face au nouveau pouvoir. Figure honnie parmi toutes : celle de Chuck Schumer, le chef des sénateurs démocrates qui a apporté sa voix à une loi républicaine de réduction des dépenses publiques afin de prévenir une fermeture des services de l’État (shutdown). Moribonde, la coalition démocrate a, sous la pression de sa base et avec Bernie Sanders et ses meetings pour « combattre l’oligarchie » comme aiguillon, retrouvé de l’énergie.

Les limites de la guerre commerciale de Donald Trump

L’action involontairement combinée de ces contre-pouvoirs empêche Donald Trump de déclarer la « mission accomplie » sur les grandes thématiques de sa campagne. Chasse aux migrants : le milliardaire nativiste avait promis « la plus grande opération d’expulsions de l’histoire du pays ». Au-delà de cas médiatisés – les gangs vénézuéliens et quelques étudiants pro-Palestiniens – les résultats se situent en deçà des annonces.

En février 2025, 11 000 migrants ont été expulsés du pays contre 12 000 en février 2024 sous l’administration Biden. « Les rues sont vides, les stades sont vides, les églises sont vides. Les migrants, qu’ils aient un statut légal ou non, préfèrent ne pas prendre de risque et restent chez eux », résume une pasteure d’une église du centre-ville de Denver. Le cas de Kilmar Abrego Garcia, déporté par erreur dans une prison au Salvador, cristallise le rejet de cette politique par une majorité d’Américains.

Guerre commerciale : c’est sans doute l’exemple le plus parfait des limites du projet trumpiste. Tout a commencé par un quasi-show en direct de la roseraie de la Maison-Blanche pour se poursuivre assez rapidement en chute spectaculaire des Bourses et notamment des bons du trésor américain (la dette publique, dont un quart est détenu par des pays étrangers). Et finalement un virage à 180 degrés, ramenant la guerre mondiale des « tarifs » à un duel avec Pékin qui ne semble pas en être affolé.

Dépeçage de l’État : Elon Musk, à la tête du Doge (département pour l’efficacité du gouvernement), a manié la tronçonneuse sans distinction. Il a découpé des budgets utiles et infligé des licenciements massifs. Il revendique, sans preuves, 160 milliards d’économies contre 1 000 milliards annoncés. De nombreuses décisions de justice l’ont obligé à mettre en pause une partie de ses projets. Personnage le plus haï d’Amérique, selon un récent sondage, le multimilliardaire va retourner plus vite que prévu à ses affaires qui profitent grandement… de subventions publiques.

Des visées impérialistes en matière de politique étrangère

Politique internationale : c’est sans doute le domaine dans lequel la présidence impériale, sans contrôle de la justice ou du Congrès, a provoqué le plus de dommages. Donald Trump a donné le feu vert à Benyamin Netanyahou pour finir de nettoyer ethniquement Gaza. Il est en passe d’accorder la victoire politique à Vladimir Poutine tout en extorquant centrale nucléaire et terres rares à l’Ukraine. Ses menaces tous azimuts – de retrait du continent européen ou d’annexions du Groenland, du Panama voire du Canada – ont accéléré une course inflationniste des budgets militaires.

Selon le récent sondage du New York Times, ces cent premiers jours sont jugés chaotiques (66 %), effrayants (59 %) plus qu’exaltants (42 %). « Les électeurs sont plus de deux fois plus nombreux à dire que ses politiques leur ont nui qu’ils ne le sont à dire que ses politiques les ont aidés. Il s’agit d’un revirement par rapport à l’automne dernier, lorsque de nombreux électeurs, toutes catégories démographiques confondues, estimaient que les politiques menées au cours de son premier mandat les avaient aidés », commente le quotidien new-yorkais.

Le dilemme des républicains pour les élections de mi-mandat

Donald Trump a signé son retour à la Maison-Blanche en profitant à la fois d’une volonté de changement et d’un vote sanction contre Kamala Harris, considérée comme dépositaire du bilan Biden. Il est désormais jugé à l’aune du changement qu’il apporte lui-même. « Nous sommes à une époque – je dirais que nous y sommes depuis 2016 – où il y a un désir de changement structurel, en particulier en ce qui concerne l’économie », rappelait David Sirota, ancien conseiller de Bernie Sanders, dans l’Humanité magazine (17 avril 2025).

La méthode Trump n’a fait que contenter une base Maga (Make America Great Again), puissante et cohérente mais minoritaire dans le pays. Les stratèges du GOP (Grand Old Party, surnom du parti républicain) commencent à avoir des suées à la perspective d’un Waterloo électoral lors des scrutins de mi-mandat, en novembre 2026. D’autant que l’extension, en partie réussie, du champ présidentiel a, lui aussi, ses limites.

Les républicains devront faire passer leur grande loi économique (baisse des impôts pour les plus riches, coupes dans les budgets sociaux) par le Congrès, exposant chacun des élus de droite à un vote public, obligeant ainsi les fantassins à se découvrir, nouvelle phase d’une guerre qui n’a pas encore proclamé son vainqueur.

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Trump tente de plonger l’Ukraine et le monde dans un nouvel ordre

En mettant en scène le lâchage de l’Ukraine, le président américain acte sa volonté de plonger le monde dans un nouvel ordre où la prédation prime sur le droit. (Article publié dans l’Humanité du 3 mars 2025.)

Les images ont filé tout droit dans les archives, devenant historiques à l’instant même où elles étaient diffusées. En mondovision, le chef d’un État souverain – Volodymyr Zelensky – a été humilié par le président et le vice-président de la principale puissance mondiale – Donald Trump et J. D. Vance. Cela ressemblait presque à une scène de cour d’école où un gamin auquel on a volé une partie de ses billes se fait admonester par le surveillant général et son adjoint : « Il va falloir dépasser cela. »

Même les scénaristes à l’imagination foisonnante de la série West Wing n’avaient osé l’imaginer. Un sacré « moment de télévision », a lâché Donald Trump, toujours prompt à assurer le service après-vente de ses propres prestations. « Depuis que la diplomatie existe, il n’y a pas eu de scène aussi grotesque et irrespectueuse que celle qui s’est déroulée dans le bureau Ovale », a réagi le président brésilien Lula, dont les relations avec son homologue ukrainien sont pourtant orageuses. La portée de l’affaire dépasse évidemment celle d’une algarade, fut-elle la plus médiatisée de ces dernières années. Elle constitue sans doute le marqueur d’une nouvelle ère des relations internationales.

Le président ukrainien a payé cash sa « naïveté »

Volodymyr Zelensky avait, semble-t-il, encore quelques illusions sur la position de l’administration Trump. Au point de venir à Washington quémander un soutien et provoquer une rencontre dans le bureau Ovale devant les caméras afin de mettre en scène ce qu’il pensait pouvoir obtenir.

Le président ukrainien a payé cash sa « naïveté ». Manifestement pas préparé à ce « traquenard », il a balbutié quelques phrases de peu de portée, se perdant dans un combat déséquilibré avec ses hôtes et échouant à rappeler quelques évidences, à commencer par celle du droit international bafoué.

Ce que disent ces longues minutes est assez simple : depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump ne bluffait pas. On a assisté en direct, comme l’a souligné sur X Corentin Sellin, spécialiste des États-Unis, « à la matérialisation d’un changement d’alliance, au moins sur l’Ukraine. Les États-Unis de D. Trump (et J. D. Vance) sont alignés sur les positions de Poutine ».

D’une pierre – un cessez-le-feu ou un accord global –, le président nationaliste veut faire plusieurs coups. En reprochant à Volodymyr Zelensky de jouer « avec la troisième guerre mondiale » et « avec la vie de millions de personnes », il espère apparaître comme le « pacificateur » qu’il a promis d’être lors de son discours d’investiture. Ce vernis pacifiste masque (mal) un premier objectif : profiter de l’extrême position de faiblesse de l’Ukraine pour se livrer à une extorsion à grande échelle – rarement vu, si ce n’est jamais, dans l’histoire des relations internationales.

En contrepartie du maintien de l’aide économique et militaire états-unienne, sans laquelle l’Ukraine s’effondrerait certainement en quelques semaines, Donald Trump exige la possession de terres rares sur le sol ukrainien. Un accord « préliminaire » entre les deux pays a été élaboré mais finalement pas signé, en raison de l’altercation du bureau Ovale. Il prévoit la création d’un « fonds d’investissement » pour la reconstruction de l’Ukraine, auquel chacun des deux pays abonderait à hauteur de 50 %.

Celui-ci fonctionnerait en fait comme une pompe aspirante des recettes des ressources minérales ukrainiennes vers Washington. Si Volodymyr Zelensky déclarait mercredi dernier à la BBC qu’il était « trop tôt pour parler d’argent », Donald Trump, lui, ne fait que cela. Il a placé la barre à 300 milliards de dollars afin que les États-Unis puissent « récupérer » l’argent versé à l’Ukraine depuis l’agression russe, en février 2022.

De Gaza à Kiev, la violation du droit international est valorisée

Comme à son habitude, le président américain ment éhontément pour arriver à ses fins et évoque les 350 milliards de dollars versés par les États-Unis à l’Ukraine en trois ans – un montant fantaisiste que Volodymyr Zelensky a manqué encore une fois de réfuter vendredi.

En fait, le Congrès des États-Unis a validé cinq paquets d’aides financières et militaires pour un total de 175 milliards de dollars, dont une partie seulement (106 milliards) a été allouée directement au gouvernement ukrainien, le reste ayant financé des… entreprises d’armement américaines qui fournissent l’Ukraine.

Au-delà de ce racket, quelle est la visée stratégique de Donald Trump ? En s’alignant sur Vladimir Poutine, tente-t-il d’affaiblir le lien entre la Russie et la Chine, ce dernier pays étant considéré comme le principal défi auquel doit faire face la puissance américaine en ce XXIe siècle ? « Cela reflète une incompréhension flagrante de la relation entre Xi et Poutine et la dépendance actuelle de la Russie à l’égard de la Chine. Poutine ne va pas rompre avec Xi pour parier sur un Trump qui ne sera plus au pouvoir dans quelques années et sur une politique américaine imprévisible. Donc, même s’il y a un plan géopolitique derrière, il est complètement erroné », décrypte, pour le Figaro, Steven Pifer, ancien ambassadeur américain en Ukraine, et analyste pour la Brookings Institution.

Autre hypothèse : le milliardaire au nationalisme exacerbé construit pas à pas une sorte d’ « internationale réactionnaire ». La formule peut paraître éculée ou paresseuse mais elle permet de mettre en lumière un processus réellement en cours. En proposant de vider Gaza de ses habitants pour en faire une « Riviera du Moyen-Orient », Donald Trump lâche la bride sur le cou de la coalition d’extrême droite au pouvoir à Tel-Aviv qui n’en espérait pas tant et comble le « bloc évangélique » américain, matrice de la coalition républicaine.À Munich, J. D. Vance est venu tancer les Européens pour leurs politiques de « modération » des propos haineux, racistes et antiféministes tout en conseillant aux Allemands de mettre fin au « cordon sanitaire » contre l’extrême droite, deux « mantras » de la fachosphère US, avec Elon Musk en porte-parole.

Et, désormais, le pouvoir poutinien se verrait récompenser de son agression militaire qui a provoqué la mort de centaines de milliers de personnes. Ici encore, l’écho intérieur américain est audible, la Russie devenant synonyme pour la base « Maga » (Make America Great Again) de rempart anti-woke et de fortin des valeurs chrétiennes.

De Gaza à Kiev, la violation du droit international est non seulement acceptée mais valorisée tandis que les principaux amis des États-Unis se retrouvent en tête de la liste des personnes recherchées par la CPI et que les « alliés » traditionnels, notamment européens, sont invités à se débrouiller seuls.

À Washington, les maîtres mots sont « force » et « unilatéralisme »

Un nouveau paradigme des relations internationales émerge, comme l’a constaté sur CNN, Rahm Emanuel : « C’est désormais la prédation contre les principes. » L’ancien chef de cabinet de Barack Obama et ancien ambassadeur au Japon veut certes croire que l’Amérique se trouvait toujours du côté des « principes » (ce que les faits historiques contestent, du Chili de Pinochet à la guerre en Irak lancée par George W. Bush).

Mais l’Amérique assume désormais de diriger le camp de la prédation, ce qui induit de remettre en question l’architecture de sécurité que l’Amérique de Franklin Delano Roosevelt avait conçue. Dans un monde « multipolaire », le multilatéralisme est vu comme une entrave au libre exercice de la puissance américaine. À Washington, les maîtres mots sont « force » et « unilatéralisme ».

Ce virage sur l’aile ne va pourtant pas sans turbulences. Si le nouveau pouvoir américain veut se délier des engagements collectifs, il devra néanmoins préserver son système d’alliances qui lui donne un avantage concurrentiel majeur par rapport à Pékin. Les Européens, abandonnés en rase campagne, décideront-ils enfin de bâtir une autonomie stratégique ?

Enfin, la réaffirmation brutale de l’hégémonie des États-Unis via la méthode Trump peut conduire à son isolement croissant sur la scène internationale. Le soutien inconditionnel de Joe Biden à Benyamin Netanyahou et sa guerre totale menée à Gaza avait déjà contribué à saper l’autorité (ou ce qu’il en restait) du « phare de la démocratie » sur la scène internationale. Un pays qui menace ses partenaires (Mexique, Canada), délaisse ses alliés (Europe) et lâche un pays agressé (Ukraine) ne peut plus se parer de faux-semblants moraux. Il est nu. Roi, mais nu.

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J.D. Vance annonce le retour du « shérif » américain

Le vice-président états-unien a transformé son discours, prononcé vendredi lors de la conférence de Munich sur la sécurité, en réquisitoire contre l’Europe et en véritable manifeste de l’internationale réactionnaire. (Article publié dans l’Humanité du 17 février 2025.)

Plus qu’une leçon, un véritable manifeste. Une déclaration de guerre idéologique, même. J. D. Vance a profité de la conférence de Munich sur la sécurité pour défier l’Europe et la prévenir de jours de conflits. Quelques heures après le coup de fil de Donald Trump à Vladimir Poutine et l’évocation de conditions favorables à Moscou, le vice-président américain était attendu sur l’Ukraine. Il a à peine mentionné le sujet, ravalé au rang de question secondaire.

En revanche, il a transformé son intervention en réquisitoire contre ce qu’est devenue, à ses yeux d’idéologue d’extrême droite, l’Europe : « La menace qui m’inquiète le plus en Europe n’est ni la Russie, ni la Chine, ni celle d’aucun autre acteur extérieur. Ce qui m’inquiète, c’est la menace venant de l’intérieur. C’est le recul de l’Europe par rapport à certaines de ses valeurs les plus fondamentales, les valeurs qu’elle partage avec les États-Unis d’Amérique. »

Le « free speech » comme prétexte

« La liberté d’expression, je le crains, est en recul », a-t-il accusé, devant un auditoire médusé qui n’a manifestement pas encore pris la mesure de la portée du nouvel âge des relations diplomatiques qu’entend ouvrir le trumpisme décomplexé.

Ce que le bras droit de Donald Trump catégorise comme des attaques contre le « free speech » relève, en fait, de lois de pays européens qui considèrent certaines actions non comme l’expression d’opinions mais comme des délits. La liste dressée par l’ancien sénateur de l’Ohio et très proche de Peter Thiel, le techno-libertarien membre de la « PayPal Mafia », est éloquente.Il a cité le cas d’un militant chrétien « condamné par le gouvernement » suédois (en fait, la justice) pour avoir participé à des autodafés du Coran. Puis celui d’Adam Smith Conner, activiste chrétien anti-avortement anglais, ayant contrevenu à une loi dite des « zones tampons » (« Buffer Zones Law »), qui interdit à quiconque d’influencer la décision d’une personne dans un rayon de 200 mètres autour d’un établissement pratiquant l’avortement.

Enfin, il a évoqué l’Allemagne, « où la police a procédé à des descentes chez des citoyens soupçonnés d’avoir posté des commentaires antiféministes en ligne ». Dans le monde de J. D. Vance, chacun a le droit d’émettre des opinions racistes et misogynes.

Une nouvelle ingérence trumpiste dans les élections législatives allemandes

Le vice-président des États-Unis a également expliqué aux dirigeants européens comment ils devaient agir avec leurs propres extrêmes droites. À commencer par le pays hôte de la conférence, l’Allemagne. « Ce à quoi la démocratie allemande (…) ne peut survivre, c’est de dire à des millions d’électeurs que leurs pensées et leurs préoccupations (…) ne méritent même pas d’être prises en considération », a martelé J. D. Vance, qui a joint les actes aux paroles, en rencontrant, en marge de la conférence, la candidate de l’AfD, Alice Weidel, avec laquelle Elon Musk avait déjà échangé lors d’une émission sur X, la présentant comme la seule « solution » d’avenir pour la première puissance européenne.

Une ingérence manifeste qui a conduit à un fait rarissime : l’expression publique du chancelier allemand contre le représentant d’une administration américaine. « De l’expérience du national-socialisme, les partis démocratiques en Allemagne ont tiré un consensus général : c’est le mur pare-feu (l’équivalent d’un cordon sanitaire – NDLR) contre les partis d’extrême droite », a rappelé Olaf Scholz sur X.La deuxième grande menace définie par le colistier de Donald Trump ? Sans surprise : « Les migrations de masse ». Là encore, il a fustigé les « décisions conscientes prises par des responsables politiques à travers le continent et le monde, durant toute une décennie ». Et d’ajouter, dans une exploitation traditionnelle de l’extrême droite : « Nous avons vu les horreurs engendrées par ces décisions hier même dans cette ville. »

Référence à l’attentat à la voiture bélier menée à Munich par un réfugié afghan de 24 ans. Les élites politiques sont tenues pour responsables de cette situation puisque « aucun électeur sur ce continent ne s’est rendu aux urnes pour ouvrir les vannes à des millions d’immigrés sans contrôle ».

Le message ne pouvait être plus clair : « Il y a un nouveau shérif à Washington » et il ne ressemble pas tout à fait à ses prédécesseurs. Le Parti républicain est désormais plus libertarien que libéral (au sens européen du terme). Le multilatéralisme n’en a plus pour longtemps, déjà fissuré par les coups de boutoir de Washington, qui fait cavalier seul.

À titre d’exemple, les pays européens ne sont pas conviés à la table des « négociations » pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Ils sont juste invités à assurer le « service après-vente », en acceptant l’Ukraine au sein de l’Union européenne et en gonflant les dépenses d’armement afin de subvenir à leur propre défense.

La règle de non-ingérence n’a plus cours et la notion d’« alliés » semble démonétisée, au profit d’un nouveau paradigme qui émerge avec la primauté accordée par les États-Unis à l’internationale réactionnaire, y compris au cœur du Vieux Continent. L’offensive se fait à découvert, ce qui lui donne l’apparence d’un rouleau compresseur, mais l’expose également plus facilement à une contre-offensive.

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De Gaza à Kiev, la même méthode Trump

Unilatéralisme, soutien sans faille aux dirigeants réactionnaires, primauté de la force sur le droit : les décisions du président américain dessinent une stratégie globale cohérente pour imposer un nouvel ordre mondial autoritaire. (Article publié dans l’Humanité du 14 février 2024.)

À chaque semaine, son « plan ». Après l’avenir de Gaza, envisagé dans un délirant déplacement de masse de population pour faire place à une « Riviera du Moyen-Orient », Donald Trump a donc abattu ses cartes dans le dossier ukrainien, semblant donner quitus à Vladimir Poutine.

La fin de la guerre commencée en février 2022 n’aura pas pris 24 heures, comme il l’avait promis durant sa campagne électorale. Mais ironiser sur ce fait empêcherait de voir l’essentiel. Au-delà du comportement parfois erratique du personnage et de ses méthodes aussi peu conventionnelles qu’insaisissables, c’est une cohérence diplomatique qui commence à se dessiner. Trois traits peuvent être distingués.

L’unilatéralisme de Washington

Le premier tient au rejet du multilatéralisme et l’imposition d’une gestion unilatéraliste par Washington. En somme, le président de la principale puissance mondiale décide seul et discute, dans un déséquilibre de forces évident, avec chacun des interlocuteurs concernés et soigneusement isolés.

Donald Trump prétend ainsi régler la guerre en Ukraine sans associer les pays européens et/ou l’Union européenne. Même l’Otan est ravalée au rang de simple exécutante : les pays membres (au nombre de 32) devront envoyer des soldats sur place dans le cadre d’une « mission hors Otan », selon la savoureuse formule de Pete Hegseth, le secrétaire américain à la Défense.

On ne parle même plus de l’ONU, pourtant clé de voûte de l’architecture des relations internationales dessinée après la Seconde Guerre mondiale, condamnée à l’inaction par les divisions de la « communauté internationale » et méprisée par les adeptes de l’America First.

Une forme de racket diplomatique

Même l’Ukraine n’a pas voix au chapitre dans une « négociation » qui l’intéresse pourtant au plus haut point, puisqu’elle concerne son intégrité territoriale. En position de faiblesse, le pays dirigé par Volodymyr Zelensky paiera peut-être deux fois l’addition de l’agression russe : avec des territoires perdus au bénéfice de Moscou et avec des terres rares et riches en minerais concédées aux États-Unis en contrepartie du maintien d’une aide économique et militaire. Une forme de racket diplomatique que le « pacificateur » Trump ne prend même pas soin de déguiser.

Donald Trump décide seul… et les autres exécutent : c’est la deuxième caractéristique. Les États-Unis indiquent le cap, mais ne veulent ni cambouis ni sang sur les mains. Les autres pays sont donc « invités » à en assumer les conséquences. Au Moyen-Orient, l’Égypte et la Jordanie, deux alliés des États-Unis, sont priés d’accueillir 2 millions de Gazaouis, faute de quoi Donald Trump les frapperait au portefeuille.Si aucun GI ne sera envoyé sur les rives de la Méditerranée, il faudra bien une force capable de s’assurer de la désertification du lieu. L’armée israélienne apparaît ici comme le sous-traitant « naturel » de cet exil forcé de plus de 2 millions de personnes. Aux confins orientaux de l’Europe, c’est l’UE qui, sans avoir voix au chapitre, apprend un beau matin que l’adhésion de l’Ukraine fait partie du « deal ».

Poursuivons. Donald Trump décide seul, les autres exécutent… mais toujours au bénéfice des forces réactionnaires. Benyamin Netanyahou et Vladimir Poutine, tous deux visés par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, font figure de grands vainqueurs du retour du milliardaire dans le bureau Ovale. Jouant des muscles de la puissance américaine, Donald Trump tente d’offrir sur un plateau Gaza (et bientôt la Cisjordanie ?) à Benyamin Netanyahou et la Crimée et le Donbass à Vladimir Poutine.

Le droit international piétiné

S’appuyant sur une rhétorique « pacifique », qui rencontre un écho majoritaire dans son propre pays « vacciné » des aventures guerrières de l’ère Bush, il donne l’illusion de sortir des guerres, mais en préparant un monde plus injuste.

D’un côté, il assume de se livrer à un crime contre l’humanité que constitue un déplacement forcé de population. De l’autre, il propose d’acter, donc de valoriser, la politique de la force et du fait accompli. Dans les deux cas, le droit international est piétiné, les « règles » communes, souvent mises à mal dans le passé, carrément dépecées.

À défaut de s’envisager de nouveau comme le gendarme du monde, notion qui implique une mobilisation militaire directe, le président nationaliste veut clairement « gendarmer » le monde, s’appuyant sur la menace de ses bras armés (la prédominance économique avec un quart du PIB mondial et la plus imposante armée du monde), afin d’imposer ses diktats et, in fine, une sorte de nouvel ordre mondial où la force primera sur le droit et où l’internationale réactionnaire dictera le tempo.

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