Le candidat socialiste et musulman de 34 ans est largement favori de l’élection municipale qui se déroule ce mardi 4 novembre. En un an, il a constitué une coalition à l’image de la ville : jeune et diverse. (Article publié dans l’Humanité du 4 novembre 2025.)
Il est revenu sur le terrain de jeu de son enfance, mais cette fois-ci pas pour jouer avec les potes. À 14 ans, c’est presque à un rite de passage dans le monde adulte auquel va se livrer Daud Firaz : son premier porte-à-porte pour un candidat, en l’occurrence Zohran Mamdani. Il a entraîné avec lui sa mère, Afreen Chandary.
« Je vous assure que ce n’est pas l’inverse », assure celle qui avait déjà mené campagne pour l’élection du jeune socialiste au poste de représentant à l’Assemblée d’État. Le candidat à la mairie de New York n’était donc pas un parfait inconnu pour le jeune homme, qui voudrait devenir docteur, comme son grand-père, arrivé du Pakistan dans les années 1980.
Le premier débat opposant les prétendants à la magistrature suprême de la plus grande ville du pays (8,5 millions d’habitants) a servi de déclencheur. « J’ai vraiment été impressionné par sa prestation et cela m’a décidé », raconte Daud. « C’est important pour un jeune racisé de voir l’exemple de quelqu’un sans complexe qui affirme ce qu’il pense, ajoute Afreen. Mes parents étaient la première génération et il fallait faire les choses dans les règles, s’intégrer mais surtout ne pas faire de politique. Je suis la deuxième génération et ça a commencé à changer. »
« C’est le moment ou jamais »
Sur l’aire de jeux de Dutch Kills, dans le quartier d’Astoria, mère et fils ont rejoint d’autres bénévoles. C’est l’équipe de 15-18 heures qui se rassemble sous la houlette de Magdalena, Dustin et Mona, membres du DSA (Democratic socialists of America, l’organisation dont est membre Zohran Mamdani et qui gère sa campagne) en charge de l’organisation du « canvass » (porte-à-porte) alors que l’équipe de 12-15 heures termine.
Juste en face se trouve le Sami’s Kabab House, le restaurant préféré de Zohran Mamdani, où il a récemment tourné une vidéo avec Bernie Sanders. Pas le temps pour un uzbeki qabuli pulao, un plat traditionnel afghan. Ce sera juste quelques pommes, apportées par une dame qui ne parle que le mandarin.
Il y a également Lisa, « très impatiente et un peu nerveuse », qui franchit le pas pour la première fois. « Je suis très intéressée par la politique mais je ne me suis jamais engagée. Je suis en faveur des mesures proposées par Zohran mais je pensais que ce n’était pas possible de les faire gagner. Quand j’ai vu la dynamique, je me suis dit : “C’est le moment ou jamais” », explique-t-elle. Elle fera tandem avec Aïcha, habituée de l’exercice.
Magdalena leur indique le périmètre où elles iront toquer, maison après maison, avec un flyer à double face (en anglais d’un côté ; espagnol, arabe, ourdou, etc., de l’autre) avec les propositions centrales du candidat. Deux amis, originaires du sous-continent indien, se voient assigner une autre partie du quartier. Le duo formé de Saba, résidant à San Francisco mais en vacances dans la famille, et Clara, dont les parents sont originaires des Andes, complétera le maillage.
Avant le grand départ, Magdalena livre quelques recommandations : « Faire du porte-à-porte, ce n’est pas tant opposer des arguments sur toutes les propositions que d’écouter les attentes des électeurs. » Et Dustin de compléter : « C’est le premier jour du vote anticipé et le dernier pour s’inscrire sur les listes électorales, donc insistez là-dessus. » C’est d’ailleurs près d’un bureau de vote que Daud et Afreen sont affectés.
« À plus de 50 %, on a un mandat clair »
À la même heure, dans le seul quartier d’Astoria (150 000 habitants), deux autres équipes se sont élancées. Dans l’ensemble de New York, des milliers de militants se mettent également en mouvement. L’équipe de campagne de Zohran Mamdani en revendique 90 000, une « armée de volontaires », selon la formule consacrée aux États-Unis, dont le nombre et l’enthousiasme sont inégalés.
Sur le chemin vers le Museum of Moving Image où se trouve le bureau de vote, la mère de famille évoque le souvenir du 11 septembre 2001 : « J’étais lycéenne, je me souviens parfaitement du climat… et maintenant on va avoir un maire musulman. »
La certitude d’Afreen Chandary en ce samedi 25 octobre s’est depuis encore renforcée. La participation lors du vote anticipé bat tous les records, comme celle lors de la primaire démocrate avait établi un nouveau standard avec 1 million de votants.
Les sondages les plus récents accordent à Zohran Mamdani une avance située entre 7 et 25 points sur Andrew Cuomo, l’ancien gouverneur démocrate de l’État de New York, qui se présente en indépendant après sa cuisante défaite lors de la primaire, et Curtis Sliwa, le candidat républicain.
« La victoire est assurée. La question est de connaître l’ampleur du score », nous glissait un responsable de DSA, le soir du meeting de Zohran Mamdani en présence de Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, qui a rassemblé 13 000 participants. « À plus de 50 %, on a un mandat clair », ajoutait-il.
« Rendre la ville abordable »
Dans un entretien accordé à l’Humanité, l’universitaire Ted Hamm détaille les ingrédients de ce succès totalement imprévisible : il y a six mois, Zohran Mamdani affichait 1 % d’intentions de vote. Tout a commencé par un slogan simple mais qui s’est transformé en quasi-force matérielle : « Rendre la ville abordable ».
Dans la capitale économique du pays et l’une des villes les plus inégalitaires, les propositions phares du candidat socialiste (gel des loyers, gratuité des bus, création d’un service public de la petite enfance et alourdissement de l’impôt sur les plus riches) se sont propagées comme une traînée de poudre dans le corps électoral.
« C’est la partie “démocratie“ du socialisme démocratique. Quand vous gagnez les voix de la classe ouvrière et que celle-ci est majoritaire – aux États-Unis et encore plus à New York –, eh bien vous remportez l’élection », souligne Michael Zweig, professeur émérite d’économie, et auteur d’un livre sur la classe ouvrière.
Ce message a pu être popularisé grâce à ce que Doug Henwood, journaliste et hôte d’une émission de radio, appelle « une machine électorale extraordinaire ». « Au cours des dernières années, le DSA a maîtrisé les détails techniques permettant de remporter des élections : frapper aux portes, envoyer des SMS, passer des appels téléphoniques, détaille-t-il. D’autres candidats tentent de faire de même avec des employés rémunérés, mais ils ne peuvent rivaliser ni avec le nombre ni avec l’enthousiasme des bénévoles de la DSA. »
Cette campagne de terrain a permis d’élargir l’électorat démocrate. « Sa coalition est jeune, pluriethnique, multilingue, avec beaucoup de primo-votants, qu’ils soient abstentionnistes ou jeunes électeurs. On n’avait jamais vu ça avant », décrit Tristan Cabello, professeur d’histoire à l’université Johns Hopkins et résident de Harlem.
Lors de la primaire, pour la première fois dans l’histoire politique de la ville, les moins de 40 ans représentaient la fraction la plus importante de l’électorat. Les premières données du vote anticipé montrent également une surmobilisation des nouvelles générations.
Un mouvement jeune imperméable aux arguments du passé
Autant d’évolutions qu’Andrew Cuomo, 67 ans, et une partie de l’establishment démocrate, qui l’a d’abord soutenu, n’ont rien vu venir. L’ancien gouverneur contraint à la démission en 2021 suite à des accusations de harcèlement sexuel par treize femmes a mené une campagne avec les forces et les arguments du passé.
Il s’est appuyé sur l’argent des milliardaires qui avaient également financé la campagne de Donald Trump, mobilisant plus de 50 millions de dollars, mais sous-estimant le rejet populaire des grandes fortunes et de leur rôle en politique.
Andrew Cuomo, qui a proposé ses services d’avocat à Benyamin Netanyahou, a tenté de discréditer son challenger en le dépeignant comme un « antisémite » pour ses prises de position sur la guerre à Gaza, qu’il qualifie de « génocide ».
L’argument aurait pu faire mouche à New York, où vivent un million de juifs, si une partie de ceux-ci, notamment les plus jeunes, n’étaient pas révulsés par la politique du premier ministre israélien et s’ils ne s’étaient finalement tournés vers… Zohran Mamdani, en passe de devenir, à 34 ans, le premier maire musulman et socialiste de la ville.