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Zohran Kwame Mamdani, du hip hop au City Hall

Ce fils d’immigrés indiens naturalisé à 27 ans est devenu le 111e maire de l’histoire de la ville. Un parcours météorique pour celui qui a appris le langage du socialisme démocratique pendant la campagne de Bernie Sanders en 2016. (Article publié dans l’Humanité du 6 novembre 2025.)

« Mr. Cardamom » va entrer à l’hôtel de ville de New York. Preuve que le hip-hop peut mener à tout, à condition d’en sortir. Sous ce nom de scène, il y a six ans à peine, Zohran Mamdani se produisait dans le métro new-yorkais ou comme MC (maître de cérémonie) après avoir écumé les scènes de Kampala (Ouganda), sa ville natale. Il en reste une chanson, Nani, et un clip qui rend hommage à sa grand-mère, jouée par l’actrice indienne Madhur Jaffrey.

On y voit l’auteur prendre une claque de la grand-mère pétroleuse puis se déhancher dans un food truck vêtu d’un seul tablier de cuisine. La carrière de l’artiste n’ira pas plus loin que le succès d’estime, mais l’homme politique gardera le cadre – la rue – et le cadrage – la caméra témoin.

Sa première vidéo de candidat à la mairie de New York est filmée à l’un des principaux carrefours du Bronx, le plus pauvre des cinq arrondissements de New York. Personne alors ne le connaît vraiment. Il veut poser aux passants des questions sur l’élection présidentielle qui vient de se dérouler et leur rapport à la politique. Des habitants lui avouent ne plus y croire ou avoir voté pour Donald Trump, qui a réalisé en novembre 2024 une percée dans des quartiers relégués de la plus grande ville du pays.

Zohran Mamdani écoute puis leur annonce qu’il est candidat à l’élection municipale et les informe de ses propositions principales. Tous les ingrédients sont là : le sillon universel de la gauche pour la justice sociale, le contact direct avec les électeurs et la créativité des formes. Il faudra plusieurs mois pour que le projet irrigue le corps social et que le candidat devienne presque une figure de la culture populaire avec « le charisme de Barack Obama et les idées de Bernie Sanders », selon la formule d’un cadre de DSA (Democratic Socialists of America).

La rencontre est politique entre l’électorat et le mouvement autour de l’organisation DSA qui nomme le problème – l’explosion des inégalités et la relégation croissante des classes populaires et moyennes – et propose des solutions pour « rendre la ville abordable ». Elle est aussi plus personnelle : la ville-monde, celle où 180 langues sont parlées (dont certaines disparues dans leur pays d’origine même), se reconnaît forcément dans l’homme-monde qu’est Zohran Kwame (en hommage au dirigeant ghanéen Kwame Nkrumah, figure centrale des indépendances et du panafricanisme) Mamdani. Il l’est par ses origines : né en Ouganda de parents indiens, passé par l’Afrique du Sud post-apartheid avec Nelson Mandela pour président, arrivé à l’âge de 7 ans à New York, naturalisé états-unien à 27.

Par l’ouverture culturelle offerte par ses parents : Mira Nair, cinéaste et réalisatrice du multirécompensé Salaam Bombay, et Mahmoud Mamdani, professeur d’anthropologie à l’université Columbia. Par son rapport à l’identité partagé par une majorité d’habitants de « Big Apple » : « Il ne fait aucun doute dans mon esprit que je suis indien. Et il ne fait aucun doute dans mon esprit que je suis new-yorkais », déclare-t-il, en 2020, au magazine marxiste Jacobin. Enfin, par sa formation au Bowdoin College, spécialisé dans les arts libéraux. C’est d’ailleurs sur le campus situé à 500 kilomètres au nord-est de New York qu’il se frotte pour la première fois au militantisme en participant à la fondation d’une section de Students for Justice in Palestine.

« Socialisme démocratique »

Son diplôme – licence en études africaines – ne lui sera d’aucune utilité autre que purement intellectuelle. Il devient conseiller en prévention des saisies immobilières et aide des propriétaires immigrés à faibles revenus du Queens à faire face à des avis d’expulsion. En 2015, il participe à la campagne présidentielle de Bernie Sanders à la primaire démocrate puis rejoint les rangs de DSA, en pleine expansion. « Je parle le langage du socialisme démocratique, car Bernie Sanders l’a parlé en premier », rappelait Zohran Mamdani lors d’un meeting commun, le 26 octobre, avec le sénateur du Vermont et Alexandria Ocasio-Cortez.

Fin 2019, même si cette dernière a déjà secoué l’establishment en devenant députée, l’idée du « socialisme démocratique » est encore ultra-minoritaire. Elle gagne du terrain à partir de 2020 : des socialistes sont élus par vagues, au conseil municipal comme aux assemblées législatives de l’État, parmi lesquels Zohran Mamdani représente le district d’Astoria, dans le Queens.

Fin 2024, il annonce à ses pairs son intention de briguer la magistrature la plus symbolique du pays après la présidence. Certains partagent leurs craintes qu’une campagne qui ne prenne pas puisse agir comme un boomerang pour le mouvement socialiste à New York. La majorité appuie la démarche. Aucun sans doute n’envisageait que Zohran Mamdani deviendrait un an plus tard le 111e maire de New York.

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Zohran Mamdani ou la promesse d’une « aube nouvelle »

Le candidat socialiste a remporté la majorité absolue des suffrages lors d’une élection municipale au plus fort taux de participation depuis 1969. (Article publié dans l’Humanité le 6 novembre 2025.)

Et le nouveau maire de New York cita Eugene Debs, sous les acclamations de la foule. Il n’aura fallu que quelques secondes pour confirmer que New York était entrée dans une nouvelle ère politique. Face à une assemblée de militants extatiques, Zohran Mamdani a donc commencé mardi 4 novembre son discours de victoire en évoquant ce propos du père du socialisme états-unien, candidat à cinq reprises à l’élection présidentielle au début du XXe siècle : « Je vois poindre l’aube d’un jour meilleur pour l’humanité. »

Cette élection municipale dans la plus grande ville (8,5 millions) des États-Unis représente en effet une promesse pour ceux qui croient encore en la possibilité d’un changement, à l’heure où Donald Trump et les républicains disposent de tous les leviers du pouvoir. Rien n’est anodin dans le verdict des urnes.

Socialiste revendiqué

À 34 ans, Zohran Mamdani est le plus jeune maire de la ville depuis 1913 et un certain John Purroy Mitchel, de trois mois son cadet lorsqu’il a pris ses fonctions. Vingt-quatre ans après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, New York a désormais un maire musulman qui, durant sa campagne, a dû affronter des tombereaux d’injures islamophobes. La deuxième magistrature la plus importante du pays après la présidence sera occupée pour la première fois par un socialiste revendiqué, membre du DSA (Democratic socialists of America), reprenant le fil d’une histoire ancienne du socialisme new-yorkais, des années vingt et trente. Enfin, il est également le premier édile originaire d’Asie. « Je suis musulman. Je suis socialiste démocrate. Et pire encore, je refuse de m’excuser pour tout cela », a-t-il d’ailleurs lancé lors de son discours.

Que le nouveau maire de New York soit un jeune socialiste musulman, fils d’immigrés indiens porte une charge symbolique peu commune. Mais il y a aussi de la « matière dure » dans ce succès improbable : celle d’un mouvement politique qu’il a incarné sans qu’il ne se résume pour autant à son charisme. Un candidat inconnu du grand public il y a un an, plafonnant à 1 % dans les sondages pendant de très longs mois a remporté 50,4 % des suffrages, dans une triangulaire face à l’ancien démocrate devenu indépendant, Andrew Cuomo, et au républicain Curtis Sliwa, avec le plus important taux de participation depuis 1969.

Sur le chemin qui mène au City Hall, Zohran Mamdani a déjoué les pronostics et renversé l’establishment grâce à une stratégie qui fait déjà figure de nouveau mètre étalon en la matière. Tout d’abord, un message, articulé entre un constat – New York n’est plus abordable pour l’immense majorité de ses habitants – et des propositions (gel des loyers du secteur encadré, gratuité des bus et généralisation de la garde d’enfants).

James Carville, l’ancien conseiller de Bill Clinton, pourtant très centriste, a récemment assuré que durant sa très longue carrière, il n’avait jamais vu un candidat incarner autant un message. La mobilisation par le contenu programmatique (salaire minimum à 15 dollars, système de santé public, gratuité des études supérieures dans le public) fut également la marque de fabrique de Bernie Sanders, lors de son irruption sur la scène politique nationale en 2016.

Ensuite, une transmission de ce même message par la multiplication des messagers. En complément de vidéos toujours inventives et ciselées, une force militante de plusieurs dizaines de milliers de personnes (90 000 selon l’équipe de campagne) a propagé le projet dans la ville. Les dizaines de millions de dollars versés par les milliardaires à Andrew Cuomo n’ont eu, au mieux, qu’un effet marginal sur la trajectoire de la campagne. « Le peuple organisé bat l’argent organisé »s’amusait presque Zohran Mamdani auprès de Bernie Sanders le soir de leur meeting commun à New York.

Des percées dans les quartiers les plus populaires du Bronx et du Queens

Cette campagne unique, gérée par les DSA et non par le Parti démocrate, a mobilisé un électorat lui aussi unique qui ne garde que quelques traits du traditionnel bloc démocrate. « Le grand changement de la coalition électorale de Mamdani, c’est d’avoir incorporé des électeurs qui ne votaient pas, des jeunes ou des citoyens de la deuxième génération qui n’étaient pas impliqués dans la vie politique », souligne Fanny Lauby, professeure associée de science politique à l’université de Montclair (New Jersey).

Ce facteur, déjà présent lors de la primaire démocrate en juin, s’est encore accentué lors de l’élection générale : Zohran Mamdani a réalisé des percées dans les quartiers les plus populaires du Bronx et du Queens, où il avait plafonné lors de la primaire. Dans de nombreux bureaux ayant basculé du côté de Donald Trump lors de l’élection présidentielle en 2024, le candidat socialiste arrive en tête, démontrant sa capacité à convaincre des électeurs déçus par les démocrates ou désorientés.

« Il s’agit sans aucun doute d’une victoire électorale qui appartient aux classes ouvrières et moyennes, insatisfaites d’un système politique qui dit aux personnes en difficulté d’attendre ou de supporter leur sort », revendique, dans le New York Times, Ana María Archila, codirectrice du Working Families Party, soutien de Zohran Mamdani. Au final, ce dernier devance Andrew Cuomo dans tous les arrondissements de la ville, sauf à Staten Island, bastion républicain, et dans tous les groupes, selon NBC : Blancs (44-41), Africains-Américains (52-37), Latinos (46-37) et Asiatiques (61-29).

« Ce n’est pas une nouvelle histoire mais c’est une ancienne histoire qui continue, avec d’autres sources d’immigration. Ce n’est plus l’Europe mais l’Amérique latine et l’Asie, notamment le sous-continent indien, relève pour l’Humanité Adam Shatz, rédacteur en chef pour les États-Unis de la London Review of BooksC’est un autre pays qui s’annonce. » Justement, si cette élection reflète les évolutions démographiques des États-Unis et de sa principale métropole, préfigure-t-elle pour autant une nouvelle donne politique nationale ?

Nouvelle ligne de fracture

Aucun doute pour Zohran Mamdani lui-même : cette élection montre « à une nation trahie par Donald Trump comment le vaincre »« C’est illustratif du pays, veut aussi croire Tristan Cabello, professeur d’histoire à l’université Johns Hopkins. Toutes les mesures proposées par Mamdani sont populaires dans l’ensemble du pays. » L’universitaire voit également dans ce scrutin la confirmation que « la guerre à Gaza a totalement changé les choses. C’est une nouvelle ligne de fracture. Tous ceux qui ont soutenu le génocide le paient aujourd’hui ». La victoire d’un candidat pro palestinien qui dénonce le génocide à Gaza dans une ville où résident un million de juifs reflète aussi le retournement de l’opinion publique sur le sujet.

« Cette élection change la donne pour le Parti démocrate et booste les chances des candidats les plus à gauche dans la perspective de la présidentielle », prolonge Fanny Lauby. Le chemin vers la Maison-Blanche en 2028 passe d’abord par le Capitole avec les élections de mi-mandat en novembre 2026. Quelle sera la stratégie de l’aile gauche, incarnée par Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez et Zohran Mamdani, alors que le triomphe de ce dernier fait souffler le vent dans ses voiles ?

Une frange sans doute majoritaire de la base souhaite présenter des candidats face aux sortants centristes, notamment les leaders démocrates au Congrès, tous deux new-yorkais : le député Hakeem Jeffries a soutenu à la dernière minute et sans conviction Zohran Mamdani, tandis que le sénateur Chuck Schumer a refusé de le faire.

Le nouveau maire a-t-il les moyens d’ouvrir ouvertement les hostilités alors qu’il aura besoin de Kathy Hochul, la gouverneure de l’État, elle aussi centriste, pour mettre en œuvre une partie de son programme et faire face aux assauts de l’administration Trump qui veut voir en lui un « communiste cinglé » ? Dans le New York Times, Morris Katz, son stratège, décrit la campagne depuis la primaire comme « l’histoire d’une friction constante entre la volonté d’unir un parti et celle de ne pas perdre son côté populiste ». Cette tension se poursuivra dès l’entrée en fonction du nouveau maire qui devra gérer un budget de 116 milliards de dollars, une administration de 330 000 personnes tout en faisant prospérer « l’aube d’un jour meilleur », cette promesse séculaire revenue dans l’air du temps.

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A New York, la vague Mamdani emporte l’establishment

Le candidat socialiste et musulman de 34 ans est largement favori de l’élection municipale qui se déroule ce mardi 4 novembre. En un an, il a constitué une coalition à l’image de la ville : jeune et diverse. (Article publié dans l’Humanité du 4 novembre 2025.)

Il est revenu sur le terrain de jeu de son enfance, mais cette fois-ci pas pour jouer avec les potes. À 14 ans, c’est presque à un rite de passage dans le monde adulte auquel va se livrer Daud Firaz : son premier porte-à-porte pour un candidat, en l’occurrence Zohran Mamdani. Il a entraîné avec lui sa mère, Afreen Chandary.

« Je vous assure que ce n’est pas l’inverse », assure celle qui avait déjà mené campagne pour l’élection du jeune socialiste au poste de représentant à l’Assemblée d’État. Le candidat à la mairie de New York n’était donc pas un parfait inconnu pour le jeune homme, qui voudrait devenir docteur, comme son grand-père, arrivé du Pakistan dans les années 1980.

Le premier débat opposant les prétendants à la magistrature suprême de la plus grande ville du pays (8,5 millions d’habitants) a servi de déclencheur. « J’ai vraiment été impressionné par sa prestation et cela m’a décidé », raconte Daud. « C’est important pour un jeune racisé de voir l’exemple de quelqu’un sans complexe qui affirme ce qu’il pense, ajoute Afreen. Mes parents étaient la première génération et il fallait faire les choses dans les règles, s’intégrer mais surtout ne pas faire de politique. Je suis la deuxième génération et ça a commencé à changer. »

« C’est le moment ou jamais »

Sur l’aire de jeux de Dutch Kills, dans le quartier d’Astoria, mère et fils ont rejoint d’autres bénévoles. C’est l’équipe de 15-18 heures qui se rassemble sous la houlette de Magdalena, Dustin et Mona, membres du DSA (Democratic socialists of America, l’organisation dont est membre Zohran Mamdani et qui gère sa campagne) en charge de l’organisation du « canvass » (porte-à-porte) alors que l’équipe de 12-15 heures termine.

Juste en face se trouve le Sami’s Kabab House, le restaurant préféré de Zohran Mamdani, où il a récemment tourné une vidéo avec Bernie Sanders. Pas le temps pour un uzbeki qabuli pulao, un plat traditionnel afghan. Ce sera juste quelques pommes, apportées par une dame qui ne parle que le mandarin.

Il y a également Lisa, « très impatiente et un peu nerveuse », qui franchit le pas pour la première fois. « Je suis très intéressée par la politique mais je ne me suis jamais engagée. Je suis en faveur des mesures proposées par Zohran mais je pensais que ce n’était pas possible de les faire gagner. Quand j’ai vu la dynamique, je me suis dit : “C’est le moment ou jamais” », explique-t-elle. Elle fera tandem avec Aïcha, habituée de l’exercice.

Magdalena leur indique le périmètre où elles iront toquer, maison après maison, avec un flyer à double face (en anglais d’un côté ; espagnol, arabe, ourdou, etc., de l’autre) avec les propositions centrales du candidat. Deux amis, originaires du sous-continent indien, se voient assigner une autre partie du quartier. Le duo formé de Saba, résidant à San Francisco mais en vacances dans la famille, et Clara, dont les parents sont originaires des Andes, complétera le maillage.

Avant le grand départ, Magdalena livre quelques recommandations : « Faire du porte-à-porte, ce n’est pas tant opposer des arguments sur toutes les propositions que d’écouter les attentes des électeurs. » Et Dustin de compléter : « C’est le premier jour du vote anticipé et le dernier pour s’inscrire sur les listes électorales, donc insistez là-dessus. » C’est d’ailleurs près d’un bureau de vote que Daud et Afreen sont affectés.

« À plus de 50 %, on a un mandat clair »

À la même heure, dans le seul quartier d’Astoria (150 000 habitants), deux autres équipes se sont élancées. Dans l’ensemble de New York, des milliers de militants se mettent également en mouvement. L’équipe de campagne de Zohran Mamdani en revendique 90 000, une « armée de volontaires », selon la formule consacrée aux États-Unis, dont le nombre et l’enthousiasme sont inégalés.

Sur le chemin vers le Museum of Moving Image où se trouve le bureau de vote, la mère de famille évoque le souvenir du 11 septembre 2001 : « J’étais lycéenne, je me souviens parfaitement du climat… et maintenant on va avoir un maire musulman. »

La certitude d’Afreen Chandary en ce samedi 25 octobre s’est depuis encore renforcée. La participation lors du vote anticipé bat tous les records, comme celle lors de la primaire démocrate avait établi un nouveau standard avec 1 million de votants.

Les sondages les plus récents accordent à Zohran Mamdani une avance située entre 7 et 25 points sur Andrew Cuomo, l’ancien gouverneur démocrate de l’État de New York, qui se présente en indépendant après sa cuisante défaite lors de la primaire, et Curtis Sliwa, le candidat républicain.

« La victoire est assurée. La question est de connaître l’ampleur du score », nous glissait un responsable de DSA, le soir du meeting de Zohran Mamdani en présence de Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, qui a rassemblé 13 000 participants« À plus de 50 %, on a un mandat clair », ajoutait-il.

« Rendre la ville abordable »

Dans un entretien accordé à l’Humanité, l’universitaire Ted Hamm détaille les ingrédients de ce succès totalement imprévisible : il y a six mois, Zohran Mamdani affichait 1 % d’intentions de vote. Tout a commencé par un slogan simple mais qui s’est transformé en quasi-force matérielle : « Rendre la ville abordable ».

Dans la capitale économique du pays et l’une des villes les plus inégalitaires, les propositions phares du candidat socialiste (gel des loyers, gratuité des bus, création d’un service public de la petite enfance et alourdissement de l’impôt sur les plus riches) se sont propagées comme une traînée de poudre dans le corps électoral.

« C’est la partie “démocratie du socialisme démocratique. Quand vous gagnez les voix de la classe ouvrière et que celle-ci est majoritaire – aux États-Unis et encore plus à New York –, eh bien vous remportez l’élection », souligne Michael Zweig, professeur émérite d’économie, et auteur d’un livre sur la classe ouvrière.

Ce message a pu être popularisé grâce à ce que Doug Henwood, journaliste et hôte d’une émission de radio, appelle « une machine électorale extraordinaire »« Au cours des dernières années, le DSA a maîtrisé les détails techniques permettant de remporter des élections : frapper aux portes, envoyer des SMS, passer des appels téléphoniques, détaille-t-il. D’autres candidats tentent de faire de même avec des employés rémunérés, mais ils ne peuvent rivaliser ni avec le nombre ni avec l’enthousiasme des bénévoles de la DSA. »

Cette campagne de terrain a permis d’élargir l’électorat démocrate« Sa coalition est jeune, pluriethnique, multilingue, avec beaucoup de primo-votants, qu’ils soient abstentionnistes ou jeunes électeurs. On n’avait jamais vu ça avant », décrit Tristan Cabello, professeur d’histoire à l’université Johns Hopkins et résident de Harlem.

Lors de la primaire, pour la première fois dans l’histoire politique de la ville, les moins de 40 ans représentaient la fraction la plus importante de l’électorat. Les premières données du vote anticipé montrent également une surmobilisation des nouvelles générations.

Un mouvement jeune imperméable aux arguments du passé

Autant d’évolutions qu’Andrew Cuomo, 67 ans, et une partie de l’establishment démocrate, qui l’a d’abord soutenu, n’ont rien vu venir. L’ancien gouverneur contraint à la démission en 2021 suite à des accusations de harcèlement sexuel par treize femmes a mené une campagne avec les forces et les arguments du passé.

Il s’est appuyé sur l’argent des milliardaires qui avaient également financé la campagne de Donald Trump, mobilisant plus de 50 millions de dollars, mais sous-estimant le rejet populaire des grandes fortunes et de leur rôle en politique.

Andrew Cuomo, qui a proposé ses services d’avocat à Benyamin Netanyahou, a tenté de discréditer son challenger en le dépeignant comme un « antisémite » pour ses prises de position sur la guerre à Gaza, qu’il qualifie de « génocide ».

L’argument aurait pu faire mouche à New York, où vivent un million de juifs, si une partie de ceux-ci, notamment les plus jeunes, n’étaient pas révulsés par la politique du premier ministre israélien et s’ils ne s’étaient finalement tournés vers… Zohran Mamdani, en passe de devenir, à 34 ans, le premier maire musulman et socialiste de la ville.

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« L’ancien régime politique est en train de disparaître »

Pour l’universitaire Ted Hamm, la campagne de Zohran Mamdani, articulant une plateforme progressiste avec une force militante inégalée, ouvre une nouvelle ère politique à New York. (Entretien publié dans l’Humanité du 4 novembre 2025.)

Il a suivi la campagne de Zohran Mamdani depuis la première minute et n’en a pas perdu une miette. Ted Hamm a consigné cette incroyable épopée dans un livre Run Zohran run ! (« Cours, Zohran, cours ») et revient pour l’Humanité sur ce basculement de la vie politique new-yorkaise.

Qu’est-ce qui rend la campagne de Zohran Mamdani si particulière ?

Ted Hamm

Professeur de journalisme à l’université Saint-Joseph

D’abord, c’est l’organisation d’une campagne de terrain menée par des bénévoles qui font du porte-à-porte et vont à la rencontre des électeurs. Il y a déjà eu des cas similaires auparavant, mais pas à cette échelle et pas avec ce niveau d’enthousiasme.

Les démocrates organisaient des campagnes avec les syndicats qui envoyaient leurs membres. Ces derniers le faisaient car la direction du syndicat le leur demandait, mais pas toujours avec conviction. Là, on avait 50 000 bénévoles pendant la campagne des primaires et 90 000 pendant cette élection. C’est le meilleur moyen de faire passer le message dans une ville aussi vaste que New York avec ses 8,5 millions d’habitants.

Et puis il y a le travail sur les réseaux sociaux, où il est bien meilleur que la plupart des candidats plus âgés. Cela a permis d’attirer l’attention et a conduit à des dons financiers qui ont été multipliés par le système de financement public (1 dollar privé est abondé par 9 dollars publics, NDLR), propulsant la campagne.

Mais si tout cela a bien fonctionné, c’est en raison du message qu’ils véhiculaient, de leur programme et de ses trois principales propositions : gel des loyers, bus rapides et gratuits, garde d’enfants universelle. Vous ne pouvez donc retirer aucun de ces éléments. Tout cela a fusionné. Un porte-à-porte sans message n’aurait pas fonctionné. Un message sans moyen de transmission, non plus.

Quelle est la composition de cette force militante ?

D’une manière générale, ils ont moins de 35 ans, probablement même moins de 25 ans. Regardez les photos publiées et vous verrez la diversité des militants. Ajoutez les différentes langues parlées, ce qui permet de toucher les électeurs dans leur langue maternelle. Mais il ne suffit pas d’avoir un groupe de bénévoles, encore faut-il les organiser. Ce qu’a parfaitement réussi la campagne.

Comment expliquez-vous l’aveuglement de l’équipe d’Andrew Cuomo et plus largement de l’establishment démocrate sur les évolutions de New York ?

Ce sont des gens qui sont dans la politique depuis si longtemps qu’ils partent du principe que tout ce qui était vrai il y a cinquante ou quarante ans l’est toujours aujourd’hui. Ils ne s’interrogent pas sur l’impopularité du capitalisme parce que cela fonctionne pour l’élite.

Le plus surprenant, c’est la façon dont l’establishment démocrate a réagi après le réveil brutal en 2018 qu’a constitué la victoire d’Alexandria Ocasio-Cortez. Ils auraient pu se dire : « D’accord, il se passe quelque chose dans cette ville. Peut-être que nous devrions nous montrer plus ouverts aux politiques progressistes, quelles qu’elles soient. » Mais ils ont préféré tenter d’éradiquer le DSA (Democrat Socialists of America, NDLR) et son influence.

Et finalement, l’hostilité de l’establishment a contribué à créer une dynamique en faveur de l’organisation et de Zohran Mamdani.

S’il est élu maire, comment Zohran Mamdani pourra-t-il appliquer son programme ?

Il pourra s’appuyer sur l’élan de l’élection. La gouverneure démocrate Kathy Hochul, opposée à un nouvel impôt sur les millionnaires, veut être réélue l’an prochain et elle a besoin des voix de New York. Donald Trump menace de réduire les fonds fédéraux mais Mamdani pourrait demander à ses partisans de descendre dans les rues.

Enfin, si vous considérez New York comme la capitale du capital, vous pouvez aussi penser que les dirigeants d’entreprises n’aiment pas tant le chaos que cela. Certains petits patrons peuvent même adhérer aux politiques sociales qui profiteront à leurs salariés. Il va rencontrer des obstacles mais il est tellement populaire qu’il s’agit d’une force avec laquelle il faudra compter. New York a changé de manière irréversible. L’ancien régime est en train de disparaître.

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